Dossier PALESTINE
CPS N° 26                                                                                          25 FEVRIER 1989
 

CONFLITS REGIONAUX REGLES ET NON REGLES
LE "CONFLIT REGIONAL" DE PALESTINE

LE COMBAT DU PEUPLE PALESTINIEN

Les commentateurs de toutes sortes, y compris ceux qui veulent apparaître comme sympathisants de l'Intifada, lui assignent comme limite la libération de la Cisjordanie et de Gaza occupées par Israël depuis 1967. Certes les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza veulent que cette occupation prenne fin. Mais les objectifs de l'Intifada ne se limitent pas à cela. La récupération par les Palestiniens de leur pays, la constitution d'un authentique Etat palestinien, exigent la destruction de l'Etat d'Israël, Etat artificiel construit avec l'appui de l'impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin, place forte de l'ordre impérialiste au Moyen-Orient. Ils exigent aussi la liquidation de l'Etat de Jordanie. Cet Etat a été constitué artificiellement par les Anglais alors que la SDN leur avait donné mandat sur la Palestine. De plus la lutte des Palestiniens pose les problèmes de la révolution prolétarienne. C.P.S. 21 écrivait :

«La question palestinienne n'est pas seulement une question nationale : étroitement imbriquée à celle-ci est la question sociale. 4,5 millions de Palestiniens combattent pour une nation, un Etat palestinien. La véritable Palestine s'étend de Tel-Aviv à Gaza, à la Jordanie dont 60 % de la population est palestinienne. Retrouver une nation signifie évidemment pour les Palestiniens l'expropriation des expropriateurs, Juifs évidemment, mais aussi féodaux arabes de Jordanie et, dans la mesure où il en reste, des grands propriétaires fonciers de Cisjordanie, de Gaza, du Golan, l'appropriation des moyens de production, la prise de contrôle des leviers économiques et financiers».

Plus loin :
«C'est ce qui explique aussi que tous les Etats arabes, toute les classes et couches exploiteuses féodales bourgeoises du Moyen-Orient redoutent le peuple palestinien, redoutent sa victoire. Elle donnerait une formidable impulsion, non seulement à la lutte contre l'impérialisme, mais à la révolution sociale des masses dans leur propre pays. C'est ce qui explique également la violence, la brutalité de la répression israélienne».

Aussi brutale et sanglante que la répression ait été, elle n'a pu liquider l'Intifada. Accentuer cette répression jusqu'au génocide ? Les gouvernements de l'Etat d'Israël n'en possèdent pas les moyens politiques. Si attachée que soit la communauté juive au maintien de l'Etat d'Israël et prête à le défendre, elle n'est pas prête au moment actuel d'accepter un tel génocide. Au Moyen-Orient il soulèverait la colère des masses et les conséquences en seraient incalculables. L'Etat d'Israël ne peut se survivre que par ses appuis internationaux. L'impérialisme, pas plus que la bureaucratie du Kremlin, ne sont en mesure de couvrir et d'autoriser un génocide des Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de ceux qui vivent dans les limites officielles de l'Etat d'Israël. Aux yeux des masses populaires de tous les pays, l'Etat d'Israël se condamnerait à un isolement total. L'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin ont choisi une autre méthode : tout en laissant l'Etat d'Israël poursuivre la répression à son niveau actuel et même en lui permettant de l'accentuer, ils veulent dévoyer et désamorcer l'Intifada. Georges SCHULTZ préconisait une conférence internationale qui réunirait Israël et les parties arabes intéressées, ainsi que les membres du Conseil de Sécurité, pour "régler" la "question palestinienne" dans la perspective de l'application des résolutions 181 et 242 du Conseil de Sécurité.

