SOMMAIRE
CPS N° 68                                                                                                             13 JUIN 1997

Grande-Bretagne:


VICTOIRE DU LABOUR PARTY AUX ÉLECTIONS

LES TORIES CHASSÉS DU POUVOIR

Le premier mai 1997 se sont déroulées les élections générales en Grande-Bretagne. Les résultats, comparés à ceux des élections précédentes, s’établissent comme suit:
 
 
Labour Party
Tories
Libéraux.
Autres*
AnnéeParticipat°% exprimés%inscritssièges%exprimés%inscritssièges%exprimés%inscritssiègessiègestotal sièges
1970
71,5
43,1
30,8
287
46,4
33,2
330
7,5
5,4
6
8
631
1974/ 02
78,7
37,2
29,3
301
37,2
29,3 
296
19,3
15,2
14
44
655
1974/ 10
74,8
39,2
28,5
319
35,8
26,8
276
18,3
13,7
13
52
660
1979
76,0
36,9
28,0
269
43,9
33,4
339
13,8
10,4
11
14
660
1983
72,7
27,6
20,1
209
42,4
30,8
397
25,4
18,5
23
21
650
1987
75,5
30,8
23,3
229
43,0
32,5
375
22,4
16,9
23
23
650
1992
77,7
34,2
26,6
271
41,6
32,3
336
17,9
13,9
18
24
651
1997
71,2
43,17
30,07
419
30,6
21,8
165
16,7
11,9
46
29
659

*Autres: comprennent les partis bourgeois et petits bourgeois que sont les nationalistes écossais, gallois et de l’Irlande du nord, ainsi que les unionistes (Irlande du nord) et les "indépendants".

Malgré une participation au scrutin de 71,2 %, plus faible que la moyenne observée pour ce type d’élection depuis 1945 (75 %), il s’agit d’une victoire incontestable du Labour Party. En pourcentage par rapport aux exprimés et aux inscrits, il renoue avec les scores réalisés en 1970 où pourtant les conservateurs (les tories) avaient gagné les élections. Mais de plus, lors de ces dernières élections, les Tories se sont effondrés et, par le jeu du mode de scrutin de circonscription à un tour, ils ont subi une défaite historique en terme de sièges au parlement. Par rapport aux élections de 1992, ils perdent 178 sièges tandis que le Labour Party en gagne 146.

Si on exclut l’Irlande du nord, - partie de l’Irlande occupée par l’impérialisme britannique, où le Labour ne présente pas de candidats - les pourcentages de voix par rapport aux exprimés s’établissent comme suit: Labour Party 44,4 %; conservateurs 31,4 %; libéraux 17,2 %; autres 7,0 %. En Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, les conservateurs ont été chassés et rejetés dans les campagnes. Dans toutes les villes ouvrières, le Labour Party remporte une victoire écrasante.

En Écosse Centrale - dont Glasgow et Édimbourg - en Galles du Sud, à Manchester, Liverpool et Sheffield, à Birmingham, il rafle la presque totalité des sièges au parlement. Pour ce qui est de Londres et de sa banlieue, le Labour Party réalise 49,5 % des exprimés, conservateurs et libéraux se maintenant dans les seuls "beaux quartiers". Au total, plus de 13,5 millions des voix se sont portées sur le Labour Party.

Massivement, le prolétariat a voté pour le Labour Party, pour chasser le gouvernement des Tories, pour en finir avec le gouvernement conservateur au service du capital. Malgré le caractère ultra dégénéré du "New Labour", le prolétariat n’avait pas d’autre possibilité dans ces élections pour poser concrètement la question du pouvoir, la question d’un gouvernement ouvrier mettant fin aux attaques brutales dont il a été l’objet depuis 1979 avec les gouvernements conservateurs successifs de Margaret Thatcher (1979-1992) et de John Major (1992-1997).

