SOMMAIRE
CPS N° 78                                                                                              20 JUIN 1999


DÉFENSE DES ACQUIS OUVRIERS,
DÉFENSE DES SYNDICATS OUVRIERS ET LUTTE POLITIQUE

" Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux " Karl Marx et Friedrich Engels Manifeste du Parti Communiste

Les accords collectifs arrachés par la classe ouvrière (conventions collectives nationales, acquis codifiés par la loi) sont intimement liés à la constitution et au renforcement des syndicats ouvriers. Dans le même ouvrage, les auteurs expliquent :

" Les ouvriers commencent à former des coalitions contre les bourgeoisies. Ils s’unissent pour défendre leur salaire. Ils vont jusqu’à former des associations permanentes pour être prêts en vue de soulèvements éventuels. Ca et là la lutte éclate en émeute.

De temps à autre, les ouvriers triomphent, mais c’est un triomphe éphémère. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union de plus en plus large des travailleurs ".

Et dans Salaire, prix et profit, Karl Marx précise à propos des syndicats : " Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Ils manquent en partie leur but dès qu’ils font un emploi peu judicieux de leur puissance. Ils manquent entièrement leur but dès qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat ".
LE RÔLE DE LA COGESTION

Aujourd’hui, la mise en cause du système des qualifications garanties par les conventions collectives et des statuts nationaux au profit des " compétences " permet l’individualisation des salaires, de même que la modulation des horaires (" l’individualisation du temps de travail ") et organise le retour à l’atomisation de la classe ouvrière.

La négociation par les appareils syndicaux " d’accords " dont le contenu est la liquidation des contrats collectifs au profit de l’individualisation est un puissant facteur de destruction des organisations syndicales. À EDF-GDF par exemple, l’accord signé par tous les syndicats comporte en point 6 un " dispositif de contrôle de l’application de l’accord national et des accords locaux afin de s’assurer, à tous les niveaux, de la réalisation effective des objectifs de ces accords ".

Il est ainsi demandé aux organisations syndicales de cogérer la mise en oeuvre de l’aménagement du temps de travail qui organise la destruction du statut national des travailleurs d’EDF-GDF : flexibilité des horaires, annualisation du temps de travail, amplitudes pouvant aller au delà de 60 heures par semaine, baisse des salaires (baisse du nombre des heures supplémentaires, remise en cause des rémunérations complémentaires), blocage des salaires (" progression maîtrisée des rémunérations "), précarisation de l’emploi (" 1500 jeunes en permanence en formation en alternance "), embauches dont l’accord ne précise pas qu’elles doivent être statutaires, mise en place d’un " dispositif d’activités partagées " (polyvalence des agents de différents services publics dans le cadre des " maisons de services publics ").

Le point 3 de l’accord présente aussi les objectifs : " EDF et Gaz de France ont pour objectif d’améliorer leurs performances économiques au bénéfice de leurs clients et du pays... le gain de productivité résultant notamment de la réduction du temps de travail " en est le premier moyen. Sur cet objectif, les organisations syndicales sont chargées, dans le cadre de " groupes de contrôle ", d’organiser avec la direction, dans chaque unité, la concertation avec le personnel ; " le groupe de contrôle national composé des signataires de l’accord national est chargé de missions identiques à celles des groupes locaux (...) il effectue un premier bilan général de mise en oeuvre de l’accord national et des accords locaux dans le courant du dernier trimestre 1999 ".

Associer les syndicats à tous les niveaux et les agents eux-mêmes à leur propre exploitation, tel est le contenu de ce " nouveau partenariat social " que le patronat revendique depuis des années. Mais ce " syndicalisme " de cogestion, c’est la négation même du syndicalisme ouvrier. L’accord EDF-GDF précise : " les organismes statutaires seront régulièrement informés " : les réunions de délégués du personnel deviendront des chambres d’enregistrement. Quant au droit syndical, au droit de grève, sa mise en cause sera d’autant plus facilitée que les dirigeants des organisations syndicales se seront engagées dans cette pratique de cogestion. Or, nombreux sont les accords qui comme à EDF-GDF, à la Poste, prévoient l’asso-ciation des organisations syndicales au " contrôle et au suivi de l’accord ".

