SOMMAIRE
CPS N° 65                                                                                         30 NOVEMBRE 1996
 

PALESTINE : LE TALON DE FER

TERREUR EN PALESTINE

Le 25 septembre 1996, quatre mois après l’élection de Benyamin Netanyahou comme premier ministre d’Israël, l’armée israélienne ouvre le feu sur des manifestants près de Ramallah : cinq Palestiniens sont tués, des centaines blessés. Le lendemain, les affrontements s’étendent à Gaza et à l’ensemble de la Cisjordanie ; les manifestants affrontent l’armée israélienne qui utilise les chars d’assaut, les mitrailleuses lourdes, les hélicoptères Cobra. Selon Le Monde du 29 septembre :

" Les combats les plus durs, le plus grand nombre de morts (24) et de blessés (140) ont été relevés dans la bande de Gaza. Même scénario que la veille et le jour même à Ramallah, Naplouse et ailleurs. Des milliers de jeunes munis de pierres se jettent sur les barrages israéliens. Il y a des morts, il y a la foule qui hurle sa rage et son impuissance et puis un, deux, vingt policiers palestiniens laissent éclater la leur et ouvrent le feu. M. Arafat, paraissant suivre plutôt que précéder le mouvement, a ordonné à sa police armée de " protéger le peuple, la nation et les acquis des Palestiniens ". Mais, pour autant que l’on sache, cet ordre est tombé tard en fin de matinée, bien après que les tirs de riposte de ses hommes eurent commencé. " Le vendredi 27, d’autres combats ont lieu, en particulier à Jérusalem, sur l’esplanade des mosquées : en quelques minutes sont tués trois Palestiniens, des dizaines sont blessés.

Le détonnateur de ces affrontements, qui feront au total plus de 80 morts et 1 300 blessés, c’est la décision prise par B. Netanyahou d’ouvrir un nouvel accès à un tunnel touristico-religieux sous l’esplanade des mosquées à Jérusalem, décision ressentie comme une pure provocation par les Palestiniens. Les manifestations éclatent aussitôt ; elles prennent fin après trois jours de répression féroce. Le gouvernement israélien a refusé toute concession ; le tunnel restera ouvert.

UN GOUVERNEMENT DE COMBAT

De manière quasi-unanime, la presse a fait porter la responsabilité de ces événements au gouvernement de Netanyahou, accusé de remettre en cause " les accords d’Oslo ". Ainsi l’éditorialiste de Libération du 28/09 explique-t-il que Netanyahou " s’est employé avec constance, depuis son arrivée au pouvoir, à violer aussi bien l’esprit que la lettre des accords d’Oslo. " Sous le titre : " Les mauvais calculs de Benyamin Netanyahou ", Le Figaro du lendemain commente : " S’il avait voulu enterrer le processus de paix, B. Netanyahou n’aurait pas agi autrement. "

De même la plupart des dirigeants des organisations ouvrières font-ils porter la responsabilité de cette situation au premier ministre récemment élu : " Je pense que le gouvernement de M. Benyamin Netanyahou porte véritablement la responsabilité de ce qui se passe aujourd’hui " affirme Jospin. La direction de la CGT lui fait écho en dénonçant " le double langage du premier ministre israélien " et en demandant la reprise d’une " véritable négociation " entre Palestiniens et Israéliens. Tous exigent l’application des " accords d’Oslo ". À leur suite, la LCR se soumet respectueusement à l’accord imposé par l’impérialisme américain et réclame " le respect des accords conclus ".

Sur cette base, un rassemblement " pour la paix et la justice en Palestine " est organisé le 27 septembre au Trocadéro à l’initiative du PS, du PCF, de la CGT notamment.

Il est un fait que depuis son élection comme premier ministre le 29 mai 1996, Netanyahou mène une franche offensive contre le peuple palestinien, en accord avec le programme pour lequel il a été élu et qui a été réaffirmé le 18 juin à la Knesset.

Ce programme est souvent résumé sous la forme d’un triple Non : non à un État palestinien (même sous la forme d’une série de confettis enclavés et contrôlés par l’État d’Israël) ; non à toute concession sur le plateau du Golan, fut-ce en échange d’un accord de paix avec la Syrie (d’où la formule : la terre contre la paix) ; non à la division de Jérusalem dont la partie Est conquise en 1967 est réclamée par Yasser Arafat, lequel se revendique des résolutions de l’ONU restées lettres mortes depuis trente ans.