DÉCADENCE DE L’IMPÉRIALISME BRITANNIQUE

L’Angleterre a été le terreau du plein développement du mode de production capitaliste au cours du XIXème siècle. Jusqu’en 1870, sa production manufacturière dans de nombreux domaines représentait la moitié ou plus de la production mondiale. Les marchandises fabriquées par "l’atelier du monde" inondaient la planète. En 1870, 31,8% de la production manufacturière provient de la Grande Bretagne, contre 23,3% pour les Etats-Unis, 13,2% pour l’Allemagne et 10,3% pour la France. Parmi les principales puissances impérialistes, elle dominait un empire colonial de loin le plus vaste. Elle était de loin la première puissance commerciale et sa marine dominait les mers. La City était la banque universelle sur les bases du développement d’un gigantesque appareil monétaire et financier dont la livre sterling, acceptée partout, était le véhicule.

Ultérieurement, son avance sur le terrain industriel s’est considérablement réduite. A la veille de la première guerre mondiale, en 1913, les USA sont devenus la première puissance industrielle mondiale devant l’Allemagne et l’Angleterre est tombée au troisième rang juste devant la France. La production industrielle de l’Angleterre ne représente plus que 23% de celle des U.S.A. (40% pour l’Allemagne; 19,5% pour la France). Mais grâce à son empire et à sa puissance financière, l’impérialisme britannique maintient son rang de première puissance impérialiste, en particulier en développant le premier de la manière la plus poussée l’exportation des capitaux, les traits rentiers du mode de production capitaliste à son stade impérialiste. En 1914, 46% des investissements directs à l’étranger proviennent du Royaume-Uni.

Après la première guerre mondiale, l’impérialisme anglais a perdu définitivement sa fonction de première puissance impérialiste mondiale bien que la City soit restée la première puissance financière et malgré la permanence de l’empire. Sur la période 1936-1948, la production manufacturière du Royaume-Uni ne représente que 9,2% du total mondial loin derrière celle des U.S.A. (32,2%) et elle est inférieure à celle de l’Allemagne (10,7%). C’est à reculons qu’il défend sa place face à l’impérialisme américain dans le monde, sur tous les plans économiques, financiers et commerciaux.

Dans le cours de la deuxième guerre mondiale, c’est à l’intervention militaire de l’impérialisme US, à son soutien financier que l’impérialisme britannique devra son salut face à l’impérialisme allemand.

UN IMPÉRIALISME DE QUATRIÈME RANG

A l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’impérialisme britannique devra se plier à la puissance hégémonique de l’impérialisme américain. La Grande Bretagne fut totalement secouée par la vague révolutionnaire qui menaçait d’emporter en Europe le régime capitaliste. Contre toute attente, en juillet 1945, le Labour Party remportait une victoire écrasante aux élections générales (47,8% des exprimés et 398 sièges contre 39,8% des exprimés et 213 sièges aux conservateurs).

Le 28 juillet 1945, Churchill devait laisser précipitamment sa place au sein de la conférence de Postdam à Attlee, nouveau premier ministre et chef du Labour Party. C’est avec le plein appui politique et économique, et avec la complicité totale du Labour Party que la bourgeoisie anglaise put faire face.

Par la suite, bien que cherchant à jouer ses propres cartes, elle n’a pas eu d’autre solution que de se subordonner à l’impérialisme américain en particulier lors de la mise en place du plan Marshall en 1947. Face aux nécessités de faire face au prolétariat et de contrebalancer les prétentions de la bureaucratie du Kremlin, seul l’impérialisme américain pouvait impulser la reconstruction de l’économie capitaliste en Europe de l’Ouest tout en imposant aux différentes bourgeoisies européennes une discipline et une coordination économique correspondant à ses intérêts.

Les années qui suivirent furent pour l’impérialisme britannique celles de la descente aux enfers. De 1947 à 1967, l’essentiel de l’empire lui échappe et peu à peu sa présence politique, militaire et économique se réduit à la portion congrue, le plus souvent au bénéfice de l’impérialisme américain. En 1969, la Livre Sterling était brusquement dévaluée de 30% par rapport au Dollar américain. Sa tentative de faire cavalier seul entre la C.E.E. et les États Unis en privilégiant ses liens avec le Commonwealth échoue.