LA PRATIQUE RÉFÉRENDAIRE CONTRE LE SYNDICALISME OUVRIER

La pratique référendaire qui se développe avec la négociation de ces nouveaux " contrats " de destruction des garanties collectives des salariés va dans le même sens : organiser le retour à l’atomisation de la classe ouvrière. Ce qui s’est passé à Air-France a valeur de modèle. En novembre 1993, les appareils syndicaux liquidaient le mouvement spontané des travailleurs qui se mobilisaient contre les conséquences du plan Attali de restructuration (les travailleurs au sol envahissaient les pistes, bloquaient le trafic). Après avoir disloqué la grève, les appareils syndicaux enferment les travailleurs dans le cadre de la défense de l’entreprise, permettent à Christian Blanc d’élaborer dans " la concertation " un nouveau plan de rationalisation. Après avoir participé aux négociations jusqu’au bout, certains syndicats dont la CGT, le SNPL, la CFDT refusaient de signer l’accord. Cette participation aux négociations permettait à FO (majoritaire) et à trois autres syndicats de donner leur aval aux propositions du PDG. Ce dernier pouvait ainsi faire approuver son plan de mise en cause des acquis ouvriers par référendum (81% de oui sur 83% de votants). C’est une procédure du même type que les dirigeants CGT et la CFDT ont organisé à la SNCF après avoir mis toutes leurs forces pour casser le mouvement spontané des conducteurs.(1)

Dans un article du Monde (16/04/99) F.Lemaître explique : " Parce qu’ils remettent souvent en question l’organisation du travail, les 35 heures se prêtent évidemment à la consultation des salariés ". Et de citer nombre de cas où la liquidation des garanties collectives donne lieu à référendums organisés par les syndicats ou par les patrons. Ainsi l’article du Monde poursuit : " La CFDT y est globalement favorable : " La réduction du temps de travail est un sujet sensible qui bouleverse tellement de choses que nous sommes obligés d’en passer par là " affirme un délégué CFDT promu négociateur RTT (Réduction du temps de travail) dans le département de l’Ain. Chez Roset, il y avait plusieurs points qui nous gênaient : les horaires ont été modifiés du tout au tout et puis la pause de vingt minutes, par exemple a été sortie du temps de travail ". Toutes ces objections ont été balayées par le résultat : 75% des salariés ont approuvé l’accord assorti de 48 embauches proposé par la direction "

Et l’article poursuit : " Si les syndicats n’éprouvaient pas le besoin de consulter les salariés lorsqu’ils obtenaient de nouveaux acquis, cette vérification est devenue nécessaire dès lors qu’il s’agissait d’entériner des concessions ". La première fonction du référendum est donc de casser les mobilisations ouvrières. À GEC-Alstom Belfort, c’est par référendum qu’en 1994 la grève a été cassée et en 1998, le patron a eu recours à " un huissier pour organiser un référendum sur le temps de travail. "

Mais au delà, c’est une modification des " relations sociales ", du droit syndical qui est ainsi préparée dans le sens de ce que réclame ouvertement la bourgeoisie dans le rapport Boissonnat du Commissariat au plan : redéfinir " le droit de la négociation collective " qui apparaît trop comme " inutile et souvent nuisible " (...). " Une simple obligation générale de négocier (ou de consulter) de bonne foi en fournissant tous documents utiles devrait simplement suffire ".

Il faut en finir avec le " droit étatique, par nature uniformisant et centralisé "... " En revanche, il est recommandé que le système légal français s’oriente délibérément vers un véritable pouvoir de codétermination du personnel pour la mise en oeuvre de certains éléments de la gestion sociale, pour la mise en place du contrat d’activité, pour l’aménagement du temps de travail ".

L’APPAREIL DE LA CGT, AU SECOURS DU GOUVERNEMENT

Dans la mise en place des " réformes sociales douloureuses ", " le tournant de la CGT et son alliance avec la CFDT pourraient être à 1999 ce que la croissance a été en 1998 ". Telle est l’appréciation portée par un article de la revue Esprit. Cette revue du catholicisme social dans laquelle s’expriment des membres du PS mesure parfaitement le sens de cet alignement de la CGT sur la confédération cléricale : renforcer le soutien nécessaire au gouvernement au service du capital que dirige Jospin. La façon dont l’appareil CGT a mené (en corrélation avec les autres appareils syndicaux) les négociations à PSA et à Renault en est une claire illustration.

