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À PROPOS DE
«LA MONDIALISATION DU CAPITAL»
(Deuxième partie)
 

LES FIRMES MULTINATIONALES (FMN)

Mais il est vrai qu’il y a modification quant à l’ampleur et la forme des IDE et des EMN. De ce point de vue, grosso modo, on peut suivre l’analyse réalisée dans " mondialisation du capital " par François Chesnais. Il écrit :

Dans la dernière étude qu’il a publiée avant qu’il ne soit dissous, l’UNCTNC a ainsi dénombré l’existence de près de 37 000 FMN, avant de préciser trois pages plus loin que l’essentiel de l’analyse porterait sur les 100 groupes les plus transnationalisés, dont nous donnons dans le tableau 2 les trente premiers noms. En 1990, ces 100 groupes concentraient entre leurs mains environ un tiers du montant total mondial de l’IDE ; ils possédaient des actifs d’une valeur cumulée de l’ordre de 3,2 trillions de dollars, dont environ 40 % étaient situés en dehors du pays d’origine.
Tableau 2 Les trente groupes non financiers les plus internationalisés, rangés selon le montant des actifs à l’étranger, en 1990
(en milliards de dollars et en nombre d’employés)
Rang
GroupePaysBranche principale
Actifs à l’étranger
Actifs totaux
Ventes à l’étranger
Ventes totales
Emploi à l’étranger
Emploi
1
Royal Dutch ShellRoyaume-Uni, Pays-BasPétrole
69,2
106,4
47,1
106,5
99 000
137 000
2
FordÉtats-UnisAutomobile
55,2
173,7
47,3
97,7
188 904
370 383
3
GMÉtats-UnisAutomobile
52,6
180,2
37,3
122,0
251 130
767 200
4
ExxonÉtats-UnisPétrole
51,6
87,7
90,5
115,8
65 000
104 000
5
IBMÉtats-UnisInformatique
45,7
87,6
41,9
69,0
167 868
373 816
6
British PetroleumRoyaume-UniPétrole
31,6
59,3
43,3
59,3
87 200
118 050
7
Asea Brown BoveriSuisseConstruction mécanique
26,9
30,2
25,6
26,7
200 177
215 154
8
NestléSuisseAgroalimentaire
- a
28,0
35,8
36,5
192 070
199 021
9
Philips ElectronicsPays-BasÉlectronique
23,3
30,6
28,8
30,8
217 149
272 800
10
MobilÉtats-UnisPétrole
22,3
41,7
44,3
57,8
27 593
67 300
11
UnileverRoyaume-Uni, Pays-BasAgroalimentaire
- a
24,7
16,7
39,6
261 000
304 000
12
Matsushita ElectricJaponÉlectronique
- a
62,0
21,0
46,8
67 000
210 848
13
FiatItalieAutomobile
19,5
66,3
20,7
47,5
66 712
303 238
14
SiemensAllemagneÉlectronique
- a
43,1
14,7
39,2
143 000
373 000
15
SonyJaponÉlectronique
- a
32,6
12,7
20,9
62 100
112 900
16
VolkswagenAllemagneAutomobile
- a
42,0
25,5
42,1
95 934
268 744
17
Elf AquitaineFrancePétrole
17,0
42,6
11,4
32,4
33 957
90 000
18
MitsubishiJaponÉlectron que
16,7
73,8
45,5
129,3
- a
32 417
19
GEÉtats-UnisÉlectronique
16,5
153,9
8,3
57,7
62 580
298 000
20
Du PontÉtats-UnisChimie
16,0
38,9
17,5
37,8
36 400
124 900
21
Alcatel AlsthomFranceÉlectronique
15,3
38,2
13,0
26,6
112 966
205 500
22
MitsuiJaponCommerce (soga sosho)
15,0
60,8
48,1
136,2
- a
9 094
23
News CorporationAustraliePresse et édition
14,6
20,7
4,6
5,7
- a
38 432
24
BayerAllemagneChimie
14,2
25,4
20,3
25,9
80 000
171 000
25
BAT IndustriesRoyaume-UniTabac
.. a
48,1
16,5
22,9
- a
217 373
26
Ferruzzi MontedisonItalieChimie / Agro-alim.
13,4
30,8
8,0
14,0
22 300
44 949
27
Rhône PoulencFranceChimie
13,0
21,3
11’1
14,4
50 525
91 571
28
BASFAllemagneChimie
.. a
24,3
19,1
29,0
46 059
134 647
29
ToyotaJaponAutomobile
12,8
55,1
24,8
60,1
11 326
96 849
30
Philip MorrisÉtats-UnisAgro-alim, / Tabac
12,5
46,6
10,5
51,2
66 000
168000
Source : Centre des Nations unies sur les sociétés transnationales, 1994,
(a) Données non disponibles, rang selon un montant d’actifs à l’étranger estimé par les auteurs du tableau.


Selon lui :

la FMN a invariablement commencé par se constituer en tant que grande firme sur le plan national, ce qui implique à la fois qu’elle est le résultat d’un processus de concentration et de centralisation du capital plus ou moins long et complexe et qu’elle s’est souvent diversifiée avant de commencer à s’internationaliser ; que la FMN a une origine nationale, de sorte que les forces et faiblesses de sa base nationale et l’aide qu’elle reçoit de son État seront une composante de sa stratégie et de sa compétitivité ; que cette firme est le plus souvent un groupe, dont la forme juridique contemporaine est le holding international ; enfin que ce groupe se déploie à l’échelle mondiale et possède des stratégies et une organisation établies en conséquence. Il insiste sur " la constitution de l’EMN en groupe " : Dans la forme proposée par F. Morin (1974), cette définition spécifiait qu’il fallait entendre par groupe  : " L’ensemble formé par une société mère (appelée généralement holding du groupe) et les sociétés filiales placées sous son contrôle. La société mère est donc avant tout un centre de décision financier, alors que les sociétés placées sous son contrôle ne sont, la plupart du temps, que des sociétés exploitantes. Aussi le rôle essentiel d’une société mère est-il l’arbitrage permanent des participations financières qu’elle détient en fonction de la rentabilité des capitaux engagés. C’est la fonction d’arbitrage de la société mère qui confère au groupe son caractère financier. "

De façon très similaire, la structuration en groupe " autour d’un centre financier et par un réseau de liens principalement financiers, mais dans certains cas aussi personnels ", d’un ensemble, éventuellement très diversifié, de sociétés engagées dans des activités multiples, était considérée par M. Beaud (1978) comme constituant le " mode dominant de segmentation du capital au stade actuel du capitalisme ". Ce mode de segmentation était alors reconnu, par l’ensemble des chercheurs français travaillant sur la question, comme allant de pair avec une recherche de la part des groupes d’une mise en valeur du capital différenciée et multiforme  : celle-ci pouvait prendre aussi bien la forme productive d’investissements industriels qu’une variété de formes ne comportant ni investissement industriel ni création de valeur, et possédant parfois des traits improductifs, voire parasitaires.


Lorsque la grande entreprise adopte la forme de holding, et en particulier, comme ce fut le cas dans les années 1980 pour beaucoup d’EMN européennes, de holding international, la propension à assimiler les différents éléments constitutifs du groupe simplement à des actifs financiers, même s’ils sont industriels, s’accroît de façon considérable. C’est une première raison essentielle pour considérer de tels groupes comme des " groupes financiers à dominante industrielle " (…)
L’un des traits spécifiques, et aussi l’un des privilèges ou " avantages propres " de la grande firme, donc a fortiori de l’EMN, est de constituer entre maison mère et filiales un marché interne (désigné depuis longtemps par F. Perroux comme l’" espace propre " de la " grande unité interterritoriale "). Présenter les choses de cette manière, c’est avant tout faire un constat, dont un certain nombre de conclusions peuvent évidemment ensuite être tirées, par exemple en ce qui concerne les sources de compétitivité ou le pouvoir économique d’une telle firme.
DÉCLOISONNEMENT ET OLIGOPOLES MONDIAUX

Plus loin il insiste sur le fait " que l’accroissement rapide de l’IDE au cours des années 1980 a été placé sous le signe de l’investissement international croisé et dominé par les acquisitions / fusions " (page 70).

Il explique :

La forme la plus caractéristique de l’offre dans le monde est aujourd’hui l’oligopole. L’existence de situations d’oligopole ne se déduit pas mécaniquement du degré de concentration. En effet, l’énoncé le plus général, mais aussi le plus fructueux permettant de décrire l’oligopole tient à l’interdépendance entre firmes qu’il comporte, " les firmes ne réagissant plus à des forces impersonnelles en provenance du marché, mais personnellement et directement à leurs rivales " (Pickering, 1974).

C’est pourquoi nous définissons l’oligopole mondial comme un " espace de rivalité ", délimité par les rapports de dépendance mutuelle de marché qui lient le petit nombre de grands groupes qui parviennent, dans une industrie (ou dans un complexe d’industries à technologie générique commune), à acquérir et à conserver le statut de concurrent effectif au plan mondial. L’oligopole est un lieu de concurrence féroce, mais aussi de collaboration entre groupes. Ceux-ci reconnaissent leur " dépendance mutuelle de marché " (Caves, 1974), de sorte que les rapports constitutifs de l’oligopole sont en eux-mêmes, de façon inhérente, un important facteur de barrière à l’entrée sur lequel d’autres éléments (tels que les coûts irrécouvrables ou le niveau des investissements de R-D peuvent ensuite venir se greffer.


Corrélativement il constate :

L’accroissement du degré de concurrence sur chaque marché national considéré séparément est indiscutable. Dans des industries oligopolistiques, où l’effet de la libéralisation des échanges sur la concurrence ne devient vraiment effectif, que s’il se double d’une pénétration des rivaux par la voie de l’investissement direct, il est certain que le mouvement d’investissements croisés qui a eu lieu au long des années 1980 a mis à mal les barrières industrielles protégeant les positions des oligopoles nationaux.

Plus loin :

Le caractère mondialisé de la concurrence touche toutes les entreprises. Pour les entreprises purement nationales et les PME, européennes notamment, elle est pour une large part la conséquence directe de la libéralisation des échanges à la fois dans le cadre du GATT et du Marché unique. Pour ces firmes, la concurrence mondialisée est une menace qui peut dans certains cas être tout à fait précise et identifiable, mais qui reste très souvent anonyme. Pendant une longue période, ces entreprises ont vécu relativement protégées. Elles ont bénéficié sans en avoir conscience des brides et des entraves que des luttes menées en 1936, 19451 948 et 1968 par d’autres forces sociales qu’elles-mêmes avaient placées sur le libre jeu du marché capitaliste. Aujourd’hui, la concurrence mondialisée se dresse face à ces firmes (parfois encore artisanales, comme dans le cas de la pêche bretonne) comme l’expression des lois coercitives de la production capitaliste, auxquelles la libéralisation et la déréglementation ont rendu aujourd’hui toute leur puissance dévastatrice.

