SOMMAIRE
CPS N° 78                                                                                              20 JUIN 1999


ALLEMAGNE : LE PROLÉTARIAT RÉUNIFIÉ
ET LA QUESTION DU POUVOIR

Faute de place dans le numéro précédent, CPS n’a pu publier un article sur l’Allemagne rédigé en février dernier. Nous le publions néanmoins tel quel ; le numéro 79 de CPS reviendra sur les développements ultérieurs. En effet, afin de comprendre les nouveaux développements (victoire de la CDU en février aux élections régionales de la Hesse, démission d’Oskar Lafontaine le 11 mars de son poste de ministre des finances et de la présidence du SPD, sévère défaite du SPD aux élections européennes, plan d’austérité d’au moins 30 milliards de marks qui sera présenté par le gouvernement Schröder le 30 juin...) il est indispensable de faire une présentation précise de la situation issue des législatives de septembre 1998 et ce d’autant plus que les rapports entre la classe ouvrière et la bourgeoisie ne sont pas fondamentalement modifiés.

Le programme que le gouvernement Schröder veut engager contre les masses, au compte du capital implique de " rompre avec l’identité du SPD ". En 1959, au congrès de Bad-Godesberg, toute référence au marxisme a été coupée. Aujourd’hui la ligne de la " troisième voie " suppose d’aller plus loin : ôter au SPD toute référence ouvrière afin qu’en l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, toute expression politique de classe soit interdite au prolétariat allemand. C’est une crise ouverte au sein du SPD qui s’annonce d’ores et déjà, alors même que le gouvernement Schröder s’engage dans un affrontement ouvert avec le prolétariat unifié d’Allemagne. Plus que jamais, la question du pouvoir se pose au prolétariat allemand.

19 juin 1999
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Neuf ans après la chute du mur de Berlin, que reste-t-il de la mobilisation des masses qui ont manifesté durant l’année 1989 sous le mot d’ordre " Wir sind das Volk " puis " Wir sind ein Volk " (Nous sommes le peuple, nous sommes un peuple) ? Après l’absorption de la RDA par la RFA, la restauration du capitalisme dans les nouveaux Länder, la liquidation massive de la plupart des sites industriels, le chômage massif (environ 20% de la population active dans les nouveaux Länder) on serait tenté de répondre : bien peu de chose.

Ce qui en reste est en quelque sorte illustré par le résultat des législatives du 27 septembre 1998 : la défaite cinglante d’Helmut Kohl et de la coalition CDU-CSU. Pour chasser ce gouvernement, les masses ont voté pour le SPD. Alors même que le SPD s’était opposé à la réunification de l’Allemagne, alors qu’il a soutenu jusqu’au bout le gouvernement Kohl, en l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, le prolétariat unifié d’Allemagne utilise le vieux parti social-démocrate pour tenter de résoudre la question du pouvoir.

" Un événement historique ", " la fin d’une époque " telles sont les appréciations qui ont fusé dans la presse bourgeoise sur le résultat des élections au Bundestag du 27 septembre 1998. En quoi les élections allemandes constituent-elles un événement historique ?

La presse a relevé le fait que les élections ont mis fin au gouvernement du chancelier Kohl (le plus long depuis Bismarck) et à une coalition gouvernementale qui s’était maintenue au pouvoir plus longuement que toute autre depuis 1949. Pour la seconde fois depuis 1949 le SPD devançait la CDU-CSU ; mais alors qu’en 1972 le parti de Willy Brandt et de l’Ostpolitik ne devançait la CDU-CSU que de justesse (45,8% contre 49,9%), cette fois l’avance est beaucoup plus nette (5,8 points). Et surtout ce changement brutal (-6,3 points pour la CDU-CSU  +4,5 points en faveur du SPD) s’opère dans l’Allemagne réunifiée. Le 10 novembre 1989 la chute du mur de Berlin était le produit de la mobilisation des masses.

Mais en l’absence de direction révolutionnaire permettant au prolétariat unifié d’Allemagne d’engager la lutte pour son propre pouvoir, la réunification de l’Allemagne s’est effectuée dans le cadre de l’État bourgeois allemand. Le combat contre le mouvement des masses mené par le SPD permettait les victoires électorales successives de la coalition bourgeoise CDU-CSU dirigée par E. Kohl.

Les résultats de septembre 1998 sont une véritable débâcle pour la CDU des rangs de laquelle les chanceliers sont sortis pendant trente-six ans et pour E Kohl qui durant plus de dix ans a tiré profit du soutien apporté par le SPD et l’appareil du DGB (la Confédération syndicale du prolétariat allemand). Le 29 janvier 1996, sous le patronage du gouvernement Kohl, le DGB signait avec le patronat un " Pacte pour l’emploi et le renforcement de la compétitivité ". Ce véritable " pacte politique " permettait au gouvernement Kohl de présenter le 25 avril un plan d’austérité sans précédent contre le prolétariat allemand. L’Expansion considérait ce plan d’attaque comme un véritable plan de " refondation de l’État allemand " (Cf. l’article paru dans CPS n° 64 du 16/9/1996). Le 26 mai, devant le Bundestag, Kohl justifiait ainsi son plan d’économies budgétaires et sociales de 50 milliards de Deutschmark sur les dépenses de 1997 : " ramener le niveau des dépenses publiques à la fin de cette décennie, c’est-à-dire dans quatre ans, à 46% du PIB ". Cela suppose " pour l’État fédéral, les Länder et les communes mais aussi pour la Sécurité sociale, une limitation stricte des dépenses ". Réduire les déficits publics, réduire de façon drastique " le coût du travail " et au-delà " modifier l’approche des problèmes économiques en Europe ", tel était le rôle du " véritable chef politique " en Europe que l’impérialisme assignait au gouvernement Kohl. " Kohl the knife " (Kohl le couteau) c’est ainsi que le qualifiait le journal du capital financier Business-week.

Attaché à la défense du capitalisme, le SPD et le DGB ont protégé le gouvernement CDU-CSU-FDP dirigé par E. Kohl, alors qu’en juin 1996, la mobilisation du prolétariat unifié de toute l’Allemagne le mettait en cause : " Kohl dehors ", " Grève générale maintenant " tels étaient les mots d’ordre que l’on pouvait lire sur les pancartes et les banderoles brandies par les 350 000 manifestants qui convergeaient sur Bonn le 15 juin 1996. Mais, si le DGB (appuyé par le SPD) était contraint d’appeler à cette manifestation nationale (la plus importante de l’après-guerre), le DGB (chacune de ses fédérations et en particulier celle de la fonction publique l’ÖTV) refusait d’appeler à la grève générale de l’ensemble des travailleurs de toute l’Allemagne, contre le plan d’austérité, pour chasser Kohl et la coalition bourgeoise CDU-CSU-FPD.

L’appareil du DGB et en premier lieu son président Dieter Schulte mesurait parfaitement les enjeux et la puissance du prolétariat allemand en déclarant à l’adresse du gouvernement Kohl : " les grèves de novembre-décembre en France ne seront qu’une pâle copie de ce à quoi l’Allemagne se prépare si vous refusez de reculer ".

En défense de " la paix sociale " le DGB et ses fédérations ont utilisé tout leur poids pour maintenir le conflit ouvert entre le prolétariat unifié d’Allemagne et le gouvernement CDU-CSU d’E.Kohl dans le cadre des relations sociales liées à la cogestion et à " l’économie sociale de marché ". Ils ont réussi à interdire la grève générale, à sauver le gouvernement Kohl qui a ainsi pu faire adopter l’essentiel de son plan le 26 mai 1996 devant le Parlement fédéral.

Au nom d’une " répartition différente " des sacrifices, le SPD ne s’est jamais opposé sur le fond au plan d’austérité de Kohl ; mais confronté à la puissance du prolétariat unifié, et malgré le soutien sans faille du SPD, de l’appareil du DGB, la mise en œuvre des réformes nécessaires à l’impérialisme allemand, s’est, selon les propres termes de la bourgeoisie, " enlisée ". Ainsi dans un discours prononcé à Berlin en 1997, Roman Herzog, Président de la République fédérale se faisait-il le porte voix du scepticisme de la bourgeoisie : " Que vois-je en Allemagne ? Le refus du découragement s’impose. On se livre à des scénarios de crise. Un sentiment de paralysie s’étend sur notre société. Nous sommes confrontés aux défis les plus importants depuis cinquante ans : le chômage, l’érosion du système de sécurité sociale sous l’effet d’une pyramide qui repose sur la tête, le défi économique, technique et politique de la globalisation ".