Un des objectifs du patronat de l’automobile en France est de rajeunir la pyramide des âges : la moyenne d’âge est de 45 ans chez Renault et de 43 ans chez PSA (alors qu’elle est inférieure à 30 ans dans les entreprises japonaises implantées en France). En 1996, les directions de Renault et Peugeot s’étaient adressées ensemble à Alain Juppé pour lui demander le financement par l’État de 40 000 départs à la retraite pour pouvoir embaucher 16 000 jeunes. En février 1997, Juppé annonçait son refus de " ce plan bien trop cher (40 milliards de francs) et politiquement invendable " selon Le Nouvel Économiste (26/03/99). Deux jours plus tard Renault annonçait la fermeture de l’usine belge de Vilvoorde.

Le même article intitulé " 35 heures dans l’auto-mobile : le grand marchandage " fait part de la même opposition de M.Aubry à financer le Fonds National pour l’Emploi (FNE). Et il précise " Mais la situation politique va contraindre (le ministre de l’emploi) à évoluer. Début décembre, le dossier des 35 heures bat de l’aile. La progression des accords signés est faible. Et quand les projets sortent comme chez Air-France ou EDF, c’est dans un climat polémique. C’est alors que Matignon a demandé qu’on accélère le dossier des préretraites pour faire aboutir rapidement des accords de réduction du temps de travail chez les constructeurs automobiles ". C’est d’ailleurs ce que confirme L’Humanité du 2 avril qui cite les propos qu’aurait tenu M.Aubry  " Négociez les 35 heures et repassez nous voir après ". Cette dernière reçut immédiatement l’appui des appareils fédéraux qui réclamèrent l’ouverture de négociations " sur les 35 heures ".

Durant de nombreux mois chez Peugeot comme chez Renault, le terrain avait été préparé. Chez PSA le 11 septembre 1998, un accord est signé entre la direction et la CGT : le patron Martin Folz, menacé d’être lourdement condamné par les tribunaux pénaux pour " discrimination " envers les militants CGT, acceptait de financer des augmentations de salaire et des dédommagements ; la CGT arrêtait la procédure qu’elle avait engagé. Le même jour, le PDG annonçait l’ouverture de négociations sur les 35 heures. Chez Renault, les négociations sur la RTT, ouvertes le 2 février 1998, font suite à dix mois de négociations sur " l’emploi et les conditions de travail ", ce qui permettait au patron de dire : le travail " est bien avancé ".

La direction de la CGT n’a pas signé l’accord Renault. Mais en participant aux négociations jusqu’au bout, elle a permis à la CFDT, à FO, à la CGC, à la CFTC de signer. Quelles sont donc ses motivations ? Le même numéro du 2 avril de L’Humanité en donne les véritables raisons :

" Aujourd’hui, chez Renault sonne l’heure de la signature de l’accord sur la réduction du temps de travail. Et déjà, rue de Grenelle on distingue très nettement le pas des constructeurs automobiles revenant à la charge sur les préretraites. L’accord qui doit être ratifié (...) est conclu sous la condition suspensive de la conclusion d’un accord professionnel permettant pendant cinq ans de 1999 à 2003 inclus, la mise en congé, sur la base du volontariat, de 10 500 salariés en fin de carrière (...) le gouvernement n’a peut-être plus aujourd’hui la possibilité de louvoyer (...) constructeurs et pouvoirs publics poursuivent désormais le bras de fer sur la prise en charge des retraites (...) Et l’article de conclure : " Négociez donc et nous repasserons vous voir après ! " Aider le gouvernement à " louvoyer ", à trouver une " solution négociée " avec les constructeurs, lui donnant les moyens de poursuivre dans la mise en oeuvre jusqu’au bout de la loi Aubry pour disloquer les acquis ouvriers, tel est l’objectif de l’appareil CGT.

RENAULT V.I. : UN RÉFÉRENDUM POUR METTRE EN CAUSE LE DROIT SYNDICAL

C’est chez Renault V.I. qu’ont eu lieu les dernières négociations concernant le secteur de l’automobile. Comme ailleurs, les appareils se sont heurtés à la résistance des travailleurs. Ils ont multiplié les journées d’action, les débrayages enfermant les travailleurs dans le dispositif gouvernemental de mise en oeuvre de la loi. Après avoir participé jusqu’au bout aux négociations, à la veille de la date de signature de l’accord, la CGT et la CFDT organisaient une consultation dans la plus pure tradition du référendum-plébiscite. Chaque salarié était invité à répondre par oui ou par non à deux questions liées " contre l’accord et pour la poursuite des négociations ". Sur 67,36% de votants (ensemble du groupe RVI), 83,08% se prononçaient " contre le projet et pour la poursuite des négociations ". Le lendemain, le 15 avril, l’accord était signé par FO, la CFTC, la CGC. La consultation avait plusieurs objectifs. Pour briser la résistance des travailleurs, il fallait les enfermer dans l’orientation des appareils CGT et CFDT (obtenir un " bon accord ") ; leur interdire tout combat sur une ligne de classe :

" - Aucun accord d’application de la loi Aubry

- Front unique pour exiger l’abrogation de cette loi. ".