Ce programme réaffirmé est présenté par le journal Le Monde (19/06) en ces termes :

" Le nouveau gouvernement promet la reprise des négociations - interrompues, au début de mars, par Shimon Pérès - " sans pré-condition ", sauf que " la base de tout arrangement avec la Syrie sera la rétention de la souveraineté israélienne sur le Golan ". Conquis en 1967 et annexé en 1981, le plateau du Golan, dont la restitution totale est la première condition syrienne à la paix, héberge aujourd’hui une quinzaine de colonies juives qui " seront consolidées et développées " avec l’aide de l’État

.

La poursuite, " le renforcement, l’élargissement et le développement " de la colonisation juive " sur les hauteurs du Golan, la vallée du Jourdain, la Judée, la Samarie et Gaza ", c’est-à-dire dans tous les territoires encore occupés par Israël depuis la guerre de six jours en 1967, sont considérés par le nouveau gouvernement comme un objectif " d’intérêt national pour la défense d’Israël et une expression de l’accomplissement sioniste ". Le gouvernement " allouera, dans ces régions, les ressources nécessaires à cette entreprise " et il " sauvegardera ses ressources aquafères vitales sur le Golan et en Judée-Samarie " (Cisjordanie)

.

Si Yasser Arafat, chef de l’OLP et président élu de l’Autorité palestinienne autonome, souhaite continuer les négociations avec " Bibi " Netanyahou, il devra accepter ce programme. "

Les conditions sont claires : les Palestiniens sont libres...

de vivre librement au sein des cages qui leur sont allouées.

" Le gouvernement d’Israël, indique l’article 7 du premier chapitre du programme de M. Netanyahou, proposera aux Palestiniens un arrangement aux termes duquel ils pourront conduire leur vie librement dans le cadre de l’autonomie. Le gouvernement s’opposera à l’établissement d’un État palestinien ou de toute autre souveraineté étrangère à l’Ouest du Jourdain " (Cisjordanie).

Le nouveau gouvernement s’opposera aussi au " droit au retour " de populations arabes sur n’importe quelle partie d’Eretz Israël (Grand Israël) à l’Ouest du Jourdain ".

Enfin, pour ce qui concerne " Jérusalem, la capitale d’Israël, une et indivisible, elle restera pour toujours sous la souveraineté d’Israël ". Jérusalem-Est, dont M. Arafat entend faire " la capitale " d’un " État indépendant ", sera particulièrement surveillée. " Le gouvernement empêchera toute action opposée à la souveraineté exclusive d’Israël sur la ville. " Sont visées les visites de dignitaires étrangers à la Maison d’Orient, dernier symbole de la présence politique palestinienne et de l’OLP dans la partie arabe de la ville sainte.

Le choix proposé aux diplomates est le suivant : ou bien ils cessent les visites de haut niveau à la Maison d’Orient, ou bien ils seront responsables de sa fermeture. Le gouvernement israélien " allouera des ressources spéciales " au " Grand Jérusalem ", qui s’étend bien au-delà des limites municipales, élargies en 1967, dévore déjà un bon cinquième de la Cisjordanie occupée et comprend une demi-douzaine de colonies-dortoirs réservées aux citoyens juifs. "

Les premières décisions sont conformes à ce programme du parti Likoud appuyé par les partis religieux : la colonisation en Cisjordanie est accélérée et le blocus de Gaza est maintenu, aggravant à l’extrême l’immense misère des Palestiniens. Le 27 août les forces israéliennes détruisent un immeuble palestinien à Jérusalem tandis qu’est annoncée la construction d’une nouvelle colonie de 1 800 logements en Cisjordanie.

Mais tout cela est-il fondamentalement nouveau ? Faut-il rappeler les massacres de Palestiniens perpétrés par le gouvernement Rabin puis le gouvernement Pérès, premiers ministres "  travaillistes " ainsi que de la poursuite par ces gouvernements de la colonisation ? Faut-il rappeler les déclarations de Rabin en septembre 1993, lors de la signature de l’accord de Washington ? Concernant la sécurité, celle-ci " reste entièrement entre nos mains " affirmait-il ; " aucune colonie ne sera démantelée " et " Jérusalem reste la capitale unifiée d’Israël et demeure sous notre souveraineté ".