En novembre 1997, le mouvement des étudiants allemands cherchait à se centraliser contre le gouvernement Kohl. En atteste leur mot d’ordre " Voulez-vous un deuxième automne allemand ? " faisant explicitement référence aux manifestations de Leipzig qui huit ans auparavant avait conduit à la chute de la RDA. En septembre 1998, la classe ouvrière et la jeunesse ont cherché, sur le terrain des élections, à s’ouvrir une issue politique en votant SPD, ils ont chassé le gouvernement Kohl.

Pour les bourgeoisies européennes l’offensive généralisée contre leur prolétariat doit redoubler et détruire les acquis économiques et sociaux issus de la vague révolutionnaire de l’après-guerre. Le rôle de " leader politique " que l’impérialisme assignait au gouvernement Kohl impliquait que ce gouvernement tente d’infliger une défaite politique au prolétariat allemand réunifié.

" Le prolétariat allemand est le prolétariat décisif en Europe ", tel était le titre de l’article de CPS en septembre 1996. Cet article se terminait ainsi : " L’histoire a montré que le prolétariat allemand est le prolétariat décisif en Europe ; l’issu des affrontements entre le prolétariat réunifié et le chef de file des impérialismes européens aura des conséquences sur l’ensemble des prolétariats d’Europe ".

Pour les marxistes les élections sont le reflet déformé des rapports entre les classes à un moment donné. C’est à l’échelle de l’ensemble de ces développements que doivent être analysés les nouveaux rapports politiques issus des élections législatives de septembre 1998, la défaite cinglante imposée sur le terrain électoral par le prolétariat allemand réunifié au " chef politique " de l’Europe des capitalistes.

LE PROLÉTARIAT UNIFIÉ ET LA QUESTION DU POUVOIR

Le 27 septembre 1998, les résultats des élections législatives en Allemagne constituaient une défaite cuisante pour la démocratie chrétienne et le gouvernement d’Helmut Kohl.La participation au scrutin est importante : 82,2% de votants (77,8% en 1990 ; 79,1% en 1994). La CDU-CSU réalise le plus mauvais score de son histoire (sauf en 1949), histoire liée à celle de la RFA créée en 1949 sur la base de la partition de l’Allemagne. Le tableau ci-dessous permet d’apprécier le tournant que constituent les élections de septembre 1998 par rapport aux législatives de 1994. On ne peut effectuer une comparaison à l’échelle des cinquante dernières années (cf. 2ème tableau) sans prendre en compte le fait que la réunification de l’Allemagne ouvre une nouvelle période à partir de 1989/90.

Les élections au Bundestag du 27 septembre 1998
 Voix%/1994Sièges/1994
Inscrits60 762 751    
Votants49 947 08782,2+ 3,2  
Nuls638 5751,3   
Exprimés49 308 512    
SPD Parti social-démocrate20 181 26940,9+4,5298+46
CDU Union chrétienne-démocrate14 004 90828,4-5,8198-46
CSU Union chrétienne sociale3 324 4806,7-0,547-3
Grünen-Verts3 301 6246,7-0,647-4
FDP parti libéral3 080 9556,2-0,743-2
PDS ex-communistes2 515 4545,1+0,736+6
DVU- extrême droite601 1921,2+1,20=
REP Républicains extrême droite906 3831,8=0=
Autres1 392 2473=0=

Résultats aux élections fédérales de 1949 à 1998 (en % des votants)

RFA Allemagne réunifiée
 
 
1949
1953
1957
1961
1965
1969
1972
1976
1980
1983
1987
1990
1994
1998
CDU/CSU
31
15,2
50,2
45,3
17,6
46,1
44,9
48,6
44,5
48,8
44,8
43,8
41,5
35,1
SPD
29,2
28,8
31,8
36,2
39,3
42,7
45,8
42,6
42,9
38,2
37,0
33,5
36,4
40,9
FDP
11,9
9,5
7,7
12,8
9,5
5,8
8,4
7,9
10,6
7,0
9,1
11,0
6,9
6,7
Verts        
1,5
5,6
8,3
1,2
7,3
6,2
KPD
5,7
2,2
            
PDS           
2,4
4,4
5,1
Autres
27,9
16,5
10,3
5,7
3,6
5,4
0,9
0,6
0,5
0,5
1,3
8,1
1,4
6

Source : Office fédéral de la Statistique.

Les partis traditionnels de la RFA (CDU-CSU et parti libéral FPD) perdent 13% (8,7% et 4,3%) par rapport à 1990 (premier scrutin dans le cadre de l’Allemagne unifiée) et 6,6% par rapport à 1994.

Le SPD gagne 4,3% par rapport à 1994 et 7,4% par rapport à 1990. Sa victoire est encore plus évidente si l’on considère le nombre de sièges obtenus avec la " première voix ". Dans les 328 circonscriptions le SPD a 258 élus directs contre 66 seulement à la CDU et 4 au PDS (tous à Berlin-Est). Helmut Kohl est battu à Ludwigshafen dans la circonscription qu’il avait prise au SPD en 1990. La CDU n’arrive en tête qu’en Bade-Wurtemberg, Bavière et Saxe, soit 3 Länder sur 16.

Il faut rappeler que selon le système électoral allemand, chaque électeur dispose de deux voix. Avec la première, il élit au scrutin uninominal majoritaire à un tour le député de sa circonscription qui obtient ainsi un mandat direct. Avec la seconde, il vote à l’échelon du Land, cette fois, pour la liste des candidats d’un parti.

Dans chacune des 328 circonscriptions, un député est ainsi élu à la majorité relative. Ceux élus directement ne représentent que la moitié des sièges au Parlement Fédéral. L’autre moitié est constituée par les députés élus au titre du second vote. Dans un dossier sur l’évolution des forces politiques en Allemagne publié par la Documentation Française, l’auteur commente  :

" Le caractère proportionnel du système rend généralement impossible l’obtention de la majorité absolue des députés par un seul parti. L’alliance est presque toujours obligatoire. En dehors de l’hypothèse d’une " grande coalition " (CDU/CSU-SPD) comme entre 1966 et 1969, l’allié ne peut être qu’un petit parti. Encore faut-il qu’il dépasse la barre des 5% (...) on voit fréquemment, lors des campagnes électorales, les petits partis inviter les électeurs des grands partis à leur accorder leur second suffrage (...) Une partie des électeurs portent leur premier suffrage sur le candidat d’un parti (compte tenu qu’un autre candidat n’a en général aucune chance) et leur second suffrage sur la liste d’un petit parti (par exemple un sympathisant FDP donnera son premier suffrage à la CDU, un sympathisant Vert (...) le donnera au SPD. Les seconds suffrages sont plus significatifs de l’influence respective des partis. " Le mode de répartition des sièges est proportionnel avec répartition des restes. Ce mode de scrutin rend difficile l’obtention de la majorité absolue de députés pour un seul parti.

Le nombre total de sièges (élus au scrutin majoritaire uninominal et élus sur liste régionale) de chaque parti dans l’ensemble de l’Allemagne est calculé proportionnellement aux résultats obtenus par le second vote. Or en septembre 1998, le SPD gagne 4,5% des voix, la CDU-CSU en perd 6,3%, le FDP 0,7% et les Verts 0,6%. C’est incontestablement un vote pour un gouvernement du SPD et du SPD seul qu’ont exprimé les masses populaires !

Dans les Länder de l’ex-RDA, on observe un retournement complet des résultats : la classe ouvrière a massivement voté pour le SPD. Il fait 36,5% des exprimés (-4,4% par rapport à la moyenne nationale) contre 24,3% en 1990 (-9,2% par rapport à la moyenne nationale).

Il n’est pas inutile de rappeler que des années durant, les dirigeants du SPD ont milité pour le maintien de la division de l’Allemagne. Après la reconnaissance de la RDA par le gouvernement de Willy Brandt (signature du traité fondamental entre la RFA et la RDA en 1972), le SPD noue des contacts de plus en plus étroits avec le parti stalinien (le SED) au nom du " dialogue entre les deux systèmes ". Alors qu’à la frontière entre la RFA et la RDA des garde-frontières est-allemands tirent à vue sur ceux qui tentent de quitter la RDA, les dirigeants du SPD affirment en 1987 : " les sociaux démocrates et les communistes se réfèrent à l’héritage de l’humanisme européen " ! De 1987 à 1989, alors que le gouvernement Kohl est à bout de souffle, les dirigeants du SPD s’engagent ouvertement contre la mobilisation des masses en RDA et s’opposent à l’unification. En 1988 le père de " l’Ostpolitik " W.Brandt déclare que poser la question de l’unité allemande revient à porter préjudice au processus de détente et de désarmement en Europe. Le 1er octobre 1989 il invite les Allemands à cesser de " rêver et de parler de l’unité ". Le 9 novembre, les masses franchissaient le mur de Berlin.

