SOMMAIRE
CPS N° 76                                                                                              8 MARS 1999



46ème CONGRÈS CONFÉDÉRAL DE LA CGT :
SYNDICALISME DE PROPOSITION OU
COMBAT POUR LA DÉFENSE DES ACQUIS OUVRIERS,
POUR LA DÉFENSE DE LA CGT ?

Le précédent numéro de CPS publiait un article titré " 46ème Congrès : Un enjeu de la lutte des classes ".La bourgeoisie a clairement conscience de cet enjeu. La presse en rend ainsi compte :

" Un Congrès en tous points crucial " titre La Montagne du 31 janvier 99. Pour Le Monde, " La CGT change pour de bon " : " …Et c’est tout l’intérêt de ce congrès strasbourgeois : on sent bien que son enjeu va au-delà du seul débat syndical ; que les contours nouveaux du paysage social français en dépendent largement ; que la politique économique et sociale conduite par le gouvernement de Lionel Jospin en sera fortement affectée. Mais on sent aussi que les acteurs de ce changement n’ont pas une claire conscience de l’endroit où ils veulent aller ".

On ne peut énoncer plus simplement que le gouvernement est suspendu à la capacité des directions des organisations ouvrières de faire appliquer sa politique. Le journaliste précise : " Que serait devenu le projet des 35 heures sans le renfort cégétiste ? Le gouvernement sait que la réforme à laquelle il tient tant aurait été très mal en point, pour ne pas dire balayée, si la centrale de Montreuil n’était pas venue voler à son secours. Mais, demain, quelle position la

CGT adoptera-t-elle sur des dossiers aussi sensibles que l’avenir des régimes de retraite, notamment des régimes spéciaux, ou encore celui des services publics ? Les propos récents de M. Thibault sur le sujet ont été à ce point embrouillés qu’on peine à le deviner. Mais, d’évidence, il se joue à Strasbourg une partie dont l’enjeu dépasse, et de loin, le seul avenir de la CGT ".

Embrouillés, les propos de B. Thibault ? Le patron du MEDEF les trouve suffisamment clairs pour apporter sa voix au dauphin de Louis Viannet : " Ernest Antoine Seillière a noté, hier, à Toulouse, " l’attitude moins systématiquement contestataire et plus ouverte à la négociation " de la CGT. " Des thèmes de flexibilité sont abordés maintenant par la CGT qui fait preuve d’un certain réalisme vis-à-vis des phénomènes de société dans le monde du travail " a poursuivi le Président du MEDEF. " La CGT entreprend une approche nouvelle, je lui dis bonne chance ", a-t-il ajouté. (Les Échos, 5 février 1999).

Jamais une direction de syndicat ouvrier n’a bénéficié d’un traitement aussi favorable des médias voués à la défense de l’ordre bourgeois.

" L’HUMANITÉ " OEUVRE À LA DESTRUCTION DU SYNDICALISME OUVRIER

Mais, c’est au PCF qu’il revient de faire l’essentiel du travail pour faire taire toute tentative d’expression d’un point de vue de classe au sein de la CGT.

Le 1er février 1999, l’éditorialiste de l’Humanité salue l’ouverture du congrès :

" Le flot de commentaires qui accompagne le congrès de la CGT témoigne d’une curiosité, d’un intérêt, d’une attente de la société française et d’ailleurs pas seulement française, que certains ont pu croire un temps éteints. Que nous ont appris ces dernières années ? Que le socialisme à la soviétique avait certes failli et qu’il fallait à cet égard remettre sérieusement les pendules à l’heure, mais que le capitalisme n’en devenait pas moins profondément impopulaire. Il n’est pas une enquête qui ne confirme ce que l’on a nommé le désamour entre les patrons et les salariés ". C’est au moment même où tout montre que le conflit d’intérêts entre bourgeoisie et prolétariat atteint un seuil proche de l’explosion, que cet ex-stalinien s’empresse de proclamer la faillite du socialisme.

Boucher toute perspective politique ouvrière est une condition essentielle pour jeter la CGT dans la voie de la cogestion.

Ce n’est pas par hasard si dix jours avant l’ouverture du congrès, la direction du PCF publie dans l’Humanité du 20 janvier 1999 un rapport sur " les services et les entreprises publics " : " Toute réflexion sur " le développement, la rénovation et la démocratisation des services publics est évidemment indissociable de celle sur le capitalisme et son dépassement ".

