- ROMPEZ AVEC LE GOUVERNEMENT !
- ENGAGEZ LE COMBAT EN DIRECTION
DE LA MAJORITÉ PS-PCF À L’ASSEMBLÉE NATIONALE !
telle est l’exigence des travailleurs
à l’adresse des dirigeants syndicaux
LA QUESTION ENSEIGNANTE, QUESTION CENTRALE
Un an après la grève générale en Seine-Saint-Denis, puis en Guadeloupe, deux mois à peine après la puissante mobilisation lycéenne d’octobre-novembre 1998, les enseignants des écoles, ceux des collèges et des lycées ont engagé le combat : grèves et manifestations se sont multipliées en janvier et février notamment dans le nord de l’agglomération parisienne, hors du cadre fixé par les appareils syndicaux, en rejetant de manière particulièrement nette les réformes gouvernementales et la politique de discussion de ces réformes conduites par les dirigeants syndicaux. Un article de C.P.S. analyse ci-après cette mobilisation, et les obstacles auxquels sont confrontés les enseignants. Indiquons simplement ici que les revendications éparses se sont très vite cristallisées autour du mot d’ordre de retrait de la réforme des lycées ainsi que sur celui de retrait de la Charte du XXIème siècle qui menace de dislocation l’enseignement du premier degré.
L’appel signé, dès début janvier, par plus de cent instituteurs des Mureaux à l’adresse des dirigeants syndicaux pour qu’ils exigent "le retrait de la Charte du XXIème " ainsi que la constitution, sur cette base, d’un " collectif pour l’unité des syndicats enseignants pour le retrait immédiat de la " Charte pour bâtir l’école du XXIème siècle et de ses annexes " traduisent cette exigence du retrait des réformes et la nécessité de contraindre les dirigeants syndicaux à combattre sur cette orientation.
C’est ce qu’a exprimé la manifestation du 4 février, lorsqu’a surgi le mot d’ordre : " Grève générale de toute l’Éducation nationale ", mot d’ordre adressé tout particulièrement aux dirigeants du SNES, du SNUIpp, de la FSU.
Un autre mot d’ordre a eu un incontestable succès, qui mérite réflexion, c’est celui de : " Allègre, démission ! ". Pour nombre d’enseignants, ce mot d’ordre n’est pas satisfaisant. À juste titre, ils font remarquer que l’essentiel n’est pas le personnage mais la politique qu’il impulse, et que cette politique est celle de tout le gouvernement, au compte de la bourgeoisie. À juste titre, ils indiquent que certains conseillent au gouvernement de se débarrasser d’un personnage qui révulse les enseignants afin de pouvoir mettre plus facilement en oeuvre les réformes dont Allègre a aujourd’hui la charge.
Mais pour les enseignants qui ont fait leur ce mot d’ordre, il ne s’agit pas de se débarrasser d’un individu pour garder ses réformes, ni de se débarrasser d’un " mauvais " ministre pour garder un gouvernement ainsi purgé, et sa politique avec. Ce qu’exprime ce mot d’ordre, au delà de la mise en cause d’un ministre particulier, c’est la volonté d’infliger une défaite politique à ce gouvernement, la volonté que soient retirées toutes les réformes et mesures réactionnaires imposées depuis vingt mois. Ce qu’exprime ce mot d’ordre, c’est la recherche, tâtonnante, d’une réponse politique à la question : quel gouvernement, quel autre gouvernement, est à même de satisfaire les revendications des travailleurs ? Car vingt mois après la défaite politique infligée à Chirac en mai-juin 1997, après l’éviction de la majorité RPR-UDF et alors que siège, depuis cette date, une majorité de députés du PS et du PCF, la question décisive demeure : comment imposer à cette majorité PS-PCF à l’Assemblée qu’elle constitue un autre gouvernement ? Et sur quelle base ?
Face à la mobilisation des enseignants qui commençaient à se dresser contre le gouvernement et sa politique, les dirigeants du SNES ont été contraints de louvoyer. Après avoir, des mois durant, discuté de la réforme des lycées dans le cadre défini par le gouvernement, après avoir impulsé le mot d’ordre de " réformer la réforme ", les dirigeants du SNES ont dû, se prononcer pour l’abandon de la réforme.
Mais ils n’ont pas pour autant renoncé à aider un gouvernement qu’il s’agit de protéger contre le mouvement des masses ; ils ont ainsi participé, tout comme ceux de FO, de la FEN et des diverses organisations syndicales, au Conseil supérieur de l’enseignement (C.S.E.) qui, le 4 mars, a discuté de la réforme des lycées. Ils ont, de même, co-organisé la consultation des collèges, consultation préparatoire à une nouvelle offensive contre les collèges et les enseignants. Ils font tous les efforts pour noyer l’exigence du retrait des réformes en réclamant l’ouverture de nouvelles négociations " pour imposer d’autres réformes ", dont le contenu est le même ainsi que l’attestent les propositions précises des dirigeants du SNES.
Mais le fait demeure que les dirigeants du SNES ont dû se prononcer pour " l’abandon " de la réforme des lycées par peur que la mobilisation des enseignants puisse resurgir et échapper à tout contrôle.
Au même moment, la discussion a été conduite au plus haut niveau du PS, du PCF comme du gouvernement : doit-on - face à une explosion possible - renoncer à cette réforme, ou la vider de tout contenu ? Doit-on, pour mieux la faire passer, se débarrasser d’Allègre ? Les déclarations successives et contradictoires qui se sont multipliées durant février indiquent que la question était bel et bien posée.