De 1950 à 1973, alors que la croissance moyenne annuelle du P.I.B dans les pays de la C.E.E. a été de 5%, elle n’atteint pas 2,5% en grande Bretagne. En 1961, le Royaume Uni n’a pas d’autre solution que de demander à entrer dans la C.E.E. En janvier 1973, il rejoint avec l’Irlande et le Danemark l’Europe des six. Mais malgré cela, de plus en plus dépendant du marché européen, il restera incapable de remonter la pente. Si l’on considère les productions industrielles totales de l’Italie, la France, l’Allemagne et du Royaume Uni, la part relative de chacun s’établit comme suit:
 1970198019851991
Royaume Uni25,2 %22,6 %23,9 %22,1 %
France22,3 %24,2 %23,6 %23,5 %
Italie20,3 %22,8 %21,7 %22,8 %
Allemagne32,2 %30,4 %30,8 %32,6 %

Comme les autres, le Royaume Uni est largement distancé par l’Allemagne et est réduit à se disputer le deuxième rang en Europe avec la France et l’Italie.

Face aux États Unis, au Japon, à l’Allemagne, l’impérialisme britannique est définitivement relégué au quatrième rang en tant que puissance industrielle mondiale. Écarté, relativement à ses principaux concurrents, du premier rôle dans l’arène du marché mondial, il a gardé toutefois une place de premier ordre dans les sphères de la banque, de la finance et de l’assurance. Cette position résulte de l’héritage de sa splendeur passée.

Mais elle n’est que l’expression d’une intégration exceptionnelle dans le processus de développement du capital fictif et de la bulle financière, le rendant d’autant plus vulnérable face aux fluctuations de la conjoncture de l’économie capitaliste mondiale. En témoignent les multiples secousses qui ébranlent la City, telles que le krach boursier d’octobre 1987, les scandales financiers dont celui de la crise des Lloyd’s dans les années 1990, ou encore la sortie de la Livre Sterling du système monétaire européen en 1992.

UN PROLÉTARIAT PUISSANT

A la sortie de la seconde guerre mondiale, le prolétariat anglais a manifesté sa puissance. En 1945 et en 1950, il donne par deux fois la majorité au Labour Party au sein des Communes. Lors des élections anticipées de 1951, les conservateurs l’emportent bien que minoritaires en voix face au Labour Party (48% et 321 sièges contre 48,8% et 295 sièges au Labour). En 1951, le Labour Party compte plus de 900 000 adhérents directs (contre moins de 500 000 en 1945) et les Trade-unions 9,3 millions d’adhérents (contre 8 millions en 1945).Rassemblé derrière le Labour Party et les Trade-unions, le prolétariat anglais posait la question du pouvoir, d’un gouvernement s’engageant dans la voie du socialisme. Menacée de tout perdre, la bourgeoisie anglaise a du faire d’énormes concessions.

En 1946 étaient adoptées les lois instaurant le "Welfare State" (l’État providence"): le National Insurance Act établissant les régimes d’assurance chômage, maladie, accident de travail et de retraite; le National Health Service Act assurant l’accès libre et gratuit aux soins; le Butler Act établissant un important programme de construction de logements sociaux; le Trade-union Act rétablissant les droits syndicaux amoindris depuis 1927. Le Labour Party au gouvernement permettait à la bourgeoisie de contenir le prolétariat mais au prix fort.

En 1946, l’État prenait en charge la nécessaire concentration du capital et la restructuration de certains secteurs économiques clés : les charbonnages, la production et la distribution d’électricité, les transports intérieurs ferroviaires, routiers, fluviaux et la banque d’Angleterre étaient nationalisés. En 1948 venaient s’ajouter, entre autres, la production et la distribution d’eau et de gaz. Les acquis imposants arrachés par la classe ouvrière britannique allaient être un handicap majeur pour l’impérialisme britannique dans son combat pour tenter d’enrayer son inéluctable déclin.

Par la suite, c’est arc-bouté sur ces conquêtes que le prolétariat anglais a combattu face à sa bourgeoisie. En 1964, il porte à nouveau au pouvoir le Labour Party. Le gouvernement de son leader, H. Wilson, cherchera en vain à "réorganiser" l’économie britannique en fonction des besoins du capital tandis que la détérioration de l’économie capitaliste connaît une expression aiguë en Angleterre avec la dévaluation de la livre en 1967. Mais il se heurte à la combativité du prolétariat anglais. Suite à la grève totale de la marine marchande en mai - juin 1966, la politique des revenus que cherche à instaurer le gouvernement Wilson est disloquée par une vague de grèves dans les années 1968 et 1969, touchant les bastions du prolétariat tels que les métallos et les dockers. En 1969, le gouvernement Wilson doit retirer le projet de loi Cartle visant à réduire et à réglementer le droit de grève.