Pour les grands groupes opérant dans des industries très concentrées au plan mondial, les choses n’en vont pas de même. Ces groupes connaissent leurs rivaux. Dans leur cas, la mondialisation de la concurrence n’est pas anonyme. Elle prend la forme, au contraire, d’une situation dans laquelle ils rencontrent leurs rivaux et parfois s’y heurtent " aux quatre coins de la planète "  : très exactement aux trois pôles de la Triade, ainsi que dans les quelques autres pays et bouts de continent où un pouvoir d’achat - une " demande solvable " - existe. Pour ces groupes, le caractère " global " du marché ainsi que de la concurrence (ou rivalité) résulte autant de l’IDE SOUS la forme de l’" invasion mutuelle " par investissements croisés que de la libéralisation des échanges commerciaux. Pour eux, la mondialisation est synonyme de décloisonnement des oligopoles nationaux et de rivalité intense, mais elle signifie aussi la liberté d’action retrouvée, en particulier celle de pouvoir organiser la production en intégrant les avantages offerts par des appareils productifs ou des systèmes nationaux d’innovation distincts et en exploitant les différences dans le coût de la main-d’œuvre.

Les industries caractérisées par des structures d’oligopole mondial sont celles où " les césures fortes dans la chaîne globale de dépendance réciproque " entre les oligopoleurs, ont fait place à une situation dans laquelle l’" interdépendance " (entre oligopoleurs) " transcende " bel et bien les frontières nationales’. Cette situation nouvelle n’est pas le produit de la " stratégie " d’une entreprise, ni même de plusieurs. Elle représente l’aboutissement d’un mouvement d’ensemble dans lequel les événements politiques ont joué un rôle important. Les stratégies des firmes se sont intégrées comme des composantes de ce mouvement qui a fait boule de neige à mesure que chaque grand groupe a commencé à comprendre les nouvelles règles du jeu et a développé ses investissements à l’étranger en conséquence. Même en prenant l’" industrie " dans le sens synonyme de marché, il est donc déjà possible de lui donner un contenu plus précis en accordant à la notion d’interdépendance entre rivaux, qui est présente chez Porter, plus d’importance que cet auteur ne le fait.


LES EMN DANS LES " SERVICES "

Au chapitre II François Chesnais a précisé :

La stabilité notable de la contribution des services au commerce mondial, telle qu’elle ressort des données figurant dans les balances Commerciales, a été soulignée par toutes les études faites sur l’internationalisation de ce secteur. En vingt ans, de 1970 à 1991, la part totale des services dans le commerce mondial n’a guère augmenté. Cette affirmation peut surprendre ; elle appelle des explications.

Le FMI a récemment proposé que les transferts " invisibles " de revenus (salaires des travailleurs émigrés, redevances et droits d’auteur, revenus du capital), qui ont été compris jusqu’à présent dans les exportations et importations de services, soient exclus des nouvelles séries statistiques. Lorsqu’on applique cette convention, on constate que les échanges de services " réels " représentent tout au plus 25 % des échanges des pays industrialisés.

Si l’on opère une différenciation entre les diverses rubriques de services " réels ", on constate qu’il y a eu recul des rubriques " transports " et " services gouvernementaux ", une faible croissance de la catégorie " voyages " et une croissance plus rapide de celle des " autres services ". Ceux-ci comprennent, en particulier, les services financiers, dont la croissance explique presque à elle seule le comportement de cette rubrique. Même ainsi, le comportement des échanges de services marque un fort contraste avec tout ce que l’on sait sur leur croissance et la place qu’ils occupent, en termes de valeur ajoutée ou de contribution au PIB et à l’emploi, dans toutes les économies capitalistes avancées. Elle est également en contraste marqué avec leur contribution à l’IDE.

Alors que les services représentaient seulement le quart environ du stock mondial total de l’IDE au début des années 1970, cette part était, à la fin des années 1980, proche de la moitié. En termes de flux, les services représentaient à la même époque entre 55 et 60 % du total des flux annuels d’investissement direct étranger. Le processus d’internationalisation s’est donc produit par la voie de l’IDE plutôt qu’au moyen des exportations.


Depuis le début des années 1970 les IDE se sont considérablement développés dans ce que les économistes appellent " le tertiaire " :

Dans les services, il y a primauté de l’investissement par rapport à l’échange. Le vecteur principal de l’internationalisation y est l’IDE, dont l’essor est récent. Il date des années 1 970, mais le décollage n’intervient que dans la seconde partie des années 1980, en liaison directe avec le processus de libéralisation et de déréglementation. En 1970, l’IDE dans le secteur tertiaire représentait 25 % du stock total de l’IDE des pays capitalistes avancés. En 1980, cette part avait atteint 37,7 %, et en 1 990 elle avait dépassé la moitié du total, soit 50,1 %. Entre 1981 et 1990, le stock d’IDE dans le secteur tertiaire s’est accru au taux annuel de 14,9 % (avec une accélération à partir du milieu de la décennie, ce taux passant à 22,1 %), alors que celui du secteur manufacturier a connu une progression annuelle de 10,3 % durant la même période. Cette croissance est particulièrement spectaculaire dans les services financiers, les assurances et l’immobilier, ainsi que dans la grande distribution concentrée.

Plus loin :

Dans le cas des grandes infrastructures, qui ont été organisées sur la base du service public dans la plupart des pays, ainsi que dans le secteur financier, il fallait que le mouvement de libéralisation et de déréglementation ait fait sauter le verrou de législations nationales contraignantes. Les grands groupes de services américains s’y sont employés activement, en constituant notamment l’un des lobbies les plus actifs au cours des négociations de l’Uruguay Round au GATT - la Coalition of Service industries. En Europe, le processus a bénéficié de puissants appuis au sein même de la Commission et a été hâté par la mise en place du Marché unique et la négociation du traité de Maastricht.

Vu sous l’angle des besoins du capital concentré, le double mouvement de déréglementation et de privatisation des services publics constitue une exigence que les nouvelles technologies (la télématique, les " autoroutes de l’information ") sont venues servir à point nommé. Actuellement c’est dans le mouvement de transfert à la sphère marchande d’activités qui étaient jusque-là étroitement réglementées ou administrées par l’État que le mouvement de mondialisation du capital trouve ses occasions d’investir les plus importantes. La déréglementation des services financiers en un premier temps, puis, dans les années 1990, la mise en route de la déréglementation et de la privatisation des grands services publics (en particulier les transports aériens, les télécommunications et les grands médias) représentent la seule " nouvelle frontière " qui s’offre à l’IDE sur la base des rapports actuels entre les pays et entre les classes sociales.


LES EMN INDUSTRIELLES ET LES SERVICES

" Le souci de rester maîtres des complémentarités entre le produit et les services qui l’accompagnent est à l’origine de nombreuses opérations d’internationalisation dans les services menées par des EMN industrielles ".

Ensuite :

Cela s’explique fort bien. Pour les firmes industrielles, la concentration de capitaux très importants dans le commerce de gros (les " centrales d’achat ") aussi bien que de détail (les grands magasins, les supermarchés et surtout les hypermarchés) représente une menace sur leurs profits. La fraction du bénéfice qu’une firme industrielle peut perdre lorsque de très grands groupes, en situation d’" oligopsone " (un petit nombre d’acheteurs face à un grand nombre de vendeurs), sont en mesure de lui imposer leurs conditions pour avoir accès à la demande finale est un paramètre qui affecte les conditions de valorisation du capital de façon significative.
L’activité des groupes à dominante industrielle dans l’internationalisation des activités financières non bancaires répond également au souci de réduire le risque de subir des ponctions sensibles sur les flux de valeur. Ici, les firmes à dominante industrielle cherchent soit à se protéger, soit à disposer de marchés captifs. La couverture en assurance, indispensable au démarrage d’une activité nouvelle dans des secteurs à haut risque (industrie lourde, notamment), peut être parfois un obstacle redoutable à franchir pour l’industriel, qui cherchera à maîtriser cette contrainte en prenant le contrôle d’une filiale spécialisée ou en en créant une (Sauviat, 1989). De même, dans l’automobile, les grands groupes ont souvent préféré créer leurs propres sociétés de financement pour l’organisation du crédit-bail et autres modalités de soutien es ventes plutôt que de recourir au secteur bancaire. Ils lient également de plus en plus la vente d’un véhicule neuf et d’une assurance automobile au même titre que les contrats de maintenance, d’assistance-dépannage, etc.

Certaines ont même constitué leurs propres agences de publicité.

Par contre :

Lorsqu’on se tourne vers les firmes de services proprement dites, l’analyse de la multinationalisation se heurte au caractère extrêmement disparate des activités tertiaires qui rendent les généralisations beaucoup moins aisées que dans l’industrie manufacturière. Il n’est pas difficile d’identifier certains facteurs analogues à ceux qui marquent la multinationalisation des groupes industriels  : investissements réactifs sur des marchés oligopolistiques, exploitation du mouvement vers l’homogénéisation des normes de consommation au sein des pays de la Triade et des pays ou des sites associés à eux, acquisition d’intrants, en particulier en main-d’œuvre, aux coûts les plus bas. Mais l’originalité de la multinationalisation des services tient au fait que l’acte de production du service impose, à un degré plus ou moins contraignant selon les activités, le contact direct avec le consommateur ou client et la proximité avec le marché intermédiaire ou final.
Mesurées par la valeur des actifs qu’elles détiennent à l’étranger, les firmes qui se sont multinationalisées dans les services sont petites. Parmi les 100 premiers groupes de la liste des Nations unies (voir chapitre 4), les seuls groupes de services à y figurer à ce jour sont les cinq plus grands sogo sosha japonais. Mais la déréglementation et l’internationalisation en cours dans les télécommunications vont rapidement conduire à l’accession des plus grands opérateurs mondiaux à la liste.
Il reste que les activités de services restent grevées par les traits spécifiques dont il a été question plus haut, de sorte que leur " industrialisation " (mieux vaudrait dire leur soumission réelle à la mise en valeur capitaliste en vue du profit ainsi que leur multinationalisation sont soumises à une tension interne forte que les firmes du secteur manufacturier ne connaissent pas.

Comme nous l’avons vu, un certain nombre de prestations de services supposent une collaboration étroite avec l’utilisateur. Mais, même lorsque le produit proposé est hautement standardisé et que l’activité tend vers le fordisme (hôtellerie, restauration, assurances, etc.), sa commercialisation n’en continue pas moins à reposer sur un degré de personnalisation beaucoup plus élevé que pour les produits du secteur manufacturier.


