Le 11 janvier, les porte-parole de Lutte Ouvrière et de la LCR, Laguiller et Krivine, ont présenté un " projet de profession de foi " qui constitue la base de leur liste commune aux " élections européennes " de juin 1999. Ces deux organisations sont généralement présentées comme " révolutionnaires " voire " trotskistes ". Cependant à la lecture de leur plate-forme électorale, même sans être expert, on ne peut qu’être saisi par l’opportunisme et le reniement qui en ressort manifestement.
" Pour l’Europe, des mesures radicales contre le chômage ! " (le point d’exclamation étant sans doute là pour faire plus " radical ") tel en est le titre. Pour l’" Europe " ? Mais de quoi parle-t-on ici ? La bourgeoisie est " pour l’Europe ", les social-démocrates sont " pour l’Europe ", le PCF est " pour l’Europe ", et tous identifient frauduleusement l’Europe avec l’" Union européenne ". LO et LCR, eux aussi se prononcent " pour l’Europe ". Dès lors tout travailleur qui réfléchit ne peut qu’en conclure que LO et LCR s’inscrivent dans le choeur des soutiens à l’" Union européenne ". Tout au plus demandent-ils quelques " amendements ", une once de " service public ", un zeste de " démocratisation ", le tout pimenté de quelques " mesures radicales ", pour que cette Europe là leur convienne tout à fait.
Ce que nous écrivions à l’occasion des élections de 1994 demeure parfaitement juste (cf. CPS n°53 du 06/06/1994) :
" La CEE (devenue l’" Union Européenne ") est une zone économique nécessaire aux puissances capitalistes européennes. Mais elle est dominée principalement par les impérialismes allemand et français et vit au rythme de leurs accords, de leurs contradictions, de leurs antagonismes. (...) L’accord entre gouvernements de la CEE est par contre total sur le point suivant : casser la valeur de la force de travail avec tout ce que cela implique. "
" EUROPE UNIE " ET ÉTATS UNIS SOCIALISTES D’EUROPE
" L’Europe unie, sans frontières entre les peuples, c’est l’avenir ", poursuivent LO et LCR. Sous couvert d’un angélisme asexué, cette affirmation colporte en fait une marchandise bien frelatée. Le contenu de classe, la nature de classe des Etats, sont passés sous silence. LO et LCR " oublient " simplement de préciser que l’" Europe " ne peut pas être " unie " " en général ", que le capitalisme décadent et pourrissant ne peut engendrer que haines nationales, chauvinisme et barbarie, sur fond de coups incessants contre les conditions de vie des masses. L’" Europe unie " ne peut véritablement exister que dans le cadre des Etats unis socialistes d’Europe, des Etats ouvriers, de l’expropriation du capital, de la dictature du prolétariat. LO-LCR dissolvent les antagonismes de classes dans la catégorie " les peuples ". Or " les peuples " sont composés de classes sociales, d’exploiteurs et d’exploités, aux intérêts opposés. Mais LO et LCR préfèrent l’oublier.
Parler de " leur Europe " est déjà mensonger, mais ajouter qu’elle " n’est pas démocratique ", sous prétexte que le " Parlement européen " n’a pas assez de pouvoir c’est fixer comme seul horizon à la classe ouvrière la " démocratie " bourgeoisie, c’est-à-dire s’inscrire dans le cadre du maintien du capitalisme et c’est laisser croire que, par touches successives, le pseudo Parlement européen pourrait acquérir quelques pouvoirs réels et que les Etats bourgeois actuels pourraient se dissoudre dans un Etat fédéral par on ne sait quel miracle.
En 1979, LO et la LCR avaient déjà conclu un accord électoral pour les " élections européennes ", mais à cette époque, elles entendaient au moins sauver les apparences, et l’avaient intitulé " Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe ", reprenant ainsi formellement (même si le fond était déjà tout aussi opportuniste) un des axes du Programme de Transition, programme d’action de la IVème Internationale. Depuis, les étiquettes ont, semble-t-il, quelque peu pâli et Laguiller et Krivine ne jugent même plus utile de donner le change.
GÉRER " AUTREMENT " LE CAPITALISME OU EXPROPRIER LE CAPITAL
Il faut signaler l’art consommé de l’escamotage des auteurs. Ainsi dans la profession de foi, ils ont dû recourir à de multiples subterfuges pour " reconnaître, sans reconnaître, tout en reconnaissant " (formule de Lénine contre le " renégat Kautsky ") la nécessité de " s’en prendre ", comme répète LO, au capital.