Qu’il y ait des différences entre la politique suivie par le gouvernement de Netanyahou et celle de ses prédecesseurs est une chose qui n’est pas sans importance ; mais accuser le seul Netanyahou, c’est masquer l’essentiel. Et le même Jospin qui critique aujourd’hui le gouvernement d’Israël apportait, le 15 avril dernier, un soutien sans fard à l’opération militaire conduite par le gouvernement de Shimon Pérès contre les Palestiniens réfugiés au Liban. Après le massacre de civils à Cana (18 avril) il trouvait encore le moyen de parler de la " légitime défense " exercée par le gouvernement israélien. Ce que masque Jospin et ceux qui tiennent le même discours, c’est qu’il n’y a pas de différence de nature entre le Likoud et le parti dit " travailliste " israélien, l’un et l’autre organiquement et historiquement liés à l’État d’Israël, à l’écrasement du peuple palestinien. La politique conduite par Netanyahou est conforme à la nature de l’État d’Israël, État que Jospin et ses pareils entendent protéger en ne critiquant que le seul Netanyahou et en valorisant la politique pro-américaine de Shimon Pérès.

La différence entre ces deux partis israéliens ne porte pas sur les " droits " du peuple palestinien : le parti Likoud et le parti travailliste sont fondamentalement d’accord pour interdire tout droit du peuple palestinien à récupérer sa propre terre. Ils sont d’accord pour écraser le peuple palestinien dès que celui-ci tente de résister. La différence porte sur le meilleur moyen d’assurer la pérénité de l’État d’Israël et la prise en compte - plus ou moins grande - des intérêts du protecteur américain.

La politique du gouvernement travailliste, la soumission de Yasser Arafat à cette politique, ont préparé le terrain à celle de l’actuel gouvernement. Ainsi lorsque Netanyahou est devenu premier ministre, le " bouclage " de Gaza et des territoires de Cisjordanie était déjà un fait. La politique du parti travailliste a consisté à utiliser la police de Yasser Arafat comme supplétif, comme gardien de ces gigantesques camps d’internement que sont devenus les territoires confiés à " l’Autorité " d’Arafat. Le parti Likoud, quant à lui, préfère utiliser directement sa propre police, son armée dans ces camps, là est la différence. Sous le titre : " L’espoir bouclé des Palestiniens de Gaza - La zone autonome est devenue une vaste prison à ciel ouvert ", Libération du 5 octobre explique :

" Le bouclage prolongé des territoires, imposé par Israël après chaque attentat, a fortement contribué à changer l’état d’esprit des Palestiniens, transformant leur zone autonome non pas en espace de liberté, mais en vaste prison à ciel ouvert dans laquelle on compte désormais près de 70% de chômeurs. Un sentiment qui s’est accru avec la deuxième phase d’Oslo et l’extension de l’autonomie aux principales villes de Cisjordanie : avec les événements de la semaine dernière, les autorités israéliennes ont imposé un bouclage sans précédent, empêchant cette fois les mouvements entre villes et villages de Cisjordanie. Ainsi, chaque nouvelle étape du processus de paix a réduit, au lieu de l’accroître, l’espace de liberté des Palestiniens. " Dans la bande de Gaza où s’entasse près d’un million de Palestiniens, c’est le chômage, la misère, l’absence d’hygiène et de services sociaux dignes de ce nom et l’interdiction d’en sortir. Gaza et les zones de Cisjordanie attribuées au contrôle de l’OLP, c’est le mouroir d’un peuple entier. La police d’Arafat est chargée de faire régner l’ordre dans ce mouroir.

UN ÉTAT OPPRESSEUR, SPOLIATEUR ET ARTIFICIEL

Nul ne peut oublier que l’État d’Israël a été construit par le fer et par le sang, avec l’appui de l’impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin, en écrasant le peuple palestinien. Dès 1948, 700 000 Palestiniens durent s’enfuir, leurs terres furent confisquées. Par la guerre et la terreur, en bonds successifs, l’État d’Israël s’est depuis étendu, contraignant des millions de Palestiniens à s’exiler ou à vivre, misérables et opprimés, sous la botte d’une armée d’occupation. Il n’y a pas " deux peuples pour une même terre " comme l’explique mensongèrement L’Humanité et tant d’autres, mais un peuple opprimé, écrasé, disloqué et un État colonisateur. Cet État ne peut exister sans le soutien financier, politique et militaire de l’impérialisme américain (une nouvelle aide de 3 milliards de dollars vient d’être décidée). Cet État est indispensable à l’impérialisme américain pour exercer son contrôle politique et militaire sur le Proche et le Moyen Orient, leurs formidables réserves pétrolières.