L’investissement, par implantation directe, mais le plus souvent aujourd’hui par acquisition et / ou fusion, reste la forme prédominante tant de la croissance au plan interne que de l’internationalisation dans les secteurs de la banque, de l’assurance, de la grande distribution, du transport routier et aérien, ainsi que dans certaines activités de conseil comme la publicité ou l’informatique. Un processus analogue d’acquisition et / ou de fusion est maintenant engagé dans les télécommunications (que nous examinons de façon spéciale plus loin). Mais, dans toutes ces activités, on n’observe pas moins la multiplication des accords de coopération, qui peuvent revêtir la forme de création de filiales communes, de prises de participation minoritaires ou de partenariat.


QUESTION DE MÉTHODE

Dans le chapitre II de son livre François Chesnais écrit :

C’est en partant du mouvement du capital productif qu’il faut penser les relations réciproques que les trois modalités principales de l’internationalisation nouent entre elles. C’est ce mouvement qui commande la création de la valeur et de la richesse. Il est évident que production et circulation (ou production et commercialisation) sont liées de façon étroite, de même que le sont, par voie de conséquence, production et échanges. Mais l’analyse gagne en clarté, de façon qualitative, dès qu’on prend soin de distinguer la sphère de la production de celle de la circulation et d’établir entre elles une hiérarchie épistémologique dénuée d’ambiguïté.

Une lecture attentive de Michalet montre qu’il se situe dans deux cas de figure. Le premier est celui de l’internationalisation du cycle du capital, où celui-ci est compris comme un cycle unique, intégrant les cycles du capital-marchandise et du capital-argent en tant que moments subordonnés de la mise en valeur du capital productif. La seconde hypothèse est celle où l’internationalisation de chacun des trois cycles considérés séparément revêt une forme particulière.

Pour notre part, nous nous situons exclusivement dans la seconde hypothèse. C’est elle seule qui permet de rendre compte de certaines dimensions essentielles de la réalité actuelle’. il en va ainsi pour l’importance du capital concentré dans la grande distribution, qui tente de réaffirmer les prétentions à l’autonomie du capital-marchandise, ce qui permet de mieux comprendre les rivalités aiguës qui se développent entre les firmes industrielles et celles de la distribution. Il en va surtout ainsi du mouvement du capital-argent, qui se dresse quant à lui comme une force pleinement autonome face au capital industriel, ne laissant à celui-ci qu’une alternative  : ou bien accentuer le mouvement dans le sens de l’interpénétration profonde avec le capital-argent, ou bien se soumettre à ses exigences.

Analysant " les échanges commerciaux dans le cadre de la mondialisation " Chesnais écrit : Le rôle de la libéralisation des échanges dans la mondialisation est important, mais il n’est pas celui célébré par les économistes néoclassiques. Les échanges libérés ont été intégrateurs à l’échelle de certaines parties du système international, très précisément aux Mais lorsqu’on examine l’économie mondiale n constate au contraire que la libéralisation a conduit à une accentuation notable de sa polarisation, ainsi qu’à la marginalisation accrue de nombreux pays. D’autre part, là où les échanges libérés paraissent avoir eu un effet intégrateur, les agents véritables du processus sont surtout les EMN auxquelles la libéralisation a permis d’organiser comme elles l’entendaient le travail de leurs filiales ainsi que leurs relations de sous-traitance. À l’époque des frontières nationales partiellement protégées et des marchés domestiques réglementés (qui est également l’époque de l’apogée de la régulation fordiste), le capital était déjà mobile, mais, dans une certaine mesure, il était encore encadré, enserré. La libéralisation ainsi que la déréglementation, qui prolonge celle-là et en accentue les effets, lui ont rendu une liberté presque totale dans ses choix, à un moment où les nouvelles technologies élargissaient ceux-ci comme à aucune période antérieure de l’histoire du capitalisme.

Ce sont l’IDE et les stratégies de localisation choisies par les EMN qui commandent une fraction très importante des flux transfrontières de marchandises et de services, et qui contribuent fortement à façonner la structure du système des échanges. Cela ne signifie pas que le capital concentré dans le négoce ou la grande distribution ne joue pas un rôle parfois important. Mais il calque ses opérations sur celles du capital industriel, aussi bien lorsqu’il cherche à se substituer à lui (cas des réseaux de sous-traitance en place par les chaînes de grands magasins) que quand il affirme sa prétention de lui faire payer cher les " services " représentés par la recherche et le transport de matières premières de base ou commercialisation des biens finis. Même si ces empiétements ne sont guère appréciés par les groupes industriels, qui cherchent donc à intégrer ces activités lorsqu’ils le peuvent (voir chapitre 8), ne traduisent pas un mouvement propre du capital-marchandise, à la différence de ce que nous Constaterons pour le capital-argent.


" LE MAîTRE MOT COMPÉTITIVITÉ "

Résumés à grands traits, les éléments les plus marquants du système mondial actuel des échanges sont les suivants  :

- une tendance très nette à la formation de zones de commerce plus denses autour des trois pôles de la Triade (phénomène dit de " régionalisation " des échanges) ;

- une tendance tout aussi forte à la polarisation des échanges au niveau mondial par la marginalisation accrue de tous les pays exclus de la " régionalisation " aux trois pôles de la Triade ;

- le niveau élevé désormais atteint par la part du commerce mondial qui est façonnée directement par l’IDE, commerce intrafirme, exportation des filiales, sous-traitance transfrontières ;

- l’effacement croissant (au moins pour l’instant) de la distinction entre le " domestique " et l’" étranger ", la concurrence entre firmes s’exerçant avec autant de force sur les marchés " internes " de chaque pays que sur les marchés " extérieurs ", du fait tant des investissements étrangers que de la libéralisation négociée des échanges;

- enfin, en rapport direct avec cette évolution, la substitution du paradigme des avantages comparatifs, avec des " gains du commerce " pour tous les participants, par celui de la concurrence ou compétition internationale, où la compétitivité de chacun désigne des gagnants et des perdants.


Le régime d’économie internationale actuel peut être défini comme celui d’un " espace de concurrence diversifié, mais en voie d’unification ", dans lequel la concurrence se mène de plus en plus directement entre firmes, qui ont impérativement besoin de l’ensemble de l’espace pour se déployer. Le maître mot de ce régime d’économie internationale est la " compétitivité ". Dans les marchés de biens de consommation finale en particulier, les entreprises, en dépit de la différenciation des produits, sont en situation de concurrence directe, voire de concurrence frontale. Le succès d’une entreprise signifie de plus en plus souvent la faillite ou l’absorption d’autres firmes. Lorsque ce processus s’exerce entre pays différents, il arrive nécessairement un moment où les pays se sentent concernés. Invoquant le langage militaire, les hommes politiques et les médias parlent alors volontiers de la " mobilisation des énergies nationales " et se réfèrent à la " guerre économique " dans lequel le pays serait engagé. Chesnais développe une analyse portant sur " Polarisation et marginalisation : le sont débiteurs des pays du tiers monde " ce qui confirme que la caractérisation " mondialisation du capital " est impropre à exprimer la réalité, à savoir " domination mondiale " des puissances impérialistes, du capital financier des USA, du Japon, des puissances européennes.

LE COMMERCE INTRA-FRIMES : SON IMPORTANCE

La dimension de l’IDE en tant qu’il se substitue aux exportations est indéniable. En 1992, le Centre des Nations unies sur les sociétés transnationales a estimé que, dans le cas des principaux pays sources des EMN, le rapport entre les ventes faites à partir des filiales et les exportations serait de l’ordre de 1 à 1,8. Si l’on examine la structure géographique des ventes des filiales japonaises, on voit que c’est uniquement en Asie que les exportations des filiales sont créatrices de flux d’échanges. Aux États-Unis, où l’IDE répond aux impératifs de la concurrence oligopolistique et à la crainte d’une résurgence du protectionnisme, la production est vendue sur le marché local. C’est le cas également en Europe, même si les ambiguïtés du Marché unique et de la construction européenne font que les flux au sein de ce marché sont toujours nommés " exportations ".

Les calculs effectués par F.S. Hipple (1990) sur les statistiques du commerce extérieur américain sont c’eux qui permettent l’analyse la plus systématique du phénomène. Ils montrent que, en 1988, pas moins de 99 % du commerce extérieur des Etats-Unis comportait la participation d’une EMN américaine ou étrangère en tant que partie à la transaction. À elles seules, les EMN américaines (sociétés mères plus filiales) assuraient 80 % des exportations et près de 50 % des importations des Etats-Unis.

En ce qui concerne le commerce intra-groupe (c’est-à-dire les flux organisés au sein de l’espace propre " internalisé " de l’EMN) des trois pays pour lesquels des chiffres étaient disponibles au milieu des années 1980 (les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon), les flux de type intra-firme représentaient alors environ un tiers des échanges du secteur manufacturier. Les chiffres les plus récents montrent que ce pourcentage a un peu baissé pour les États-Unis, mais il a augmenté sensiblement pour le Japon. En 1991, 38 % des exportations et 40 % des importations japonaises ont été le fait d’échanges " intra-groupe ".

Chesnais traite " de la formation d’ensembles régionaux " et publie le tableau suivant :
 
Tableau 19
Échanges lntrarégionaux
(en % du total des échanges de la zone et en %
du commerce mondial)
Zones
Exportations
intrarégionales
dans le total de la zone
Exportations
intrarégionales
dans le total mondial
 
1986
1991
1979
1989
Amérique du Nord
39,1
33,0
4,6
5,3
Amérique latine
14,0
16,0
1,1
0,5
Europe occidentale
68,4
72,4
28,8
31,1
Europe centrale et EX-URSS
53,3
22,4
4,3
3,5
Asie
37,0
46,7
6,3
10,0
Afrique
5,9
6,6
0,3
0,2
Moyen-Orient
7,7
5,1
0,4
0,3

Sources  : GATT 1990, 1993.


Les travaux sur l’investissement direct ont également conduit, depuis un intéressant travail de D. Julius (1990), à une présentation nouvelle des balances commerciales fondée sur la nationalité des actifs Productifs et non sur le cadre géopolitique habituel (graphique 13). Il est Pourtant toujours exigé de chaque pays qu’il continue à assurer l’équilibre de ses comptes extérieurs. Le solde de la balance commerciale demeure au nombre des indicateurs " fondamentaux " à partir desquels les " marchés financiers " exercent leur tyrannie sur les monnaies. Précédemment ont été soulignées les conditions du développement du capital financier et plus particulièrement du capital argent, depuis la IIème guerre mondiale et le tournant de 1978. Des données sur la marée montante du capital-argent sont publiés dans de nombreux travaux. Dans son livre " mondialisation du capital " Chesnais en publie quelques uns. Ainsi le tableau sur " la croissance des euromarchés ".
 