Nous nous sommes déjà expliqués sur ce nouveau concept de " dépassement du capitalisme ", mais l’Humanité donne ici elle-même tout son sens à cette formule :

" Le débat se focalise sur l’ouverture du capital. Pas plus en cette matière qu’en une autre, les communistes ne raisonnent de façon figée. Les réflexions qu’ils mènent depuis des années, notamment lors des précédents congrès, au sujet de la mixité, ou de la propriété, ou du travail, dans la perspective d’un dépassement du capitalisme, en témoignent. Ils ont rompu avec l’étatisme et entrevoient d’autres modes de gestion pour les entreprises nationales. Ils ne considèrent pas non plus l’ouverture du capital à des financements autres que publics comme une question taboue, à laquelle il faudrait répondre à priori par la négative, en tout lieu et en toutes circonstances ". " Dépasser le capitalisme " en privatisant les entreprises publiques, ce n’est pas forcément évident, même pour des militants du PCF qui ont déjà avalé bien des couleuvres, le journaliste en convient : " Dans les débats, il a fallu souvent préciser le refus du PCF d’une marche à la privatisation…D’autres responsables départementaux disent cela autrement. Ils parlent de difficultés de la part de certains militants à s’extraire " du cadre de leur propre entreprise pour accéder à une visée communiste "…..Difficile de faire admettre à un salarié de France Télécom que l’ouverture du capital n’est pas une question a priori taboue ! ". Une semaine plus tard, JC Gayssot, Ministre PCF des transports, patronne l’ouverture du capital d’Air France aux marchés financiers.

L’Humanité du 28 janvier 1999 commente : " Dans l’ouverture du capital, les salariés d’Air France et de ses filiales sont prioritaires. Normal ".

Pour le quotidien du PCF, enchaîner les salariés à la défense de la rentabilité capitaliste de l’entreprise, ce serait la voie " normale ". Telle est la nouvelle " visée communiste " de R.Hue et du PCF !

La direction de la CGT à Air France doit concéder : " Il y aura de toute façon peu de gagnants et beaucoup de perdants " ; cela ne l’a pas empêchée de participer à toutes les négociations sur la mise en place de la loi dite des 35 heures, négociations qui devraient impérativement aboutir avant la privatisation afin que les investisseurs soient rassurés sur la rentabilité de leur placement… (On verra plus loin que ce ballet bien préparé a connu quelques " ratés ").

Si on poursuit la lecture de l’article de l’Humanité, on y trouve cet aveu : " Lors des législatives de 1997, le programme RPR-UDF annonçait d’ailleurs, sans ambiguïté, " la poursuite du programme des privatisations ". Une raison, parmi d’autres, peut-être, du résultat alors obtenu par ces partis. "

En effet, on ne peut avouer plus clairement que l’ouverture du capital des entreprises publiques s’inscrit dans la continuité du gouvernement Chirac-Juppé contre la volonté ouvrière exprimée en 1997 dans le vote pour une majorité PCF-PS à l’Assemblée Nationale. Le PCF revendique ouvertement l’application du programme Chirac-Juppé.

La direction Viannet – Thibault exprime cette orientation à l’intérieur de la CGT à travers la promotion du syndicalisme citoyen.

SYNDICALISME CITOYEN CONTRE SYNDICALISME OUVRIER

Pour tenter d’inscrire l’alignement de la CGT sur la CFDT dans la fidélité aux principes constitutifs du syndicalisme ouvrier, B.Thibault doit se livrer à une véritable révision de l’histoire. Il affirme dans son discours introductif au Congrès :

" Historiquement, la CGT est inséparable de l’adoption militante par le mouvement ouvrier des valeurs de la Révolution Française. Elle exprime la révolte contre le non-respect des promesses inscrites dans la devise de la République " : c’est la découverte de B. Thibault. Faux, faux grossier. La Révolution française a été dirigée de bout en bout par et pour la bourgeoisie contre l’association féodaux – clergé ; le prolétariat peu développé numériquement et inexistant politiquement a fait cause commune avec la bourgeoisie. Mais la nouvelle classe dominante a clairement défini ses " valeurs " : " liberté " et " égalité "