Mais qu’est-ce qu’un " bon accord " pour l’appareil CGT ? C’est un accord qui correspond aux besoins du gouvernement , c’est-à-dire qui lui permette de mettre en oeuvre un programme de défense des intérêts généraux du capital financier. Or, le secteur de l’automobile est encore un " canard boiteux " qui souffre d’une concentration insuffisante et de surcapacités de production (surcapacités évaluées par la Commission européenne à 30% en Europe contre 8% aux États-Unis). Le gouvernement et Martine Aubry s’abritent derrière la Commission européenne qui veut que l’aide publique aux entreprises soit limitée. Dans le cas présent, le poids et les intérêts des groupes allemands s’imposent (le chiffre d’affaire de VW - sixième groupe mondial - est quasiment le double de celui de Renault- onzième rang). De plus, le " grossissement " et la concentration nécessaires des constructeurs (tels Renault et PSA) passe obligatoirement par des mesures augmentant le temps d’utilisation des machines, ce qui induit une intensification du travail et la poursuite de licenciements massifs. Ce dernier point rend d’autant plus évidente la publicité mensongère, selon laquelle la loi sur les 35 heures créerait des emplois.

L’organisation du référendum chez RVI avait donc un deuxième objectif : engager une procédure en justice " d’opposition " à l’accord. Un tract CGT-CFDT-UGICT/CGT du groupe RVI daté du 20 avril annonce que le 16 avril (lendemain de la signature de l’accord), la CGT et la CFDT rencontraient les avocats en ce sens.

Cette opposition à l’accord signé n’a bien entendu pas pour objectif de combattre contre la loi Aubry, pour son abrogation, en défense des acquis ouvriers. Il s’agit de " faire respecter la représentativité des organisations syndicales majoritaires... et le vote des salariés lorsqu’ils se prononcent majoritairement contre l’application d’un texte ce qui est le cas chez Renault-VI ".

Or l’Hebdo-La Vie Ouvrière CGT du 5 février publie un article de deux pages qui explique que les règles actuelles de représentativité des syndicats sont un obstacle à la signature des accords de liquidation des conquêtes ouvrières. En effet, la loi définit la représentativité des organisations syndicales à l’échelle nationale et un accord collectif est valable dès lors qu’il est signé par une organisation représentative. Cette définition correspond au fait que la classe ouvrière était parvenue à imposer qu’un accord collectif ne pouvait être moins favorable que la loi. Ainsi, la signature d’un accord d’entreprise ou de branche par un syndicat minoritaire s’appliquait à tous les travailleurs de l’entreprise ou de la branche et il apportait à tous une amélioration des avantages acquis. Or, aujourd’hui, les accords collectifs d’application de la loi Aubry sont le moyen de détruire les conventions collectives, les acquis codifiés par la loi et la loi elle-même. C’est ce que l’article de la V.O. exprime en ces termes :

" Selon nous, les critères de la représentativité combinés aux règles de validité des accords collectifs ne garantissent plus la légitimité de ceux-ci. Compte tenu de la tendance actuelle de la négociation collective à donner naissance à des accords dérogatoires et autres avenants régressifs, il faut pouvoir s’assurer de l’adhésion de la majorité des salariés concernés (voir notre proposition de loi ci-contre) " Afin que les accords de destruction des acquis ne puissent être contestés, l’appareil de la CGT élabore un projet de loi pour modifier les règles de conclusions de conventions ou d’accords collectifs. Selon ce projet, les organisations syndicales de salariés signataires seraient représentatives si elles ont recueilli " plus de la moitié des suffrages exprimés lors des dernières élections du Comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel ". Si cette représentativité ne peut être mesurée ainsi, " l’accord est subordonné à l’approbation d’un majorité de salariés consultés par référendum dont les modalités sont fixées par accord avec le chef d’entreprise ". Permettre au gouvernement de modifier le Code du travail sur la représentativité syndicale en introduisant des critères locaux de représentativité ne correspond en rien à une amélioration de la démocratie ouvrière. C’est une nouvelle mise en cause des syndicats par la généralisation de la procédure référendaire. Tel est donc l’un des objectifs fondamentaux de la consultation organisée chez RVI. En effet, la représentativité d’entreprise participe du processus d’atomisation de la classe ouvrière ; c’est le moyen pour mettre en cause la représentativité nationale des syndicats, pour détruire les conventions collectives nationales. Dans un premier temps, elle ne peut que favoriser la constitution de syndicats locaux, de syndicats maison. Elle permet d’avancer vers la destruction des fédérations d’industrie et de modifier le caractère ouvrier des Confédérations.