Tableau 22
La croissance des euro-marchés
(en milliards de dollars)
Années
Dimension brute
Dimension nette
Eurodollars en pourcentage (brut)
Masse monétaire des Etats-Unis (M2)
1973
315
160
74
861
1974
395
220
76
908
1975
485
255
78
1 023
1976
595
320
80
1 164
1977
740
390
76
1 287
1978
950
495
74
1 389
1979
1 235
590
72
1 500
1980
1 525
730
75
1 633
1981
1 954
1 018
79
1 796
1982
2 168
1 152
80
1 954
1983
2 278
1 237
81
2 185
1984
2 386
1 277
82
2 363
1985
2 846
1 480
75
2 563
1986
3 683
1 833
72
2 808
1987
4 509
2 221
66
2 901
1988 (mars)
4 561
2 227
67
2 966
Taux moyen(%)
20,6
20,3
 
9,1
Sources  : Morgan Guaranty Trust, World Financial Markets et Economic Report of the President (1989), et Levich (1990).
COUPE DU CAPITAL FINANCIER

Le livre " Finance et économie la fracture " publié par "Le Monde - édition" que signe Olivier Piot produit de nombreuses données. Il est intéressant d’en reproduire quelques unes.

Montant des dépôts, en milliards de dollars, dont disposent les banques :
 

Nombre d’établissements bancaires (fin 1990)
Royaume-Uni
France
Allemagne
Japon
Etats-Unis
637
779
4 594
6 279
31 842
Montant des dépôts * (fin 1990)
Royaume-Uni
France
Allemagne
Japon
Etats-Unis
462,9
402,8
297,7
1 056,3
589,5
* En milliards de dollars
(Source : BRI, décembre 1991)
Les investisseurs institutionnels constituent la seconde grande catégorie d’acteurs financiers. Caisses de retraite, compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds mutuels, certains départements des banques, OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières) : leurs noms et leur importance sont variables en fonction des pays et de leurs traditions financières. Mais ces institutions ont toutes un rôle analogue : gérer collectivement des capitaux (une épargne) placés chez eux, principalement par les ménages. Depuis le début des années 80, la plupart de ces investisseurs interviennent fortement sur les marchés financiers des titres négociables (actions et obligations, notamment) pour leur propre compte ou celui de leur clientèle.
 
Fonds de pension

Dans le monde

Particulièrement puissants aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les Fonds de pension gèrent les retraites par capitalisation.

Actifs nets : leurs placements financiers se montaient à 6 900 milliards de dollars fin 1993 (dont 3 600 aux Etats-Unis), contre 3 900 en 1998.

Fonds Mutuels (Mutuel Funds)

Aux Etats-Unis

Nombre : 6 000 en 1993 gérés par 551 entreprises gestionnaires, contre 600 en 1980 gérés par 165 entreprises gestionnaires.

Actifs nets : 2 100 milliards de dollars fin 1993. En 1993, 28 % des ménages américains avaient investi une part de leur épargne, contre seulement 6 % en 1980.

(Source : Banque Goldman Sachs, 1993)

Ce livre classe les instruments et circuits financiers de la manière suivante : marchés financiers ou marchés des valeurs mobilières (actions et obligations) ; produits dérivés ; titre de créances négociables " il s’agit de titres échangés sur le marché monétaire c’est à dire sur le marché à court terme de l’argent " ; le crédit bancaire ; finance internationale qui est constituée par l’ensemble des monnaies étrangères convertibles.

Il publie les tableaux suivants  :


Volume annuel des transactions
boursières *
Actions
 
Paris
New-York
Londres
Tokyo
Allemagne
1981
17
167
42,5
56,7
43,3
1994
1241
7,2
1 248
141
1 701
Obligations
 
Paris
New-York
Londres
Tokyo
Allemagne
1981
17
167
42,5
56,7
43,3
1994
1241
7,2
1 248
141
1 701
Montant moyen échangé par jour *
(sur actions)
 
Paris
New-York
Londres
Tokyo
Allemagne
1981 **
0,04
1,5
0,14
0,9
0,06
1994
0,8
9,7
4
3,5
2,2
* En milliards de dollars.
** Pour 1981, le chiffre a été calculé en divisant le volume annuel de transactions par le chiffre moyen de 250 journées de cotation (Ndlr). (Source  : FIBV, rapports annuels 1982 et 1994)
En cours (stock) des produits dérivés
(en milliards de dollars)
 
1988
1992
% de 1998 à 1992
Total
7 198
17 643
145 %
Volumes annuels des transactions
(nombre de contrats négociés) *
 
1988
1995
Total
16
93,1
* En millions de contrats
(Sources : FIBV, rapport 1993 : General Accounting Office (GAO), 1994 : COB, rapport annuel 1994)
Les titres de créances négociables
(en France)
 
1987
1990
1993
Encours *
200
1 678
2 417
* En milliards de F.
(Source : Paris - Europlace, octobre 1994)

 
Le crédit bancaire international
 
1988
1991
1993
Montant
2 460
3 420
3 780
Avoirs bancaires internationaux
 
1989
1991
1993
Montant
5 450
6 147
6 260
Crédits à la clientèle des banques françaises**
Montant ** fin 1993
6 109
* En milliards de dollars
** Pour les établissements de crédit, crédits à la clientèle. en milliards de F.
Transactions quotidiennes
sur le marché des changes
 
1979
1984
1986
1990
1994
Montant par jour *
75
150
300
500
1 200**
* En milliards de dollars.
** 1 400 selon une récente étude de la Banque d’Angleterre.
(Sources  : F. CHESNAIS, C. SERFATI, Rapports annuels de la BRI, 1994)

Les marché, nous l’avons vu, sont les principaux bénéficiaires des mutations de la finance depuis le début des années 80. Les cinq plus grandes Bourses du monde capitalisent en 1994 une masse financière de 18 000 milliards de dollars (dont 45 % en obligations) soit, à peu de choses près, l’équivalent d’une année de production mondiale en volume...

Rappelons-nous : en 1981, les mêmes places financières ne capitalisaient que 3 280 milliards de dollars d’actifs en valeurs mobilières (actions et obligations) soit, à l’époque, un. quart seulement du PIB mondial. Autrement dit, la capitalisation de ces places a connu une croissance quatre fois plus rapide que celle de la production mondiale.

L’évolution des transactions sur le marché des changes traduit également cette tendance à l’hypertrophie des circuits de la finance. Dans les années 30, pour un dollar échangé dans le commerce mondial, on comptait deux dollars échangés sur les devises. Cette proportion est passée de 1 à 9 en 1979, de 1 à 20 en 1985, de 1 à 34 en 1990 pour atteindre une proportion démesurée de 1 à 83 fin 1993...

SUR LE CAPITAL FINANCIER (F. CHESNAIS)

La sphère financière représente la pointe avancée du mouvement de mondialisation du capital ; celle où les opérations atteignent le degré le plus élevé de mobilité ; celle où le décalage entre les priorités des opérateurs et les besoins mondiaux est le plus criant. L’investissement direct à l’étranger du secteur financier a représenté le poste le plus important de l’IDE pendant les années 1980.

Considéré sous l’angle de l’intégration des marchés nationaux au sein de marchés mondiaux, qui dominent les premiers quand ils ne les remplacent pas complètement, le processus de mondialisation est nulle part plus accentué que dans la sphère financière. Dans certains compartiments des marchés financiers, il y a une intégration presque complète des marchés domestiques, qui étaient encore cloisonnés à l’égard de l’extérieur il y a seulement dix ou douze ans (le début du décloisonnement ayant varié d’un pays à l’autre). L’intégration financière internationale est allée de pair avec le décloisonnement, au moins aussi important dans ses effets, des différents types de marchés (marchés des changes, des crédits, des actions et obligations), et a été favorisé par la création de nombreux produits financiers nouveaux.
 



  Une des questions importantes qui se posent est d’apprécier la relation existant entre cette explosion des mouvements financiers internationaux et le mouvement de mondialisation des activités productives. La divergence très marquée entre le taux de croissance des activités financières et celui des activités productives fournit un reflet, certes très imparfait, du degré d’autonomie ou, si l’on veut, de la dynamique propre des marchés financiers. On peut en mesurer l’ampleur en comparant la croissance des échanges, celle des flux d’investissement direct et celle des transactions sur les marchés des changes (tableau 20). Les marchés des changes sont le compartiment du marché financier global qui a enregistré la plus forte croissance, puisqu’au cours de la décennie 1980 le volume des transactions a été multiplié par dix. Ils forment l’épicentre de ce que H. Bourguinat (1 994) nomme l’" économie internationale de spéculations ", qui s’est mise en place par étapes successives.
Tableau 21
Comparaison entre la croissance (de 1980 à 1988) respectivement
des flux commerciaux, financiers, de I’investissement direct
à l’étranger et celle des PIB nationaux des pays de l’OCDE
(coefficient multiplicateur)
PIB des pays
de l’OCDE
Flux
commerciaux
Transactions sur
les marchés
des changes
Flux d’IDE
1,9528,53,5
Source : C. Serfati (1994), à partir des données GATT, BRI, OCDE.

Il faut aussi insister sur la crise financière des pays semi-coloniaux, à la suite de celle du Mexique de 1982. Chesnais explique :

On a donc assisté, entre 1982 et 1985 à la constitution de " comités de créanciers " ; à la mise sur pied de plans de rééchelonnement des dettes ; à la création d’un marché secondaire de la dette souveraine où les banques les plus exposées peuvent limiter les risques en vendant les créances difficiles à des sociétés spécialisées dans la " chasse au pays en développement débiteur " ; enfin pour s’en tenir à l’essentiel, à la préemption d’une fraction du capital productif national des nations débitrices sous la forme d’acquisition d’entreprises publiques privatisées pour permettre la conversion de la dette en titres de propriété remis aux créanciers.

Au total, il y a eu une inversion spectaculaire des flux. Entre 1980 et 1983, il y a d’abord eu une diminution brutale de l’apport net de crédits privés aux pays en développement, qui passèrent de 26 à 1,6 milliard de dollars. Puis le flux a carrément changé de sens à partir de 1984 pour devenir un transfert net de 25 milliards de dollars aux banques créancières (Dembinski, 1989). La " dollarisation " des économies débitrices (Salama et Valier, 1989 et 1991) ainsi que la mise en vente de pans entiers de l’économie, comme en Argentine, sont des conséquences directes de l’endettement et des moyens utilisés pour que les intérêts soient payés.

François Chesnais traite ensuite de " la déréglementation et de la désintermédiation ", " du décloisonnement des marchés nationaux ". Il analyse finalement " les groupes industriels (agents actifs de la mondialisation financière) ".
  Dans le cas du grand groupe industriel, il faut bannir désormais l’idée qu’il existerait une cloison étanche entre les opérations liées directement ou indirectement à la mise en valeur du capital dans la production d’une part, et d’autre part les opérations dirigées vers des prises de profit d’un type purement financier. Pourtant, la distinction essentielle demeure, qui sépare le capital productif, engagé dans un mouvement de valorisation du capital où la maximisation de la productivité du travail est centrale, et le capital-argent, dont la rémunération est l’intérêt, auquel s’ajoutent aujourd’hui toutes sortes de profits financiers liés au mouvement " autonome " du capital-argent.