A la différence de la noblesse qui se proclamait ouvertement classe dominante (par la volonté de Dieu !) la bourgeoisie masque sous le terme de citoyen les antagonismes sociaux que son pouvoir développe prodigieusement. De même que la citoyenneté dans la patrie justifie l’enrôlement forcé de l’ouvrier et du paysan pauvre dans les armées de rapine et de conquêtes (avant même les grandes guerres impérialistes de partage du monde), de même la citoyenneté dans l’entreprise, c’est l’idée que patrons et ouvriers ont un même intérêt à développer la rentabilité capitaliste.. Mais dès 1791, la loi Le Chapelier interdit aux ouvriers " citoyens " le droit de grève et le droit d’organisation ; la bourgeoisie montre ainsi qu’elle a, dès la révolution, une conscience parfaitement claire que ses intérêts sont contradictoires à ceux du prolétariat. La " liberté " de la devise républicaine, c’est la liberté d’entreprise, la libre circulation des marchandises sur le territoire national et la liberté du travail, la liberté d’arracher le paysan à la glèbe pour en faire un salarié " libre " de vendre sa force de travail aux conditions " librement " fixées par le patron.

C’est sur la base d’une exploitation féroce du travail salarié (travail 7 jours sur 7, travail des enfants) que se réalise le formidable essor du capitalisme dans toute la première moitié du XIXème siècle.

C’est contre ces terribles conditions d’exploitation que vont se constituer les premières formes d’organisations ouvrières et ce, tout d’abord dans une grande confusion politique. Il faut attendre juin 1848 pour que, pour la première fois, le prolétariat parisien cesse d’être " l’infanterie " de la bourgeoisie dans le conflit qui oppose cette dernière aux " restaurationnistes " et postule au pouvoir pour lui-même.

Le Manifeste du Parti communiste est la première concrétisation du matérialisme historique élaboré dans L’Idéologie allemande (1846) : le premier programme d’un parti de la classe ouvrière. Dès la première phrase, il expose avec clarté et précision la nouvelle conception du monde élaborée par Karl Marx et Friedrich Engels : " l’histoire de toutes sociétés jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes ".

Cette nouvelle conception du monde est intimement liée à l’essor des organisations ouvrières. Or, la constitution de la CGT ne procède pas des illusions qui ont pu exister dans " l’égalité ", la " liberté " et la " fraternité " entre " citoyens " ouvriers et " citoyens patrons ", mais exactement à l’inverse de la prise de conscience, par une avant-garde ouvrière, des antagonismes d’intérêts inconciliables entre bourgeoisie et prolétariat.

Or, B. Thibault proclame : " Quelles que soient les affirmations des avocats de la pensée libérale, les inégalités se creusent à travers le monde, sur notre continent et dans notre pays. Nous ne voyons pas en quoi, au nom d’un réalisme qui nous rendrait aveugle, nous devrions atténuer en quoi que ce soit nos critiques sur une société produisant autant d’inégalités. D’immenses potentiels existent qui permettraient à tous de vivre mieux dans la démocratie et dans la paix avec un autre partage des richesses ".

Ce faisant, il épouse rigoureusement la doctrine sociale de l’Eglise. Pour le pape aussi la misère, le chômage, c’est une simple question d’inégalité dans la répartition des richesses. On se demande pourquoi, si c’est si simple, la bourgeoisie elle-même n’y a pas pensé plus tôt, s’épargnant ainsi d’incertaines guerres ciles, voire la révolution ! (ce doit être la faute du diable !).

La réalité est exactement à l’inverse. Aux États-Unis par exemple, l’un des moyens de surmonter la crise économique des années 70, c’est la substitution des petits boulots aux emplois qualifiés, la précarisation de l’emploi, la baisse générale des salaires, l’accroissement de la différenciation sociale (plus de 20% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté).

Le problème, ce n’est pas que la bourgeoisie " veut tout garder pour elle ", c’est que le moteur de la production est l’accumulation du profit et que le profit ne se réalise que sur la part du travail non payé à l’ouvrier. Plus la crise du capitalisme se développe, plus il est vital pour la bourgeoisie de faire baisser la valeur de la force de travail.