Aux législatives de 1990, O.Lafontaine orientait toute sa campagne sur les dangers et les coûts de la réunification imposée. Ainsi, alors que les résultats de nombreuses élections partielles laissaient présager que le SPD gagnerait la majorité au Bundestag, il perdit 4% des voix par rapport à 1987. Dans ces conditions, le gouvernement Kohl eut les moyens d’exploiter l’aspi-ration à l’unification. Par trois fois, les partis bourgeois remportèrent des victoires électorales écrasantes. En 1990 les ouvriers dans la partie Est votaient à 48% pour la CDU et à 25% pour le SPD. Ils étaient encore 39,1% à voter CDU-CSU en 1994 (31,9% à l’Ouest) contre 36,1% pour le SPD (53,7% à l’Ouest).

En septembre, en votant SPD, le prolétariat unifié d’Allemagne confronté aux attaques du gouvernement Kohl a cherché à s’ouvrir une issue politique. Ce n’est pas un vote pour le programme du SPD et de Schrö-der ; c’est un vote classe contre classe : en l’absence de parti ouvrier révolutionnaire le prolétariat allemand utilise le vieux parti social démocrate aussi pourri soit-il pour infliger une défaite aux partis bourgeois CDU-CSU et FPD et chasser Kohl " the Knife ".

LES VERTS ET LE PDS : DES PARTIS BOURGEOIS.

En décembre 1994, Der Spiegel publiait un article qui met en évidence le caractère bourgeois des Verts. Si les premiers Verts " avaient des dégaines gauchistes " (...) " arpentaient pieds nus les salles de réunions du Conseil municipal ", après les élections municipales de juin 1994, " la carte politique de l’Allemagne s’est recouverte d’un patchwork d’alliances noires-vertes " (CDU-Verts). La plupart de ces alliances se sont constituées contre les sociaux-démocrates et cette coopération au niveau des communes a préparé des alliances au niveau fédéral. Der Spiegel caractérisait ainsi cette alliance " naturelle " : " Des racines conservatrices, le culte de la nature, le localisme ainsi que la méfiance envers une trop grande intervention de la puissance publique, voilà ce qui constitue souvent l’essence fondamentale des alliances noires-vertes ". De fait, en politique intérieure comme en politique extérieure, les Verts sont bien peu éloignés du FDP, le parti libéral.

Le PDS (Parti du Socialisme Démocratique) est issu du SED, parti stalinien rebaptisé " socialiste ". Mais à l’origine du SED comme de tous les PC de l’Europe de l’Est, il y a la destruction du mouvement ouvrier imposée par l’appareil stalinien (destruction souvent sanglante). La fusion du parti communiste et du parti social démocrate est imposée à Berlin en 1946 sous la pression des forces d’occupation de la bureaucratie stalinienne (82,2% des adhérents du SPD se sont prononcés contre la fusion). Dès juillet 1948, la direction stalinienne du SED décide d’engager " l’épuration du parti de tous les éléments hostiles et décadents " : exclusion de sociaux démocrates, de communistes " critiques ", internement dans des camps, répression sanglante des mouvements de protestation…

Ainsi, depuis " l’épuration " des PC des Démocraties populaires (les grandes purges de 1948-52) les PC des pays de l’Est de l’Europe ne sont plus des partis ouvriers bourgeois mais des agences de la bureaucratie du Kremlin. L’opposition du SPD au mouvement des masses dans l’ex-RDA a facilité la mutation du SED en PDS. Mais le badigeonnage du SED aux couleurs de la démocratie bourgeoise n’en fait pas pour autant une organisation d’origine ouvrière. C’est une organisation totalement étrangère au mouvement ouvrier. Le PDS est utile à la bourgeoisie allemande : l’expérience de milliers de permanents, de fonctionnaires d’autorité permet de reconstituer à l’Est un appareil d’État au service de la RFA. Dans son ouvrage L’Allemagne aujourd’hui, JP Gougeon explique :

" Rares sont les moments où la presse allemande ne révèle pas que telle ou telle personnalité a, selon les archives de la police politique de l’ex-RDA, servi comme espion ou plus généralement coopéré comme " agent " avec les autorités policières. Les grands noms comme Mandel Stolpe, ministre président du Brandebourg, Gregor Gysi, figure de proue des néo-communistes du PDS, le parti du socialisme démocratique, ou Monica Maron, écrivain et journaliste, défraient la chronique. En outre, les anciens " réseaux " (Seilschaften) sévissent toujours, dans l’administration où d’anciens membres du parti communiste SED ont conservé leur poste, mais aussi dans l’économie où les reconversions rapides de certains sont soumises à caution. " Contrairement aux assertions de l’Humanité l’idée d’un vote ouvrier pour le PDS doit être fortement relativisée. La présentation du PDS comme parti ouvrier a néanmoins une fonction : contribuer à la confusion politique dans les rangs du prolétariat et de la jeunesse. Dans le même ouvrage, Gougeon remarque : " Dans un premier temps, beaucoup se sont plu à croire que les succès du PDS étaient essentiellement imputables aux votes d’électeurs qualifiés de " perdants de l’unification ", c’est à dire de personnes socialement défavorisées n’ayant pas bénéficié de la reprise économique : chômeurs, retraités à faible revenu, personnes au revenu modeste… Cette explication simpliste ne correspond pas à la réalité, en fait beaucoup plus nuancée. Certes, en Allemagne orientale des gens vivant dans des conditions précaires ont fait le choix du PDS par lequel ils se sentent mieux défendus. Mais beaucoup de membres et électeurs du PDS vivent dans une situation plus que confortable, une partie étant issue de l’intelligentsia. D’ailleurs les quatre circonscriptions de Berlin-Est dans lesquelles le PDS a obtenu ses mandats directs ne sont pas

des quartiers particulièrement défavorisés. Lors des élections fédérales d’octobre 1994, 15% des professions libérales et chefs d’entreprises des nouveaux Länder ont voté en faveur du PDS, contre seulement 1% à l’Ouest.

Dans un autre ouvrage, il précise : " Les néo-communistes réalisent de très bons scores dans les quartiers relativement aisés de Berlin. C’est dans les villes d’Allemagne orientale où le taux de chômage est le moins élevé que le PDS a réalisé ses meilleurs résultats. À Dresde, Leipzig et Rostock, le PDS obtient respectivement 22,2%, 22,9% et 32,2% des voix en 1994 ". Selon Imprecor (revue du Secrétariat unifié dont l’organisation allemande s’est intégrée au PDS) près de 75% des voix gagnées par le PDS en 1998 viennent de la CDU. L’essentiel est réalisé dans les Länder de l’Est. Ses résultats à l’Ouest restent médiocres.

Toute la campagne du PDS aux élections législatives de 1998 peut se résumer par le slogan adopté par le congrès : " Partager la richesse, combattre la pauvreté, pour une République équitable ". Le " partage de la richesse ", c’est le fer de lance de la doctrine sociale de l’Église pour justifier la poursuite de l’exploitation capitaliste (" partager la plus-value "). Le PDS veut promouvoir un " projet pilote pour le développement de l’Est ". C’est au nom du " dévelop-pement de l’Est que le capital allemand revendique de pouvoir utiliser une main d’oeuvre bon marché et combat depuis 1990 contre l’extension, aux Länder de l’Est, des acquis sociaux du prolétariat de l’Ouest.

L’autre rôle que joue le PDS est d’entraver la mobilisation de la classe ouvrière sur son propre terrain de classe, de la dévoyer dans un particularisme Est-allemand. Sur ce terrain aussi, il reprend les thèmes du christianisme socialÊ: il y aurait une " nouvelle conscience de soi des allemands de l’Est ". Ce faisant, il tente d’empêcher que le prolétariat allemand unifié s’engage en défense de ses intérêts de classe (lesquels sont identiques à l’Est et à l’Ouest) dans un combat de classe contre le capital, son État et tout gouvernement à son service.