La distinction est décisive pour analyser le niveau, le rythme et l’orientation de l’accumulation, donc pour essayer d’y voir clair par rapport à la croissance. Mais elle est également très importante pour saisir la situation interne des grands groupes industriels. La financiarisation toujours plus accentuée de ces groupes leur donne un caractère double. u’un côté, ils sont en passe de devenir des organisations dont les intérêts s’identifient de plus en plus à ceux des institutions strictement financières, pas seulement par leur attachement commun à l’ordre capitaliste, mais par la nature " financière-rentière " d’une partie de leurs revenus. De l’autre, ce sont toujours des lieux de mise en valeur du capital productif sous la forme industrielle. C’est pourquoi la distinction essentielle entre capital productif et capital-argent y est vécue comme une source de tensions et de conflits de plus en plus fréquents, qui déchirent littéralement les différents directoires et comités, divisés entre les défenseurs des " métiers " industriels d’un côté, et les " financiers " de l’autre.
 


Un marché financier privé internationalisé

L’un des traits distinctifs des groupes industriels multinationaux est l’internalisation d’un large ensemble d’opérations de flux et financiers, dont l’aboutissement est la constitution d’un marché financier interne de groupe, qui est aussi internationalisé que l’est le groupe lui-même. L’auteur d’un des principaux traités américains de gestion financière multinationale souligne que " d’un point de vue de gestion financière, l’un des caractères distinctifs de la firme multinationale, par opposition à un ensemble d’entreprises nationales engagées entre elles dans un ensemble de tran-

 

sactions indépendantes, réside dans sa capacité à déplacer des fonds et des profits entre ses filiales à l’aide de mécanismes de transfert internes " (Shapiro, 1992, p. 13). Ces mécanismes comprennent la fixation de prix de transfert pour tous les biens et services échangés à l’intérieur du groupe, les prêts internes intrafirme, l’accélération ou le report des règlements interfiliales et les modes de répartition des résultats d’activité entre les filiales et la maison mère.

L’un des résultats de ces flux est de donner lieu, en cours d’exercice et à chaque moment, à l’existence de liquidités plus ou moins importantes que la direction financière centrale peut encore accroître sur de très courtes périodes en mobilisant une partie du capital circulant des filiales et aussi en procédant a des emprunts externes. Ce sont ces liquidités qui peuvent être mobilisées aujourd’hui en vue d’opérations sur les marchés des changes.
 


On comprend donc qu’au cours de la décennie 1980 la centralisation des activités financières au plus haut niveau de décision se soit accentuée, au moment même où les opérations de production et de commercialisation bénéficiaient d’une plus grande autonomie. Une étude portant sur 325 groupes multinationaux a été menée par le cabinet d’études Mac Kinsey. Un résumé rendu public par les auteurs montre que l’importance croissante des activités financières s’est traduite par des mutations significatives dans l’organisation des groupes. D’abord confinée à une simple fonction d’administration, c’est-à-dire d’intermédiaire entre les besoins des filiales et les banques, la direction financière est devenue déterminante dans l’optimisation du cash-flow à moyen terme. Même lorsqu’ils n’ont pas atteint le stade où ils peuvent constituer une banque propre, les groupes adoptent une vision " globale " des activités financières : les deux tiers d’entre eux ont une fonction financière où les décisions sont centralisées, contre 20 % qui centralisent la fonction achat et 15 % la fonction de distribution logistique (Duchesne et Giry-Deloison, 1992).

L’étude estime, cependant, que la véritable réussite est celle des groupes qui ont pu franchir un pas qualitatif et créer des banques d’entreprise. Les avantages que celles-ci procurent seraient de " nature structurelle ", car les banques d’entreprise " ne sont pas prisonnières des pratiques bancaires réglementaires " (ibid., p. 30).


Le rapport entre la mondialisation du capital productif et sa financiarisation accrue est évidemment à double sens. La globalisation financière a accéléré l’expansion vers les pays de la triade des groupes entrés tardivement dans le processus, par le biais des moyens nouveaux et variés que les institutions financières et les maisons spécialisées ont mis à la disposition des groupes pour leurs opérations internationales d’acquisitions et de fusions. Ce sont, en particulier, les prêts syndiqués aussi bien d’euroobligations que d’obligations internationales, mais aussi les LBO (leveraged buy-out) et les HLT (highly leveraged transactions).

Les opérations dites de leveraged buy-out (LBO) de même que les highly leveraged transactions (HLT) permettent le rachat d’entreprises par effet de levier de l’endettement. Elles font souvent suite à une offre publique d’achat (OPA). Leurs objectifs sont souvent à dominante financière. Pour assurer le service de la dette, le repreneur compte soit sur les cash-flow futurs des actifs qu’il acquiert, soit sur leur revente partielle par unités séparées après dépeçage du groupe acheté. Le premier cas de LBO remonte à 1979, avec l’achat d’un conglomérat de Floride, Houdaille lndustry, par la société de titres de New York Kohlberg-Kravis et Roberts pour un prix de l’ordre de 350 millions de dollars financé à hauteur de 48,4 sur fonds propres et de 306 par endettement sur titres émis pour les 271 millions restants. Le LBO du groupe agroalimentaire Nabisco en 1989 reste l’un des plus importants répertoriés, atteignant quelque 25 milliards de dollars.

Les fonds qui créent l’" effet de levier " au moment de lancer les OPA, " amicales " aussi bien qu’" hostiles ", sont de deux ordres. Il y a ceux qui sont réunis par le syndical de banques commerciales assurant le prêt relais principal et qui représentent la dette dite " senior " (de premier rang). Puis il y a ceux qui résultent du financement par des institutions spécialisées, banques d’investissement ou maisons de titres, d’une dette de second rang à risque élevé. Cette dette donne lieu à l’émission d’"  obligations de pacotille " (les célèbres junk bonds) déclassées et à haut risque, assorties de rendements importants. Leur essor date de 1986 et s’est poursuivi à un rythme élevé de 1987 à 1989. En effet, le krach de Wall Street de 1987, en dépréciant le prix des actions, a eu pour effet d’accélérer les opérations fondées sur le levier d’endettement.



 
Émissions d’obligations à rendements et risques élevés
(obligations " de pacotille ")

 

Année

Nombre d’émissions
A
Montant des émissions à rendement élevé *
B
Montant
total des obligations émises *
Rapport
A / B
Pourcentage
des émissions liées à des acquisitions / 
fusions
1977
61
1 040,20
26 314,2
3,95 %
 
1978
82
1 578,5
21 557,2
7,32 %
 
1979
56
1 399,8
25 831,0
5,42 %
 
1980
45
1 429,3
36 907,2
3,87 %
 
1981
34
1 536,3
40 783,8
3,77 %
 
1982
52
2 691,5
47 208,9
5,70 %
 
1983
95
7 765,2
38 372,9
20,24 %
5,5
1984
131
15 238,9
82 491,5
18,47 %
22,7
1985
175
15 684,8
80 476,9
19,49 %
36,2
1986
226
33 261,8
156 051,3
21,31 %
55,6
1987
190
30 522,2
126 134,3
24,20 %
67,8
1988
160
31 095,2
134 791,1
23,07 %
65,4
1989
130
28 753,2
142 790,7
20,14 %
65,4
1990
10
1 397,0
109 284,4
128 %
64,4
1991
48
9 967,0
207 300,9
4,81 %
9,6
1992
245
39 755,2
317 605,7
12,52 %
12,4
1993
341
57 163,7
313 897,8
18,21 %
11,2
Total
2081
280 279,8
1 907 800,6
14,69 %
 
Source  : R.E. Alcaly, " L’âge d’or des émissions de pacotille ", The New York Review of Book, vol. XLI,
n° 10, mai 1994.
* en millions de dollars
Indiscutablement, les grandes entreprises voient les intérêts sur emprunts et les découverts qu’elles sont amenées à demander aux banques d’un œil assez différent des ponctions sur le profit qu’elles subissent et qui sont aux mains de la distribution concentrée. Le crédit est indispensable au fonctionnement quotidien de l’entreprise ; dans de nombreux cas, les investissements ne pourraient pas avoir lieu sans prêts. Il reste que, dès que la formation du marché des titres de créances (la " titrisation ") a offert aux grandes firmes la possibilité de s’affranchir au moins en partie, de leur dépendance par rapport au crédit bancaire, elles ont sauté sur l’occasion. Il s’agissait aussi bien d’une question d’autonomie et de plénitude dans la gestion que de coût des fonds empruntés.

L’émission de titres sur le marché des créances par les groupes ayant le seuil financier requis n’est pas une activité neutre. C’est un " métier dont l’exercice exige une compétence élevée, [qui] gagne à s’appuyer sur une large surface financière " (L. Batsch, 1993, p. 81). On est donc en présence d’une incitation forte à la financiarisation des groupes. L’extension de l’économie d’endettement en direction du marché final, avec ses formes multiples de crédits-bails, crédits à la consommation, etc. en est une autre. Pourquoi les groupes ne géreraient-ils pas eux-mêmes les crédits qu’ils doivent en tous les cas créer pour écouler leur production, à la fois pour en maîtriser l’interaction avec la production et s’en approprier les profits financiers pour eux-mêmes plutôt que de laisser les banques le prendre ?

C’est ainsi qu’on a assisté à la constitution de banques de groupe au cours des années 1980, soit par la transformation de sociétés financières en banques lorsque les groupes possédaient déjà des sociétés spécialisées, soit par la méthode classique lorsqu’il y a urgence, à savoir les acquisitions / fusions (Ohana, 1991). On trouvera la liste de ces banques dans le tableau 26.


Les recherches que nous avons entreprises depuis avec C. Serfati suggèrent que les effets combinés de la multinationalisation des groupes et de la globalisation financière, en particulier la financiarisation des taux de change des monnaies, ont largement confirmé cette conclusion. La caractérisation de l’activité financière en tant qu’activité stratégique et en centre de profit en soi tient y compris lorsque le groupe n’a pas créé ou acquis une banque et qu’il continue à confier la responsabilité des opérations à la direction financière du holding.

Groupes industriels et spéculation
sur les changes

La partie la plus importante et de loin la plus rentable de ces activités financières se déroule sur les marchés des changes. C’est là que l’apprentissage des groupes a commencé le plus tôt, ainsi que nous l’avon vu ; c’est là que leur capacité à mobiliser rapidement des masses de liquidités importantes donne au groupe un autre ordre d’" avantages spécifiques ".