CONTRE L'INTIFADA ET SES OBJECTIFS

Ces derniers mois, la bureaucratie du Kremlin s'est rapprochée de l'Etat d'Israël, avec lequel elle avait rompu ses relations diplomatiques en 1967, au moment de la "guerre des six jours". En même temps, sur la ligne de GORBATCHEV, la bureaucratie du Kremlin a pressé ARAFAT et l'O.L.P. de se prononcer pour une telle conférence et d'accepter les résolutions 181 et 242 du Conseil de Sécurité. De son côté, le roi HUSSEIN de Jordanie a renoncé à être partie prenante du "règlement de la question palestinienne" et à ses prétentions sur la Cisjordanie. Il faut rappeler que, en 1947, en accord avec Israël, la Jordanie avait annexé la Cisjordanie, Cisjordanie que, depuis 1967, Israël occupe, mais où, jusqu'à l'automne dernier, la Jordanie appointait nombre de fonctionnaires. Dans les cuisines diplomatiques de l'impérialisme américain, de la bureaucratie du Kremlin, de certains Etats arabes, de l'O.L.P., se mijotait le plat que, dans la nuit du 14 au 15 novembre 1988, le Conseil National palestinien devait servir :

«Le Conseil National palestinien, au nom de Dieu et au nom du peuple arabe palestinien, proclame l'établissement de l'Etat de Palestine sur notre terre palestinienne avec pour capitale la Jérusalem sainte».

Cette fière déclaration couvre la reconnaissance de l'Etat d'Israël et l'acceptation de la constitution d'un Etat palestinien croupion limité à Gaza et à la Cisjordanie. En effet : elle se réfère aux résolutions 181 et 242 du Conseil de Sécurité de l'O.N.U.. La résolution 181 date du 29 septembre 1947. Elle prévoit la partition de la Palestine : création de l'Etat d'Israël ; constitution d'un Etat croupion palestinien ; la dernière partie de la Palestine, à partir du Jourdain, restant la Jordanie. La résolution 242 a été adoptée le 22 novembre 1967, cinq mois après la "guerre des six jours". Elle exige «le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés pendant le récent conflit». Gaza et la Cisjordanie sont aujourd'hui les derniers territoires que l'armée d'Israël a occupés au cours de la guerre des six jours ("le récent conflit" auquel se réfère la résolution 242 du Conseil de Sécurité). L'acceptation de cette résolution par le Conseil National palestinien définit, sans que cela soit dit explicitement, les limites de l'Etat palestinien qu'il a proclamé. Bien sûr, il n'est pas question que le nouvel Etat proclamé inclut la Jordanie qui, portant, est à 60 % peuplée par les Palestiniens. Le désengagement du roi de Jordanie par rapport à la Cisjordanie se comprend du même coup. Le nouvel Etat palestinien proclamé s'auto-limite à la Cisjordanie et à Gaza.

Ce n'est pas tout : le Conseil National palestinien a affirmé :
«La nécessité de réunir une conférence internationale efficace sur le problème du Proche-Orient... sous l'égide de l'O.N.U. et avec la participation des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. et toutes les parties concernées y compris l'O.L.P. représentant légitime unique du peuple palestinien sur un pied d'égalité».

Le Conseil National palestinien s'est totalement rangé sur les positions communes de l'impérialisme américain et de la bureaucratie du Kremlin, y compris en ce qui concerne la procédure. En plaçant un "règlement" du "problème du Proche-Orient" sous l'égide du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., il reconnaît officiellement à l'impérialisme américain et à la bureaucratie du Kremlin le rôle de "protecteurs" du Moyen-Orient. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que de nombreux Etats, dont l'URSS, aient reconnu le nouvel Etat palestinien. De son côté, le gouvernement des USA a levé la quarantaine dans laquelle il tenait l'O.L.P. depuis 14 ans. A la suite du discours que Yasser ARAFAT a prononcé le 13 décembre à l'O.N.U., Georges SCHULTZ, alors encore secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères du gouvernement REAGAN, a estimé possible que les USA engagent un "dialogue substantiel" avec l'O.L.P.. Depuis les contacts USA-OLP ont été officiellement renoués et des discussions ont été engagées.