Mais Jospin, avec le gouvernement, a tranché : la réforme doit passer et Allègre, au moins pour l’instant, doit rester. Un recul sur la réforme des lycées serait contradictoire avec les exigences répétées de la bourgeoisie française, du MEDEF et de Chirac ; tout recul sur cette réforme de même que l’éviction d’Allègre sous la pression des manifestants serait perçu comme une preuve de faiblesse, et un encouragement donné à tous les travailleurs pour engager le combat sur leurs revendications. Un tel recul serait catastrophique pour tout le gouvernement à l’heure même où il doit s’attaquer aux retraites et pensions et généraliser l’annualisation du temps de travail et la flexibilité.
Néanmoins, parce qu’il redoute l’affrontement, le gouvernement est contraint de manoeuvrer. Ainsi, sans renoncer pour autant, il vient de décider de repousser d’un an la mise en oeuvre de la réforme des Universités qui devait commencer à s’appliquer à la rentrée 1999 et annoncer que le projet initial sera modifié. Car il sait qu’une conjonction des mobilisations au lycée et à l’Université le menacerait d’une défaite majeure au moment même où d’autres conflits affleurent. Il compte sur la poursuite de la concertation avec les dirigeants syndicaux (enseignants et étudiants) pour désamorcer toute mobilisation.
POUR DÉTRUIRE LES CONVENTIONS COLLECTIVES : LA LOI DITE SUR " LES 35 HEURES "
La première loi Aubry dite des " 35 heures ", votée au printemps dernier, constitue une machine de guerre contre les travailleurs. Son objectif est de développer la flexibilité et l’annualisation du temps de travail, de disloquer les Conventions collectives, de diminuer la valeur de la force de travail. L’objectif de cette première loi est d’obtenir le plus grand nombre possible d’accords de branches et d’entreprises afin de préparer une seconde loi, laquelle généralisera à l’ensemble de la classe ouvrière les principales dispositions retenues dans la majorité des accords.
La raison fondamentale de la mise en place d’un tel dispositif est qu’après la défaite du gouvernement Chirac-Juppé en mai-juin 1997 et l’éviction de la majorité de députés RPR et UDF, le gouvernement dirigé par Jospin n’avait pas les moyens d’imposer brutalement, frontalement, ce qu’exige le patronat : le démantèlement des acquis du prolétariat, le développement massif de l’annualisation et de la flexibilité.
Toute la première loi Aubry vise donc à faire porter aux dirigeants des organisations syndicales le soin de négocier avec le patronat la remise en cause des acquis au nom des " 35 heures ". Cette loi exprime ainsi de manière caricaturale ce qui caractérise le gouvernement dirigé par Jospin : gouvernement au service de la bourgeoisie, gouvernement respectueux de Chirac, gouvernement composé de l’alliance du PS et du PCF avec des organisations et partis bourgeois (Radicaux-MDC-Verts), ce gouvernement a en effet été mis en place à la suite de la défaite des partis bourgeois, à la suite de l’élection d’une majorité de député PS et PCF, pour " bloquer ", pour entraver le mouvement des masses et poursuivre, autant que faire se peut, la politique nécessaire au capitalisme français. Il y a donc nécessité pour ce gouvernement, beaucoup plus encore que pour n’importe quel gouvernement composé par les partis bourgeois, de faire appel aux dirigeants des organisations syndicales.
Ces dirigeants se sont donc tous, aussitôt la loi adoptée, mis " au travail ", négociant à qui mieux-mieux des accords de branches et d’entreprises.
Fin février, quarante trois accords de branches avaient été ainsi signés, concernant plus de six millions de salariés. Dix-huit d’entre eux ont bénéficié d’un " arrêté d’extension " signé par le ministre de l’Emploi (ou par le ministre de l’Agriculture), procédure qui permet à l’accord d’être applicable par toutes les entreprises du secteur, y compris celles qui ne sont pas adhérentes de la branche professionnelle.
Le contenu des extensions est lui-même instructif, car il indique ce qui est " validé " par Aubry et le gouvernement et préfigure ce que sera la seconde loi sur le temps de travail. Ainsi le principe de l’annualisation des horaires est validé.
Bien évidemment, tous les appareils syndicaux ne signent pas chacun des accords enregistrés : si la CFTC et la CFDT, organisations réactionnaires, sont signataires de la plupart des accords, les dirigeants de la CGT et aussi ceux de FO réservent souvent leur signature, en particulier quand la résistance des travailleurs devient manifeste. Mais cela ne change rien : tous les dirigeants syndicaux, sans exception, acceptent d’abord de négocier. Une telle politique désarme les travailleurs, leur interdit de se mobiliser contre ces accords. Ensuite, - mais c’est un jeu classique de leur part - les dirigeants de la CGT, et parfois ceux de FO, refusent de signer.
En cette affaire, toute la politique de l’appareil bureaucratique de la CGT consiste à expliquer qu’il pourrait y avoir de " bons " accords et que le résultat final ne dépend que des travailleurs, à qui on fait ainsi porter la responsabilité des accords signés.
DES " ACCORDS " AU COMPTE DU CAPITALISME
En réalité, il ne peut y avoir, bien sûr, de " bon " accord, le cadre de la loi et son objectif étant, en particulier, de développer le plus loin possible flexibilité et annualisation du temps de travail.
Ainsi, le 26 février était publié au Journal officiel l’arrêté d’extension de l’accord signé, en novembre, par le patronat du Bâtiment et des Travaux publics et par les dirigeants de FO, de la CFTC et de la CFE-CGC. Cet arrêté, salué par les dirigeants de la Fédération patronale, ouvre la possibilité de moduler la durée du travail de zéro à quarante-six heures par semaine.
Le 25 janvier, c’est la totalité des représentants syndicaux, FO et CGT inclus, qui signent l’accord à EDF et GDF, certains d’entre eux indiquant qu’ils " actaient " (sic !), sans le signer, le point concernant les dispositions salariales. Cet accord réintroduit ce qui avait été annulé par les tribunaux quelques mois auparavant : le passage à 32 heures possible avec perte de salaire (-2,9% nominalement, davantage en terme de pouvoir d’achat) et la mise en cause du statut national de 1946.