B. Thibault en rajoute encore sur la ligne de la doctrine sociale de l’église, celle de la CFDT : " La CGT trouve toute sa raison d’être dans la légitimité et la dignité de la lutte collective pour conquérir des droits et les faire respecter : en ce sens, elle continue de tresser le long fil rouge de l’histoire de l’émancipation humaine. Elle incarne la possibilité d’un monde meilleur… ".

" Un monde meilleur " sous domination capitaliste, il faut oser le dire alors que les conquêtes sociales sont liquidées partout dans le monde. C’est là certainement une version " moderne " du discours de l’église qui depuis des siècle invite les opprimés à courber l’échine en attendant " un monde meilleur " dans … l’autre monde.

B. Thibault lutte pour faire disparaître tout repère de classe, ainsi ce passage : " C’est pourquoi la CGT est " tout naturellement " un interlocuteur des partis qui s’inscrivent dans la tradition démocratique républicaine ".

Avec " cette tradition démocratique républicaine " disparaît la distinction fondamentale entre partis issus du mouvement ouvrier (PS et PCF) et partis bourgeois. Cela a pour conséquence immédiate de boucher toute perspective politique immédiate à la classe ouvrière qui s’appuie sur l’existence d’une majorité du PCF et du PS à l’Assemblée nationale.

Cette orientation politique a évidemment des incidences pratiques au niveau de la plate-forme revendicative du syndicat.

DE LA " THÉORIE " A LA PRATIQUE

Dans la CGT, faire passer les contre-réformes exigées par le patronat pour des " avancées sociales " préparant un " monde meilleur " ne peut pas se faire sans masquer les positions prises.

Ainsi, B. Thibault déclare au sujet de la Sécurité Sociale : " Il faut sortir d’une maîtrise purement comptable des dépenses de santé qui, au-delà des conséquences sur les services et les professionnels, ampute les capacités à se soigner autant que de besoin ".

Il faudrait sortir d’une " maîtrise purement comptable ", mais il ne faut surtout pas exiger l’abrogation des ordonnances d’application de la loi Juppé-Chirac, moyennant quoi la direction de la CGT participe aux états généraux sur la santé (voire même les organise) alors que le but déclaré est de préparer la poursuite du processus engagé en 1995. De même, sur la question des retraites : " Il faut, d’abord, faire le vrai diagnostic sur les problèmes des retraites avant de vouloir faire trancher sur des solutions à l’horizon 2040 dont certaines ont un arrière-goût de déjà entendu. Je crois que c’était en novembre 1995 ! ", déclare B. Thibault.

Or, c’est précisément pour faire le " diagnostic " que le gouvernement a mis en place la commission Charpin à laquelle les directions de la CGT et de FO ont participé aux côtés de la CFDT.

Le jeu du diagnostic, c’est de vouloir faire procéder la liquidation des retraites par répartition d’une sorte de nécessité objective, démographique. Cela vise à camoufler qu’il s’agit d’une opération de baisse de la valeur de la force de travail nécessaire à la sauvegarde du profit. Entrer dans le jeu du diagnostic, c’est cautionner les conclusions qui en seront tirées. Il suffit de voir celles du rapport Roché faisant le " diagnostic " sur le temps de travail dans la Fonction publique pour savoir à quoi aura servi la participation à cette " concertation ".

B. Thibault est déjà prêt à assumer les " solutions " que le gouvernement va proposer sur les retraites : " Augmenter les dépenses publiques et sociales n’a rien de choquant en soit. Il faut s’assurer de leur efficacité et trouver les bonnes manières de les financer ".

S’il faut " trouver de bonnes manières " de les financer c’est que les manières actuelles (salaire différé) ne sont pas bonnes ! Or, si ce ne sont pas les cotisations patronales qui financent les retraites, que peut-il y avoir d’autre que l’épargne-retraite ?

Le salaire différé (" charges patronales ") sera récupéré par le patronat sous forme de plus-value. L’épargne -retraite, les fonds de pension sont ponctionnés sur les masses et fonctionnent comme une épargne forcée centralisée par les banques afin d’élargir leurs capacités d’investissement. ou d’alimenter les spirales spéculatives.