L'annonce de la constitution d'un Etat palestinien a été saluée avec enthousiasme en Cisjordanie et à Gaza : grèves et manifestations se sont succédées. Mais les masses palestiniennes mettent un autre contenu, une autre dimension, que le Conseil Nationale palestinien à un Etat palestinien : la liquidation de l'Etat d'Israël ; une Palestine s'étendant de la mer à la Jordanie incluse ; le retour en Palestine des 4,5 millions de Palestiniens qui ont été contraints par la création de l'Etat d'Israël et ses guerres de s'expatrier ; l'expropriation des expropriateurs ; le peuple palestinien souverain dans cette Palestine. L'Etat d'Israël de son côté ne peut pas même accepter la constitution d'un Etat croupion palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Il sait que les masses palestiniennes ne s'en satisferaient pas. Par contre, ce serait le commencement de la désagrégation de l'Etat artificiel d'Israël par la démoralisation et le commencement de la fuite d'Israël de nombreux Israéliens.

LA TACTIQUE ET LES OBJECTIFS DE SHAMIR

Les élections israéliennes ont été marquées par la progression des partis les plus réactionnaires, les partis religieux, au détriment y compris du Likoud. C'est un signe de radicalisation à droite de certaines couches de la population d'Israël. Elles veulent que le gouvernement d'Israël utilise contre l'Intifada les moyens ultimes de la répression. Mais Israël doit compter sur les relations internationales. Finalement les coalitions Likoud-Parti travailliste, d'avant ces élections, a été reconduite. Dans un interview que "Le Monde" du 1er février 1989 a publié, le dirigeant du Likoud et chef du gouvernement,Irzak SHAMIR, a défini l'orientation de ce gouvernement.

Non sans regrets, il dit :
«Nous ne pouvons pas, par exemple, ouvrir le feu sur des foules de centaines ou de milliers de gens».

Puis il explique :
«Si les Palestiniens veulent arriver à une amélioration de leur situation même politique on peut y parvenir par une négociation. Mais s'ils veulent avoir immédiatement un Etat palestinien, ils ne l'auront ni par la négociation ni par la force. C'est inimaginable. Cela ne sera jamais.

Je pense à une solution en deux phases pour les Palestiniens qui vivent ici chez nous. Dans une première phase, l'autonomie, une autonomie très large, très libérale, pour un temps limité. Et après il y aurait la négociation - sans condition préalable - sur le statut permanent des territoires. Le résultat de cette négociation doit être acceptable par toutes les parties».


Pendant ladite période "d'autonomie", le «regroupement des troupes israéliennes dans des zones spécifiques sera un gage de la sécurité d'Israël, mais aussi, peut-être, un gage de sécurité de l'autonomie elle-même». Cela indique ce que vaudrait cette "autonomie".

Enfin :
«Pendant ces quelques années, il y aura une coopération, une coexistence, entre Israéliens et Palestiniens de telle façon qu'à l'issue de cette période d'autonomie soit créée une atmosphère de confiance mutuelle qui facilitera les négociations de statut permanent».

Cyniquement, il ajoute :
«Et quand on parle de "statut permanent" des territoires, cela veut dire - comme c'est écrit dans les accords de Camp David - que l'on prendra en considération les droits légitimes des Palestiniens».

Entre qui et qui devrait-il y avoir "négociation" ?
«Pour le moment (la Jordanie et l'Egypte) n'en veulent pas mais un seul de ces deux pays suffirait. Et même si on peut arriver à un accord avec les Palestiniens sans avoir à traiter avec l'O.L.P., on est prêt à faire cette négociation en deux phases avec les Palestiniens seuls».

En clair, Israël déciderait quels sont les Palestiniens avec lesquels il serait prêt à "négocier". SHAMIR et son gouvernement rejettent toute conférence internationale. A la vérité, Israël veut maintenir la Cisjordanie et Gaza sous sa botte. Sa perspective est que finalement la répression actuelle permettra d'épuiser l'Intifada. Le gouvernement d'Israël sait que l'impérialisme et la bureaucratie ne feront rien qui puisse déstabiliser Israël, pièce de première importance du maintien de l'ordre impérialiste au Moyen-Orient.