"DÉFAITE AMÈRE" DE LA CDU

La défaite des partis bourgeois et en premier lieu de la CDU/CSU se mesure en nombre de voix et de sièges perdus (-49). Mais aussi et surtout en fonction du rôle et de la mission que la bourgeoisie assignait au gouvernement Kohl. C’est d’ailleurs de ce point de vue que le patronat allemand juge ce résultat. Hans Olaf Henkel, responsable de la fédération patronale de l’industrie affirmait le 28 septembre :

" Ce résultat ne nous réjouit pas compte tenu des nécessaires réformes à mener (…) une grande coalition est absolument indispensable, d’autant que Schröder a une grande compréhension pour les problèmes économiques " (…) Nous n’avons pas besoin de nouveaux impôts. Nous avons besoin de moins d’impôts. nous avons besoin de moins de charges sociales " (Libération 28 septembre 1998) Peter Hintze secrétaire général de la CDU déplore la " défaite amère " de son parti ; pour le chef du groupe parlementaire CDU-CSU " c’est une défaite électorale claire et douloureuse " : cette inquiétude de la bourgeoisie allemande est partagée en Europe. Ainsi Les Échos (29/09/98) commentent " ce tournant historique ": les partenaires de l’Allemagne " s’inter-rogent sur une coalition sans précédent dans un environnement international chahuté et incertain. Même au pays du consensus, que donnera le mélange de pragmatiques et d’idéalistes, de socialistes et d’écologistes ? Ce sentiment d’inquiétude se retrouve en pointillé dans les multiples hommages qui ont accompagné Helmut Kohl dans sa chute. La nostalgie envers un géant politique de la scène allemande et européenne est compréhensible et méritée… "

Mais ce n’est pas le programme qu’a développé Schrö-der (et le SPD) lors de la campagne électorale qui provoque cette inquiétude. Cette campagne placée sous le titre " Nous n’allons pas tout changer, mais nous allons faire mieux dans bien des endroits " manifeste l’attachement du SPD à la défense du capitalisme. Ce n’est pas pour ce programme qu’ont voté la classe ouvrière et la jeunesse mais pour chasser Kohl, la CDU-CSU et le FDP, mettre un terme à la politique de destruction des conquêtes sociales. Anne Marie Legloannec directrice adjointe du centre Marc Bloch (Berlin) écrit dans Libération (21/10/98) :

" L’ampleur de la victoire contraint le futur chancelier à rechercher une alliance à gauche(…). Un cadeau empoisonné pour Schröder ". (...) La victoire de Gerhard Schröder aux élections du 27 septembre est remarquable à plus d’un égard. Tout d’abord bien sûr, parce que la social- démocratie revient aux affaires après seize ans d’absence, de déchirements et de querelles internes. Mais aussi, et surtout, parce qu’elle défait Helmut Kohl, alors que jamais aucun chancelier n’avait, jusqu’alors, perdu une élection. " En effet, dans l’histoire de la RFA, la chute d’un gouvernement a toujours été le produit de combinaisons parlementaires au sommet. Ainsi en 1966, les désaccords entre la CDU-CSU et le FDP, à propos de l’Europe, conduisaient à un changement d’alliance : le gouvernement de Ludwig Erhard (CDU) cèdait la place à Kurt Kissinger qui s’appuyait sur la grande coalition (CDU/CSU-SDP)

Après le résultat de septembre 1998, ce que craint la bourgeoisie c’est que la classe ouvrière utilise cette victoire électorale comme un point d’appui pour s’engager sur son propre terrain de classe. Elle redoute que sous la pression des masses, la coalition gouvernementale SPD-Verts soit fragilisée et ne puisse mettre en œuvre la politique exigée par le patronat.

" Une coalition rouge-verte risque donc de contenir en elle-même une double source de tension. D’une part, elle pourra difficilement échapper à des dissensions entre l’un et l’autre partenaire. D’autre part, chacun des deux partis souffrira des tensions qu’il endure déjà, entre fondamentalistes et réalistes, c’est à dire entre puristes et partisans de compromis, pour ce qui est des Verts, et entre aile gauche et aile droite que prétend incarner Gerhard Schröder. Qui plus est la difficile alliance entre les deux partis ne fera qu’attiser les querelles intestines. Gerhard Schröder aura-t-il l’emprise nécessaire pour faire taire toutes ces dissensions ? " Et A.M. Legloannec se lamente sur le fait que les résultats électoraux interdisent la " grande coalition " (CDU/CSU-SDP) afin de " lancer ces fameuses réformes tant réclamées par les entreprises ".

Mais de quoi s’agit-il ? La Sécurité sociale allemande dont l’assurance maladie, l’assurance accident, l’assu-rance vieillesse, l’assurance chômage sont les branches essentielles repose principalement sur le système de répartition du salaire différé. L’État finance 38% de la protection sociale, la part des entreprises représente 30,4%, celle des ménages 30,8% le reste provenant d’organismes privés. Depuis l’unification, les cotisations " salariales " comme celles du patronat ont considérablement augmenté : le taux de prélèvement est de 40,1% du salaire brut pour le salarié, et de 41,6% pour l’employeur.

C’est une situation intolérable pour la bourgeoisie allemande confrontée à l’exacerbation de la concurrence sur le marché mondial. On ne compte plus les articles ou les ouvrages expliquant qu’il faut " adapter le modèle allemand ", c’est à dire en détruire les fondements : transformer tout ou partie du salaire différé en plus-value au profit des entreprises. Y parvenir tout en préservant " l’ordre social ", tel est le problème auquel est confronté la bourgeoisie allemande et ce sur quoi le gouvernement d’E. Kohl s’est cassé les dents.

L’AXE DU GOUVERNEMENT : FAIRE BAISSER LA VALEUR DE LA FORCE DE TRAVAIL.

Le 27 octobre, Schröder était investi au Bundestag par 351 voix contre 287 (plus que les groupes SPD et Verts ne comptent comme membres) et 27 abstentions. Le même jour, Le Figaro commentait :

Aucun chef de gouvernement allemand n’avait jusqu’alors disposé de bataillons aussi puissants à l’exception de la CDU chrétienne démocrate de K.Adenauer en 1957 (…). G. Schröder dispose au total d’une force de frappe bien supérieure à celle de ses prédécesseurs socialistes W.Brandt et H. Schmidt (….) Dans les 16 Länder allemands, 11 ministres présidents et 2 vice-ministres présidents sont socialistes. En mai prochain le SPD fera élire sans difficulté Johannes Ran à la présidence de la République pour succéder à Roman Herzog " G.Schröder forme un gouvernement bourgeois de " petite coalition " avec les Verts ; le PDS, tout en restant à l’extérieur, lui apporte son appui. Le même article précise que c’est Petra Bläss, membre du PDS, qui a été élue à la vice-présidence du Bundestag aux côtés du leader du SPD est-allemand Wolgang Thierse qui a accédé au " perchoir " de l’Assemblée. Les négociations entre le SPD et les Verts ont abouti à un programme de gouvernement de 50 pages intitulé : " Départ et renouveau : l’Allemagne en route pour le XXIème siècle ".

Le gouvernement comporte douze sociaux démocrates, trois Verts (Joschka Fischer aux affaires étrangères, Jürgen Trittin dirigeant de l’aile " fondamentaliste " à l’environnement et Andréa Fischer à la santé) et un sans parti. Oskar Lafontaine, est nommé à la tête d’un super ministère des finances, Rudolf Scharping évincé de la présidence du groupe parlementaire devient ministre de la Défense. Deux congrès extraordinaires réunis à Bonn les 23 et 24 octobre pour les Verts et le 25 pour le SPD ont approuvé le contrat de coalition et la composition du gouvernement.

Le gouvernement Schröder a dû au lendemain de sa mise en place annuler certaines réformes du gouvernement Kohl contre lesquelles le prolétariat s’était mobilisé. Il a rétabli le paiement des indemnités maladies à 100%, les " primes de mauvais temps ", il a annulé les facilités de licenciement pour les PME ; les pensions et les retraites resteront à leur niveau actuel (70% du salaire), les petits boulots seront soumis à cotisation sociale, les allocations familiales seront augmentées.

Mais l’accord du gouvernement SPD-Verts signé le 20 octobre pour la durée de la législature reprend les axes du gouvernement d’E. Kohl. La politique économique et financière s’ordonne autour de trois axes majeurs : la lutte contre le chômage, le redressement des finances publiques et une plus grande justice sociale.

- Le " partage du travail " est, sous couvert de " lutte contre le chômage ", devenu aujourd’hui, la pierre angulaire de la nouvelle politique sociale du SPD : l’extension de la flexibilité, du travail à temps partiel, des petits boulots, doit permettre aux " machines de tourner plus longtemps ", c’est-à-dire d’accroître la rentabilité du capital. Un programme d’urgence doit permettre à 100 000 jeunes " d’avoir accès à une formation et à un emploi ". Les " emplois-jeunes " font école en Allemagne : ils seront financés par les allocations destinées aux jeunes chômeurs (c’est-à-dire le salaire différé appartenant aux travailleurs).