Maryse Dumas n’y va pas non plus par quatre chemins. Le journaliste du Monde n’en revient pas :

" C’est sur l’annualisation que Mme Dumas a tenu le discours le plus inattendu , faisant sienne une vision très pragmatique de la question. " L’annualisation, nous y sommes opposés, c’est clair ", a-t-elle d’abord rappelé, mais le fait est qu’elle est déjà vécue par des millions de salariés. " Qu’est-ce qui est le plus efficace ? ", a-t-elle demandé. Répéter le principe ou le faire vivre en définissant, avec les salariés, des revendications concrètes pour leur faire gagner des garanties collectives, faire reculer l’arbitraire patronal, et obtenir qu’une nouvelle réglementation s’impose, plus favorable aux salariés ?. " Il est clair, en effet que ce " nous y sommes opposés ", n’est qu’une formule de style pour positionner le Congrès, et au delà tout le syndicat, sur la ligne de l’application branche par branche, entreprise par entreprise, d’accords dans le cadre de la loi Aubry qui tous incluent la flexibilité-annualisation.

" CONTINUER LA CGT "

Depuis des mois, les partisans de la direction " Viannet - Thibault " présentaient les militants du courant " Continuer la CGT " comme les seuls opposants à la " rénovation " du syndicat. Ce courant est dirigé par des militants du PCF qui se réclament ouvertement de leur passé stalinien. Ils ont reçu le renfort des militants CGT du Parti des Travailleurs.

A l’entrée du Congrès, ils diffusaient un appel dont le contenu permet de dire précisément ce qu’il en est. Cet appel s’ouvre sur une réaffirmation de l’attachement à la charte constitutive de la CGT (Charte d’Amiens, 1895) et propose de réintroduire dans les statuts " que la CGT s’assigne pour but la suppression de l’exploitation capitaliste notamment par la socialisation des moyens de production et d’échange ".

Le numéro spécial de CPS sur le 45ème Congrès de la CGT montrait en quoi la Charte d’Amiens qui fixait comme objectif la " suppression de l’exploitation capitaliste " s’accommodait dans les faits du pouvoir bourgeois et du régime capitaliste ; il revenait sur l’évolution des statuts de la CGT et leurs ambiguïtés. il montrait aussi en quoi la modification des statuts imposée par l’appareil en 1995 modifiait le but de la CGT . en substituant à la perspective du socialisme celle de la " cohésion sociale " dans la société capitaliste.

Cela dit, les affirmations de principe de " continuer la CGT " n’ont été suivies d’aucun combat pratique dans le congrès pour inscrire la CGT dans une orientation de rupture avec la bourgeoisie et donc avec le gouvernement que dirige Jospin.

L’appel présente ensuite une analyse en quatre points :

Le premier est consacré au rapprochement avec la CFDT ; il rappelle les positions de cette organisation sur le plan Juppé, la loi Aubry, la retraite et l’Europe, et conclut : " ce sont des prises de position diamétralement opposées avec, théoriquement, celles de la CGT ".

Certes, les positions de la CFDT sont réactionnaires, totalement réactionnaires, mais ce n’est pas l’essentiel. La question essentielle, c’est celle de la nature même de la CFDT ; or l’appel ne dit absolument rien sur cette question. Ce n’est pas la trahison des dirigeants qui conduit la CFDT sur la ligne de la cogestion, de l’association capital-travail ; contrairement à la CGT, elle a été construite sur cet axe ; la CFDT ne procède pas de la lutte du prolétariat pour s’organiser contre la bourgeoisie, mais du combat de l’ƒglise pour combattre l’influence des organisations ouvrières à l’intérieur du prolétariat.

Il faut d’ailleurs remarquer qu’au dernier congrès CFDT, la soi-disant opposition (le courant " Tous ensemble ") s’est littéralement volatilisé alors même que la direction NOTAT affirmait une orientation ouvertement dirigée contre le mouvement de la classe ouvrière.

À l’inverse, dans les syndicats ouvriers l’orientation de la cogestion ne peut que mener à la liquidation de la CGT, de FO, de la FSU et de la FEN.

Mais, on ne peut pas compter sur les initiateurs de " Continuer la CGT " pour rappeler ces réalités élémentaires. Leur référence, c’est l’orientation de la direction de la CGT avant les 44ème et 45ème Congrès dans une période où les Séguy - Krasucki, inféodés à l’appareil stalinien, ont, par ailleurs, largement utilisé l’inter-syndicalisme CGT-CFDT contre le front unique ouvrier.