En 1970, les conservateurs remportent les élections du fait de l’abstention massive de l’électorat ouvrier écœuré par la politique du gouvernement Wilson. Mais à peine quatre semaines après son investiture, le gouvernement Heath est confronté à une puissante grève des dockers suivi de celle des employés municipaux, des hospitaliers et des métallos. En 1972, par la grève générale, les mineurs défiaient le gouvernement Heath, malgré la loi Carr, restreignant drastiquement le droit de grève, adoptée par les conservateurs au parlement en 1971.

Ils obtenaient d’importantes concessions du gouvernement sur les salaires, lui infligeant ainsi une première défaite politique décisive. Par la suite, les tentatives du gouvernement d’utiliser la loi Carr, en particulier contre les dockers, échoueront. A l’automne 1973, il tentait de prendre sa revanche, au nom de la "crise de l’énergie", par le contingentement des salaires et l’imposition de la semaine de trois jours. Les mineurs répliquaient par la grève générale illimitée qui conduisait Heath à convoquer des élections anticipées le 28 février 1974. Le Labour Party l’emportait à nouveau avec une majorité relative au parlement face aux conservateurs et aux libéraux (301 sièges pour le Labour, 296 pour les Tories et 14 pour les libéraux. En 1974, aux nouvelles élections anticipées, le Labour obtient la majorité absolue en sièges.

La tâche du gouvernement du Labour Party, le gouvernement Wilson, sera d’essayer d’endiguer le mouvement de la classe ouvrière qui a abouti à la chute du gouvernement Heath. Il organisera en 1975 le référendum sur l’Europe où le "oui" l’emporte, malgré les positions traditionnelles du Labour Party et des T.U.C, mais avec près de 40% d’abstention. En 1976 - 1977 le gouvernement travailliste, avec l’accord des dirigeants des trade - unions développe la politique du "contrat social" visant à imposer une limitation des hausses de salaires à 5% par an, en deçà de l’inflation.

En 1976, H Wilson est remplacé par S. Callaghan. Cette année-là, la Grande Bretagne connaît une récession sans précédent et doit quémander un prêt au F.M.I. tel un vulgaire pays du "tiers - monde". Toute une série de secteurs industriels sont sauvés de la faillite par les nationalisations, dont celle des chantiers navals et de l’aéronautique en 1977. En 1978, le prolétariat anglais s’engage dans une vague de grèves qui contraint les dirigeants des T.U.C à se démarquer du "contrat social". En septembre 1978, le congrès du Labour Party adopte une résolution rejetant toute "limitation des salaires", s’opposant ainsi directement à la politique du gouvernement Callaghan. Durant l’hiver 1978 -1979, "l’hiver du mécontentement", le prolétariat anglais se heurte au gouvernement Callaghan mais livré à lui-même et sans aucune perspective politique. La voie était ouverte à une nouvelle victoire des Tories dont Margaret Thatcher avait pris la tête en 1975.

LE PROGRAMME THATCHER

Avec à leur tête Margaret Thatcher, les Tories ont remporté les élections de 1979. Avec 43,9% des exprimés, ils obtenaient 339 sièges aux communes contre 36,9% des exprimés au Labour Party pour 269 sièges.

Au compte de la bourgeoisie anglaise, le programme de Margaret Thatcher pouvait se résumer ainsi: pour remettre sur les rails l’impérialisme britannique et tenter de freiner son déclin, mater d’abord le prolétariat. Il s’agissait pour le nouveau gouvernement conservateur de profiter du reflux de la classe ouvrière organisé par les gouvernements Wilson et Callaghan, pour tenter de lui porter un coup décisif. Madame Thatcher proclamait ouvertement que son objectif premier était d’en finir avec le "Welfare state", c’est à dire avec les conquêtes arrachées par le prolétariat, et que c’était seulement à ce prix qu’un sursaut de l’impérialisme britannique était possible. Par l’exacerbation du nationalisme, par l’apologie du "travail" et de l’initiative privée, le programme de Margaret Thatcher présentait tous les ingrédients du slogan "travail, famille, patrie".