UNE TRANSCENDANCE VERS UN CAPITAL MONDIAL ?

François Chesnais a procédé à une analyse de ce que, comme bien d’autres " économistes " distingués, il appelle " la mondialisation du capital ". Cet article " à propos de la dite ‘mondialisation du capital’ " utilise cette analyse ainsi qu’à l’occasion sont utilisés articles, revues, livres publiés ici ou là. C’est légitime et il est inévitable que dans le livre de Chesnais il y a à puiser. L’appréciation de ce livre comme tel, de sa place, de son rôle, de nombre de ses développements est une autre chose sur laquelle il faudra revenir.

A ce point il faut rappeler l’appréciation de Trotsky : " les forces productives étouffent dans le cadre de la propriété privée des moyens de production et des limites étroites des frontières nationales ". La première guerre mondiale, la crise des années 30, la dislocation du marché mondial, le renforcement de " l’État-nation " jusqu’à l’autarcie, l’économie de guerre, la deuxième guerre mondiale ont illustré la validité de cette appréciation. Les rapports économiques d’après la deuxième guerre mondiale, la reconstruction d’après-guerre, les " trentes glorieuses " ont semblé la remettre en cause. Il n’en était rien : dans le cadre de la propriété privée des moyens de production 1’" essor économique et financier " a exigé " l’oxygène " d’une économie permanente d’armement, du parasitisme.

Mais la dite " mondialisation du capital " n’est-elle pas une transition, une transcendance du mode de production capitaliste, vers une mutation. Au système capitaliste constituant un marché mondial, une division internationale du travail, mais historiquement formé de capitalismes nationaux (anglais, français, allemand, américain, japonais etc, etc ... ) va-t-il succéder un capitalisme mondial où disparaîtraient frontières et limites nationales ?

Il est vrai que les obstacles et les limites à la libre circulation des capitaux et des marchandises, aux investissements sont de plus en plus réduits, sinon nuls. A l’intérieur de chaque pays la déréglementation décompartimente de plus en plus les activités financières, la finance circule comme sur un seul marché sur le plan international et entre les différentes places. Marchandises et services circulent en rencontrant de moins en moins de limitation et de difficultés en de vastes espaces économiques, comme l’Union Européenne, l’ALENA, d’autres. l’UE est plus qu’une simple zone de libre échange, elle est une zone de coopération économique et politique entre États et gouvernements européens, avec des institutions, des impôts, un budget, un exécutif, etc qui, en principe, vise à l’intégration plus ou moins poussée entre les différents pays qui y adhérent. Depuis 50 ans de nombreuses négociations ont eu lieu entre les gouvernements des pays capitalistes pour réduire les obstacles à la circulation entre eux des marchandises et des services (Kennedy Round, Uruguay Round). L’Uruguay Round s’est conclu par des accords signés le 15 avril 1994 à Marrakech. L’OMC (l’organisation Mondiale du Commerce) remplace le GATT, qui fonctionne depuis le ler juillet 1995.

Pourtant il n’y a pas transcendance des capitalismes nationaux à un capitalisme mondial. Tout au plus est-ce l’expression des besoins de ce que les forces productives soient débarrassées du carcan des frontières nationales, la réponse capitaliste a cette exigence. Mais fondamentalement cette réponse renforce les capitalismes nationaux (américain, Japon, Allemagne, France, etc).

La liste des trente groupes non financiers les plus internationalisés montre qu’ils sont ordonnés à partir de firmes nationales et que c’est sur cette base qu’il se renforcent Les IDE se présentent comme autant de conquêtes des capitalismes nationaux et de leurs firmes. Les grands groupes font appel à leurs États Nationaux pour les défendre et appuyer leurs offensives dans l’arène internationale (voir Uruguay Round, à l’intérieur de l’U.E., "négociation" entre les impérialismes US et japonais, etc). Les accords conclus entre firmes multinationales ou pour en constituer sont toujours des compromis passés au gré des rapports de forces. Ils sont plus ou moins stables. Les "oligopoles" internationaux sont par définition, soumis à ces mêmes règles.

" Considéré sous l’angle de l’intégration des marchés nationaux, au sein des marchés mondiaux qui dominent les premiers quand ils ne les remplacent pas complètement le processus de mondialisation est nulle part accentué que dans la sphère financière" Chesnais "La mondialisation du capital" " (pages 207 et 208). Les marchés sont une chose, les bases des "opérateurs" en sont une autre et celles-ci restent nationales. Exemple : les fonds de pension.

L’" ÉTAT NATION " BIEN VIVANT

Par ailleurs le " capital " argent opère en très grande partie sur l’exploitation des États nationaux  : leur endettement notamment :

" La dette fédérale de l’État américain s’élevait à 322 milliards de dollars en 1970, 906 milliards de dollars en 1980, 4 061 milliards de dollars en 1992. La chambre des représentants estime qu’elle atteindra 6 141 milliards de dollars en 1998. Rapporté à la dette fédérale, le service de la dette est passé de 12,7 % en 1980 à 20,1 % en 1990 ". (page 221). La spéculation sur les monnaies c’est aussi l’exploitation des États nationaux par le capital argent.

Dans un texte intitulé " Impérialisme  : la nouvelle donnée, à propos de la " Mondialisation du capital " de François Chesnais ", Philippe Herblot fait remarquer :

D’un autre côté, les capacités des Etats nationaux n’ont pas totalement disparu en matière économique, sans parler des interventions militaires et du maintien de l’ordre  :

" Contrairement à un certain nombre d’illusions qui se développent au vu de la gigantesque puissance des grandes entreprises multinationales modernes, celles-ci ne sont pas en mesure de devenir des institutions économico-politiques remplaçant les Etats dans la gestion de la main-d’œuvre et de la monnaie. "

Ce n’est pas tout  : que l’on songe à la manière dont la crise de 1979-1982 a été surmontée par l’injection massive de des dépenses d’armement aux Etats-Unis, à l’interposition relativement concertée des banques centrales lors du krach de 1987, à l’élargissement ou la constitution de marchés régionaux (Union européenne, ALENA).

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Spécialement, la lutte de chaque fraction nationale de la bourgeoisie mondiale pour restaurer le taux de profit reste centralisée par son Etat. Fondamentalement, l’offensive menée partout contre la valeur de la force de travail et les acquis sociaux ne tient pas aux entreprises transnationales, qui l’imposeraient à des Etats qui n’en pourraient mais. C’est pourtant ce que semble parfois affirmer l’auteur  :

" La mobilité du capital permet aux entreprises de contraindre les pays à aligner leurs législations du travail et de la protection sociale sur celles de l’État dont les lois leur sont le plus favorables. " (35) (p. 255)

L’offensive du capital conduite sous le drapeau du libéralisme et sous l’égide de l’Etat vient d’abord de la " crise ", de la dépression capitaliste prolongée, bref, du rapport capital / travail, et secondairement de la modification de la relation entre internationalisation du capital et Etat national au détriment de ce dernier. Certes, la mondialisation rend les atteintes aux acquis ouvriers et populaires plus nécessaires et plus faciles. Mais, de toute façon, ces conquêtes (36), plus ou moins tolérables durant les " trente glorieuses ", se révèlent un fardeau, à l’heure où il convient de redresser le taux de profit. C’est pourquoi il s’agit d’une politique immanente à l’Etat en tant qu’Etat bourgeois, et non d’une " contrainte " qui lui serait imposée (37).

5.2 antilibéralisme ne rime pas toujours avec socialisme

Du reste, si l’Etat avait eu la capacité d’harmoniser la production et les rapports sociaux capitalistes, avant de la perdre à cause de la " globalisation ", pourquoi ne pas reproduire cette régulation à l’échelle internationale ? Certains l’appellent de leurs vœux :

" Les premières mesures qui s’imposent d’urgence concernant le rétablissement de contrôles nationaux et internationaux, ainsi que l’institution d’une taxe mondiale sur les mouvements de capitaux, l’élimination du secret bancaire et des paradis fiscaux, la lutte coordonnée contre la spéculation et l’évasion fiscale (..) Il faudrait également généraliser le contrôle démocratique par le renforcement des parlements existants et la création de nouveaux forums représentatifs à l’échelle continentale et mondiale (..). Les institutions internationales nouvelles pourraient aussi être crées, parfois dans le cadre des Nations unies. " (38)

Aujourd’hui, nombre d’épigones de Keynes préconisent la " relance " à l’échelle européenne, voire mondiale (39). Parallèlement, des voix se font entendre avec de plus en plus d’insistance pour freiner la spéculation contre les monnaies (40). Il n’est pas d’ailleurs impossible que des mesures soient prises contre les excès spéculatifs, à la faveur de nouveaux reculs de la classe ouvrière (permettant de diminuer la dette publique) ou de krachs financiers, comme ce fut le cas " après la grande vague de faillites bancaires des années 1930 " (p. 210).

(36) D. Folias  : " Le droit à la santé, la Sécurité sociale  : des conquêtes révolutionnaires ", La Vérité, décembre 1976, avril 1977.

(37) C’est le reproche que faisait Marx aux dirigeants socialistes allemands sur l’indépendance qu’ils supposaient à l’Etat " Au lieu de considérer la société existant comme le fondement de l’État existant, on traite au contraire, l’État comme une entité indépendante, qui possède ses propres fondements intellectuels et moraux, ses propres libertés. " (Critique du programme du parti ouvrier allemand, 1857, Œuvres, tome 1, Gallimard, Paris, 1965, p. 1428).

(38) R. Petrella  : " Le retour des conquérants ", Le Monde Diplomatique, mai 1995.

(39) " La tentation de la voie keynésienne ", L’Expansion, 28 avril 1995 ; J.P. Fitoussi, Le Débat interdit, Arléa, Paris, 1995.

(40) B. Eichengreen, J. Tobin, C. Wyplosz  : " Two cases for sand in the wheels of international finance ", The Economic journal, janvier 1995 ; H. Bourguinat  : La Tyrannie des marchés, Economica, Paris, 1995. On trouve une complaisance excessive à l’égard du pro-impérialiste Bourguinat dans N. Béniès  : " Le libéralisme face à la crise financière ", Critique Communiste, printemps 1995.

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D’autres nostalgiques de la régulation nationale prétendent même, mais pour le regretter, que ce processus est largement entamé. Selon eux, les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, Commission de Bruxelles ... ) supplantent les Etats pour régenter l’économie mondiale ou européenne. Ce ne sont que diversions :

l La force des organismes internationaux s’exerce à l’encontre des pays dominés dans le cas des " ajustements structurels " qui conditionnent les prêts du FMI et de la BM, ou lors des expéditions l’ONU... Ces institutions fonctionnent alors comme un club impérialiste. Mais, dans les faits, cela ne s’applique pas aux puissances impérialistes elles-mêmes  : il faudrait d’ailleurs expliquer quelle force sociale façonnerait cette préfiguration d’État Mondial, et surtout par quels bouleversements historiques un tel ordre nouveau peut s’instaurer.

l En ce qui concerne l’Union européenne, les décisions importantes n’émanent nullement de la Commission, mais sont prises lors des " conseils des ministres ", et surtout des " conseils européens " ou " sommets " : en fait, il faut un accord entre pouvoirs exécutifs de France et d’Allemagne.

