SOMMAIRE
CPS N° 91                                                                                              5 OCTOBRE 2002


Situation économique et financière internationale :

LA CRISE DU CAPITALISME S’APPROFONDIT

Au cours du printemps dernier, la presse a largement véhiculé l’idée que la crise économique, en particulier aux Etats-Unis, était en voie d’être surmontée : "Six mois après le 11 septembre, l’économie américaine a vaincu la récession" titrait ainsi un quotidien financier (la Tribune du 11 mars 2002). Six mois plus tard, le même quotidien est contraint de modérer son enthousiasme : "la donne économique se complique pour le président George W. Bush" observe-t-il ainsi le 19 septembre après l’annonce d’une "chute inattendue de la production industrielle le mois dernier, de 3% en données corrigées des variations saisonnières" et d’une hausse sensible, en août, de l’indice des prix à la consommation. Or ces données fragmentaires prennent place dans une situation d’ensemble extrêmement menaçante : explosion du déficit budgétaire, croissance vertigineuse du déficit de la balance des paiements, chute prolongée de la Bourse qui prend l’allure d’un véritable krach boursier. L’indice Dow Jones est passé, entre août et septembre, de 9 000 points à 7 940 ; l’indice Nasdaq a, quant à lui, chuté de 70% en deux ans. C’est en relation avec cette situation d’ensemble qu’il faut apprécier ce que signifie le rebond du Produit Intérieur Brut américain au premier trimestre 2002, avec un taux de croissance de 5%. Rappelons d’abord, que la crise économique s’est amorcée aux Etats-Unis dès le printemps 2001, c’est-à-dire plus de six mois avant les attentats du 11septembre. Avec ce début de crise économique prenait fin une période de croissance de près de dix ans, croissance incontestable bien qu’irrégulière et d’un niveau inférieur aux taux de croissance des années cinquante et soixante. A la base de cette phase de croissance, il y avait – pour une part essentielle – la baisse de la valeur de la force de travail, ainsi que la liquidation d’une partie du capital obsolète, par la fermeture d’entreprises notamment. Les énormes profits, directs et indirects, tirés des pays dominés ont également contribué à cette phase de croissance qui s’achève au début de l’année 2001.

UN REBOND ARTIFICIEL.

Et, en conséquence de cette crise, c’est bien avant le 11 septembre que le gouvernement américain prit des mesures destinées à freiner le développement de cette crise. La FED, la banque mondiale américaine, procédait à huit baisses successives de ses taux d’intérêts entre janvier et fin août 2001, cherchant ainsi à relancer consommation et investissements. Le gouvernement lui-même renouait - après deux années d’équilibre budgétaire - avec la politique des déficits, en procédant en particulier à la hausse des crédits militaires. Au lendemain du 11 septembre, ces interventions s’amplifiaient brutalement : nouvelles baisses des taux de la FED, à 17.5% en décembre, injection massive de capitaux dans le système bancaire à hauteur de 200 milliards de dollars, accélération des dépenses militaires pour relancer l’économie d’armement, soutien financier aux compagnies aériennes menacées de faillites. En même temps, ce fut une offensive d’ensemble contre le prolétariat, en particulier par des licenciements massifs. En trois mois, le nombre d’emplois diminua ainsi de plus de un million. C’est dans ces conditions que l’économie américaine a pu connaître un rebond au début de l’année 2002 : le P.I.B, qui avait diminué durant l’année 2001, progressa légèrement au 4ème trimestre, avec un taux de croissance de +1% (contre un taux négatif aux trois premiers trimestres, de -0.6%, -1.6% et -0.3% respectivement). Au premier trimestre de l’année 2002, le taux de croissance bondissait à +5%. Mais il s’agit là d’une véritable fuite en avant, qui peut d’autant plus difficilement se prolonger que la production s’est maintenue essentiellement grâce aux mesures de soutien à la consommation dont profite la petite et moyenne bourgeoisie (réductions d’impôts, prêts à taux très bas pour l’achat de voitures et maisons, etc..) Mais il n’y a pas eu reprise de l’investissement et déjà, pour le deuxième trimestre 2002, le taux de croissance du PIB s’est affaissé, passant de +5% à +1% (chiffres susceptibles de corrections ultérieures).