En osant affirmer clairement qu’il fallait en finir avec le "consensus" et que la seule voie pour repousser les limites de la crise de l’économie capitaliste était d’en faire porter le poids sur le prolétariat en réduisant massivement le coût de la force de travail, la "dame de fer" donnait le ton, non seulement à la bourgeoisie anglaise, mais aussi à l’ensemble des bourgeoisies des principales puissances impérialistes.

Dès octobre 1979, le gouvernement conservateur lâchait la bride au capital financier et la City en supprimant les dernières limitations à tout contrôle des changes. Au nom de la libre concurrence, un vaste programme de privatisation était annoncé et engagé. Une politique de liquidation systématique des "canards boiteux", c’est à dire des secteurs industriels jugés non rentables, était mise en œuvre. A ce propos, Le Monde du 15/04/1987 indique: "les premières années du thatchérisme ont été terribles. On assiste à une désindustrialisation (-19% en deux ans) ... l’emploi s’effondre (moins 2,2 millions en cinq ans)." Des mesures d’austérité frappent les dépenses de santé et d’éducation tandis que les salaires retardent sur l’inflation et que le parlement conservateur adopte tout un dispositif législatif anti - grève limitant les droits des organisations syndicales.

D’avril à juin 1982, l’impérialisme anglais s’engage dans l’opération militaire contre l’Argentine pour la reconquête des Iles Malouines. Il reçoit le soutien du Labour Party et des T.U.C sur la ligne de" l’Union sacrée". Dans ce contexte, le parti conservateur remporte largement les élections générales de 1983 avec 42,3% des exprimés et 397 sièges tandis que le Labour Party est laminé, n’atteignant que 27,6% et seulement 209 sièges.

LA GRÈVE DES MINEURS :UNE DÉFAITE DÉCISIVE DU PROLÉTARIAT.

En mars 1984, le gouvernement décidait de s’engager dans une épreuve de force avec la puissante corporation des mineurs, au cœur de la classe ouvrière anglaise. Il annonçait la fermeture de nombreux puits de mines. Aussitôt, débordant les dirigeants syndicaux du syndicat des mineurs, le NUM, les mineurs s’engageaient dans la grève. Devant la puissance du mouvement, les dirigeants du NUM étaient contraints de "soutenir" la grève. A l’élargissement de la grève, aux manifestations, le gouvernement répliquait avec une violence policière exceptionnelle. Le 15 mars, un mineur était tué et de multiples arrestations opérées. Mais la grève s’amplifiait et les mineurs imposaient au NUM de refuser de se plier aux dispositions légales applicables à la réglementation du droit de grève.

Pendant 12 mois, jusqu’en mars 1985, des dizaines de milliers de mineurs sont en grève, organisant leurs piquets, et manifestent en s’affrontant violemment avec les forces de l’ordre. Ils reçoivent le soutien massif de l’ensemble du prolétariat. A plusieurs reprises, les cheminots et les dockers entrent en grève eux-mêmes, refusant de transporter ou de décharger le charbon. En exigeant l’annulation de toutes les fermetures de puits et des licenciements, les mineurs posaient la question du pouvoir. Pour obtenir satisfaction, ils devaient vaincre et chasser le gouvernement Thatcher; était à l’ordre du jour l’appel à la grève générale par les dirigeants des TUC, la manifestation centrale de tout le prolétariat à Londres contre la majorité conservatrice au parlement.

Mais le gouvernement Thatcher a pu compter sur l’appui sans faille des dirigeants des TUC et de celui du Labour Party, et la complicité du dirigeant du NUM A.Scargill. Tandis que le Labour Party et les dirigeants des TUC refusaient de s’engager dans le combat contre le gouvernement, condamnant à maintes reprises "les violences provenant de tous les côtés" et en définitive la grève elle-même et refusant de répondre aux multiples appels de la conférence des délégués du NUM à soutenir le mouvement, A.Scargill impulsait une orientation ultra-gauchiste (lui-même fut arrêté le 30 mai puis libéré) cantonnant les mineurs dans leur isolement.