Les accords de l’ALENA n’ont pas fait l’unanimité de la bourgeoisie en Amérique du Nord. Des secteurs de la bourgeoisie française se sont aussi rebiffés contre le Traité de Maastricht ou l’accord de l’Agetac-OMC, en réalité contre la domination grandissante de l’Allemagne, en Europe, et contre la volonté de réaffirmation de l’hégémonie américaine déclinante, à l’échelle mondiale. On a eu l’écho lors des élections présidentielles du printemps 1995. Malheureusement, le repli sur l’État-nation, a fortiori de taille européenne, est plus que jamais une impasse (déjà illustrée, entre autres, par deux guerres mondiales)  :

" Comment garantir l’unité économique de l’Europe, tout en préservant une complète liberté de développement culturel aux peuples qui y vivent  ? Comment une Europe unifiée peut-elle être intégrée dans une économie mondiale coordonnée  ? On ne peut trouver la solution en déifiant la nation, mais, au contraire, en libérant totalement les forces productives des chaînes que leur a imposées l’État national. "

L’institution étatique joue plus que jamais son rôle dans la concurrence entre fractions nationales du capital mondial. La prolongation de la dépression prolongée ou son approfondissement brutal sous forme de crise mondiale peuvent conduire à des affrontements plus violents entre membres de la " Triade " :

" Entre 1870 et 1913, (..) l’économie mondiale s’était unifiée à un rythme plus élevé encore qu’au cours des 40 dernières années. (..) Un terme y fut mis par une série de barrières non tarifaires et d’obstacles réglementaires, la Première Guerre mondiale, suivie par des barrières tarifaires dans les années 1920 et 1930. "

De toute façon, pour purger le mode de production capitaliste, il faudra une destruction conséquente de capital, dévalorisation contenue jusqu’à présent par les Etats, effrayés par le " risque systémique ".

LE CAPITAL FINANCIER ET LES " PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES "

Certes les pressions du capital financier pour que soient réduits les "déficits publics", au nom du libéralisme et de la stabilité monétaire sont très grands. Aux États Unis, fin octobre 1995, le Congrès a adopté une loi selon laquelle l’équilibre "du budget fédéral" doit être réalisé en 2002. Cela rappelle un peu la loi Graman-Rudman que ce même congrès avait voté ; elle décrétait aussi une réduction drastique des déficits budgétaires. Il devait être nuls à partir de 1991. Résultats  : en 1989 le déficit budgétaire s’est élevé à 182 milliards de dollars ( en réduction toutefois vis à vis du précédent par rapport au PNB  : 2,9% à la place de 3,2. En 1985 le pourcentage avait atteint 5,2 %) ; en 1990 il s’est élevé à 220 milliards de dollars (4 % du PNB); en 1991 à 269 milliards de dollars (5 % du PNB); en 1992 à 340 milliards de dollars (5,7 % du PIB) ; en 1993 à 254,9 milliards de dollars (4 % du PNB) ; en 1994 à 203,4 milliards de dollars (3,4 % du PNB); en 1995 à 197 milliards de dollars.

Les budgets militaires (sauf en 1992 - guerre contre l’Irak - ont été réduits. Mais les budgets globaux des USA se sont élevés à

[Tableaux]

Dans l’Union Européenne l’objectif des principaux pays qui la composent c’est de réduire à 3 % des PNB les déficits des budgets des États. (Ce sont les conditions pour qu’en 1999 soit réalisée la monnaie unique). Une formidable pression s’exerce pour réduire les prélèvements, les dépenses, les déficits publics. Pour le moment on est loin du compte. En France par exemple les déficits budgétaires ont été de : 236,3 milliards de francs (3,37 % du PIB) en 1992 ; 344,9 milliards de francs (4,7 % du PIB) en 1993 ; 349,1 milliards de francs (4,15 % du PIB) en 1994 ; 321,6 milliards de francs (4,15 % du PIB) en 1995 ; 289,7 milliards (3,55 % du PIB) en 1996 (prévision). Au cours de ces années les dépenses budgétaires se sont élevées à : 1 284 milliards de francs en 1991 1 355,2 en 1992 ; 1 427,7 en 1993 ; 1 466,89 en 1994 [.......] en 1995.

Et surtout l’objet des attaques du capital financier ce sont ce qu’ils appellent " les prélèvements obligatoires ". Ils comprennent les impôts prélevés par l’Etat, les collectivités locales et les " dépenses sociales ". En France ils sont passés de 43,8 % en 1988 à 43,9 % en 1991, à 43,6 % en 1992, 44,2 % en 1994 et […] 1995 du PIB. En 1996, ils dépasseraient 45 %, en Allemagne les 50 %. A quelques points près dans les autres pays " les prélèvements obligatoires " sont au même niveau. Il faut avoir singulièrement la vue basse pour prétendre que "L’État nation" dépérit.

Le capital financier met le "paquet" pour la réduction à minimum des "dépenses sociales". Le ‘bilan économique et social 1995" note qu’aux USA.

"Selon le "budget républicain" Médicare (l’assurance-maladie des personnes âgées et des handicapés) se voit amputé de 270 milliards de dollars, Medcaid (l’aide aux plus démunis) de 163 millions de dollars, tandis que le budget de Welfare (l’aide sociale destinée aux enfants à charge) serait réduit de 82 milliards de dollars. Les secteurs de l’éducation, de l’environnement et de l’agriculture sont également mis à contribution". On sait ce qu’il en est en France et dans les pays de l’U.E. Mais ce n’est pas pour affaiblir " l’État-nation ". Ces attaques font partie de l’attaque brutale et générale du capital financier contre la valeur de la force de travail, pour sa soumission totale à ses besoins et exigences.

" LA VÉRITABLE BARRIÈRE AU CAPITAL "

Les "théoriciens" de la "mondialisation du capital", du développement de cette dite "mondialisation" vers un capitalisme et un seul, supposent, évidemment que celui-ci en finisse avec les nations et les Etats nationaux. En outre cette " mondialisation " suppose que le capitalisme surmonte ou surmontera la contradiction fondamentale qu’inclut la propriété privée des moyens de production et que Marx situe ainsi :

" La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens, qui, de nouveau et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.

" La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même : le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production ; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse : les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l’élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs. Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs ; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthode de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin, et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi. Le moyen - développement inconditionné de la productivité sociale - entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant. Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer la force productive matérielle et de créer le marché mondial correspondant, il représente en même temps une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent. "

(Le Capital - Livre 3 - Tome 1 - p. 263)
Loin de réduire cette contradiction la prétendue "mondialisation du capital" la pousse à son extrême sous la forme de l’extension de la plus-value relative. La mobilité et la vitesse de circulation du capital doivent être maximum et la disponibilité de la force de travail correspondre à ce maximum. En somme des millions de travailleurs sont réduits au chômage. Enfin le capital dont le profit provient de cette plus-value s’accroît démesurément, d’autant plus qu’il faut y inclure le capital de prêt, le capital rentier. La baisse et la chute du taux de profit, la crise disloquante de l’économie capitaliste sont inéluctables.

La dite "mondialisation du capital" dépend finalement de la conjoncture économique. Déjà depuis plus de vingt ans, celle-ci oscille constamment entre "reprises" plus ou moins grandes et "dépressions" plus ou moins profondes. Se prépare une catastrophe économique et financière de la même nature que la crise des années trente. La fantastique croissance du " capital " argent, la liberté dont il jouit, la place qu’il occupe dans l’économie capitaliste ont en contre-partie, une extrême fragilité. Il suffit de considérer que la plus grande partie de ce " capital " argent est du capital fictif pour s’en rendre compte, qu’il est investi dans des spéculations de toutes sortes dont la spéculation boursière, qui sont vouées à crever comme des bulles.

L’" ÉTAT NATION " ULTIME RECOURS

Le "repli" dans les cadres nationaux est garanti d’avance, ainsi que la renaissance des nationalismes économiques et financiers pour autant qu’il se soit atténué ou qu’il soit masqué. Le "modèle" de la crise des années trente permet de l’affirmer. Mais il n’est pas besoin, tout compte fait, de remonter si loin pour le savoir. CPS n° 60 du 23 novembre 1995 :

QUELQUES KRACHS ET CRISES

De nombreux krachs ou crises boursières, bancaires, financières se sont produits ces dernières années. Ces craquements indiquent que l’édifice spéculatif est voué à s’effondrer. Parmi eux :

"La reprise économique aux États-Unis a déjà près de trois ans. Elle s’est accélérée au dernier trimestre de l’année dernière, quand le taux de croissance (en rythme annuel) a dépassé 6 %. L’effet ordinaire des reprises est d’augmenter la demande de capitaux à investir, ce qui pousse à la hausse des taux d’intérêt. Mais surtout les investisseurs (financiers) ont craint la surchauffe, génératrice d’inflation. Un mal qu’ils détestent parce qu’il ronge la valeur de leurs placements. Ils ont donc demandé des rémunérations plus élevées (en clair : une hausse des taux d’intérêt - NDLR). Tout signe de surchauffe accroît leur méfiance et leurs exigences."

"La hausse des taux d’intérêt a des effets en chaîne. En augmentant le rendement des obligations nouvellement émises elle dévalorise tout le stock des obligations existantes. Cette déprime des marchés obligataires ne tarde pas, en général à gagner les marchés d’actions. En même temps l’argent plus cher freine l’investissement et refroidit l’économie." (le Dow Jones est retombé de 3 978,36 points au 31 janvier 1994, à 3 598,71 points au 20 avril et est remonté à 3 953,68 points au 15 septembre).

"Le 6 décembre 1994, le comité californien d’Orange a demandé la protection de la loi sur les faillites après avoir perdu plus de 2 milliards de dollars. Plus récemment encore, mercredi 22 février, un article du Washington affirmait que le district de Columbia était insolvable à la suite d’opérations de marché. On peut d’ailleurs parler d’une véritable série noire. En janvier, la société allemande Metallgesellschaft a annoncé avoir perdu plus d’un milliard de dollars sur des opérations de contrats à terme de produits pétroliers. En mars le fonds d’investissements Astin Capital Management (2 milliards de dollars) est liquidé après d’énormes pertes consécutives à des opérations dérivées sur des hypothèques. En avril les lessives Procter and Gamble révèlent une perte de 102 millions. En juin c’est l’État de Floride qui révèle avoir perdu 175 millions de dollars."