DES DÉFICITS VERTIGINEUX.

Or la contre partie à ce rebond, c’est l’explosion des déficits. En ce qui concerne le déficit budgétaire, celui-ci est estimé à 160 milliards de dollars pour l’année fiscale qui s’achève le 30 septembre, et s’ajoute à l’énorme dette fédérale américaine, laquelle doit sans cesse être re-financée. En dépit de son ampleur, le refinancement est actuellement possible à des taux exceptionnellement bas qui sont rendus possibles, pour une grande part, du fait de la chute régulière et prononcée des marchés boursiers incitant les capitaux à déserter le marché des actions pour se réfugier sur le marché obligataire considéré comme "plus sûr". La Tribune du 5 septembre indique ainsi :
"Le rendement du T bond américain à 10 ans, qui a détrôné le 30 ans comme emprunt d’Etat de référence, a pulvérisé le seuil de 4%, pour la première fois de son histoire, tout du moins dans la forme moderne qu’il revêt depuis les années 80. Soutenu par une recherche éperdue de la qualité, qui bénéficie traditionnellement aux placements liquides et garantis par l’Etat."
Et le journaliste de commenter : s’agit là, pour les Etats-Unis, d’une "aubaine inespérée".

Mais les dirigeants de l’économie américaine ne s’en réjouissent guère. A voix haute, ils redoutent que cette "aubaine" n’incite à une envolée des déficits budgétaires et, très rapidement, à une hausse des taux d’intérêts ravageant l’économie ; c’est ce qu’a expliqué Alan Greenspan, le 12 septembre, président de la Réserve fédérale, aux parlementaires de la Commission du budget de la Chambre des représentants :
"Revenir à un climat fiscal de déficits importants et continus serait prendre le risque de revenir à une ère de taux d’intérêts élevés, de faibles niveaux d’investissements et d’une croissance plus faible de la productivité."
Il s’agit d’un avertissement très clair : les parlementaires doivent se montrer moins dispendieux, sauf à risquer de graves déséquilibres.

Mais à voix basse, ils redoutent que cet afflux de capitaux vers le marché obligataire, alors même que ces capitaux se contentent de rendements médiocres, historiquement bas, ne soit l’expression d’une situation beaucoup plus grave, qu’un journaliste traduit dans le jargon propre aux milieux financiers : ce mouvement de capitaux serait alors
"la conséquence des craintes de glissement progressif du monde industrialisé dans une spirale déflationniste, à l’instar du Japon. Si cette dernière hypothèse devait se vérifier, l’Europe et les Etats-Unis se trouveraient englués dans le piège de la "trappe à liquidités" avec lequel se débat le pays du Soleil-Levant qui a traversé quatre récessions en dix ans. Ce serait évidemment le scénario du pire puisqu’il réduirait à néant les espoirs que de nouvelles baisses des taux d’intérêts qu’ont laissé entrevoir jeudi Alan Greenspan, le maître de la Fed, et Wim Duisenberg, le président de la BCE, puissent avoir le moindre impact sur le rythme de l’activité. Comme le font remarquer les économistes d’Aurel Leven, lorsque la déflation est enclenchée les banques centrales sont impuissantes à contrôler la situation puisque les prix baissent plus vite que les taux."

"On n’en est certes pas là (…). Mais force est de constater que les rendements à long terme défient les lois de la gravitation." (La Tribune du 16.09).
Encore faut-il préciser : si une situation "à la japonaise" constituerait pour les États-Unis le "scénario du pire", ce "scénario" connaîtrait nécessairement des développements d’une toute autre ampleur. Car le Japon, englué depuis plus de dix ans dans une crise larvée qui voit se succéder médiocres rebonds et rechutes rapides, a été jusqu’à aujourd’hui protégé par l’immensité de ses excédents commerciaux et financiers, et l’ampleur de ses réserves, dont 400 milliards de dollars au Japon sans compter les 1000 milliards de dollars investis à l’étranger. La situation américaine est, sur ce plan, strictement inverse ; l’endettement net des Etats-Unis n’a cessé de progresser depuis le milieu des années 80. Il atteignait 500 milliards en 1995. Il a dépassé 1950 milliards cette année et progresse à grande vitesse.