François Roussely, patron d’EDF, se félicite d’une " diminution de la masse salariale de 0,5% sur 3 ans " ; le directeur de GDF apprécie, quant à lui, " la souplesse " introduite, permettant une extension des heures d’ouverture des agence, l’amplitude hebdomadaire accrue étant en outre variable, " saisonnalisée ".
Au delà, la fonction essentielle est de disloquer le statut national afin d’ouvrir la voie à une ultérieure privatisation d’EDF, amorcée par la loi sur l’ouverture à la concurrence du " service public de l’électricité ". La revue patronale l’Usine nouvelle peut bien s’indigner de " l’absence de véritable contrepartie " dans cet accord et du fait que " l’entrée en vigueur d’une plus grande flexibilité " soit reportée " aux négociations sur le terrain " ; l’enjeu décisif est donné par une autre publication patronale qui explique : " cet accord constitue une étape décisive pour l’évolution de l’entreprise en même temps qu’un succès important pour son nouveau président, M. François Roussely ". En effet, " pour la direction, il s’agit de procéder - vite - aux indispensables changements qu’impose la directive européenne sur l’énergie et l’imminence d’un marché concurrentiel ".
À l’évidence, c’est un enjeu analogue qui a prévalu dans l’accord signé à la Poste, le 17 février, par les dirigeants de FO, de la CGC, de la CFTC et de la CFDT, ceux de la CGT et de SUD refusant de signer après avoir, bien entendu, participé à toute la négociation. Pour les signataires, la " victoire " résiderait en ce que, à la différence des années précédentes, il n’y ait pas de diminution d’effectifs... durant deux ans ! Or, pour compenser les 20 000 départs prévus sur deux ans (retraites...), 6000 travailleurs seulement seront recrutés sur postes de fonctionnaires. À cela il faudra ajouter 14 000 EUTC (Equivalent unité à temps complet). La Fédération nationale CGT des PTT explique : " la majorité des 14 000 EUTC ne sont pas des recrutements en tant que tels mais peuvent contribuer à compléter le temps d’utilisation des contractuels ". Cela signifie que les EUTC sont pour l’essentiel des compléments d’heures attribuées aux CDI, CDI intermittents actuels ; il est prévu de transformer 20% des CDD actuels en CDI ; entrent aussi dans cette catégorie les élèves en alternance et les emplois-jeunes !
Il faut savoir que le développement de la précarité a atteint une telle ampleur qu’il y a quelques jours, la recette principale de la poste de La Rochelle a été condamnée en prud’homme pour avoir utilisé un travailleur quarante mois durant en lui imposant successivement le chiffre effarant de 121 contrats successifs en CDD (contrat à durée déterminée) d’une durée de 1 à 30 jours. Et ce n’est là que la partie apparente de l’iceberg. La quasi totalité des travailleurs en CDD préférent se taire plutôt que de perdre leurs maigres ressources. C’est ainsi qu’au total, en deux ans, 14000 postes de fonctionnaires vont être remplacés par des vacataires.
En outre, cet accord sur le temps de travail " va permettre une meilleure ouverture des bureaux de poste " comme s’en félicite le ministre de tutelle Christian Pierret. Au delà, dans le cadre de la mise en concurrence, au niveau de l’Union européenne, des différentes Postes entre elles et avec d’autres entreprises privées, il s’agit d’augmenter la productivité des travailleurs, de diminuer les coûts salariaux en liquidant les acquis statutaire de la Fonction publique.
DE SÉRIEUSES RÉSISTANCES
Les appareils syndicaux de la CGT et de FO, aux côtés d’organisations pro-patronales telles que la CFDT et la CFTC, déploient une activité incessante pour faire avaliser de tels accords. L’Humanité, journal du PCF, en fait une affaire centrale, consacrant quotidiennement plusieurs pages à cette question. Mais les résistances sont nombreuses, qui s’expriment en particulier par la faiblesse relative des accords d’entreprises effectivement signés : fin février, 2000 entreprises regroupant un peu mois de 400 000 salariés, secteur public compris, avaient finalement concrétisé de tels accords : on est loin des 6 millions de travailleurs qui entrent, en théorie, dans le champ des accords de branche.
Cette résistance s’exprime de nombreuses manières. Dans les usines du groupe PSA, l’annonce de l’accord projeté provoqua un puissant mouvement de protestation.
À Air France, l’accord qualifié " d’exemplaire " entraîne aussitôt la grève des travailleurs de la maintenance qui voyaient disparaître le paiement en heures supplémentaires du travail de nuit et du travail de week-end, alors même que l’entretien des avions se fait de plus en plus souvent la nuit.
Au Congrès confédéral de la CGT, cette question là fit l’objet de polémiques intenses, les critiques les plus véhémentes à l’égard de la ligne confédérale n’étant pas, il s’en faut de beaucoup, formulées par l’opposition " officielle " (constituée par des lambeaux de l’appareil confédéral dans le cadre de la crise du PCF).
Et, au sein de l’appareil confédéral, les inquiétudes face à l’hostilité croissante des travailleurs aux accords sur les 35 heures sont apparues le 1er mars lors de la publication du rapport annuel de l’institut de recherche de la CGT, préfacé par Louis Viannet. Ce dernier, abordant la question des 35 heures et celle des retraites fait état de " prochaines tensions ".
Cette hostilité spontanée, en dépit de la propagande incessante de la presse et des appareils syndicaux, ne peut que croître. Il convient de l’aider à s’organiser, pour imposer aux dirigeants syndicaux qu’ils rompent les négociations engagées, et exigent l’abrogation de la loi Aubry. Un exemple en est donné, dans ce même numéro de CPS, par un appel signé par 156 travailleurs de Renault-Véhicules Industriels (RVI) (cf. page 14).