Pour les masses palestiniennes, il n’est possible d’en finir avec l’exil et l’oppression, de récupérer ses terres, qu’en combattant et détruisant l’État colonial. Aussi les masses palestniennes n’ont-elles jamais cessé de combattre pour leurs droits nationaux, pour reconquérir leur pays.

Ainsi le 19 décembre 1987, la jeunesse de Gaza et de Cisjordanie a-t-elle engagé la terrible bataille de l’Intifada. Des milliers de Palestiniens sont tombés, tués par l’armée israélienne, d’autres blessés, emprisonnés, torturés. Officiellement, en six ans, plus de 120 000 Palestiniens sont passés par les prisons d’Israël, où la torture est " légalement " autorisée. C’est pour mettre un terme à ce combat légitime et sans cesse renaissant qu’a été signé l’accord de Washington.

L’ACCORD DE WASHINGTON, ACCORD DE TRAHISON

En 1991, l’Irak a été écrasé par l’armée américaine (avec l’appui des autres impérialismes). Aussi réactionnaire que fût la politique de Saddam Hussein, cette victoire impérialiste a représenté une défaite pour les masses arabes, palestiniennes en particulier. L’Intifada a alors reflué. Mettant à profit cette situation, le gouvernement israélien d’Itzhak Rabin a engagé des négociations avec l’OLP et Arafat, débouchant sur les " accords d’Oslo ". En réalité, il s’agit de l’accord de Washington, signé dans la capitale américaine le 13 septembre 1993, sous le contrôle exclusif du gouvernement des USA (parler " d’Oslo " permet d’oublier cette réalité-ci) : l’OLP, Organisation de Libération de la Palestine, renonçait à tout combat pour libérer la Palestine ; l’OLP obtenait la gestion administrative de Gaza et de quelques autres enclaves. La police de Yasser Arafat devenait supplétive de l’armée israélienne, chargée de contrôler les masses dans ces enclaves. Les exilés étaient abandonnés à leur sort. On laissait croire qu’ultérieurement un " État " palestinien serait mis en place : État croupion, inviable, constitué de fragments misérables où sont parqués les Palestiniens. Ce n’était qu’un leurre cauchemardesque. En attendant, la police d’Arafat agissait comme le gourdin d’Israël au sein des enclaves, multipliant arrestations arbitraires et liquidation des opposants. L’OLP apparaissait clairement pour ce qu’elle avait toujours été : une organisation nationaliste petite-bourgeoise profondément réactionnaire. Mais parce qu’elle avait capté, des décennies durant, l’aspiration des Palestiniens à la libération de leur pays, l’accord de Washington constituait une trahison et leur mise en œuvre un nouveau coup contre les masses palestiniennes. La jeunesse palestinienne se détourna de l’OLP au profit d’organisations tout aussi réactionnaires, tel le Hamas.

PAX AMERICANA

Pour les USA, cet accord visait à stabiliser les rapports politiques dans la région : faire avaliser aux États arabes de la région, inféodés aux USA, la liquidation définitive de la Palestine au profit d’Israël. Cela impliquait de la part d’Israël quelques menues concessions : une pseudo-autonomie pour quelques fragments territoriaux, un règlement de la question du Golan avec la Syrie. Le gouvernement " travailliste " d’Itzhak Rabin était chargé de mettre en œuvre cette " pax americana ". Mais pour une masse croissante de colons israéliens, toute concession aussi minime soit-elle est inacceptable. Ils ont conscience que jamais les peuples palestiniens et arabes n’accepteront le fait colonial israélien. Aussi les colons, avec le Likoud et les partis religieux, entendent-ils aller le plus loin dans la réalisation du Grand Israël, chasser et pourchasser les Palestiniens de toute la région, dût l’accord de Washington en pâtir. Ce qu’a exprimé le vote en faveur du Likoud et des partis religieux, l’élection de B. Netanyahou, c’est la volonté que les Palestiniens soient expulsés des territoires occupés, et au-delà si possible. C’est l’exigence de poursuivre le plus loin possible l’expulsion du peuple palestinien commencée en 1948.

UN PEUPLE EN CAGES

De 1993 à 1996, les accords de Washington ont permis de cadenasser le peuple palestinien, de le désarmer politiquementÊ; les Palestiniens appellent Gaza " la cage ". Les territoires prétendument autonomes sont autant de cages où sont enfermés les Palestiniens. La mise en œuvre de ces accords a facilité la nouvelle offensive israélienne.