LES ÉTATS-UNIS MENACÉS D'UNE DÉSTABILISATION FINANCIÈRE.

Alors qu’au Japon, le gouvernement intervient de manière constante et ordonnée pour maintenir le yen à un niveau relativement bas (de manière à faciliter les exportation), la situation est différente aux Etats-Unis. Certes, la baisse relative au dollar, déjà amorcée, permettrait de limiter les déficits commerciaux, mais cette baisse peut se transformer en un effondrement incontrôlé du fait de l’ampleur des déficits. La Tribune du 11 septembre, dans un article titré :"les Etat-Unis menacés d’une déstabilisation financière", explique ainsi :
"L’ampleur du déficit courant américain préoccupe gravement Horst Köhler, le directeur général du Fonds Monétaire International (FMI). (…) Le patron du fonds s’en est publiquement ouvert, en mettant en garde contre le danger de "mouvement violents et déstabilisants sur les flux de capitaux (internationaux) et les taux de change".

"En clair les Etat-Unis ne sont pas à l’abri d’une désaffection des investisseurs internationaux, dont l’économie américaine – déjà moins dynamique et donc moins attirante que par le passé – continue d’avoir le plus grand besoin pour financer son déficit courant. Avec à la clé, la menace d’un effondrement du dollar. (…) Les chiffres sont sans appel : les finances publiques n’ont cessé de se dégrader, le déficit budgétaire devant atteindre 1,5 % du PIB cette année, après le mirage d’un large excédent il y a à peine plus d’un an. Un déficit qui pourrait dépasser les 2% en cas de guerre. De son côté, le déficit courant atteint 450 milliards de dollars, 4,5% du PIB, et pourrait toucher 5% cette année. Quant à la dette extérieure à court terme, elle n’a cessé de croître (400 milliards de dollars au début 2002, 4% du PIB), exposant de plus en plus les Etats-Unis à la volatilité des capitaux."
Et, selon des calculs effectués par CDC Ixis, il faudrait que le dollar baisse encore d’au moins 26%, après avoir baissé de 10% en six mois, pour seulement stabiliser le rapport entre la dette extérieure à court terme et le PIB, rapport estimé aujourd’hui à 4%. Encore faudrait-il trois ans pour atteindre cet objectif. C’est donc à brève échéance le chaos qui menace l’ensemble des rapports monétaires internationaux.

Or les Etats-Unis, en dépit des pressions exercées sur les impérialismes rivaux, ne peuvent escompter que le fardeau de la crise qui se développe puisse être "pris en charge" par le Japon ou les impérialismes européens, d’abord parce qu’aucun d’eux ne peut se substituer à la place dominante de l’économie américaine, et ensuite parce que la situation de ces derniers est tout aussi menacée. Ainsi l’Union Européenne, avec des situations diverses selon les Etats, aurait pour l’année en cours un taux de croissance du PIB proche de 1%, inférieur à celui des Etat-Unis. Quant au Japon, c’est tout le système bancaire qui est au bord de l’abîme.

JAPON : KRACH BOURSIER ET MENACES SUR LE SYSTÈME BANCAIRE.

Le 4 septembre, la bourse de Tokyo clôturait sur une nouvelle baisse, l’indice Nikkei terminant à 9075 points, le niveau le plus bas depuis septembre 1983.

Pour donner l’ampleur de la spéculation qui s’était développée à la bourse de Tokyo, et l’ampleur de la chute, deux indications suffisent : une progression constante de l’indice Nikkei 225 jusqu’en 1989, côtoyant alors les 40 000 points, puis un effondrement brutal, en deux ans, ramenant l’indice à 15 000 points en 1992. Depuis, par secousses successives, la baisse s’est poursuivie, passant sous le seuil des 10 000 points en 2001.