CONTRE LES RETRAITES : UNE OFFENSIVE S’ENGAGE
Un autre grand chantier s’ouvre aujourd’hui : celui des retraites et pensions. C’est un chantier explosif : chacun se souvient qu’en décembre 1995, le gouvernement Chirac-Juppé avait dû reculer sur la question des pensions de la Fonction publique, des " régimes particuliers " - ceux de la RATP, de la SNCF. La bourgeoisie exige que l’offensive soit reprise. mais le gouvernement multiplie les précautions, et en tout premier lieu associe les dirigeants syndicaux à la préparation de cette offensive. Ceux-ci ont donc accepté de participer à la commission Charpin, dont le rapport sera publié fin mars.
Sous le prétexte grossier qu’en l’an 2045, le nombre de retraités serait sensiblement modifié par rapport à celui des actifs, il est proposé, sans attendre, plusieurs brutales mesures visant à remettre en cause le droit aux pensions et retraites, en particulier la prolongation du nombre d’années de cotisation exigées et la diminution du montant des pensions. En outre serait instauré et développé un système de retraite par capitalisation qui amorcerait la liquidation du système actuel par répartition,organisant la solidarité ouvrière, bien évidemment avec l’argument fallacieux qu’il faut " protéger la répartition ".
Le 20 janvier Jospin avait fixé l’objectif. Devant les chefs d’entreprise réunis au Forum de l’Expansion ; il avait annoncé : " Aujourd’hui, la retraite à 60 ans n’est pas une obligation absolue ". Cette formulation indique comment le gouvernement entend remettre en cause la retraite à 60 ans sans annoncer ouvertement qu’elle sera reportée à 65 ou 70 ans : il s’agira d’imposer un plus grand nombre d’années de cotisation nécessaire pour bénéficier de la retraite. D’abord aligner les fonctionnaires sur le privé, avec 40 années de cotisations, - au nom de " l’équité " - puis contraindre tous les travailleurs à cotiser 42,5 années. " On pourrait ", dit Jospin, " raisonner en terme de longueur et d’activité effective (...) Ce débat devra avoir lieu ".
Avec la prolongation des études jusqu’à 20, 25 ou 30 ans et un chômage massif, il est évident qu’ainsi nombre de travailleurs ne verront jamais leur retraite. Selon un rapport remis par Jean-Baptiste de Foucault à la Caisse d’assurance vieillesse, l’objectif serait de réduire le nombre de retraités prévus en 2040 de près de 30% (étant entendu, pour Foucault comme pour tous ceux qui échafaudent des statistiques jusqu’en 2040, qu’il n’y a pas d’autre avenir possible que le capitalisme...).
C’est très exactement ce que demande la bourgeoisie. Ainsi Denis Kessler, vice-président du MEDEF, affirme :
" il faut relever les âges de cessation d’activité, ce qui se traduit à la fois par plus d’actifs et moins de retraités. Nous n’y échapperons pas. On doit dire la vérité aux Français et mettre fin à l’illusion de la retraite à 60 ans : demain ils devront travailler plus longtemps " et il faut " harmoniser " les régimes de la Fonction publique sur le régime général : " il y a urgence. C’est une mesure de justice ".
Bien évidemment, la CFDT tient le même discours : " pour rétablir l’équité " (notion fondamentalement chrétienne), il faut passer " de la notion de retraite à celle de durée de carrière " explique Nicole Notat au Congrès de Lille.
Mais pour répondre aux exigences du MEDEF et du gouvernement, la CFDT a besoin de l’appui de la direction de la CGT. Au sein de cette dernière, Le Digou - nouveau promu au bureau confédéral - joue le rôle d’éclaireur. Pas question, pour lui, de boycotter la commission Charpin à laquelle il participe : " la mission Charpin a le mérite d’exister. C’est la première fois depuis vingt ans que les partenaires sociaux sont associés directement à un travail de réflexion sur l’avenir des retraites ".
Comme pour le patronat et Charpin, Le Duigou s’inscrit dans le cadre d’une réflexion à " l’horizon 2040 ", c’est-à-dire dans le cadre du capitalisme comme seul avenir possible et de la mise en place d’un régime par capitalisation en dépit de quelques précautions oratoires : car décider aujourd’hui de mesures destinées à préparer " l’horizon 2040 ", c’est obligatoirement, mécaniquement, organiser le démantèlement du régime par répartition qui -par définition - ne fonctionne qu’au présent immédiat, les actifs actuels contribuant, par leur salaire différé, à assurer les retraites actuelles. Pour cette raison, Le Duigou répond à des militants qui l’interpellaient : " je n’utilise quant à moi jamais le terme de " salaire différé ". Cela a une connotation 1930 ".
De la même manière, Le Duigou reprend à son compte l’objectif patronal d’aligner l’âge de la retraite des fonctionnaires sur celui des travailleurs du privé : " il faudra vraisemblablement rapprocher la durée de cotisation entre ces deux populations " (Libération, le 24 février). Faut-il préciser dans quel sens doit se faire ce rapprochement ? Il suffit de dire que Le Duigou et la direction de la CGT se refusent à exiger le rétablissement, pour les travailleurs du privé, des 37,5 années de cotisation que le gouvernement Balladur avait passées à 40 années.
Bien évidemment, pour le patronat, ce que seront les régimes de retraite en 2045 est le dernier de ses soucis : comment une société qui n’a plus d’avenir historique, et qui - depuis belle lurette - ne prend des décisions que sur la base des nécessités du court terme, voire du très court terme, pourrait-elle sérieusement réfléchir à l’échéance de 20 ou 50 ans ?