Concernant la loi Aubry : " nous savons que c’est une loi qui légalise la déréglementation, la flexibilité et l’annualisation. La CGT doit dénoncer cette loi…. Nous pourrons alors lutter tous ensemble pour imposer nos 35 heures ". " Dénoncer " la loi, ce n’est pas la même chose qu’exiger l’abrogation de la loi : d’où la formulation " imposer nos 35 heures " qui, sous des airs plus radicaux, ne tranche pas avec l’orientation Viannet – Thibaut qui sont pour de " bons accords ". Procès d’intention ? Dans son intervention, un délégué au Congrès, membre du PT et du courant " continuer la CGT " avance : " Voilà pourquoi mon syndicat a adopté un amendement au document d’orientation qui dit : la CGT ne signera aucun accord introduisant l’annualisation du temps de travail… ".

On commence par dire que la loi Aubry c’est l’annualisation puis on dit qu’il ne faut pas signer d’accord incluant l’annualisation, ce qui revient à considérer qu’il pourrait y avoir de bons accords. Le texte continue : " la seconde loi Aubry se prépare à partir des accords actuels… " Peut-on se situer dans la perspective de la loi Aubry sans entériner la première ? Il conclut : " la baisse du coût du travail à travers la loi Aubry n’est rien d’autre que l’application des traités de Maastricht et d’Amsterdam… ". Vieux discours qui, sous couvert de dénoncer les accords inter-impérialistes en Europe, " dispense " d’ouvrir toute perspective de combat contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevène-ment-Kouchner-Voynet .

Concernant le plan Juppé, l’appel poursuit : " Alors que le gouvernement de la gauche plurielle applique inexorablement le plan Juppé, …la CGT ne doit pas participer à de vaines discussions dans le cadre des états généraux, mais combattre ce démantèlement de la protection sociale et préparer un grand mouvement national pour défendre un service public de santé de qualité "

L’appel ne formule pas la revendication précise : abrogation des ordonnances d’application de la réforme Chirac-Juppé. Quant à présenter les états généraux comme de vaines discussions, cela ne constitue pas un armement pour les militants, bien au contraire. La concertation n’est pas " vaine ", elle est l’outil indispensable du gouvernement pour tenter de désamorcer tout combat de classe du prolétariat.

Enfin, l’appel ne dit rien ni sur la question des retraites, ni sur la défense du statut de la fonction publique, alors que ce sont là des enjeux décisifs et immédiats de la lutte des classes.

Pour conclure sur ce point, " Continuer la CGT " fait une condamnation purement formelle du rapprochement avec la CFDT ; il ne caractérise pas le gouvernement comme un gouvernement qui a pour fonction d’empêcher que la classe ouvrière puisse utiliser la défaite subie par le RPR et l’UDF en juin 1997 pour s’engager sur son propre terrain de classe.

Très significatif : lorsqu’elle descend de la tribune, une déléguée qui a lié la défense des revendications à la nécessité de la mobilisation de la classe ouvrière en direction de l’Assemblée nationale pour imposer à la majorité PS-PCF qu’elle rompe avec la bourgeoisie et se situe en défense des intérêts ouvriers, est interpellée par un militant de " Continuer la CGT " (par ailleurs membre du Parti des Travailleurs) qui lui dit : " la majorité PS – PCF ? Où est-ce que tu as vu çà ? ".

L’EXPRESSION DE LA RÉSISTANCE DE LA CLASSE OUVRIÈRE

En dépit de tous les efforts pour assurer le triomphe de la ligne " Viannet – Thibault ", la résistance de la classe ouvrière s’est exprimée dans le 46ème Congrès CGT à travers quelques interventions dans le Congrès.

Ainsi, un retraité de GIAT avance vers une formulation précise de la revendication sur la question des retraites.