Cette baisse constante est une menace mortelle pour les banques japonaises, massivement détentrices d’actions et elles-mêmes côtées à la bourse. Pour éviter la faillite du système bancaire, le gouvernement japonais a dû intervenir à plusieurs reprises, notamment en 1998-99. Mais une fois encore, il se prépare à intervenir car, selon une agence financière, "la bourse chute plus rapidement que l’amélioration par les banques de la qualité de leur capital". Et le patronat japonais par la voix de Hiroshi Okuda, son principal représentant, déclarait le 3 septembre :
"nous nous inquiétons fortement des menaces que font peser sur la stabilité du système financier une telle chute de la bourse à quelques semaines du bouclage des comptes du premier semestre fiscal".
Or la clôture de ces comptes conduit les banques à vendre massivement des actions ce qui accélère la chute boursière.

Aussitôt le gouvernement annonce un nouveau plan de sauvetage des banques, le troisième depuis 1998-99, ce qui signifie nécessairement une nouvelle hausse de l’endettement de l’État qui atteint déjà des niveau historiquement sans précédent. Ce recours continuel à l’endettement, même quand les capitaux affluent sur le marché obligataire, ne peut être sans conséquences, le risque que l’État ne puisse faire fasse à ses remboursement allant grandissant. Alors les taux d’intérêts ne peuvent que remonter : c’est ce qui s’est passé au Japon dès le lendemain de l’annonce du nouveau plan gouvernemental.

L'AMÉRIQUE LATINE, POINTE AVANCÉE DE LA CRISE DU SYSTÈME CAPITALISTE.

Pour l’instant l’effondrement des grandes économies capitalistes n’est encore qu’une menace, même si la crise est effectivement engagée sur différents plans. Mais pour certains pays dominés ou semi-dominés, cet effondrement est déjà la réalité. Les conséquences pour les masses en sont terribles. En Argentine, selon les critères officiels, la moitié de la population vit dans la pauvreté, et 30 à 40 000 Argentins ne survivraient qu’en triant les poubelles. Dans ce pays qui fut le plus riche d’Amérique latine, la sous alimentation touche nombre d’enfant, et la déscolarisation progresse rapidement.

L’effondrement du système bancaire en Argentine, au contraire de ce qu’a expliqué le FMI des mois durant, a fini par s’étendre à d’autres pays, en particulier l’Uruguay, où la monnaie nationale a perdu 97% de sa valeur depuis le début de l’année. Et pour éviter une faillite bancaire généralisée, le FMI s’est résolu en catastrophe à un envoi massif de liquidités. Puis la crise menaçant de rebondir au Brésil, le FMI a, durant l’été, accordé un prêt d’une ampleur exceptionnelle de 30 milliards de dollars afin d’éviter un effondrement du système financier brésilien. Cette intervention a eu lieu après que les principaux candidats aux élections générales (qui ont lieu le 6 octobre) se soient engagés –y compris le candidat du Parti des Travailleurs – à respecter les exigences du FMI.

L’ampleur des différents prêts accordés par le FMI – prêt dont le remboursement est garanti par les conditions drastiques imposées aux Etats emprunteurs, ayant trait en particulier aux réductions de dépenses budgétaires – montre la progressions des crises financières qui touchent nombre de pays. Entre avril 2001 et avril 2002, le FMI a débloqué 50 milliards de dollars (ceci donc sans compter le prêt de 30 milliards accordé au Brésil cet été), contre une vingtaine de milliards chacune des trois années précédentes, d’avantage même que lors de la crise dite "asiatique" de 1997-98.

Mais les interventions du FMI et le exigences dictées aux pays emprunteurs ne suffisent pas toujours à garantir les investissements faits dans un pays par les monopoles des puissances impérialistes. Ainsi nombre de banques et groupes industriels, notamment espagnols, ont essuyé de lourdes pertes en Argentine. La crise se répercute ainsi jusque dans les métropoles impérialistes.