Par ailleurs, les directions de la CGT et la CFDT RVI Saint-Priest décidaient de s’adresser aux députés socialistes et communistes des circonscriptions où RVI est implanté afin " qu’ils interviennent sur le chantage effectué par la direction de Renault-VI tant au niveau des salariés que du gouvernement et des organisations syndicales, concernant le lien entre le projet de rajeunissement des effectifs et l’accord sur la RTT ". L’accord comporte en effet une clause suspensive : il peut être remis en cause si le patronat de la métallurgie (UIMM) n’obtient pas, auprès du gouvernement, les gages nécessaires au financement du rajeunissement des effectifs. Alléger la pression qu’exercent, sur le gouvernement, " des constructeurs revenant à la charge sur les préretraites ".tel est le troisième objectif de ce référendum. Sur tous les terrains, l’intervention des appareils syndicaux est totalement indispensable à la mise en oeuvre de la politique de ce gouvernement.

LUTTE ÉCONOMIQUE OU LUTTE POLITIQUE

La défense des acquis économiques de la classe ouvrière est indissolublement liée à la défense de ses organisations de classe, dont font partie les syndicats ouvriers. Dans Misère de la Philosophie, Karl Marx en donne les fondements :

" Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu’ils (les ouvriers) ont contre leur maître, les réunit dans une même pensée de résistance-coalition. Ainsi, la coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la concurrence pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de résistance n’a été que le maintien du salaire, à mesure que les capitalistes à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions, d’abord isolées, se forment en groupe, et face au capital toujours réuni, le maintien de l’association devient plus nécessaire pour eux que celui du salaire. Cela est tellement vrai que les économistes anglais sont tout étonnés de voir les ouvriers sacrifier une bonne partie du salaire en faveur des associations qui, aux yeux de ces économistes, ne sont établies qu’en faveur du salaire. Dans cette lutte - véritable guerre civile - se réunissent et se développent tous les éléments nécessaires à une bataille à venir. Une fois arrivée à ce point là, l’association prend un caractère politique. " Ce que constatait Karl Marx à l’époque des balbutiements du mouvement ouvrier dans le cadre d’un capitalisme ascendant doit être rappelé avec force à l’époque du capitalisme pourrissant. En août 1940, Léon Trotsky expliquait qu’à l’époque de la décadence impérialiste il y a une tendance au rapprochement et à l’intégration des syndicats au pouvoir d’État. Il en donnait ainsi les bases matérielles et politique : " Le capitalisme monopolisateur n’est pas fondé sur la concurrence et sur l’initiative privée, mais sur un commandement central. Les cliques capitalistes, à la tête de trusts puissants, des syndicats, des consortiums bancaires, etc... contrôlent la vie économique au même niveau que le pouvoir d’État, et, à chaque instant, elles ont recours à la collaboration de ce dernier. À leur tour, les syndicats, dans les branches les plus importantes de l’industrie, se trouvent privés de la possibilité de profiter de la concurrence entre les diverses entreprises. Ils doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l’État. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes - c’est-à-dire sur des positions basées sur l’adaptation à la propriété privée - la nécessité de s’adapter à l’État capitaliste et de tenter de coopérer avec lui. " Aujourd’hui, l’offensive contre les conquêtes fondamentales de la classe ouvrière est ordonnée par les plans et lois décidés par le gouvernement de défense du capital que dirige Jospin. Il ne peut y avoir de combat en défense des acquis économiques du prolétariat sans combat pour la rupture des dirigeants syndicaux avec l’État bourgeois. Trotsky précisait : " On pourrait estimer qu’en l’absence de démocratie ouvrière, il ne peut y avoir de lutte ouverte pour exercer une influence sur les membres des syndicats et que de ce fait, l’arène principale du travail révolutionnaire au sein des syndicats disparaît. Une telle position serait fondamentalement fausse (...). Dans la lutte pour mobiliser les masses " contre la bourgeoisie et contre le régime totalitaire régnant dans les syndicats eux-mêmes et contre les leaders qui renforcent ce régime (...) le mot d’ordre essentiel (...) est: indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis à vis de l’État capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d’une aristocratie ouvrière. " Le combat pour la mobilisation des masses en défense de leurs conquêtes est intimement lié à la lutte pour qu’elles se réapproprient leurs organisations syndicales. Il doit être totalement orienté sur la nécessité que les dirigeants syndicaux rompent avec le gouvernement. À propos de la mise en oeuvre de la loi Aubry, la première exigence à adresser aux dirigeants nationaux (et aux dirigeants des syndicats d’entreprise) est :