" …La journée du 22 octobre a forcé le gouvernement à abroger la loi Thomas sur les fonds de pension, mais à en présenter une autre baptisée " fonds d’épargne retraite ", quelle différence dès lors qu’il s’agit toujours de CAPITALISATION ?. Le développement actuel du chômage sert d’alibi à la remise en cause du système par répartition, il fait apparaître le système par capitalisation comme incontournable, ce que la CGT doit condamner le plus fermement à l’instar de la position prise sur le problème récent des " STOCKS OPTIONS ". Il faut refuser l’épargne retraite qui constitue un danger tant pour les retraites que pour l’emploi. Le système par répartition doit être développé. Il faut exiger le retour aux 37 annuités et demi, la préservation des régimes spéciaux. ". Un délégué de l’équipement lie à juste titre la défense du statut de la fonction publique et la préservation des fédérations dans la confédération contrairement à ce que veut imposer la direction.

" Par contre, en examinant la pratique confédérale de 1995, avec le service public, le privé, la population, les jeunes, les retraités exigeaient le retrait du plan Juppé. La confédération, contrairement à l’avis exprimé dans la rue, négociait le plan Juppé ".

" Nous sommes organisés en syndicats nationaux. Notre statut de la fonction publique est attaqué par le gouvernement. Notre statut est remis en cause par la question de l’organisation du travail. Dans la modification des structures de la CGT, c’est l’avenir du fédéralisme qui est jeu. Il est difficile de comprendre les modifications en si peu de temps. Notre syndicat a réfléchi et émis quelques réflexions. Que va devenir l’UGFF qui défend notre statut, même si le camarade est retenu dans la CE ? "

Un autre pointe la question du gouvernement : " ces dernières années ont été marquées par la bataille pour les conventions collectives. Ce sont les gouvernements successifs, y compris celui d’aujourd’hui qui mettent en cause les conventions collectives ".

Il ne faut pas se cacher que ces interventions, comme toutes celles qui ont cherché à rassembler des éléments d’une orientation ouvrière ne sont pas à cette étape des éléments allant vers la constitution d’un courant lutte de classes dans la CGT, tout simplement parce que manque un regroupement autour d’une avant garde politique dégageant un axe clair de combat pour la rupture avec le gouvernement.

Par contre, en dépit du débat bien préparé, deux incidents ont mis en évidence les difficultés que B. Thibault et son équipe vont rencontrer sur leur chemin.

Le premier est intervenu le 4ème jour du congrès dans la discussion sur la proposition faite par Thibault " de parvenir à un rassemblement interprofessionnel et si possible unitaire ". Le Monde remarque " d’un coup ce rendez-vous national a déchaîné les passions ".(...) " l’action unitaire, oui, mais sur nos revendications ", réclame un délégué. Quelles revendications ?

L’Humanité qui rend également compte de cet épisode est obligée de concéder : " les premières interventions, improvisées, sont en retrait (sic), certaines exigeant une fois de plus la condamnation des fonds de pension ou du plan Juppé ". Le style du journaliste du PCF est un aveu. Ce " une fois de plus " veut dire " une fois de trop ". C’est qu’en effet quatre jours de discussion n’ont toujours pas convaincu qu’il fallait faire des " propositions " dans le cadre de la réforme Juppé-Chirac ou de la mise en place des fonds de pension.

Le journaliste du Peuple (quotidien publié par la direction de la CGT pendant le congrès) laisse éclater sa rage : " la seconde intervenante… nous annonce d’emblée la couleur : " ce rendez-vous doit servir à réclamer l’abrogation du plan Juppé ". Pas de chance, une bordée de sifflets la renvoie vers son siège ". Ni l’Humanité, ni le Peuple ne font allusion au délégué qui réclame " qu’on s’y prépare vraiment…POUR AVOIR UN MOUVEMENT COMME A L’HIVER 95 ". C’est alors que B.Thibault doit monter à la tribune : " L’hiver 95 ? J’ai quelques souvenirs en la matière, ce n’est pas à priori l’objectif qu’on vise ".

On ne peut mieux résumer la politique d’une direction toute entière arc-boutée sur la protection du gouvernement contre un déferlement de la classe ouvrière. Elle fait l’effet d’une " douche glacée " sur les congressistes, comme le dira l’une d’entre elles.