- Un " pacte pour l’emploi et pour la formation " doit " créer les conditions d’une croissance durable " " toutes les parties prenantes doivent apporter leur contribution ". Il s’agit en fait d’accorder aux entreprises une " réduction des charges sociales ", d’effectuer " une modernisation de l’administration publique et une démarche résolue en faveur de l’innovation dans la formation, la recherche et la science ". Faire baisser la valeur de la force de travail, mettre en cause le statut des fonctionnaires, adapter plus étroitement l’enseignement et la recherche aux besoins immédiats des entreprises, tel est le contenu de ce programme de gouvernement. La politique du gouvernement Kohl a miné le système d’assurance sociale allemand fondé sur le salaire différé. Ce qu’exige aujourd’hui la bourgeoisie, c’est de mettre en cause ses fondements même. La réforme des retraites réduira l’assurance vieillesse fondée sur le salaire différé à la portion congrue. L’assurance privée, la " participation des salariés au capital productif et aux bénéfices des entreprises " seront développées.

- Remplacer une partie du salaire différé, restitué au patronat sous la forme de plus-value par des taxes" écologiques ", alléger la fiscalité des entreprises, réformer l’impôt sur le revenu, tel est le contenu de la " justice fiscale " : " répartir différemment " la charge fiscale au profit du patronat afin de " renforcer les capacités d’investissement ". Le redressement des finances publiques en " réalisant des économies socialement équitables " va dans le même sens : mettre en cause les acquis fondamentaux du prolétariat allemand, développer de façon multiforme " l’aide " aux entreprises.

Au nom de la " sécurité intérieure " le programme SPD-Verts prévoit d’accroître la répression, notamment contre la jeunesse : " punir résolument la petite délinquance d’une manière aussi peu démagogique que possible ".

Quant à la politique extérieure, elle se situe aussi dans la droite ligne de celle du gouvernement Kohl. L’accord de gouvernement reprend les exigences de l’impérialisme allemand pour imposer un fonctionnement de l’Union européenne à ses conditions : réforme de la PAC, diminution de la contribution financière de l’État allemand, réforme des institutions européennes… La création d’un ministère de la culture vise de même à la défense des intérêts de l’impérialisme allemand " au niveau international et surtout au niveau européen ". L’accord note aussi explicitement la revendication du gouvernement allemand de devenir membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. L’hebdomadaire Die Zeit a présenté les Verts comme les garants de cette continuité dans la politique étrangère allemande. Josckha Fischer, futur ministre des affaires étrangères ne saluait-il pas peu avant les élections, les bombardements américains en Afghanistan et au Soudan ?

La réforme du droit de la nationalité s’inscrit dans le cadre d’une " politique commune européenne pour les réfugiés et l’immigration ". Ce projet de loi prévoit deux cas : les enfants nés en Allemagne de parents étrangers auront la nationalité allemande si un de leurs parents est arrivé en Allemagne avant l’âge de quatorze ans ; de même pourront être naturalisés les étrangers séjournant légalement depuis huit ans en Allemagne. Dans les deux cas, la nationalité d’origine serait conservée.

Ce projet est présenté comme très novateur. En réalité, il atteste de nouveaux besoins de la bourgeoisie allemande. Le " droit du sang " est issu du combat mené au XIXéme siècle par la bourgeoisie allemande pour constituer un État national correspondant aux limites d’un marché, celui du Zollverein (espace économique réuni en 1833 en un marché commun mais morcelé en 39 états féodaux habités par des Allemands). Mais surtout cette législation du droit du sang établie par le Reich en 1913 répondait à la Weltpolitik de Guillaume II : la mission que la ligue pangermaniste (association regroupant des industriels, des militaires, des hommes politiques…) attribuait au Reich était de rassembler tous les peuples de langue germanique, l’objectif étant d’élargir un marché devenu trop exigu pour écouler la production industrielle.

La bourgeoisie allemande a maintenu ce droit depuis 1949, considérant que la RFA était le seul État allemand légitime. Aujourd’hui, " le droit du sol " répond à une situation nouvelle, celle de l’État allemand réunifié. La double nationalité permettrait à tout naturalisé (l’essentiel des travailleurs immigrés allemands sont des turcs ou des grecs) de " retourner au pays " et d’investir ses économies en jouant de la double nationalité. C’est un moyen plus " soft " mais non moins efficace pour l’impérialisme allemand d’étendre son contrôle à l’Est de l’Europe, en particulier en Turquie.

Cette réforme n’a donc rien à voir avec la satisfaction des revendications du prolétariat : mêmes droits politiques et sociaux pour tous les travailleurs quelle que soit leur origine. Les conditions drastiques pour " mériter " l’intégration sont à l’opposé de ces revendications : test écrit de langue, signature d’un document affirmant la loyauté à la constitution ; pas d’activité hostile à la démocratie et à la sécurité intérieure " ; consultation éventuelle des Renseignements généraux. Ainsi un député Vert déclarait au Monde " il est clair qu’un islamiste, un nationaliste turc ou un militant actif du PKK ne pourront pas devenir Allemand ".

" PACTE POUR L’EMPLOI, LA FORMATION, LA COMPÉTITIVITÉ. "

Réformer " le modèle " allemand pour abaisser la valeur de la force de travail est la revendication centrale de la bourgeoisie allemande. Dans une interview à La Tribune, le patron de BMW revendique une réforme fiscale allégeant l’impôt des entreprises et le remplacement des négociations salariales de branche par des négociations d’entreprises. Il considère les premières comme " des recettes du XIXème siècle. Aujourd’hui, elles ne devraient plus imposer qu’une structure cadre. Il lui faut de plus en plus intégrer de clauses flexibles. Chacun doit pouvoir adapter à ses besoins. "

Dès 1994, la commission des monopoles revendiquait dans un rapport " plus de concurrence sur tous les marchés ", elle dénonçait " le cartel de prix minima pour l’offre de travail ", " le monopole bilatéral des partenaires sociaux ". En bref, elle exigeait la modification de la loi sur les conventions collectives et celle sur la constitution interne des entreprises. Dans une interview accordée aux Échos (28/7/1998) le candidat Schröder répondait en ce sens :

" Il faut organiser le temps de travail sur l’année en fonction de la demande (…) Par exemple dans mon Land de Basse-Saxe, le temps de travail hebdomadaire se situe entre 28,5 heures chez Volkswagen et plus de 40 heures chez les fournisseurs… Cette forme de flexibilité s’imposera (…) Tout cela nécessite un cadre organisationnel. Le pacte pour l’emploi est l’un des points centraux de notre programme. " Mais moins encore que le gouvernement Kohl, le gouvernement Schröder n’a les moyens, de par ses propres forces d’imposer le plan d’ensemble de " refondation de l’État social allemand " exigé par la bourgeoisie allemande : destruction des retraites par répartition, flexibilité et baisse drastique de la valeur de la force de travail par la destruction des conventions collectives de branche, mise en cause du statut des fonctionnaires… Il ne peut y parvenir que si les dirigeants du DGB et de ses fédérations s’engagent dans le cadre d’un nouveau pacte social, s’ils prennent en charge la mise en œuvre de la destruction des conventions collectives qui organisent l’ensemble des conquêtes du prolétariat (salaire, assurance maladie, retraites…). La mise en place d’un tel pacte associant le gouvernement, les syndicats, les entreprises est la clé de voûte de l’accord du gouvernement SPD-Verts.

C’est ainsi que le 7 décembre 1999 se sont ouvertes les discussions associant cinq syndicalistes, quatre représentants du patronat et six ministres. Le cadre est donné par les termes même adoptés à la demande des patrons : " Pacte pour l’emploi, la formation et la compétitivité ". G.Schröder l’a rappelé à plusieurs reprise : sa référence, c’est la négociation hollandaise lancée en 1982. C’est le même modèle que L.Jospin évoquait en mai 1997 durant sa campagne électorale : " les Pays-Bas nous indiquent la route à suivre(…) et d’évoquer " la volonté partagée par tous les acteurs économiques de donner la priorité à l’emploi, de le faire en réduisant rigoureusement la durée du temps de travail et d’en rŽpartir de mani?re équitable le coût. Et Jospin concluait " un pacte national est donc nécessaire " (cf. CPS n°69-p13).

Libération du 7 décembre note que " l’idée d’un tel pacte en Allemagne n’est pas neuve(…) Elle fut lancée par le syndicat IG Metall puis reprise par le chancelier Kohl. Début 1996, syndicat et patronat réunis s’étaient engagés à " diviser par deux le chômage " d’ici l’an 2000. Quelques mois plus tard, les syndicats claquaient la porte ". L’article sur l’Allemagne publié dans CPS n°64 montrait comment cet accord avait permis au gouvernement Kohl de mettre en œuvre son plan d’austérité. Mais la mobilisation du prolétariat allemand au printemps 1996 faisait voler en éclat le pacte conclu en janvier. Libération poursuit :

" L’objectif du nouvel essai est d’abord de recréer un climat de confiance ", explique Bad Hombach, le bras droit de Schröder chargé d’organiser le pacte à la Chancellerie. L’idée de Schröder est de faire de cette table ronde une institution durable qui se réunira tous les deux mois environ pendant les quatre années de la législature, et sera flanquée de petits groupes de travail " (...)