-exigez l’abrogation immédiate de la loi Aubry dite " des 35 heures " !

-prononcez vous contre tout projet de " deuxième loi " !

Ces mots d’ordre expriment la rupture des dirigeants avec l’État capitaliste et le gouvernement PS-PCF-RCV à son service. De là découle le combat pour qu’ils boycottent toutes les négociations d’application de la loi, qu’ils dénoncent la totalité des accords signés. Inverser les paramètres, c’est, de fait, se situer sur le terrain de ce que Lénine appelait " l’économisme " : " rabaisser nos tâches politique et d’organisation aux intérêts immédiats de la lutte économique courante ". Et Lénine fustigeait ceux qui restreignaient le travail d’organisation des révolutionnaires à la " lutte économique contre le patronat et le gouvernement ". Il leur opposait la méthode de la social-démocratie allemande:

" Pourquoi n’y a-t-il pas un seul événement politique en Allemagne qui ne contribue à renforcer le prestige de la social-démocratie ? Parce que la social-démocratie est toujours la première à donner l’appréciation la plus révolutionnaire de cet événement.... Elle ne se berce pas de l’illusion que la lutte économique fera penser les ouvriers à leur absence de droit, et que les conditions concrètes poussent fatalement le mouvement ouvrier dans la voie révolutionnaire ". Lénine Que faire ? En 1940, Trotsky précisait : " Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. " Mais " l’indépendance des syndicats dans un sens de classe, dans leurs rapports avec l’État bourgeois ne peut être assurée dans les conditions actuelles que par une direction complètement révolutionnaire ".

Le combat pour la construction de cette direction (le Parti Ouvrier Révolutionnaire) exige d’orienter en permanence la lutte pour la défense des conquêtes du prolétariat (dont font partie les syndicats) pour que les dirigeants rompent avec l’État bourgeois et tout gouvernement à son service.

Cela implique de mener une lutte acharnée contre la cogestion et toute pratique référendaire car elles ou

vrent la voie " au rapprochement et à l’intégration des organisations syndicales au pouvoir d’État ".

25 mai 1999.

(1) En ne participant pas au référendum organisé par l’appareil CGT et la CFDT, la majorité des cheminots à refusé de cautionner la signature de l’accord sur le temps de travail à la SNCF (plus de la moitié des cheminots n’y a pas participé ; 40% des votants se sont exprimés contre l’accord ; 70% des cheminots soit en votant contre, soit en refusant de voter ont rejeté l’accord signé par la CGT et la CFDT. Ce refus de participer exprime le rejet d’une pratique qui conduit à l’atomisation de la classe ouvrière, à sa soumission aux besoins du capital : en finir avec les revendications catégorielles, les grèves, tel est l’objectif donné par l’Humanité du 2 juin.

Le Peuple du 9 juin publie les propositions de l’appareil CGT concernant la deuxième loi Aubry. On y lit entre autre : " la négociation n’a plus seulement pour objet l’acquisition des garanties nouvelles " mais la négociation de mesures " pas forcément favorables aux salariés ". Il convient donc de modifier le droit actuel au profit d’un droit " favorisant l’aval de la collectivité de travail ". Et l’édito de faire référence à la consultation organisée à la SNCF. Gageons que le ministre Aubry trouvera là un point d’appui pour avancer dans le cadre de la deuxième loi vers la mise en cause des syndicats nationaux.

Le rejet de la politique de coopération des dirigeants syndicaux avec le gouvernement qui s’est exprimé par le refus de participer au référendum de 53% des cheminots, l’opposition à l’appareil CGT de nombreux militants et de sections syndicales participe du même processus. Il faut l’aider à s’organiser en lui offrant une perspective politique.



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