Le seul souci du patronat et de ses représentants, c’est : comment, aujourd’hui, reprendre aux travailleurs la plus grande part possible de leur salaire différé ; comment, aujourd’hui, contraindre les travailleurs à épargner.... pour le plus grand bénéfice du capitalisme français?
Denis Kessler, au nom du MEDEF, explique :
C’est en relation avec l’existence de capacités de production de plus en plus largement excédentaires que se multiplient depuis un an ou deux de formidables opérations de rachat et concentration. Quelques mois après que Daimler ait pris le contrôle, de fait, de Chrysler, c’est Ford qui s’empare de la division automobile de Volvo. Pour Renault, expliquent alors Les Échos du 29/01, " il n’y a plus de temps à perdre pour passer à l’action. Et manger avant d’être avalé ". Au même moment, l’américain Goodyear et le japonais Sumitomo Rubbler constituent le premier groupe mondial dans l’industrie des pneumatiques. Désormais, 70% de la production mondiale sont le fait de cinq groupes. Michelin n’a donc pas le choix : il lui faut à son tour se lancer " dans une grande acquisition " et il est en particulier " poussé à se renforcer en Asie " (Les Échos 4 février).
C’est à de telles opérations, dictées par la concurrence exacerbée et par les menaces d’une crise mondiale, que sera consacrée " l’épargne " imposée aux travailleurs. Encore faut-il, avec l’appui des appareils syndicaux, pouvoir le leur imposer. Dans la situation actuelle, le gouvernement et les appareils redoutent la résistance des travailleurs. Ce n’est pas un hasard si, parmi les différents appareils syndicaux, ce sont ceux de la Fonction publique (CGT Fonction publique, FO Fonction publique, FEN, FSU) qui manifestent le plus de réticences à l’égard des projets gouvernementaux : ce n’est pas faute de bonne volonté, mais ils ont encore en mémoire novembre-décembre 1995. En témoigne un communiqué commun des Fédérations Fonction publique CGT et FO du 6 janvier qui affirment " qu’elles n’ont aucune raison d’accepter ce qui a été combattu avec succès en novembre-décembre 1995, ni d’accompagner des reculs au détriment des fonctionnaires actifs et retraités ".
Mais cette vertueuse indignation ne va pas jusqu’à boycotter et à combattre pour le boycott de la Commission Charpin. Au contraire, il faut multiplier les discussions pour désamorcer préventivement une réaction toujours possible des travailleurs. C’est le sens du communiqué de la FEN-UNSA qui, après s’être exclamé : " pour parler des retraites des fonctionnaires, les gouvernements se suivent et se ressemblent ! C’est " apocalypse tomorrow " ! ", conclut en invitant le gouvernement à la prudence :
Toute démarche qui anticiperait cette réflexion, qui ferait accroire que les décisions sont déjà prises ne manquerait pas de susciter quelques souvenirs chez les fonctionnaires. L’année 1995 n’est en effet pas si loin ! "
D’accord sur les objectifs, mais avancer avec précaution, telle est son orientation. L’ennui, c’est que la bourgeoisie française piaffe d’impatience : " que de temps perdu ! " s’exclame Denis Kessler. Et le gouvernement doit passer aux actes, dès cette année.
Pour les militants révolutionnaires, pour tout travailleur conscient des enjeux et soucieux de contribuer à mettre en échec cette nouvelle offensive, il y a une tâche immédiate : impulser le combat pour que les travailleurs puissent contraindre les dirigeants syndicaux à rompre toute concertation, toute discussion des projets gouvernementaux anti-ouvriers. C’est ainsi qu’à la RATP, 158 travailleurs ont signé un appel aux dirigeants syndicaux.... et qu’un premier noyau de travailleurs a commencé à organiser ce combat avec les militants révolutionnaires (cf. CPS page 15).
L’UNION EUROPÉENNE DES ÉTATS CAPITALISTES
L’une des raisons qui fait que la bourgeoisie française s’impatiente, c’est la concurrence accrue par la mise en place de l’euro et l’application d’un certain nombre de directives auxquelles a souscrit le gouvernement français.
À l’étape actuelle, l’euro est un instrument monétaire réservé - de fait - aux grandes entreprises, aux cotations boursières, aux flux de capitaux, à l’émission des obligations. Officiellement, les anciennes monnaies nationales - encore utilisées dans la vie quotidienne - ne sont plus que des fractions, des subdivisions de l’euro, vouées à disparaître dans deux ans. Le passage à l’euro, monnaie unique pour onze des pays membres de l’Union européenne, est qualifié " d’irréversible ".
Pourtant, même les défenseurs les plus farouches de l’euro admettent la fragilité du dispositif mis en place. La raison principale tient au fait que, dans le cadre de l’Union européenne, les États demeurent. Ainsi, en ce qui concerne les obligations émises pour financer ou re-financer les dettes, ces titres de la dette publique sont libellés en euro mais ne peuvent pas être garantis par un État fédéral qui n’existe pas : ils sont émis et garantis par chaque État national. En cas de crise économique ou de crise politique, ces taux peuvent alors diverger brutalement. La situation serait d’autant plus ingérable que l’euro lui-même, pas plus que le dollar ou les autres monnaies nationales, n’est référencé à l’or et que sa " valeur " est tout aussi fictive.
L’euro est une réponse des différents impérialismes européens - l’Angleterre exceptée - pour tenter de surmonter l’instabilité monétaire exacerbée qui règne sur la planète depuis 1971, date à laquelle le président Nixon fut contraint de couper le dernier lien qui unissait le dollar à l’or. Mais l’euro lui-même s’inscrit dans cette situation et en intègre toutes les contradictions. Il en est d’autant plus fragilisé.