"DOUBLE DIP" ET "TRAPPE À LIQUIDITÉ"

Les économistes bourgeois affectionnent pour illustrer leurs théories, le recours aux métaphores en tous genres, lesquelles ont l’avantage de camoufler l’essentiel. Ainsi ont-ils gravement disserté sur la forme que prendrait le développement de la crise actuelle et de la reprise, inévitable selon eux : crise en "U", ou crise en "V", forme rêvée parce que signifiant une reprise immédiate et forte, ou encore crise en "W", la plus inquiétante à leurs yeux. Ainsi La Tribune du 19 septembre explique-t-elle :
"La plupart des indicateurs économiques récemment publiés font craindre une nouvelle dégradation conjoncturelle tant aux Etat-Unis qu’en Europe. Après le recul des exportations et des investissements industriels en 2001, les observateurs les plus pessimistes s’inquiètent en effet d’un éventuel fléchissement de la consommation et du marché immobilier, ce qui pourrait conduire à un scénario en W (ou "double dip") dans lequel l’économie replonge après s’être redressée."
Mais comme le pire est à l’ordre du jour et que rien ne garantit une reprise finale, il ne reste plus à inventer que le "multiple dip", la rechute à répétition, ce que fait Stephen Roach, chef économiste de Morgan Stanley. Ce formalisme de pacotille, qui vise à mouler le développement du réel dans des scénarios préfabriqués, permet de faire l’économie des explications sur ce qui est en cours. Mais comme il faut bien donner quelques explications, on recourt à une autre métaphore : la trappe à liquidités dont le quotidien déjà cité, faisant appel à Keynes, nous dit que ce phénomène
"pose une limite à l’efficacité de la réduction des taux d’intérêts :lorsque ceux-ci descendent en dessous d’un certain seuil, la monnaie injectée dans l’économie est conservée par les agents (ménages et entreprises) ou bien investie à l’étranger sans contribuer à un redémarrage de l’activité. On aboutit donc à une situation où les taux d’intérêt sont si bas que la demande de monnaie en devient infiniment élastique. Le Japon est un parfait exemple de cette situation, avec une économie en quasi-stagnation depuis 1991 en dépit de taux d’intérêts réels négatifs depuis des années. Tous les instruments de politique économique à disposition des autorités publiques ont par ailleurs été massivement utilisés, avec notamment l’emploi de moyen budgétaires sans précédent (l’endettement public atteint aujourd’hui 130% du PIB)."

BAISSE DU TAUX DE PROFIT

L’ennui, c’est qu’il s’agit tout au plus d’un constat, non d’une explication. Or le constat est assez simple à faire pour les États-Unis: après 11 baisses effectuées depuis le début de l’année, les taux d’intérêts de la réserve fédérale américaine sont actuellement à 1,75%, leur plus bas niveau depuis quarante ans sans qu’il y ait eu reprise de l’investissement, tout au plus un rebond lié au maintien de la consommation et à la reprise du déficit budgétaire.

Mais une autre indication mérite attention, celle du taux d’utilisation des capacités de production aux Etats-Unis qui, en août dernier, a également baissé, à 76%. C’est là une indication d’un excédent manifeste des moyens de production. Or la seule baisse des taux d’intérêts ne saurait suffire à une "relance" de l’activité économique. Dans le mode de production capitaliste, la crise (phénomène spécifique à l’économie capitaliste) doit d’abord remplir, au moins partiellement, sa fonction "d’épuration": éliminer une grande partie des moyens de production vieillis ou excédentaires, la valeur de la force de travail (le capital "variable").

Or les causes de la crise qui s’est ouverte en 2001 sont les mêmes fondamentalement que celles de toutes les crises du mode de production capitaliste : la contradiction entre l’appropriation privée des moyens de production et le caractère social de la production, entraînant la surproduction par rapport aux besoins solvables –les seuls qui comptent pour le capital – entraînant la baisse du taux de profit : "On produit trop de moyens de travail et de subsistances pour les faire fonctionner comme moyens d’exploitation des ouvriers à un certain taux de profit" (Marx)

De ce point de vue, si la spéculation, inhérente au système de crédit, est une sphère autonome du mode de production capitaliste, elle n’est pas indépendante de celui-ci et, finalement de la production et de la réalisation de la plus value ; ainsi l’envol des cours boursiers, puis leur chute, sont en relation avec les dividendes servis et les taux d’intérêts – tout en amplifiant leurs variations de manière extraordinaire – et les dividendes dépendent aux-mêmes du taux de profit et, en dernière analyse, de la plus value provenant de la production une fois qu’elle est réalisée sur le marché. La relation entre le développement de la production, du crédit, de la spéculation, du capital fictif n’est pas forcément directe. Mais la base reste toujours la production.