Ils proposent " un développement visant à satisfaire les besoins fondamentaux de tous ". Voilà une formule que " sa sainteté " le Pape lui-même ne renierait pas, tant elle se situe à des années lumière de tout critère de classe. Puis ils poursuivent : " L’Europe qui se fait (???) aujourd’hui est malade du chômage, des inégalités, de la misère et du racisme ". Un seul mal manque à la liste mais c’est aussi le seul qui engendre tous les autres : le capitalisme en décomposition. Tout juste expriment-ils " le refus de la logique capitaliste ". Or, tout ouvrier sait bien depuis longtemps que " refuser une logique " n’a jamais empêché la force matérielle du système d’exploitation de poursuivre son avance destructrice.
Puis ils en viennent à leurs " propositions " : " étendre le secteur public " qui permet d’éviter de prononcer pour l’expropriation, la nationalisation sans indemnité ni rachat. " Les entreprises qui font des milliards de bénéfices et qui licencient malgré tout ne doivent pas rester aux mains des patrons, elles doivent être réquisitionnées " : cela en laisse un bon nombre de côté. Avec de tels " révolutionnaires " les patrons peuvent respirer ! Notons qu’une " réquisition " n’est pas nécessairement une expropriation, ce peut être une simple obligation de se plier à une loi. LO et LCR ne veulent user de la contrainte à l’égard du grand capital qu’avec parcimonie. " Il faut enlever au patronat et aux financiers le contrôle absolu (absolu seulement ! NDLR) qu’ils exercent sur l’économie ". Il faut donc contrôler le capital, le gérer autrement. Il n’est ni question d’expropriation ni de nationalisation sans indemnités ni rachat. Cela amène ces prétendus " révolutionnaires " à ne jamais qualifier cette " économie " pour ce qu’elle est réellement : l’économie capitaliste.
Poursuivons : " Les bénéfices accumulés par les grandes entreprises doivent servir à supprimer le chômage, au lieu d’alimenter les circuits financiers qui menacent l’économie (capitaliste ! NDLR) d’une catastrophe majeure ". Les auteurs présentent les choses comme si " la spéculation " était complètement déconnectée de " l’économie ", comme si elle n’était qu’un " gaspillage ", qu’ils proposent d’" économiser " (sic !) afin que " l’Etat recrée des emplois ". La volonté de proposer des " solutions crédibles " dans le cadre du capitalisme les conduit à occulter que les gigantesques montagnes de capital fictif que l’impérialisme pourrissant a édifiées, en particulier par le gonflement démesuré du crédit, sont devenues indispensables à toute l’économie capitaliste, " productive " ou non ; que le capital ne " crée des emplois " que dans la mesure où cela lui permet de créer, réaliser et répartir le profit, à un taux suffisant ; que les limites du système enfin ne peuvent être indéfiniment repoussées et que celui-ci est aujourd’hui menacé d’une dislocation généralisée du fait même de ce qui est devenu son fonctionnement " normal ".
LO et la LCR savent très bien que la seule solution pour résoudre tous les maux qui frappent la population laborieuse et la jeunesse c’est d’exproprier le capital et d’organiser la production en fonction des besoins des masses sous contrôle ouvrier. Ils ont sans doute lu cela il y a très longtemps, dans quelques livres de Marx, Lénine ou Trotsky, qui ont dû leur passer sous les yeux. Mais ils sont frappés du syndrome de la " fin de l’histoire " proclamée sur tous les tons par la bourgeoisie. Ils s’alignent sur le PS et le PCF qui, ouvertement et sans fard, défendent le capitalisme en faillite déclarée.
Mais il leur faut donner un peu de couleur à ce tissu de vieilleries. Ainsi n’hésitent-ils pas à proposer de " mettre sous contrôle tout le système bancaire et la Banque centrale européenne ". Mais sous le contrôle de qui ? Des États bourgeois nationaux ? Ce ne sont là que faux-semblants pour enterrer tout mot-d’ordre en défense des intérêts de classe du prolétariat : expropriation sans indemnité et sous le contrôle de la classe ouvrière de toutes les banques et organismes financiers, leur centralisation en une banque centrale unique d’Etat, ce qui suppose non le " contrôle " mais la destruction de la BCE, organe de coordination des différentes bourgeoisies nationales européennes. Plus loin : " enlever aux capitalistes leur contrôle sur l’économie " : s’agit-il d’exproprier le capital, OUI ou NON ? On ne peut que conclure que c’est " non " : seul le prolétariat peut exproprier le capital. Il doit pour cela prendre le pouvoir. Ce n’est ni la position de LO, ni celle de la LCR.