Le 4 novembre 1995, un jeune israélien répondant aux " instructions de Dieu " tue le premier ministre " travailliste " Itzhak Rabin. Shimon Pérès lui succède. Aux élections de mai 1996, Shimon Pérès était le candidat soutenu par Clinton. Mais la majorité des électeurs israéliens a voté pour le Likoud et son programme offensif. De fait, Israël a une certaine autonomie par rapport à son parrain américain. Aussi désappointé soit Clinton, celui-ci ne peut cesser d’apporter un soutien inconditionnel à Israël et Israël n’a d’autre avenir que de mener une guerre incessante et impitoyable contre le peuple palestinien.

Certes, la marge de manœuvre du nouveau gouvernement n’est pas sans limite, compte tenu des liens étroits entre les États-Unis et Israël : celui-ci a besoin de l’appui militaire et financier des États-Unis. Mais ceux-ci ont aussi besoin de lui et, à plusieurs reprises dans le passé, les gouvernements israéliens ont prouvé qu’ils pouvaient engager des actions contre la volonté du gouvernement américain, comme lors de la participation d’Israël à l’opération de Suez en 1956.

Une récente interview d’Y. Shamir à L’Humanitédu 25 juin indique dans quel cadre se situe la politique de Netanyahou dont il est le maître à penser ; l’ancien premier ministre explique crûment pourquoi il n’y a pas d’autre issue que la guerre et pourquoi il est nécessaire d’aménager des moments de paixÊ:

" Nous savons très bien que la société arabe n’a jamais, jusqu’à ce jour, accepté l’existence de l’État d’Israël. Ils savent qu’il est difficile de le liquider mais mentalement ils le rejettent. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas essayer quand même de faire la paix. D’ailleurs c’est moi-même qui ait commencé en 1991. Parce que c’est ainsi : on est entouré d’Arabes et on ne peut pas être tout le temps en guerre si on veut se développer et faire venir de nouveaux immigrants juifs. Il y a quatre millions et demi de juifs en Israël, ce n’est pas assez. Il en faut beaucoup plus pour se défendre contre la vague arabe. Il faut faire venir ici la majorité des treize millions de juifs qu’il y a dans le monde. C’est à cela que nous travaillons et c’est pour cela qu’il faut faire la paix. " Mais pour installer ces nouveaux colons, il faut des terres. " Il nous faut un minimum. Les Palestiniens, eux, n’ont pas besoin de territoires et ils n’ont pas besoin non plus d’un État : ils ont la Jordanie. " Et quand le journaliste lui rappelle son passé de terroriste, il répond tranquillement : " Oui, mais alors c’était normal. " Si on lui objecte que les Palestiniens peuvent dire la même chose, il réplique : " Alors c’est la guerre. S’ils veulent la paix, ils doivent accepter un compromis. Et la base de ce compromis, c’est qu’Israël appartient au peuple juif. C’est ainsi parce que nous avons vaincu. (...) ce qui compte, c’est d’être gagnant. (...) ce qu’il faut, c’est être le plus fort. " C’est dans ce cadre que se situe la politique de Netanyahou. Après l’afflux massif d’une récente vague d’immigrants, il s’agit de préparer la guerre.

Aussi Clinton a-t-il manifesté quelque dépit de la défaite électorale de son poulain, bien qu’il sache que le Likoud est tout aussi pro-impérialiste (par ailleurs, une fraction de la bourgeoisie américaine et de ses dirigeants soutenait le Likoud).

PRÉPARATION À L’AFFRONTEMENT

Les dirigeants des États arabes ont parfaitement compris le sens de l’élection de Netanyahou. Dès le 21 juin, la plupart d’entre eux se réunissaient au Caire avec l’objectif de faire pression sur les États Unis : que ces derniers exercent à leur tour toute la pression souhaitable à l’égard du gouvernement israélien.

Le 25 juin, Waren Christopher, secrétaire d’État américain se rend en Israël pour rencontrer le nouveau premier ministre : de toute évidence, il n’obtient rien.

Le 8 juillet, c’est au tour de Netanyahou, qui se rend à Washington pour rencontrer Clinton. Là encore, le premier ministre israélien se montre inflexible, et Bill Clinton en est fort marri.

La veille de son voyage, Netanyahou avait nommé Ariel Sharon ministre des " infrastructures nationales " ; à elle seule, cette nomination vaut programme. Sharon est connu pour avoir, entre autres, ordonné en 1982, les bombardements de Beyrouth et fait que les milices phalangistes pussent rentrer dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila où, en toute impunité, elles ont procédé au massacre systématique de centaines de femmes, d’enfants et d’hommes.