Après un an de combat, en mars 1985, les mineurs épuisés et isolés reprenaient le travail sans avoir obtenu satisfaction. Ils subissaient ainsi une lourde défaite. Dans les années qui suivent, les mines seront presque totalement fermées, le reste étant finalement privatisé en 1994. Historiquement, au sein de la classe ouvrière anglaise, la corporation des mineurs a toujours eu une importance politique particulière, au cœur du prolétariat. Déjà, en mars 1926, ils avaient été à l’avant-garde de la grève générale anglaise; en 1974, ce sont eux qui ont fait tomber le gouvernement Heath. Leur défaite de mars 1985 était une défaite politique infligée à tout le prolétariat. Elle ouvrait la voie à une offensive meurtrière de la bourgeoise contre l’ensemble de la classe ouvrière.

UN LOURD BILAN

Dans les faits, le gouvernement conservateur, après la défaite de la grève des mineurs, a pu démultiplier son offensive contre la classe ouvrière. Pour celle-ci, le bilan du gouvernement Thatcher jusqu’en 1992, puis celui du gouvernement Major va être très lourd.

De 1984 à 1987, le montant des privatisations va représenter 5 000 millions de Livres contre 500 millions pour la période 1979-1983. Tout y passe: British Telecom et Jaguar (1984), British gas (1986), BP, Rolls-Royce, British Airport Authority, British Airways (1987), British Steel (1989). En 1989 sont privatisées la production et la distribution d’eau et le gouvernement Major complétera en 1996 par la privatisation des chemins de fer.

Dans le même temps, 600 000 logements HLM sont vendus à leurs occupants. En 1995, la part du service public dans le PIB est tombée à 2.7% contre 15% en 1979. Ces privatisations permettent au capital de réaliser des affaires en or, provoquent une démultiplication de la spéculation, en particulier dans le domaine immobilier. Elles sont l’occasion pour la bourgeoisie de mettre à bas les acquis des travailleurs concernés et de supprimer massivement des emplois. Le Monde du 15/04/97 commente:

"Autour des privatisations, les initiatives fleurissent dans le domaine de la déréglementation: réduction des contrôles bureaucratiques, libéralisation du marché du travail, mise au pas des syndicats...

Instrument de la vente des entreprises publiques, la place financière de Londres y a gagné à la fois des commissions - jugées excessives -, des profits - avec la vente d’actions sous-évaluées -, des capitaux et de nouveaux terrains d’action. Le succès sera immédiat: les cours de la bourse des privatisées s’envolent, la productivité grimpe due largement aux compressions de personnel (...)"

La liquidation du droit du travail (en particulier plus de salaire minimum, non obligation des congés payés, flexibilité totale des horaires) et le chômage permettent à la bourgeoisie d’abaisser considérablement le coût de la force de travail. Le Monde du 14/04/97 précise: "Dans les années 80, le nombre de pauvres passe de 6 millions à 11 millions, celui des foyers où personne ne travaille de 1.7 millions à 4.5 millions; les bas salaires prennent un sens parfois dickensien, avec des centaines de milliers de personnes gagnant 1 livre l’heure (moins de 10 francs), le développement du travail temporaire ou à temps partiel, voire du travail à la pièce " En 1997, le taux de chômage n’est officiellement que de 6.2% de la population active, mais il faut y ajouter "les chômeurs découragés" qui échappent à la comptabilité, soit 4.9% de la population active. De plus, 6.4 millions de travailleurs sont à temps partiel, dont 500 000 travaillent moins de cinq heures par semaine. De 1990 à 1995, l’industrie britannique a perdu 21.3% de ses effectifs (en France, -10.3% sur la même période). Pour leur grande majorité, les créations d’emplois dans le domaine des services représentent des "petits boulots", sous-payés.

Par ailleurs des coupes sombres ont été effectuées dans le budget de l’État en rapport avec les acquis arrachés antérieurement par le prolétariat. De 1979 à 1990, le nombre des fonctionnaires de l’administration centrale est passé de 732 000 à 550 000, les réductions touchant pour l’essentiel les personnels ouvriers. Pour ceux qui restent, les statuts ont été liquidés par la constitution d’agences. Les budgets de l’enseignement public ont été considérablement réduits, certains secteurs étant laissés à l’abandon tandis qu’une impulsion exceptionnelle a été donnée au développement de l’enseignement privé payant. Dans le domaine de la santé, Libération du 30/04/97 indique:

"les coupes sauvages opérées par les conservateurs ont par ailleurs abouti à la fermeture d’un hôpital sur cinq, à la suppression d’un lit sur trois et à la disparition depuis 1990 de plus de 50 000 postes d’infirmières... Une médecine à deux vitesses s’est installée avec un taux de mortalité deux fois plus important chez les pauvres". Les données pourraient être multipliées. Toutes permettraient d’établir un même constat: avec les gouvernements conservateurs Thatcher et Major, de 1979 à 1997, la bourgeoisie anglaise a réussi à liquider une grande partie des conquêtes du prolétariat d’après-guerre; il a réduit le coût de la force de travail du prolétariat dans des proportions qui restent exemplaires pour les bourgeoisies des puissances impérialistes, y compris pour l’impérialisme américain

LA RESPONSABILITÉ DU LABOUR PARTY ET DES DIRIGEANTS DU TUC

Constitué en 1906 sur la base des trade unions, le Labour Party représente le parti politique du prolétariat britannique. Constitué comme une fédération de l’ensemble des organisations ouvrières (essentiellement les syndicats mais aussi les coopératives, les clubs politiques), sa création a représenté un pas en avant du prolétariat qui, par sa pression sur les dirigeants syndicaux, exprimant son aspiration à poser la question du pouvoir, les a amenés à rompre, au moins formellement, avec l’aile modérée du parti bourgeois libéral. Le prolétariat anglais dépassait ainsi les limites du trade-unionisme et avançait vers la construction de son parti. La question de la direction révolutionnaire du prolétariat n’était pas pour autant résolue, loin de là. Bien qu’adhérent à la deuxième Internationale, dans ses textes fondateurs il ne se réclamait même pas du socialisme. Pour la bureaucratie syndicale des trade-unions, contrairement aux aspirations du prolétariat anglais, il ne s’agissait pas de s’orienter vers la prise du pouvoir et le socialisme, mais de continuer sous une autre forme une politique de pression sur sa bourgeoisie et de collaboration de classe.

En 1914, le Labour Party sera emporté dans la faillite de la deuxième internationale, pratiquant la politique de l’union sacrée. Depuis, le Labour Party, comme les autres partis sociaux-démocrates, est définitivement passé du côté de l’ordre bourgeois. Et, restant l’organisation politique de la classe ouvrière, doit être caractérisé comme un parti ouvrier-bourgeois, un parti ouvrier traître.

Depuis 1914, l’histoire du combat de la classe ouvrière anglaise est jalonnée par les trahisons du Labour Party et des dirigeants des trade unions. Ils ont pratiqué une politique constante de défense de l’ordre bourgeois, de l’union sacrée pendant la première guerre mondiale en passant par la trahison de la grève générale anglaise en 1926. Depuis 1945, c’est en s’appuyant sur le Labour Party et les dirigeants des trade unions que la bourgeoisie britannique a pu contenir le mouvement de la classe ouvrière. Les gouvernements du labour Party de H.Wilson puis de Callaghan portent la responsabilité de la victoire de Thatcher aux élections de 1979 et du désarroi de la classe ouvrière qu’elle exprimait.

En 1980, M.Foot remplaçait Callaghan à la tête du Labour. Il y a été remplacé par Kinnock en juin 1983 après la nouvelle victoire du parti conservateur aux élections. Aux côtés des dirigeants des TUC, ils ont mené une orientation de soutien à l’impérialisme britannique sur toutes les questions décisives (question irlandaise, guerre des Malouines, alignement progressif sous l’impulsion de Kinnock sur une politique de plus en plus ouvertement pro-européenne). Pendant la grève des mineurs, Kinnock s’est illustré par son refus de paraître dans les meetings et les manifestations; les dirigeants des TUC ont concouru autant qu’ils ont pu à leur isolement.

De plus en plus ouvertement, les dirigeants du TUC se sont situés sur le terrain de "l’esprit de responsabilité", subordonnant les revendications et même la défense du "Welfare State" à l’effort pour "relever l’économie". De son coté, la bourgeoisie s’employait à affaiblir le Labour. En 1981, un groupe de députés du Labour organisait une scission et fondait le parti Social Démocrate (SDP) qui s’allia électoralement avec les libéraux en 1983 et en 1987 en courtisant l’Alliance, puis fusionna avec eux en 1988 pour former le nouveau parti libéral, le mouvement des Démocrates Sociaux et Libéraux (SLD).