Mais en même temps, les différentes bourgeoisies d’Europe sont contraintes de construire cet échafaudage afin de tenter de surmonter les limites que constituent les différents États nationaux et de pouvoir faire face aux concurrents américains et japonais. Une interview de Naïl Goutard, patron du groupe Valéo - l’un des plus gros fabriquants mondiaux de composants pour l’industrie automobile - illustre bien ce que les grands patrons attendent de la mise en place de l’euro :
Un autre " volet " de l’Union européenne est l’application de directives visant à accroître la concurrence au profit des groupes industriels et financiers les plus puissants. C’est en application de ces directives que le réseau ferroviaire a été séparé de la SNCF. C’est en application de ces directives que les députés du PS, ceux du groupe RCV et la majorité des députés PCF ont voté, le 2 mars, la fin du monopole d’EDF....
Au nom de la concurrence ainsi établie, la remise en cause des acquis des travailleurs de ces entreprises va être accélérée. De la même manière, le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Kouchner-Voynet accélère la privatisation des entreprises appartenant à l’État, privatisation totale ou privatisation par " tranches " : les actifs cédés en six mois sont estimés à 60 milliards de francs. Sont d’ores et déjà engagés, ou annoncés, pour l’année 1999 - et pour un montant équivalent - la privatisation partielle d’Air France, ainsi que les privatisations du Crédit lyonnais, d’Eramet et du Crédit foncier ainsi que celle d’Aérospatiale fusionnée avec Matra : " un record dont les prédécesseurs de Lionel Jospin n’auraient osé rêver " commente La Tribune du 17 février.
Précisons que l’Union européenne n’est pas, par elle même, la cause de ces privatisations : celles-ci, qui correspondent aux besoins généraux du capitalisme aujourd’hui, sont également mises en oeuvre dans des États aussi divers que la Suisse (privatisation des chemins de fer) ou le Brésil. Mais le cadre de l’Union européenne et les règles adoptées par les différents États qui le constitue conduisent à accélérer le processus, au détriment des travailleurs : remise en cause du statut, aggravation des conditions de travail, développement de la sous-traitance, liquidation de la prime du " coutumier " pour les " lignards " (réparateurs de lignes)... À France-Télécom, les conséquences de la réglementation et de la privatisation sont déjà brutales.
Pour autant, si l’application des traités de Maastricht et d’Amsterdam, la mise en oeuvre de l’euro, se fait au compte des différentes bourgeoisies, ces diverses bourgeoisies et les fractions qui les composent n’en tirent pas le même bénéfice, il s’en faut de beaucoup, ce qui suscite une situation de crise ouverte au sein de plusieurs de ces bourgeoisies et de leurs partis. Cela est particulièrement vrai pour la France.
LA CRISE DES PARTIS BOURGEOIS
Depuis vingt mois, la crise qui traverse les partis bourgeois, le RPR, l’UDF ainsi que le FN, leur a interdit de reprendre l’initiative politique. À la racine de cette crise, il y a l’incapacité de la bourgeoisie française à infliger au prolétariat les défaites nécessaires dans une situation où s’exacerbent la concurrence, la rivalité entre les impérialismes et il y a la question de l’Union européenne : l’impérialisme français décadent n’a plus aujourd’hui les moyens de s’affirmer, comme à la " belle époque " du gaullisme, face à l’impérialisme allemand. L’essentiel du capital financier a donc dû considérer que la moins mauvaise solution était d’accepter l’Union européenne aux conditions de l’impérialisme allemand tout en cherchant à aménager les conditions dictées par cet impérialisme. C’est ainsi que Chirac a dû accepter, à Dublin puis à Amsterdam, la mise en place de l’euro aux conditions allemandes.
Ce processus n’a pas cessé de nourrir la crise au sein des partis bourgeois. La défaite électorale de Chirac en mai-juin 1997, la débâcle du RPR et de l’UDF perdant la majorité à l’Assemblée nationale, a exacerbé cette crise, libérant les forces centrifuges. Au printemps 1998 et dans le prolongement des élections régionales et cantonales, l’UDF, disloquée, est dissoute de facto : Madelin organise Démocratie libérale tandis qu’en novembre 1998, François Bayrou constitue son propre parti en reprenant le même sigle d’UDF. Léotard et Seguin ont, quant à eux, essayé de surmonter l’émiettement des partis bourgeois en constituant l’Alliance, rassemblement bricolé et improvisé au cours d’une nuit de juin 1999.
Tout ceci n’empêche pas que le quotidien Le Monde, faisant preuve comme à l’accoutumée d’un inoxydable optimisme au compte de la bourgeoisie, de publier le 10 décembre 1998 un article titré : " une éclaircie pour la Droite ". Cet article mérite d’être cité largement :
L’agrégation de toutes les pièces éparses que la dissolution de l’Assemblée nationale avait emportées doit désormais primer sur tout. De ce point de vue, le fait que le président du conseil régional Rhône-Alpes, Charles Millon, et, avec lui, l’option politique qu’il incarne depuis les élections régionales soient à la merci d’une prochaine décision du Conseil d’État constitue une nouvelle aubaine pour les responsables de l’Alliance.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des sujets de satisfaction, le spectacle donné par les leaders du Front national semble soudain ouvrir des perspectives inespérées. "
LE FRONT NATIONAL ÉCLATE
L’explosion du Front national constitue le premier de ces trois actes : le 25 janvier, la scission était consommée avec la tenue d’un congrès convoqué par Mégret et ses fidèles et la mise en place d’un second Front national sous-titré " Mouvement national ". Ainsi se concluait une crise qui couvait au sein de la direction du FN et qui avait éclaté au grand jour, de manière irréversible, lors du Conseil national du FN du 5 décembre. La première conséquence en sera la présentation de deux listes concurrentes lors des élections européennes du 13 juin.
À première vue, rien ne distingue fondamentalement les deux orientations en présence, tout aussi violemment réactionnaires l’une que l’autre. Pourtant ce n’est pas un problème de personnes mais bien un problème d’orientation politique qui est la cause de cette explosion.