Comme l’indique Le Monde :

" A la tête d’un ministère qui comprendrait l’administration des terres, la voirie, la gestion des carrières, la construction en zone rurale, les routes de contournement des agglomérations palestiniennes à Gaza et en Cisjordanie occupées, le réseau routier et ferroviaire, le commissariat à l’eau et plusieurs autres administrations telles que le développement national, celui du Neguev et de la Galilée, on peut compter sur M. Sharon pour, comme il le précise lui-même, " préparer Israël pour l’an 2 000 ". Israël, dans l’esprit de l’ancien général, inclut bien évidemment tous les territoires arabes conquis en 1967, occupés et colonisés depuis. " Le programme est aussitôt mis en œuvre : le 27 août, c’est la démolition d’un immeuble palestinien de plusieurs étages construit avec des dons internationaux pour héberger une crèche, un centre pour handicapés et une maison de retraite à Jérusalem-Est. C’est un choix fortement symbolique, voulu comme tel. Le même jour est annoncée la construction d’une nouvelle colonie de 1 800 logements.

Pour Arafat et l’OLP, la situation est intenable : ils avaient tenté de justifier aux yeux des masses palestiniennes l’accord de Washington en prétendant qu’il y avait ainsi l’ébauche d’un futur État palestinien. Désormais plus personne ne peut croire à une telle fiction, même sous la forme d’un pseudo-État, d’un État-croupion.

Yasser Arafat appelle donc à une grève générale pour la journée du 29 août et à un rassemblement de masse, pour la prière du vendredi, sur l’esplanade des mosquées... Cela n’émeut pas outre mesure Netanyahou, qui rencontre Arafat le 4 septembre et annonce, le 18 septembre, un nouveau programme de colonisation : 1 800 nouveaux logements pour 10 000 colons.

De toute évidence, ce que cherche le gouvernement israélien, c’est de faire monter les enchères jusqu’au point où, acculé, Yasser Arafat prendra l’initiative de la rupture des négociations, de la rupture de l’accord de Washington. Mais les capacités de capitulation d’Arafat paraissent sans bornes : le même 18 septembre, il accepte de rencontrer le ministre israélien de la défense pour discuter de l’évacuation partielle de Hébron, qui était prévue en mars, par l’armée israélienne. Jusqu’alors, Arafat avait affirmé qu’il n’était pas question de renégocier cette partie de l’accord. Ce n’est plus le cas.

" Acceptez-vous de modifier les accords conclus concernant Hébron ? " fut-il demandé, mercredi soir, à Yasser Arafat. " Le comité de suivi mettra tous les détails en œuvre... " répondit celui-ci. " Mais acceptez-vous... ? " s’entêta un journaliste. " Ce que j’ai dit est clair " répliqua le chef de l’OLP. " (Le Monde 20/09) Arafat avale toutes les couleuvres, y compris l’annonce le même jour de : " la confiscation, pour raisons de sécurité, de nouveaux terrains palestiniens en plein cœur de Hébron, afin de percer, jusqu’à l’intérieur de l’antique casbah arabe, une route reliant la grande colonie juive de Kiryat Arba aux trois sites de peuplement juif installés au cœur de la ville. Plusieurs maisons palestiniennes devront être détruites pour faire place à cette route, qui sera " réservée ", selon l’armée, aux colons et aux soldats israéliens chargés de les protéger, sur le modèle de l’autre route " réservée ", symbolisant l’introduction d’une sorte d’apartheid, qui a été inaugurée entre le " bloc " de Goush Etzion et Jérusalem il y a une semaine. " (Le Monde 20/09) Aussi le gouvernement Netanyahou accentue-t-il la pression

exercée : dans la nuit du 23 au 24 septembre, il fait ouvrir un nouvel accès à un tunnel touristique qui débouche en plein quartier musulman. Il connait le caractère parfaitement provocateur de cette décision. Une nouvelle fois Arafat appelle à une" grève générale des commerçants "... Mais cette fois, tournant le dos à ses protestations platoniques, c’est la population palestinienne, les jeunes en particulier, qui réagit : spontanément, des manifestants prennent à parti la police israélienne. Le même jour, des heurts violents opposent l’armée israélienne