A quoi servent l'acceptation des résolutions 181 et 242 du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., la proclamation d'un Etat palestinien limité à Gaza et à la Cisjordanie par le Conseil National palestinien ? En reconnaissant l'Etat d'Israël, en limitant l'Etat palestinien proclamé à Gaza et à la Cisjordanie, le Conseil National palestinien isole, malgré l'enthousiasme qu'ils ont manifesté, les Palestiniens de ces territoires et ceux qui résident à l'intérieur des frontières de l'Etat d'Israël, de leurs compatriotes réfugiés dans les pays du Moyen-Orient et de ceux qui résident en Jordanie. Pour les réfugiés plus aucun espoir de retrouver leur pays et leurs biens dont ils ont été spoliés. Pour tous les Palestiniens, plus question d'être le peuple souverain d'une Palestine s'étendant de la mer à la Jordanie. Plus de raison de combattre. C'est une contribution majeure à la consolidation des Etats féodaux bourgeois du Moyen-Orient, au renforcement de l'ordre impérialiste. En isolant les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, de l'intérieur des frontières d'Israël, de leurs frères expatriés et de Jordanie, le Conseil National palestinien aide l'Etat d'Israël à poursuivre la répression de l'Intifada et à tenter de mettre fin, à sa manière, à ce "conflit régional".

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Il demeure que depuis plus de quarante ans le peuple palestinien a démontré son acharnement à combattre pour récupérer son pays et constituer une nation, un authentique Etat palestinien. L'Intifada en est une nouvelle démonstration. Elle se poursuit. Tout le peuple palestinien, les masses exploitées et opprimées arabes sont exaltés par ce combat. Cette nouvelle trahison n'aura pas raison des aspirations et de la volonté du peuple palestinien. Plus que jamais le peuple palestinien a besoin d'une perspective, d'une stratégie politique.

CPS l'a déjà indiqué : le mot d'ordre "pour une authentique constituante palestinienne souveraine" est le mot d'ordre qui exprime l'aspiration du peuple palestinien à une nation, à récupérer son pays, à constituer un véritable Etat palestinien.

CPS 21 ajoutait :
«Il existe un préalable à la constituante, la destruction de l'Etat d'Israël ; il s'agit d'abord et avant tout que les Palestiniens (ceux qui sont restés en Israël, de Gaza, de Cisjordanie, de Jordanie, mais également ceux qui ont été contraints de s'expatrier) recouvrent leur pays pour constituer un Etat palestinien ; il n'y a pas une sorte d'équilibre entre deux communauté et d'Etat bi-national à constituer.

Enfin, la victoire des masses palestiniennes est indissolublement liée à celle de la révolution prolétarienne au Proche et Moyen Orient contre l'impérialisme, les Etats féodaux bourgeois et les cliques militaires du Proche et du Moyen-Orient, dans le combat pour l'indépendance nationale, les libertés démocratiques, l'Assemblée Constituante souveraine, le Gouvernement Ouvrier et Paysan, la réforme agraire, la prise en main des principaux moyens de production par le prolétariat, l'expropriation des classes dominantes et exploiteuses, les Etats Unis Socialistes du Proche et du Moyen-Orient. A l'évidence, le prolétariat palestinien ne peut compter, pour mener son combat, sur l'O.L.P.. Comme tous les prolétariats, il lui faut construire une centrale syndicale ouvrière ; il lui faut surtout que se construise un Parti Ouvrier Révolutionnaire se situant sur le programme de la révolution prolétarienne en Palestine, au Proche et au Moyen-Orient, les Etats Unis Socialistes du Proche et du Moyen-Orient et donc de la révolution prolétarienne, contre l'impérialisme, les classes et couches exploiteuses et les bureaucraties parasitaires.

Des organisations ouvrières, partis et syndicats, des pays impérialistes, notamment françaises, il faut exiger immédiatement :
«Assez de ce massacre. L'indignation ne suffit pas. Dirigeants du P.S. et du P.C.F. disent réprouver la répression sanglante israélienne contre les Palestiniens qui manifestent à Gaza et en Cisjordanie au nom de leur peuple, pour les libertés démocratiques, la fin de la répression, le droit du peuple palestinien à retrouver son pays et à disposer de lui-même.

Pourquoi n'appellent-ils pas, ainsi que les dirigeants des centrales syndicales, à une manifestation massive à l'ambassade d'Israël : ASSEZ DU MASSACRE, c'est le droit élémentaire du peuple palestinien d'exprimer ses revendications démocratiques et nationales et à combattre pour».


Le 25 février 1989.

 



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