" La chance pour ce pacte pour l’emploi est que tous les acteurs ont un intérêt objectif à ce qu’il réussisse. Le patronat " pour éviter le pire ", comme dit Hans Peter Stihl président du DIHT (chambres de commerce et d’industrie). Les syndicats pour stopper l’érosion de l’emploi. Le gouvernement pour répartir sur plusieurs épaules les responsabilités de la lutte contre le chômage ".

Ainsi en Allemagne aussi la " lutte contre le chômage ", (mais le chômage est nécessaire au système capitaliste) est le prétexte pour détruire les acquis fondamentaux de la classe ouvrière. Les Échos du 8 décembre annoncent que les participants à la table ronde se sont mis d’accord pour créer huit groupes de travail pour approfondir les principales questions : " formation, questions fiscales, retraites, réforme du système de protection sociale, temps de travail, reconstruction de l’Est, indemnités de licenciements et étude des meilleurs exemples étrangers. Ils devront rendre leurs premières conclusions avant la prochaine séance plénière prévue le 25 février ".

Sa participation au " pacte national " implique qu’il mette en œuvre la destruction des acquis fondamentaux du prolétariat allemand, qu’il paralyse toute action de classe du prolétariat en défense de ses acquis afin de permettre au gouvernement d’avancer dans la mise en place des réformes structurelles nécessaires au patronat.

BASSE SAXE : UN ACCORD QUI " POURRAIT FAIRE ÉCOLE SI SCHRÖDER GAGNE "

Corrélativement à la campagne électorale de G. Schröder, Jürgen Peters, responsable d’IG Metall à Hanovre signait fin juillet un accord modifiant la convention collective de la métallurgie de Basse-Saxe. En Allemagne, les " partenaires sociaux " sont seuls responsables de la négociation collective. L’autonomie de négociation (Tarif-Autonomie) leur laisse l’entière maîtrise de la politique de leur branche d’activité que ce soit en matière de temps de travail ou de salaire. Le champ de négociation peut être l’entreprise comme souvent dans l’automobile (exemple VW), le niveau national comme dans l’imprimerie ou le niveau régional (Land) comme dans la métallurgie. Souvent dans ce dernier cas, une région joue le rôle de région pilote et l’accord conclu est ensuite transposé dans les autres régions.

En Basse-Saxe la convention mettant en place les 35 heures dans la métallurgie arrivait à échéance le 31 décembre 1998. Le patronat voulait prolonger cet accord et obtenir un accord sur les retraites progressives. Il souhaitait renforcer l’accord avant la fin de l’échéance afin d’éviter une grève générale dans le Land. En effet, la négociation obéit à un rituel qui comporte cinq étapes : la résiliation de la convention en cours, la négociation d’une nouvelle convention, l’accord ou la déclaration de rupture, la médiation au terme de laquelle on aboutit à un accord ou la rupture de la médiation. Les grèves d’avertissement ne sont autorisées que pendant la négociation ou lorsque la médiation est rompue (à condition que l’ancienne convention soit parvenue à échéance).

"  Nous avons joué aux marchands de tapis " affirme Jürger Peters selon Libération du 27 septembre : " d’accord pour réduire le temps de travail contre la paix sociale et la préretraite ". Cet accord qui s’appliquera à 90 000 métallurgistes de Basse-Saxe comporte une réduction individuelle et non collective des horaires de travail. Chaque salarié pourra demander à travailler quelques heures de moins pendant un laps de temps plus ou moins long. En contrepartie l’entreprise s’engage à embaucher. Mais Libération rapporte les propos d’un jeune travaillant dans une entreprise de construction de machines outils près de Hanovre : " la moyenne hebdomadaire est plutôt de 45 heures. Les gens ont tous des compteurs avec 200 heures supplémentaires qu’ils n’arrivent pas à prendre, ils en ont marre " (...) "L’accord, pense-t-il, arrive à point nommé ".

Les modalités pratiques pourraient selon Libération inclure l’annualisation. De plus, la perte de salaire ne serait compensée qu’aux deux tiers. Pire, cette compensation s’effectuerait par le biais " d’un fond commun ", sorte de " cagnotte " alimentée par le patronat (35 millions exonérés d’impôts) et 2,5 marks (environ 8F) par mois et par salarié, " pour alléger la facture des employeurs ! ". L’objectif premier de l’appareil de l’IG Metall c’est la défense du " Standart Deutschland ". Ce rapport du gouvernement fédéral sur la compétitivité industrielle, voté par le Parlement en 1993 et auquel le DGB a souscrit, prône " la réforme du temps de travail, le raccourcissement des études générales, la modulation des salaires, l’allégement des charges sociales, la maîtrise des dépenses de santé afin de restaurer l’attractivité du site industriel allemand " et la " préservation de la paix sociale ". Libération laisse à Jürgen Peters la conclusion : " Une grève générale nous aurait coûté beaucoup plus cher "(sic). Et les vertus de la réduction du temps de travail pour créer des emplois ? " questionne Libération " Franchement nous n’y croyons pas ". Le quotidien considère que cet accord " pourrait faire école si Schröder gagne ". On ne peut mettre en doute la volonté de l’appareil de l’IG Metall, du DGB d’apporter tout leur soutien au gouvernement bourgeois que dirige Schröder. C’est une situation d’affrontement entre le prolétariat allemand unifié et l’appareil qui ne peut que s’amplifier.

LA MENACE D’UN NOUVEAU " REFORMSTAU " (BLOCAGE DES RÉFORMES).

C’est dans la nouvelle situation issue des résultats des législatives du 27 septembre 1998 que se sont déroulées les négociations salariales dans la métallurgie. Il convient d’indiquer que le gouvernement de Schröder a durant les mois précédents pesé de tout son poids pour que la question des salaires soit incluse dans le " pacte pour l’emploi, la formation et la compétitivité ". L’appareil du DGB n’a pu l’accepter, incapable aujourd’hui de l’imposer à la classe ouvrière. L’augmentation considérable des impôts depuis 1991 fait que la question des salaires, du rattrapage du pouvoir d’achat perdu est une question centrale dans toute l’Allemagne. Mais le président de l’IG Metall, Klaus Zwickel, tout en réclamant le respect de l’autonomie des négociations collectives dans la métallurgie signait le 7 décembre avec les autres responsables du DGB la déclaration constitutive du " pacte pour l’emploi ". Ce faisant, il se ralliait à la politique du gouvernement SPD-Verts, à " la compréhension commune de la situation ", à " l’orientation commune en matière de politique de l’emploi ", c’est-à-dire aux exigences du patronat : augmenter la compétitivité des entreprises, accroître l’exploitation des travailleurs. En effet, l’objectif du " pacte " est de mettre en place un " nouveau partenariat social ", les syndicats ouvriers se pliant aux exigences patronales : " abaisser le coût du travail ", en finir avec " les oppositions d’intérêts à l’ancienne ", les conventions collectives, les " négociations conflictuelles ", les grèves.

Le déroulement des négociations salariales en janvier dans la métallurgie était un véritable enjeu politique. En effet, le calendrier (leur déroulement à la veille de la deuxième réunion de négociation sur " le pacte pour l’emploi " prévue pour le 25 février), la place des métallurgistes dans le prolétariat allemand (3,4 millions de salariés), la place de l’IG Metall (2 millions de syndiqués sur les 9,6 millions de membres du DGB en 1996) donnaient l’enjeu politique de ces négociations. De la capacité du prolétariat à imposer la rupture de l’appareil syndical avec le gouvernement dépendaient les possibilités pour le gouvernement de poursuivre la mise en oeuvre du " pacte ", et donc, de son programme contre les masses.

L’IG Metall réclamait une hausse de 6,5%. Le syndicat patronal Gesamtmetall attaché à la poursuite de la modération salariale proposait 2,3% plus un versement unique de 0,5% dépendant de la situation financière des entreprises. Cette clause de fait, liant une partie des augmentations salariales aux résultats de l’entreprise est une mise en cause des accords de branches. Les Échos (du 12-13 février) présentaient ainsi les résultats attendus par le patronat :

"Les dirigeants du patronat et d’IG Metall ne sont en réalité pas très éloignés les uns des autres ", souligne Holger Fahrinkrug économiste chez Warburg Dillon Read à Frankfort. (…) " on devrait in fine arriver à un accord prévoyant une augmentation fixe aux alentours de 3%, assortie d’un paiement de 0,5% en fonction de l’état de l’entreprise. Cela devrait permettre à IG Metall de " vendre " 3,5% de hausse à ses membres et au patronat de montrer aux entreprises qui vont mal dans le secteur, notamment les chantiers navals, qu’il a obtenu une forme d’individualisation des salaires, ce que le syndicat IG Metall refusait absolument jusqu’ici " (...) " Dans un pays où la métallurgie joue traditionnellement un rôle pilote, nul doute que cet accord devrait faire tache d’huile " ! .