Quelques données récentes éclairent ce processus. Selon une étude du cabinet Mercer Management portant sur 200 principaux groupes côtés en Europe, la marge réelle de ces groupes a augmenté en cinq ans, entre 1995 et 2000, de manière considérable, passant de 4% à 6,6% du montant des ventes. Durant ces mêmes cinq années, leur capitalisation totale a été multipliée par 4,3, passant de 1200 à 5200 milliards d’euro. La spéculation est donc allée dans le même sens que les profits, mais en les amplifiant. A l’issue de cette période, le bénéfice (lié à la marge nette mais aussi croissante du chiffre d’affaire) a ainsi augmenté moins vite que le cours des actions, et le ratio entre les deux est passé de 17 à 20. Avec la chute des profits, cette évolution n’a pu que s’accentuer. Selon une étude récente, l’estimation des bénéfices présents et à venir va continuer de décroître, de l’ordre de 25% à 35% pour les entreprises côtées sur les bourses européennes, ce qui ne peut que contribuer à la baisse du cours des actions.

Quant à la valeur de la force de travail, rien ne dit qu’elle ait assez baissée pour satisfaire les besoins du capital, et que le taux de profit ait été rétabli à un niveau suffisant. Certes des coups importants ont déjà été portés. Aux Etat-Unis, en même temps que le chômage augmentait, la productivité croissait de manière importante entre le printemps 2001 et le printemps 2002 : de 4,8% en un an, la plus forte hausse depuis fin 1983. Et les coûts salariaux ont baissé de 2,3% durant le même temps.

Mais à l’évidence, ceci est insuffisant et, en Europe comme aux États-Unis, les plans de licenciements se poursuivent tandis qu’une offensive générale est conduite dans quasi tous les pays contre les acquis fondamentaux que sont les retraites et les conventions collectives territoriales et de branches. Car la crise en cours est loin d’être finie. Il suffit de voir comment les compagnies d’assurances européennes, menacées par l’effondrement des cours des actions qu’elles détiennent en porte feuille, sont contraintes de procéder à des emprunts obligataires massifs, une véritable "course folle" aux capitaux selon un spécialiste. Il suffit de voir comment, en France, des groupes industriels prestigieux sont ainsi arrivés au bord de la faillite (Alcatel, Vivendi Universal) ou ne doivent leur survie qu’à l’intervention de l’État, comme France Télécom.

ENRON ET LES AUTRES

Le développement de la crise a d’ores et déjà conduit à des faillites spectaculaires, telles celle du géant texan Enron. Cette faillite a révélé le recours systématique aux fausses informations et aux bilans truqués. On a d’abord évoqué une exception, un mouton noir au pays du capitalisme propre… Mais ont suivi l’affaire de World Com, et la mise en cause du passé, comme dirigeants d’entreprises, de Geoges Bush et du vice-président Dick Cheney… Le congrès américain vient donc d’adopter une réforme, la loi Sarbanes-Oxley, qui renforce les sanctions contre les fraudes, comme s’il pouvait y avoir un capitalisme "propre".

Un article récent consacré au Japon montre que les faux bilans ne sont pas spécifiques aux Etats-Unis, qu’ils sont une pratique générale et que, dans une société fondée sur la recherche du profit, le faux bilan devient une nécessité pour survivre, ou tenter de survivre, en cas de crise : "Pour survivre, nombre de groupes japonais n’ont d’autres choix que de maquiller leurs bilans", en énumérant quelques uns des "artifices comptables en cours dans l’archipel".

De fait, les faux bilans ne sont qu’un moyens de tenter de reporter les échéances, et sont inhérents au fonctionnement même du capitalisme.

De même est-il inhérent au capitalisme, en particulier lorsqu’il est sous la menace d’une crise économique et financière aiguë, de chercher une issue sur le terrain de la guerre.

Un an après son offensive militaire contre l’Afghanistan, les préparatifs d’une intervention massive de l’armée américaine contre l’Irak s’accélèrent. Et si cette guerre impérialiste en préparation est déterminée par des objectifs politiques, intérieurs et extérieurs, qui doivent être précisés, ils ne sont pas indépendants de la situation économique et financière américaine, et de la menace d’une crise économique et financière majeure.


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