L’apparente similitude tient au fait que chacun des deux groupes, afin de pouvoir conserver la plus grande part de l’appareil militant et de l’électorat, doit garantir à ceux-ci la continuité idéologique. Il n’empêche qu’en toile de fond, c’est bien la question de l’Europe qui est au centre du conflit. Comment pourrait-il en être autrement alors que l’un des axes fondamentaux du FN, c’est l’affirmation de la " préférence nationale ", c’est la xénophobie, c’est le combat en défense de la " Nation " menacée par " l’Europe " ? Dès lors que, pour l’essentiel, la bourgeoisie a fait le choix d’accepter les traités dictés par l’Allemagne, le Front National est en porte-à-faux. Il lui faut s’adapter.
C’est ce que cherche Mégret. Et Le Pen l’a bien compris quand il accuse les mégrétistes d’être une " minorité activiste, extrémiste et même raciste " : car l’un des berceaux idéologiques de Mégret, c’est le Grece (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) qui, sous couvert de " civilisation européenne ", " d’identité ethnique " et de " spécificité culturelle ", offre une possibilité d’adaptation à une Union européenne " blanche ".
Tandis que le berceau idéologique de Le Pen, tout aussi raciste et fascisant, c’est celui de la tradition de l’empire colonial français aujourd’hui disparu, celui du racisme colonial et paternaliste.
Ces divers courants jusqu’alors fusionnés au sein du FN tendent à devenir des lignes de partage dès lors que la question européenne traverse le Front national.
Mais au delà des formulations idéologiques, l’essentiel est bien que la crise du FN procède des mêmes causes que celle qui s’est développée et se poursuit au sein de l’UDF et du RPR. Et, à l’étape actuelle, cette crise du FN s’imbrique à celle qui déchire RPR et UDF ainsi qu’en témoigne l’affaire de l’élection à la présidence de la région Rhône-Alpes.
ACTE II : EN RHÔNE-ALPES, LA " GAUCHE PLURIELLE "
AU SECOURS DES PARTIS BOURGEOIS EN CRISE
À la suite de élections régionales du printemps 1998, Charles Millon avait été élu président de la région Rhône-Alpes avec l’appui du Front national. L’éclatement de ce dernier, combiné avec l’invalidation de Charles Millon laissait espérer, à ceux qui voyaient déjà le RPR, l’UDF et DL réconciliés derrière Chirac, que ces partis seraient à même de profiter de la situation ainsi ouverte. Il n’en fut rien, bien au contraire. Manoeuvres et contre-manoeuvres, tractations dirigées sur le terrain par les représentants de Chirac, de Bayrou, de Madelin et de Seguin, revirements et insultes multiples, tel fut le spectacle donné plusieurs jours durant, le RPR et DL recherchant l’alliance avec un partisan de Millon soutenu par les lepénistes tandis que la candidate de l’UDF, soutenue par Raymond Barre, maire UDF de Lyon, se maintenait contre le favori de Millon. Finalement, cette candidate était élue grâce aux voix du PS et du PCF, leur chef de file Jean-Jack Queyranne s’étant désisté au troisième tour en faveur de Anne-Marie Comparini (UDF).
Cet épisode, qui a valeur nationale davantage que locale, est doublement important. Du côté des partis bourgeois, il contribua à approfondir brutalement la crise entre le RPR et DL d’un côté et l’UDF de l’autre. " L’Alliance " en ressortait comateuse, réduite à un simple regroupement entre le RPR et DL.
Du côté du PS et du PCF, l’argument mille fois ressassé du " front républicain " fut une nouvelle fois mis en avant pour justifier l’alliance avec l’UDF.
Cette politique, inacceptable puisqu’elle revient à s’allier avec un parti bourgeois sous couvert de combattre un autre parti bourgeois tel que le FN, devenait ici un argument pour le moins spécieux, Jean-Jack Queyranne disposant d’une majorité relative. En choisissant de se retirer au troisième tour, il offrait sur un plateau la présidence (et les huit vice-présidences) à l’UDF. En expliquant qu’il s’agissait là " d’une forme de cohabitation ", Queyranne donnait l’objectif réel du Parti socialiste : faire de la région Rhône-Alpes un banc d’essai pour une nouvelle " forme de cohabitation "à l’échelle nationale, laquelle pourrait prendre forme dans un avenir plus ou moins lointain en fonction des développements politiques ultérieurs et des possibilités offertes.
ACTE III : UNE LISTE UDF CONTRE LA LISTE RPR-DL AUX ÉLECTIONS EUROPÉENNES
Dès le 21 janvier, Raymond Barre déclarait : " s’il y avait une liste autonome de l’UDF, ce ne serait pas la fin du monde, ni la fin de l’opposition, ni la fin de la tentative de reconquête que l’on fait à l’heure actuelle du champ politique ". La machine est lancée. L’UDF fait d’abord savoir qu’elle ne peut accepter Philippe Seguin comme tête de liste commune compte tenu de son opposition ancienne au traité de Maastricht et de la tiédeur de ses " sentiments " européens. Puis l’UDF affirme sa différence en proclamant son attachement au fédéralisme alors que le RPR prône la défense de la " souveraineté nationale ". Il ne reste plus à Jacques Chirac qu’à faire le grand écart et de se poser en " rassembleur " au dessus de la mêlée faute d’avoir pu éviter l’affrontement entre l’UDF et le RPR. À ces divisions s’ajoute la liste anti-maastrichtienne conduite par Pasqua, pilier historique du gaullisme, sans parler même de la liste distincte conduite par de Villiers.
On peut difficilement imaginer un plus grand émiettement des partis de la bourgeoisie alors même que la logique des institutions de la Vème République c’est de fonctionner avec, au lieu des partis bourgeois traditionnels, un rassemblement au service du président-bonaparte....