La négociation s’est déroulée Land par Land. Finalement après le constat d’échec, l’IG Metall appelait, à partir du 29 janvier, à quatre jours de grève d’avertis-sement : les grèves furent massives dans toute l’Alle-magne. Le patronat accordait alors 2,3% d’augmen-tation tout en maintenant le supplément de 0,5% selon les résultats de l’entreprise ; l’IG Metall rejetait la proposition car elle ouvrait une brèche dans les con-ventions collectives de branche. Selon la tradition du système allemand, il appartenait à l’IG Metall d’orga-niser la consultation des syndiqués pour la grève. Le Bade-Wurtemberg était choisi pour organiser une consultation. Toute la presse annonçait que les 75% de oui nécessaires étaient acquis et que la grève serait massive.

Le deuxième président de l’IG Metall responsable des négociations lançait alors un appel au patronat : " Aidez-nous à éviter une grève dont personne ne veut à IG Metall et dont personne n’a besoin dans l’économie ". De son côté, le responsable patronal des négociations pour le Bade Wurtenberg proposait une " médiation spéciale " afin d’éviter le conflit. Un autre président de fédération patronale appelait le chancelier G. Schröder à " relancer les négociations ".

Renonçant à engager la procédure de vote pour la grève à partir du 28 janvier ainsi qu’il en avait la possibilité l’appareil de l’IG Metall " ne voulant rien négliger " a accepté la procédure de " médiation spéciale ". Les Échos présentent ainsi l’accord qui en est issu et qui a été entériné le 19 février par la grande commission salariale du syndicat de branche IG Metall du Bade-Wurtemberg : " Après 30 heures de négociations sous la direction de l’ancien ministre de la justice) Hans Jochen Vogel (SPD) et la démarche inhabituelle du chancelier Schröder demandant par écrit aux partenaires sociaux d’aboutir à une solution consensuelle, l’accord signé prévoit une augmentation de 3,2% au 1er mars, à quoi s’ajoutent deux éléments : une prime forfaitaire de 350 marks (1190F) pour janvier et février et un versement unique en avril de 1% du salaire calculé sur les douze mois prochains ". Mais cet accord porte sur 14 mois : IG Metall estime qu’il aboutit à une augmentation de 4,2% en volume, la délégation patronale parle de 3,6 à 3,7% sur douze mois ; un économiste de Warburg Dillon Read estime que les 3,2% représentent une augmentation linéaire de 2,7% en terme annuel contre 2,5% pour la période précédente. La clause liant une part d’augmentation aux résultats de l’entreprise a été rejetée.

Il est évident que par rapport aux 6,5% réclamés par IG Metall cela ne fait pas le compte. Le journal patronal Les Échos rend néanmoins compte des protestations du patronat allemand sur l’accord dans la métallurgie au Bade-Wurtenberg. Il réclamait pour cette année un accord salarial flexible. L’accord devrait logiquement être étendu à toute la métallurgie. Selon une grande banque à Düsseldorf, il aura " un caractère pilote pour le reste de l’économie " y compris pour la Fonction publique. Elle estime que " même si les cotisations retraites devaient baisser de 0,8 points au 1er avril, les coûts unitaires du travail devraient augmenter de 1,25 points en 1999. ". Mais c’est là le prix à payer pour tenter de maintenir " la paix sociale " défendue par le gouvernement Schröder et tenter de lui permettre d’avancer vers la mise en œuvre du " pacte pour l’emploi ". Cet accord a une valeur politique.

Attaché à défendre le capitalisme et tout gouvernement à son service, l’appareil de l’IG Metall a tout fait

pour interdire la grève : une grève de la métallurgie, même dans le seul Bade-Wurtemberg aurait rassemblé près d’un quart des salariés de cette corporation. Parce qu’elle s’inscrivait de fait contre la politique du gouvernement Schröder, contre le " pacte " dont l’axe avait été défini et accepté par l’appareil de l’IG Metall et du DGB le 7 décembre, elle ouvrait une issue à l’ensemble des travailleurs de la métallurgie et au delà à l’ensemble du prolétariat allemand. Cette lutte politique était un puissant levier pour imposer la rupture de l’appareil syndical avec le gouvernement, la rupture de l’accord du 7 décembre.

Interdire qu’appuyé sur la défaite électorale infligée aux partis bourgeois et le vote massif pour le SPD, le prolétariat allemand s’engage sur son propre terrain de classe est une nécessité vitale pour le gouvernement de Schröder. C’est là la fonction essentielle de cet accord.

Cela ne règle pas pour autant l’avenir des rapports sociaux en Allemagne. Le patronat allemand n’a de cesse d’accroître sa pression sur le gouvernement Schröder afin qu’il s’engage beaucoup plus loin et plus vite dans la mise en œuvre des " réformes " qui lui sont nécessaires. Mais c’est un " accord à l’arraché " (les Échos) qui a été obtenu par l’IG Metall. De plus, l’ob-jectif du gouvernement était d’utiliser les négociations de la métallurgie pour faire prévaloir une plus grande autonomie des entreprises et, ce faisant, mettre en cause la prééminence de la branche dans la négociation salariale. Cela aurait permis que les négociations sur le " pacte pour l’emploi, la formation et la compétitivité " s’acheminent vers le " pacte à la hollandaise " prôné par Schröder lors de sa campagne électorale.

Ayant pris conscience de sa puissance, le prolétariat unifié d’Allemagne ne peut que chercher à utiliser la majorité détenue par le SPD au Bundestag pour tenter de s’ouvrir une issue. La bourgeoisie allemande a en mémoire l’expérience récente du pacte signé en janvier 1996 entre le DGB, le patronat et le gouvernement Kohl. La mobilisation du prolétariat, des salariés de la fonction publique l’a fait voler en éclats au printemps bien que les appareils de l’ÖTV aient interdit la grève générale de la Fonction publique permettant ainsi au gouvernement Kohl d’aller au terme de son mandat. C’est cela qui plane aujourd’hui sur le gouvernement Schröder et qui fait dire aux Échos que l’avenir s’annonce orageux et que menace un nouveau blocage des réformes (Reformstau).

1848-1918-1998

La bourgeoisie allemande a fêté le 150ème anniversaire de la révolution bourgeoise de 1848 en organisant une grande exposition à Francfort (siège du capital financier et de la Banque centrale européenne). Conçue par des historiens politiquement proches de Kohl, cette exposition consacrait ses premières salles à la Révolution française et à son influence en Allemagne.

Suivaient l’illustration de la révolution de 1848, sous ses différentes étapes, ses diverses formes, leur échec.

Cette exposition fut l’occasion pour la bourgeoisie allemande d’affirmer une nouvelle vision de sa propre histoire. Oublié le fait qu’en 1848, alors qu’elle combattait pour la construction de l’État national allemand, sa frayeur fut telle devant le surgissement du prolétariat qu’elle fit appel à la royauté et aux hobereaux qui " ramenèrent l’Allemagne à son état d’avant les événements de mars 1848 ". F. Engels porte l’appréciation suivante sur l’Assemblée Nationale de Francfort : " Ce n’était qu’un simple club de discussion composé d’un tas de nigauds qui permettaient au gouvernement de se servir d’eux comme des partis ". Après la présentation d’extraits de la constitution fédérale, l’exposition de Francfort se conclut par un document original du traité de Maastricht : la construction de l’Union européenne est présentée comme le couronnement d’une longue histoire de la bourgeoisie allemande !

La bourgeoisie allemande ne peut cependant oublier que la contrepartie de la puissance du capitalisme allemand tel qu’il s’est constitué (deuxième moitié du XIXème siècle) (puis reconstitué après les guerres mondiales) fut la construction et l’organisation d’un puissant prolétariat. Si la bourgeoisie allemande tend, à sa manière à renouer avec sa propre histoire, il en est de même pour le prolétariat allemand.