" dans la ville arabe occupée de Hébron à plusieurs centaines de Palestiniens, qui manifestaient pour obtenir des autorités d’occupation la réouverture de l’antique souk, fermé d’autorité par Israël en février 1994, après le massacre de 29 Palestiniens par un colon juif, Barouch Goldstein. Le souk est revendiqué au titre de " propriété juive " par les 450  colons installés autour du site, en plein cœur de cette ville de 120 000 habitants arabes. Tsahal qui, selon les accords signés avec l’OLP, aurait dû se redéployer hors de la ville il y a six mois, y a récemment renforcé sa présence et la tension ne cesse de monter. " Puis, trois jours durant, les manifestations contre l’occupant israélien se multiplient. L’armée israélienne se déchaîne : " Le bain de sang qui en a résulté paraît hors de proportion. Les forces israéliennes ont ouvert le feu sans sommation sur des gamins armés de cailloux ; elles ont pénétré à l’intérieur des enclaves autonomes palestiniennes ; quand la police de Yasser Arafat a riposté, Tsahal a déployé blindés et hélicoptères de combat. S’il avait voulu enterrer le processus de paix, Benyamin Netanyahou n’aurait pas agi autrement. " Mais il faut le répéter : cette " paix " n’était qu’une paix impérialiste, la paix des cimetières et des camps pour un peuple en cage, un temps de répit permettant l’arrivée d’une nouvelle vague de colons et la préparation de nouvelles offensives.

RIVALITÉS INTER-IMPÉRIALISTES

Le 29 septembre, Clinton convoque à Washington Netanyahou et Arafat, ainsi que le roi Hussein de Jordanie. Ce que souhaite Clinton, c’est une suspension des affrontements (au moins jusqu’aux élections américaines) en attendant de trouver un éventuel compromis entre son protégé - Israël - et les États arabes de la région, vassaux de l’impérialisme américain.

Ce sommet se tient selon les " règles de Dayton " appliquées lors des négociations sur la Bosnie : un silence total est imposé aux participants jusqu’à la fin. Les autres impérialismes, dont l’impérialisme français, ont été tenus à l’écart de cette réunion en dépit des récriminations françaises et des demandes des régimes arabes qui souhaiteraient desserrer l’étau israélo-américain. Mais les Etats-Unis entendent conserver leur mainmise sur la région et ses ressources.

De ce sommet, aucun accord n’en résulte, si ce n’est la décision de reprendre les discussions à Erez, à la frontière de Gaza, le 6 octobre.

À la recherche d’un point d’appui, Yasser Arafat s’adresse à Chirac pour demander " la présence de l’Union européenne aux entretiens qui auront lieu " à Erez entre l’Autorité palestinienne et Israël. Mais l’Union européenne n’a pas de politique commune en la matière, d’autant que les Américains font clairement savoir qu’ils ne souhaitent pas que les Européens leur mettent des bâtons dans les roues.

Un voyage de Jacques Chirac au Proche Orient, à partir du 19 octobre, est l’occasion pour l’impérialisme français de reprendre pied dans la région en mettant à profit les difficultés (relatives) du gouvernement américain : moyennant d’importantes concessions financières à la Syrie (effacement d’une partie de la dette syrienne) et de l’acceptation du rôle que - de facto - la Syrie joue au Liban, Chirac reçoit un accueil chaleureux à Damas.

Un incident, à Jérusalem, entre le service d’ordre israélien et Jacques Chirac ainsi que quelques déclarations sur " les Palestiniens devenus un peuple sans terre " permettent à Chirac de se donner à bon compte la posture d’un chef d’État soucieux des droits du peuple palestinien. Bien évidemment, ce qui intéresse Chirac - qui ne se préoccupe pas plus des droits du peuple palestinien qu’il ne prend en compte les droits des travailleurs immigrés en France - c’est une " place politique " pour l’impérialisme français et ce sont les contrats qui en découlent. Par ailleurs l’impérialisme français entend également préserver la sécurité de l’Etat colonial israélien.

Tous les gouvernements des États impérialistes, tous les régimes qui leur sont inféodés, soutiennent Israël. Il en est de même de tous les partis social-démocrates et des partis ex-staliniens aujourd’hui en décomposition qui défendent l’accord de Washington au nom de " la paix ". Or la paix exige avant tout la destruction de l’État d’Israël en tant qu’État colonial, gendarme de l’impérialisme au Proche Orient (de même, celle des États artificiels du Liban et de Jordanie).