Le second incident survient à propos de la discussion du point du projet d’orientation qui prévoit des campagnes de syndicalisation communes avec les autres organisations : " Pourquoi ne pas mener des campagnes de sensibilisation sur le syndicalisme et des actions en commun comme cela est parfois le cas après des luttes communes ? ". Un délégué propose le rejet de cette formulation. Au vote à mains levées, une forêt de bras l’approuve ; la direction demande un deuxième vote avec décompte fédération par fédération ; manifestement elle n’y trouve pas " son compte ", elle demande alors un vote par mandats ; les résultats sont connus .... beaucoup plus tard : la direction s’est " trouvé " 53% des mandats pour approuver ce point en fait rejeté par les congressistes.

Le maire (PS) de Strasbourg concluait son discours de bienvenue aux congressistes en ces termes :

" les politiques porteuses de progrès social doivent pouvoir s’appuyer sur des négociations avec des partenaires sociaux forts. Je forme donc le vœu que ce 46ème congrès contribue à ce renforcement. A Monsieur Louis Viannet…je souhaite une retraite remplie de bons livres… Quant à son successeur, je lui souhaite une grande détermination et une excellente santé. Il me semble qu’il en aura besoin. " En effet, il faudra une " bonne santé " à B. Thibault pour parvenir à protéger le gouvernement du mouvement de la classe ouvrière. Le congrès n’était pas terminé qu’on pouvait lire (en petits caractères) dans l’Humanité : " Air France. La grève du personnel de la maintenance, qui semblait, vendredi, s’être terminée, grâce à un accord de fin de conflit mis au point entre la direction et les syndicats, a hier, rebondi avec le rejet du texte par la base, consultée par vote à bulletin secret. Les grévistes se sont prononcés pour la reprise du mouvement, ont indiqué la CGT et le SNMSAC (mécaniciens au sol) qui soutiennent le mouvement avec SUD-aérien. Les personnels reprochent à la direction de s’attaquer à travers l’accord-cadre à la rémunération des horaires décalés (horaires de nuit, dimanche, jours fériés) ". Tout y est, et l’accord des dirigeants syndicaux avec la direction et… le rejet de cet accord par les ouvriers. A l’échelle d’une catégorie de salariés dans une entreprise, c’est la situation que l’on peut retrouver dans tous les secteurs de la classe ouvrière.

COMBAT POUR LE FRONT UNIQUE, POUR LA DÉFENSE DE LA CGT

Le combat pour la defense de la CGT, c’est le combat pour defaire le gouvernement, c’est le combat pour le front unique ouvrier, pour contraindre la majorite PS-PCF à satisfaire les revendications.

La question de la nouvelle orientation de la CGT ne concerne pas évidemment que la CGT elle-même, elle intéresse tout le mouvement ouvrier. Il suffit de lire le numéro de janvier de POUR (revue de la FSU) titré : " Mutation du syndicalisme, meilleurs vœux ". La position de la direction de la FSU est résumée par l’un des dirigeants : " En tout cas, la FSU fera tout pour que l’espoir qu’a fait naître l’annonce des rencontres entre la CGT et la CFDT se traduise par un véritable renouveau du syndicalisme ". " Renouveau " immédiatement traduit dans les faits par le soutien que la direction de la FSU apporte dans le même journal (POUR/janvier) à la réforme des lycées concoctée par le gouvernement.

On pourrait aussi montrer comment l’orientation de la direction de la CGT rend grand service à la direction de FO qui fait marcher à fond le double langage, d’une part " FO le syndicat qui reste un syndicat " et, d’autre part, la signature à tour de bras d’accords d’annualisation et de flexibilité dans des secteurs où elle a des positions importantes comme à la sécurité sociale.

Ce qu’expliquait Trotsky en 1940 sur les organisations syndicales se trouve être aujourd’hui d’une brûlante actualité.

La crise du capitalisme ne laisse aucun " grain à moudre " pour une politique " réformiste " des organisations syndicales. Il n’y a que deux politiques possibles  : ou pousser sans cesse plus loin vers la cogestion des " contre-réformes " voulues par la bourgeoisie, et par conséquent aller vers la destruction des syndicats ouvriers, ou bien défendre ces organisations en rompant avec la bourgeoisie, c’est-à-dire en engageant le combat pour défaire le gouvernement et son offensive anti-ouvrière. Sur ce deuxième axe, seuls les révolutionnaires peuvent aider à constituer un pôle de regroupement pour les militants lutte de classe.



DÉBUT                                                                                                      SOMMAIRE - C.P.S N°76 - 8 MARS 1999