En 1848 dans les villes ouvrières d’Allemagne comme à Paris, le prolétariat se mobilise pour la première fois sur son propre terrain de classe, sur ses propres mots d’ordre. A Paris, à Berlin il revendique le " droit au travail ". En 1896, dans la préface de La lutte des classes en France Friedrich Engels écrit :

" Mais derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital, l’appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée. C’est à dire la suppression du travail salarié. Ainsi que du capital et de leurs rapports réciproques. " Alors qu’en 1917 en Russie, sous l’impulsion du Parti bolchevik, le prolétariat instaure pour la première fois le pouvoir des Soviets, le prolétariat allemand se met en mouvement. En Allemagne en 1918, s’est posée avec force pour la classe ouvrière la nécessité de prendre le pouvoir. Faute d’un parti dirigeant la révolution allemande a été vaincue. Le gouvernement social démocrate Ebert-Scheidemann-Noske appuyé sur les corps francs a rétabli dans le sang l’ordre à Berlin. Le 15 mars 1919, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg étaient assassinés. On ne peut retracer tous les développements de la lutte des classes en Allemagne de 1918 à 1933, date de la prise du pouvoir par Hitler au compte de l’impérialisme allemand. La politique de capitulation de la social-démocratie, la politique du " social-fascisme " du parti communiste allemand et de l’Internationale stalinienne ont ouvert la voie à la deuxième guerre mondiale. On peut dire que c’est en Allemagne que la contre-révolution fut la plus violente.

Sur la base de la dislocation de l’État nazi, à la fin de la guerre, la révolution menace de surgir en Allemagne. Pour l’interdire, l’impérialisme américain organise avec l’aide bureaucratique du Kremlin (et celle de la social-démocratie, en particulier du gouvernement travailliste anglais d’Atlee) le partage de l’Europe en zones d’occupation. Sous l’égide de la Sainte-Alliance entre l’impérialisme et la bureaucratie stalinienne, les bombardements massifs sur les villes ouvrières organisés par l’impérialisme américain en 1944, l’occupation militaire de l’Allemagne, les transferts massifs de population ont interdit tout surgissement du prolétariat allemand.

C’est la mobilisation des masses en 1989 qui a imposé la réunification de l’Allemagne mais en l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, la IVème Internationale étant détruite, c’est dans le cadre de l’État bourgeois de la RFA que s’est faite cette réunification.

La restauration du capitalisme en URSS est une défaite pour tous les prolétariats. C’est une offensive généralisée, en particulier contre les différents prolétariats d’Europe, qu’ont engagé les différents gouvernements bourgeois afin de liquider les acquis de la classe ouvrière (Sécurité sociale, retraites, conventions collectives…) Toutes les organisations attachées à la défense de l’ordre bourgeois tentent de faire revenir la classe ouvrière à un état d’atomisation et de conscience politique antérieur à 1848. Le seul avenir possible doit être le capitalisme.

Aujourd’hui, c’est à partir de la défense de ses acquis historiques que le prolétariat unifié d’Allemagne est amené à poser la question du pouvoir. La défense des conventions collectives de branche, leur extension à toute l’Allemagne, est au cœur de la lutte des classes en Allemagne depuis la réunification. La concentration capitaliste dans le cadre des monopoles, des firmes multinationales qui s’est considérablement développée à partir des années quatre-vingt (ce que, hommes politiques et économistes nomment la " mondialisation ") n’annule pas la concurrence à l’échelle mondiale. Au contraire, dans la mesure où la crise qui se développe à partir de l’Asie depuis l’été 1997 tend à réduire les parts de marchés, la concurrence inter-impérialiste ne fait que s’exacerber. Le capital financier exige de l’État capitaliste qu’il assure dans cette situation la défense de ses intérêts en mettant en oeuvre les mesures nécessaires à une baisse générale de la valeur de la force de travail, afin de maintenir un taux de profit suffisant. Les appareils syndicaux ne peuvent plus négocier des augmentations de salaires, des améliorations des conditions de travail en échange de la " paix sociale ". Alors, en défense du capitalisme, ils prennent en charge la défense des intérêts généraux du capital, coopèrent avec le gouvernement bourgeois pour mettre en oeuvre les exigences patronales : baisse du pouvoir d’achat, flexibilité, mise en cause de tous les acquis ouvriers.

La " Tarifautonomie " (autonomie tarifaire) et la " Mitbestimmungsgesetz " (cogestion) telles qu’elles ont fonctionné durant les " Trente Glorieuses " ne correspondent plus aux conditions sociales actuelles.

Les conditions objectives ne permettent plus des " réformes " pour acheter " la paix sociale " : ce qu’exige le capital, c’est que les appareils syndicaux disciplinent la classe ouvrière, la subordonne aux intérêts du capital, oeuvrent à la liquidation de l’ensemble des acquis fondamentaux du prolétariat, le réduise à l’atomisation en prenant en charge la dissolution même de ses organisations de classe. Tel est le contenu du " nouveau partenariat social " qu’exige le capital allemand.

Après que la mobilisation du prolétariat de l’Allemagne unifiée ait imposé un seul DGB dans toute l’Allemagne (contre l’ex-appareil stalinien qui voulait créer un DGB-Est opposé au DGB-Ouest), le prolétariat allemand unifé est entré en opposition avec l’appareil syndical du DGB. La mobilisation de novembre-décembre 1995 en France a eu un impact important en Allemagne. Les grèves du printemps 1995, la manifestation du 15 juin de la même année à Bonn, les manifestations étudiantes de novembre 1997 ont exprimé cette recherche de la classe ouvrière et de la jeunesse allemandes de faire voler en éclat le dispositif de " cogestion " qui vise à interdire tout mouvement autonome sur un terrain de classe.

La défense des intérêts de la classe ouvrière, de ses acquis fondamentaux exige de combattre pour que le prolétariat prenne le pouvoir, que soit exproprié le capital, que soit élaboré et mis en œuvre sous contrôle ouvrier un plan de production pour la satisfaction des besoins des masses. Un tel plan ne peut que s’intégrer à un ensemble plus vaste : les États-Unis socialistes d’Europe. Cela implique que se constitue un Parti Ouvrier Révolutionnaire en Allemagne.

On ne peut avancer vers la construction d’un tel parti qu’en formulant des réponses concrètes à la question du pouvoir en tenant compte de l’état actuel du mouvement ouvrier et des rapports entre les classes. Cela implique de combattre pour que les dirigeants du DGB, de ses fédérations :

- Rompent avec la bourgeoisie et le gouvernement SPD-Verts que dirige Schröder

- Qu’ils cessent de négocier les plans du patronat et de se situer sur une ligne de " compromis ".

- Qu’ils dénoncent l’accord du 7 décembre et boycottent toutes les réunions visant à mettre en place le " pacte pour l’emploi ".

- Qu’ils rompent avec la cogestion.

La responsabilité des dirigeants du DGB est de combattre en défense des intérêts collectifs du prolétariat.

Rattrapage du pouvoir d’achat perdu depuis 1990 et sa garantie par l’échelle mobile des salaires (à l’échelle de toute l’Allemagne).

Échelle mobile du temps de travail.

Imposer aux dirigeants du DGB, de ses syndicats de rompre avec la ligne du " compromis " de la cogestion, d’appeler à la grève des corporations entières pour la satisfaction des revendications salariales, de refuser toute mise en cause des conventions collectives, telle est l’orientation sur laquelle doivent combattre les militants ouvriers. La mobilisation du prolétariat unifié à l’appel du DGB serait à même d’exiger du SPD au Bundestag  :

Qu’il constitue un autre gouvernement, un gouvernement du seul SPD.

· Qu’il annule toutes les mesures anti-ouvrières.

· Qu’il s’oppose aux " réformes " exigées par la bourgeoisie

· Qu’il satisfasse toutes les revendications ouvrières.

Ces mots d’ordre découlent du mouvement réel du prolétariat allemand : le 27 septembre, les travailleurs et la jeunesse n’ont pas voté pour un gouvernement de coalition avec la bourgeoisie. Ils ont exprimé un vote classe contre classe et voté SPD afin que soit mis un terme à la politique d’attaque du capital.

Le prolétariat allemand est à l’origine de la construction de la IIème internationale. En 1895 F.Engels fixait au SPD et au prolétariat allemand la perspective suivante : se préparer à la révolution prolétarienne en Europe, devenir le chef de file de la révolution en Europe. La situation d’aujourd’hui n’est pas identique. Après la dégénérescence de la IIème puis de la IIIème Internationale, la destruction de la IVème Internationale a privé le prolétariat de toute direction révolutionnaire. Le capitalisme a été restauré en URSS. Il n’en reste pas moins que le prolétariat allemand est le prolétariat décisif en Europe. Il a reconstitué sa puissance objective. Son histoire concentre l’ensemble des problèmes à résoudre pour que soit construit un véritable Parti Ouvrier Révolutionnaire (POR).

22 février 1999.


DÉBUT                                                                                                     SOMMAIRE - C.P.S N°78 - 20 JUIN 1999