De cela, Arafat ne veut pas. Si, au plus fort des combats de fin septembre, une partie de ses policiers a été " entraînée " et a retourné ses armes contre l’occupant israélien, pas un instant les chefs de sa police n’ont cessé de collaborer avec les autorités israéliennes. Représentation politique de la faible bourgeoisie palestinienne, l’OLP ne veut pas rompre avec

l’impérialisme. L’OLP pas plus que le Hamas ou autres organisations du même type ne peuvent ouvrir d’issue politique aux classes exploitées, à la jeunesse palestiniennes. Pour les masses palestiniennes, le prolétariat et la jeunesse, il est vital de s’organiser indépendamment de la bourgeoisie palestinienne, des bourgeoisies arabes et de leurs gouvernements, des impérialismes.

En présentant l’impérialisme français comme un possible recours face à l’offensive israélienne et à l’impérialisme américain, Arafat rajoute un peu plus de confusion politique. Aucune bourgeoisie - impérialiste ou compradore - , aucun parti lié à l’une quelconque de ces bourgeoisies ne peut aider les masses palestiniennes, bien au contraire. La question d’un parti ouvrier est une question fondamentale.
 


LE PROLÉTARIAT PALESTINIEN A À CONSTRUIRE UN PARTI OUVRIER ,
SES SYNDICATS, UN PARTI RÉVOLUTIONNAIRE

Dans son combat, le prolétariat est entravé depuis des décennies par l’absence de parti ouvrier, par l’absence de syndicat. Le peuple palestinien est composé de classes : sa bourgeoisie, même faible, d’autant plus qu’elle est faible, est soumise aux autres bourgeoisies arabes, à l’impérialisme. Elle tend à faire allégeance à l’État colonial israélien pour peu que celui-ci lui ménage une place, si petite soit-elle. Faute de représentation politique indépendante, le prolétariat palestinien demeure soumis à cette bourgeoisie au travers de l’OLP, organisation nationaliste petite-bourgeoise. Un tel parti ouvrier doit permettre au prolétariat palestinien de se constituer en classe pour soi. De même le prolétariat doit-il construire ses syndicats qui lui permettent de se défendre à l’égard des patrons palestiniens tout autant qu’à l’égard des patrons israéliens. Le fait que ce prolétariat soit la plupart du temps réduit au chômage, ou ne soit généralement employé que dans de minuscules entreprises (la plus importante de Gaza, appartenant à un bourgeois palestinien, exploite une centaine d’ouvriers), ne change rien à l’affaire.

Mais un tel parti a besoin d’un programme. Il ne peut se construire que sur une orientation de rupture avec la bourgeoisie palestinienne tout autant que de combat pour en finir avec l’État colonial. À cette condition le prolétariat peut offrir une issue aux masses palestiniennes, à toutes les couches exploitées. Un tel parti devra en particulier combattre pour une Constituante palestinienne, le peuple palestinien ayant récupéré son pays, pour un gouvernement ouvrier et paysan.

Mais pour préciser à chaque moment et impulser un tel programme, pour permettre à un tel parti ouvrier de jouer pleinement son rôle, de regrouper l’ensemble du prolétariat et de la jeunesse, il faut une avant-garde organisée sur le programme de la révolution prolétarienne. Le combat pour un parti ouvrier n’émancipe pas du combat pour le Parti Ouvrier Révolutionnaire.

En dernière analyse, pour les masses palestiniennes, il n’y a d’autre issue que dans la construction d’un Parti Ouvrier Révolutionnaire palestinien qui lie la lutte contre l’État d’Israël à la lutte du prolétariat contre le capitalisme, pour le gouvernement et le pouvoir ouvrier.

En particulier, le mot d’ordre de Constituante palestinienne ne prend tout son sens que s’il est situé sur la ligne de la constitution d’un Gouvernement Ouvrier et Paysan de toute la Palestine, seul gouvernement capable de résoudre la question nationale parce que résolvant la question sociale. Un tel combat s’inscrit nécessairement dans la perspective des Etats-Unis Socialistes du Proche et du Moyen Orient.

Il appartient au prolétariat et à la jeunesse de chaque pays, en France en tout premier lieu, de combattre pour imposer aux dirigeants des organisations syndicales, CGT et FO, FSU, ex-FEN et UNEF(s), aux partis ouvriers bourgeois tels que le PS et le PCF qu’ils cessent leur soutien éhonté aux  " accords d’Oslo " (c’est-à-dire à l’accord de Washington), à l’impérialisme, à l’État d’Israël qui pratique le terrorisme permanent contre les masses palestiniennes, les travailleurs et la jeunesse palestiniennes.
 



DÉBUT                                                                                                           SOMMAIRE - C.P.S N°65 - 30 NOVEMBRE 1996