LA PARTICIPATION CONTRE LE CONTRÔLE OUVRIER
Quand LO et LCR exposent le contenu de " leur Europe ", elles proposent : " une Europe des droits démocratiques, où les populations contrôlent les décisions ". Quel est le contenu concret, de ces fameux " droits démocratiques " ?
Le prolétariat défend les libertés démocratiques qui l’aident dans son combat de classe, pour la défense de ses intérêts de classe, pour son unité de classe, pour son organisation politique propre, en un mot tous les droits démocratiques qui lui permettent d’avancer sur la voie de la révolution et du socialisme. Mais la " démocratie en général " c’est la démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital, un système de violences multiples imposées à la population laborieuse et à la jeunesse.
Quant au " contrôle des décisions " par " les populations ", le texte ne précise pas de quoi il s’agit. Mais dans un texte de janvier 1999 écrit par Bensaïd, dirigeant de la LCR, on peut lire : " oui, la subordination de l’économie à la citoyenneté, de l’intérêt privé à l’intérêt général, des profits aux besoins implique toujours une démocratie participative d’en bas, un contrôle populaire et de l’autogestion ". Comment ne pas faire le lien avec les positions développées par Robert Hue dans son dernier ouvrage, Communisme, un nouveau projet qui propose " un enrichissement réciproque " de la " démocratie directe " et de la " démocratie représentative, dans une démocratie de participation " ?
La " profession de foi " LO-LCR semble rappeler (à la " Canada dry ") un des axes du Programme de Transition, celui du contrôle ouvrier, mais c’est pour mieux l’étouffer dans la mélasse confusionniste.
Les trotskistes défendent en effet la nécessité du contrôle exercé par la classe ouvrière sur la production et l’économie, dans le cadre du combat pour le gouvernement ouvrier, pour l’expropriation des grands moyens de production et d’échange, et l’élaboration et la réalisation d’un plan de production répondant aux besoins de la population laborieuse. Cela suppose que la classe ouvrière commence à se doter de ses instruments de pouvoir de classe, les soviets. Cela implique le combat pour la construction d’un Parti Ouvrier Révolutionnaire dont le programme ouvre la voie au socialisme, fixe l’objectif de la destruction du capitalisme et de son État.
La " profession de foi " LO-LCR parle de contrôle des " populations " toutes classes confondues. La vérité c’est qu’ils proposent de " contrôler " l’Etat bourgeois et le capitalisme et non plus de les détruire. C’est la négation même du contrôle ouvrier et la défense ouverte de la société et de l’État capitaliste par l’alignement sur le " nouveau projet de R. Hue " : associer le prolétariat et la jeunesse à la défense des intérêts de leur propre bourgeoisie, leur interdire toue expression de classe, toute organisation indépendante. Cela se traduit par exemple, par la décision du PCF de présenter des listes " paritaires " et non PCF lors des prochaines européennes. C’est en réalité sur une orientation qui conduit à l’association capital-travail, que s’alignent LO et la LCR.
QUEL GOUVERNEMENT PEUT PRENDRE DES " MESURES RADICALES " ?
Chaque semaine LO répète son petit refrain du " bon sens " sur les " mesures radicales contre le chômage ", ce que reprend la " profession de foi " signée avec la LCR. Mais les auteurs commettent deux petites omissions. Premièrement, on ne peut prétendre combattre le chômage, c’est-à-dire plus précisément pour le droit au travail du prolétariat (ce qu’ils ne disent même pas!), qu’en combattant pour détruire le capitalisme, en s’engageant sur la voie qui mène au socialisme. Deuxièmement, et par voie de conséquence, cela suppose de combattre contre tous les gouvernements bourgeois (y compris l’actuel gouvernement Jospin-Gayssot-Kouchner-Chevènement-Voy-net), contre leur politique commune, pour un authentique gouvernement ouvrier. Dans l’immédiat, compte tenu des rapports politiques existants, il est possible de combattre pour un gouvernement PS-PCF sans représentant de parti bourgeois. De tout cela, en dépit de toutes les étiquettes " révolutionnaires " ou " trots-kistes " que l’on voudra, il n’est nullement question dans le texte LO-LCR.