De ce fait, la crise des partis bourgeois, c’est aussi la crise des institutions de la Vème République. Dans ces conditions, c’est une autre " solution " qui se profile en pointillés comme alternative possible à l’actuel gouvernement de la " gauche plurielle " : celui d’un gouvernement de coalition entre le PS, l’UDF et quelques autres forces d’appoint.
Ce n’est qu’une possibilité, qui suppose en particulier que le gouvernement de la " gauche plurielle " ne soit plus indispensable à la défense de l’ordre bourgeois et que Chirac, avec le RPR, ne soit pas capable de récupérer directement l’ensemble des leviers du pouvoir.
UN GOUVERNEMENT TOUJOURS NÉCESSAIRE AU MAINTIEN DE L’ORDRE BOURGEOIS
La situation présente demeure plus que jamais marquée par la défaite politique subie par Chirac, le RPR et l’UDF en mai-juin 1997. La fonction du gouvernement de la " gauche plurielle ", gouvernement d’alliance du PS, du PCF avec des organisations et partis bourgeois (le RCV), gouvernement bourgeois respectueux de Chirac, remplit la fonction habituelle des gouvernements de Front populaire : bloquer le mouvement des masse, interdire à la classe ouvrière de se saisir de la défaite infligée à une bourgeoisie en crise, lui interdire de s’appuyer sur l’existence d’une majorité PS-PCF pour exiger la satisfaction de ses revendications, pour imposer un gouvernement sans ministre représentant des partis bourgeois, empêcher - ou, à défaut, limiter - la mobilisation des travailleurs sur leur propre terrain par de puissantes grèves, par la grève générale. Sur cette base, la fonction seconde d’un gouvernement de Front populaire est de faire refluer la classe ouvrière, de permettre à la bourgeoisie et à ses partis de reprendre directement le pouvoir et d’engager contre les travailleurs la plus brutale des offensives.
Au moment présent, le dispositif du gouvernement de la " gauche plurielle " - Front populaire demeure nécessaire au maintien de l’ordre bourgeois. Pour cette raison, la direction du PCF a réaffirmé sa participation pleine et entière au gouvernement dirigé par Jospin. Cette nécessité est d’autant plus grande que, du fait du développement de la crise du capitalisme, des coups que la bourgeoisie doit porter à la classe ouvrière, le risque d’un surgissement d’une puissante mobilisation de la classe ouvrière demeure.
Mais aussi puissante puisse être une telle mobilisation, la classe ouvrière ne peut véritablement aujourd’hui protéger ses acquis - sans même parler d’en gagner de nouveaux - qu’en engageant le combat pour en finir avec le capitalisme. Faute de quoi, toute " victoire " partielle serait très vite remise en cause : car à l’heure où la crise monétaire, financière, économique se développe de pays en pays et touchera tôt ou tard tous les pays qui en sont aujourd’hui provisoirement préservés, la bourgeoisie doit chercher à démanteler, systématiquement, tous les acquis antérieurs arrachés par les travailleurs : retraites et protection sociale, systèmes de santé et d’enseignement, pouvoir d’achat, etc.... Mais en finir avec le capitalisme implique, pour le prolétariat, de prendre le pouvoir.
POUR LA MANIFESTATION CENTRALE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Or, le prolétariat ne peut prendre le pouvoir et s’y maintenir que si, dans la lutte des classes, se construit un Parti ouvrier révolutionnaire. Aujourd’hui, en l’absence d’un tel parti, le prolétariat ne peut commencer à répondre à la question du pouvoir qu’en utilisant ses organisations traditionnelles.
Parce qu’il combat pour le socialisme, pour la prise du pouvoir par le prolétariat, le Comité combat pour l’unité de la classe ouvrière et de ses organisations face à la bourgeoisie. Au " Front républicain ", à " la citoyenneté " qui visent à maintenir la cohésion de la société capitaliste par la coopération de tous (gouvernement, État, patrons, partis ouvriers, centrales syndicales) il faut opposer le combat classe contre classe.
L’existence d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale est un point d’appui pour répondre à cette question du pouvoir. Il faut combattre pour lui imposer :
la rupture avec Chirac, la Vème République et ses partis (RPR, UDF et FN) et l’ensemble des formations bourgeoises.
la satisfaction des revendications ouvrières,
la constitution d’un gouvernement PS-PCF sans ministre représentant de formation bourgeoise.
Ceci implique qu’à chaque moment soit avancée la nécessité de la manifestation à l’Assemblée nationale, qu’à chaque moment le combat des travailleurs soit dirigé vers le point d’appui que représente l’existence d’une majorité PS-PCF, pour dicter à cette majorité une politique conforme aux intérêts ouvriers : manifestations de corporations entières à l’appel des dirigeants syndicaux, manifestation centrale et unie à l’appel des Confédérations ouvrières.
C’est par ce combat incessant que peut être ouverte la perspective d’un gouvernement du PS et du PCF
La constitution d’un tel gouvernement ne signifierait pas pour autant que le PS et le PCF auraient changé de nature. Mais ce serait une défaite pour la bourgeoisie et un formidable appel à la mobilisation des masses.
C’est en s’engageant dans un tel combat que la classe ouvrière s’ouvrira la voie qui mène au socialisme, c’est-à-dire : à la prise du pouvoir, à la destruction de l’État bourgeois et à l’expropriation du Capital, à la construction de l’État ouvrier, à la socialisation des moyens de production pour la satisfaction des besoins de l’humanité.
Pour un tel combat, à chaque moment, la classe ouvrière a besoin d’un parti révolutionnaire. C’est pour la construction d’un tel parti, d’une Internationale ouvrière révolutionnaire qu’agissent les militants du Comité. À cette construction les militants du Comité appellent les travailleurs à participer.