(…) " les engagements "hors bilan" de quelques banques américaines à la fin 1993... Banker Trust 1 923 milliards de dollars, 1 723 milliards de dollars pour J.P. Morgan, à comparer à des capitaux propres de 4,5 et 9,9 milliards de dollars. " ("Le Monde" du 28/2/1995)

"Le Monde" du 0 1/03/1995 reprenait :
" LE CONTRÔLE DÉFAILLANT DES BANQUES
" La faillite des caisses d’épargne américaines en 1989, le scandale de la BCCI en 1991, le naufrage de Nordbanken en Suède en 1992, la défaillance du Banesto en Espagne en 1994, les pertes historiques de la première banque japonaise Sumitomo, le deuxième plan de sauvetage du Crédit Lyonnais à venir dans les prochaines semaines et, aujourd’hui, les déboires de Barings... Cette liste des défaillances bancaires est loin d’être exhaustive. A chaque fois pourtant et quel que soit le pays, l’ampleur du sinistre est sans précèdent. A chaque " accident ", la question reste la même : comment a-t-on pu en arriver là ?

" Traditionnellement, les systèmes bancaires jouent un rôle non négligeable d amortisseur dans les périodes de récession. Que certaines banques aillent mal est normal mais la multiplication des sauvetages en catastrophe - pour éviter que la défaillance d’un seul n’entraîne la faillite de tous - prouve que les contrôles des établissements bancaires internes et externes ne sont plus adaptés à un environnement qui est celui d’une ‘économie internationale de spéculation", pour reprendre l’expression d’Henri Bourguinat, du CNRS. De peur de provoquer une psychose, d’introduire le doute sur la solidité des systèmes bancaires, aucune autorité de tutelle n’ose le dire. Alors les banques centrales et les institutions internationales multiplient les recommandations et les études sur les risques, notamment sur ceux qui résultent de l’explosion des transactions sur les marchés dérivés. En vain.

" Le chancelier de l’Échiquier, Kenneth Clarke, sans doute sous le coup du désastre de la banque Barings, a déclaré, lundi 27 février, qu’il souhaitait revoir tout le système de contrôle bancaire. Il faudrait que ce précédent serve d’exemple, y compris en France. (Eric Leser) ".

JAPON : NOUVEAUX KRACHS

Au Japon encore : le 31 juillet 1995 la première mutuelle bancaire du Japon, la banque Cosmo Credit était mise en cessation de paiements ("Les mésaventures de Cosmo Credit ont mis en lumière la fragilité extrême d’un autrepan de l’édifice financier nippon  : ces centaines de mutuellesde crédit et coopératives agricoles qui se sont engagées sans compter sur l’immobilier et la Bourse, jusqu’à l’éclatement de la bulle financière." ("Libération" du 01/08/1995) ; le 30 août était annoncée la faillite du premier établissement de crédit du Japon la "Kizu Credit Union" ("Cette défaillance est d’autant plus inquiétante qu’elle survient après celle de trois autres banques mutualistes  : Tokyo Credit Union et Anzu Credit Union, fusionnées depuis dans la Tokyo Kyodo Bank, puis le mois dernier Cosmo Credit Union." ("Le Monde" du 31 août 1995).

Le 23 août 1995 "Libération" publiait une interview d’un "spécialiste du secteur bancaire japonais chez Baring Security à Tokyo, James Philip Fiorillo". A la question "Les banques japonaises peuvent-elles venir à bout seules de leurs créances douteuses", il répondait :

"Non ! Les plus grandes mises à part, les banques ne sont pas capables de gérer seules le problème des créances douteuses. Elles devront être aidées. Sans aide de l’État, il faudra au minimum six ans pour apurer leurs comptes. dans beaucoup de cas cela pourrait prendre dix ans voire plus."
LES CRÉANCES DOUTEUSES DES BANQUES FRANÇAISES

Il faut s’arrêter un moment sur la situation des banques françaises. Dans un article intitulé : "L’omerta immobilière tétanise les banques" publié dans "Libération" du 8 août 1995 et sous-titré  : "Elles n’osent toujours pas brader leurs stocks de créances douteuses" on lit :

" Trois chiffres donnent la mesure du problème. Au 31 décembre 1994 les banques françaises ont prêté 350 milliards de francs aux professionnels de l’immobilier. Sur ce total 200 milliards peuvent être qualifiés de créances douteuses et 100 milliards ont été provisionnés. Et plus la crise dure, plus le taux de pourriture augmente  : 34 % en 1992 à 57 % en 1994... "

" ... Les banques hexagonales qui ont majoritairement opté pour étaler leurs pertes dans le temps, sont raillées partout dans le monde  : serrer les fesses ne ferait qu’entretenir la crise. "Les banques françaises ont adopté une attitude irresponsable  : non seulement elles n’ont pas réalisé leurs pertes, mais elles tentent de les cacher" dénonce Erik Sonden, spécialiste suédois de l’immobilier. Les français rétorquent que des ventes massives accentueraient la chute des prix. Des banquiers font même ce cauchemar qu’une poignée de traîtres bradent leurs actifs, obligeant l’ensemble des banques à passer d’énormes provisions supplémentaires pour tenir compte de ces nouveaux prix de marché.

"Il est de l’intérêt collectif qu’un tel scénario ne se produise pas, s’inquiète un banquier. Mieux vaudrait organiser une sortie de crise étalée sur cinq à dix ans." Cette politique de l’autruche a un coût  : 15 milliards de francs par an. On appelle ça les frais de portage. En effet, les capitaux gelés dans l’immobilier, qui ne rapportent rien à une banque, auraient pu être prêtés au taux du marché (7 % pour le taux à deux ans, aujourd’hui)."

Pour sa part le Crédit Lyonnais a accumulé 135 milliards d’" actifs compromis ". Un montage, garanti par l’Etat, lui a permis de mettre "hors bilan" ses "créances douteuses" par la constitution d’un "Consortium de réalisation (CDR)"  : "L’assemblée nationale a adopté, mercredi 4 octobre un texte qui dessine les contours de l’aide que va apporter l’État au Crédit Lyonnais et au Comptoir des entrepreneurs (CDE), les modalités de son application et les contrôles qui y sont attachés. Dans les deux cas la solution retenue consiste à sortir du bilan de ces deux établissements des actifs compromis qu’ils n’étaient plus en mesure de conserver (16 milliards de francs pour le Comptoir des entrepreneurs et 135 milliards de francs pour le Crédit Lyonnais)." ("Le Monde" 06/10/1995)
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La couverture de tous ces krachs et crises. à tout le moins la limitation de leurs conséquences, ont jusqu’à présent été assurées par les États bourgeois, naturellement au détriment des finances publiques. Cela durera jusqu’au jour où ils se répercuteront en chaîne et ne pourront plus être couverts, d’autant plus que le crédit des États bourgeois est lui-même vacillant et que la couverture de ces krachs et crises contribue à le ruiner.

le 24/10/1995.
CHAQUE PROLÉTARIAT DOIT PRENDRE LE POUVOIR DANS SON PROPRE PAYS

Nombre de théoriciens de la " mondialisation du capital " expliquent qu’en novembre-décembre 1995 les travailleurs engagés dans la grève et les manifestations se dressaient contre le traité de Maastricht, Bruxelles, le FMI et on ne sait qui encore. Ils oublient l’essentiel. Ces travailleurs combattaient certes la politique que pratique mondialement le capital financier, laquelle consiste à leur arracher leurs acquis et leurs conquêtes économiques et sociales, à réduire brutalement la valeur de la force de travail, à utiliser le chômage, la pression du marché international du travail, pour faire d’eux une masse malléable et exploitable à merci. Mais en novembre-décembre (tout comme aujourd’hui) leurs adversaires, leurs ennemis directs c’était le gouvernement Chirac-Juppé, le capitalisme français. Le mot-d’ordre " dehors le gouvernement Chirac-Juppé " allait de pair avec celui de " A bas le plan Juppé ".

Il est une sorte d’"internationalisme" particulièrement pernicieux et désarmant pour le prolétariat et la jeunesse, celui qui, sous prétexte de dimension internationale, voire mondiale gomme, efface que la lutte de classe du prolétariat est internationale par son contenu mais nationale dans sa forme. " Le manifeste communiste " spécifie :

"La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu’elle ne soit pas quant au fond une lutte nationale, en revêt cependant tout d’abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie". C’est-à-dire d’abord et avant tout lutter pour prendre le pouvoir et le prendre dans son propre pays, ce que les "théoriciens" de "la mondialisation du capital" du dépérissement de "l’État-nation" auraient plutôt tendance à masquer et à vouloir faire oublier.

La domination mondiale du capital financier serre étroitement la trame de la lutte mondiale des classes. La prise de position, la lutte contre tous les organismes où s’élabore et se met en place la politique internationale des puissances impérialistes de l’ONU, au FMI, aux organismes de l’Union Européenne, les multiples manifestations de cette politique sont indispensables. En même temps les antagonismes et contradictions inter-impérialistes et leurs conséquences doivent être dégagés et soulignés. Ainsi l’Union Européenne doit être caractérisée pour ce qu’elle est - l’Europe des capitalismes - le lieu de leur coopération conflictuelle dominée par le " couple " également conflictuel, franco-allemand. Il n’y a pas de capital européen.

L’espace économique et financier de l’U.E., la coopération entre les Etats bourgeois sont nécessaires aux différents capitalismes nationaux mais les antagonismes sur ces terrains politiques demeurent (ex-Yougo par exemple). Dès que la conjoncture économique faiblit les antagonismes apparaissent et menacent de disloquer l’U.E. Sans compter que l’impérialisme US entend bien que les portes de "l’Europe" lui soient grandes ouvertes ou qu’à l’occasion il les force pour occuper des positions dominantes (ex-Yougoslavie).

A bas l’ONU, le FMI, l’U.E., l’ensemble des traités, accords, interventions impérialistes et d’abord de " notre " propre impérialisme, l’impérialisme français, fait partie de notre arsenal politique. L’étroite imbrication économique et politique en Europe rend plus indispensable que jamais le mot d’ordre des États Unis Socialistes d’Europe. Il faut l’opposer à l’Europe des capitalismes, l’U.E., comme objectif de tous les prolétariats européens. Mais pour chacun des prolétariats il s’agit de prendre le pouvoir dans son propre pays, prise du pouvoir accélérant et portant au plus haut niveau la lutte pour le pouvoir des prolétariats des autres pays d’Europe.

Mais au centre du programme, de la politique de toute organisation, parti ouvrier révolutionnaire doit être, en conformité avec ce qu’expliquait il y a 150 ans le "Manifeste Communiste", la prise du pouvoir, un gouvernement ouvrier et paysan, la réalisation de la dictature du prolétariat dans son propre pays.

Puteaux, le 19 avril 1996.
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