LO et LCR écrivent : " le gouvernement Jospin, comme ses prédécesseurs, refuse de puiser dans les profits énormes des grandes entreprises, seul moyen pour financer la création d’emplois utiles, en nombre suffisant pour résorber le chômage et la précarité ". Passons sur le fait que " puiser dans les profits " ne signifie nullement rompre avec le capitalisme, et que " financer la création d’emplois utiles " n’est qu’une version populiste de l’injection artificielle de monnaie, " solution " des économistes bourgeois disciples de Keynes pour tenter de surmonter la crise capitaliste.
L’essentiel dans ces propos, c’est que pour LO et la LCR le " gouvernement Jospin " pourrait et devrait faire " une autre politique ". Et ils ajoutent : " les promesses n’ont pas été tenues ". Cette formule laisse croire qu’en mai-juin 1997, les travailleurs auraient voté " pour ce gouvernement ". En réalité, le prolétariat et la jeunesse ont voté pour en finir avec la gouvernement Chirac-Juppé, pour en finir avec sa politique. Ils n’ont pas voté pour le programme du PS, ni pour celui du PCF, programmes de défense des besoins de la bourgeoisie. En l’absence de parti ouvrier révolutionnaire, ils ont voté pour leurs partis traditionnels le PS et le PCF, alors que Jospin et Hue, en opposition à la volonté des masses, se sont précipités pour maintenir Chirac au pouvoir, et ont formé un gouvernement avec des résidus politiques bourgeois, radicaux, " Citoyens " et " Verts ". Ce gouvernement n’a jamais rien " promis " aux travailleurs sinon de continuer à leur porter de nouveaux coups, conformément à ce qu’exige le capitalisme français décadent et en crise. C’est un gouvernement totalement bourgeois, de type front populaire qui s’est constitué.
L’orientation de LO et de la LCR contribue à boucher toute perspective politique à la classe ouvrière et à la jeunesse, en laissant entendre que ce gouvernement est " le seul possible ", en combattant contre toute politique de Front unique ouvrier, en s’opposant au combat pour un gouvernement PS-PCF, sans ministres bourgeois, dont les masses pourraient exiger la satisfaction des revendications.
LO-LCR font ainsi croire que c’est de ce gouvernement que l’on peut attendre les fameuses " mesures radicales contre le chômage ". C’est là désarmer les travailleurs et les jeunes à la recherche d’une issue politique révolutionnaire, en exprimant qu’il ne saurait exister d’autre gouvernement possible, que ce gouvernement reflète le vote de juin 1997, qu’il peut satisfaire les revendications (pour peu qu’on l’y " pousse "). Le but est toujours le même : ramener dans le giron du PS et du PCF les travailleurs qui cherchent la voie de la révolution et apporter leur soutien au gouvernement bourgeois de la " majorité plurielle ".
UN GRAND ABSENT : LE MARXISME, UN GRAND SILENCE : LE SOCIALISME
Il faut décidément tenir le rôle de menteurs professionnels dont les " médias " sont coutumiers, pour s’efforcer encore de présenter LO et LCR comme " révolutionnaires ". La confusion générale et le contenu de leur " profession de foi " révèlent la part que ces deux organisations entendent apporter à la destruction des acquis théoriques, politiques et d’organisation du mouvement ouvrier, leur contribution à l’enterrement du marxisme.
" Gouvernement ouvrier ", " expropriation du capital ", " socialisme ", " Etats unis socialistes d’Euro-pe ", tous les acquis programmatiques de 150 ans de lutte des classes et d’histoire politique ouvrière, pour LO et la LCR, tout cela doit disparaître et tout cela a effectivement disparu de leurs discours.
Cela est d’autant plus nécessaire que bon nombre de travailleurs et de jeunes essaieront de se servir du bulletin de vote de la liste Laguiller-Krivine pour exprimer malgré et contre le contenu politique de leur " profession de foi " et de leur campagne, une opposition à ce gouvernement et la recherche d’une solution révolutionnaire. Afin de vider de son contenu tout ce qu’un tel vote pourrait signifier, Laguiller et Krivine commencent donc par évacuer de leur programme toute référence au combat pour l’expropriation de la bourgeoisie, pour la destruction de l’Etat bourgeois. C’est donc, -mais cela n’est pas une nouveauté-, contre la LCR et LO, indépendamment des votes recueillis par ces organisations, que doit et devra être construit le Parti Ouvrier Révolutionnaire.