Dans le même temps, sous l’impulsion de Kinnock, il était procédé à l’expulsion du Labour de l’aile "gauchiste", représentée en particulier par le courant The Militant (en utilisant l’orientation provocatrice de ce courant en particulier à la tête de la mairie de Liverpool), qui sera effective en 1986.

Après la nouvelle défaite du Labour Party aux élections générales de 1987, à l’image des Rocard, Delors, et de L.Jospin aujourd’hui dans le PS, N.Kinnock déclarait nécessaire un processus de "rénovation". L’accent était mis sur la nécessité d’émanciper le Labour Party de la tutelle des Trade unions et de le rendre ainsi moins perméable à la pression directe de la classe ouvrière. Le titre du programme adopté en 1989 est éloquent: "relevons le défi, faisons le changement". En particulier, la partie économique de ce programme insistait sur l’importance du marché, pour "un socialisme de l’offre". Il était hors de question de revenir systématiquement sur les privatisations réalisées par les conservateurs. La législation du travail héritée du Thatchérisme devait être pour l’essentiel maintenue, y compris celle portant sur la limitation du droit de grève.

Sur l’Europe, le parti travailliste se prononçait définitivement pour un "avenir européen de la Grande Bretagne". Ce programme excluait de revenir aux acquis du Welfare State liquidés par les conservateurs. Seule concession faite aux dirigeants des Trade - Unions, qui acceptaient le cadre d’ensemble, il était prévu d’instaurer un salaire minimum "élevé". A partir de 1988, Kinnock et les dirigeants du Labour ont multiplié, sans succès jusqu’en 1995, les tentatives pour supprimer le clause IV des statuts qui stipulait notamment:

"assurer aux travailleurs manuels ou intellectuels la jouissance complète du produit de leur travail et la distribution la plus équitable qui soit de ce produit sur la base de la propriété collective des moyens de production, de distribution et d’échange, et du meilleur système possible d’administration et de contrôle par le peuple de tous les secteurs industriels et de service." Cette clause, qui figurait au dos de la carte d’adhérent et qui avait été adoptée par le congrès du Labour en 1918 comme une expression de la radicalisation des masses et de l’impact sur elles de la révolution prolétarienne en Russie, malgré sa référence lointaine au socialisme, était devenue incompatible avec l’objectif de la "rénovation".

Cette orientation conduisait à un affaiblissement considérable du Labour Party et des Trade - Unions. En ce qui concerne les adhérents directs Labour, leur nombre descend à moins de 300 000 en 1991 alors qu’il était encore de 650 000 en 1979. Pour les Trade - Unions, c’est aussi une véritable hémorragie: le nombre de syndiqués officiel passe de plus de 13 millions en 1978 à environ 6 millions au milieu des années 1990. En 1992, contre toute attente et alors que la Grande Bretagne a été frappée de plein fouet par la récession économique des années 1990-1992, malgré une progression sensible par rapport à 1987, le Labour Party perdait pour la quatrième fois consécutive les élections avec une nette victoire pour les conservateurs.

VERS LE "NEW LABOUR"

En 1992, N.Kinnock était débarqué et remplacé par J.Smith qui décédait prématurément. En juillet 1994, T. Blair accédait à la tête du Labour Party. Il mettait les bouchées doubles dans la voie de la rénovation. Après un ultime échec au congrès de 1994, il arrachait en mai 1995, lors d’une conférence exceptionnelle du Labour Party l’abrogation de la clause IV et son remplacement par la formulation suivante des objectifs du parti:

"Une économie dynamique dans laquelle le marché et la compétition vont de pair avec les forces du partenariat et de la coopération ... une société juste où l’égalité des chances sera promue contre la tyrannie de la pauvreté et les préjudices et abus de pouvoir". Lors du congrès d’octobre 1996, préparatoire aux élections de 1997, le programme adopté était qualifié de "très sage" par l’hebdomadaire du PS Vendredi (11/10/96)... et les dirigeants du PS s’y connaissent en la matière! Parlant du Labour, Vendredi commentait: "Il aurait même tendance, pour bien démontrer qu’il est devenu raisonnable et que l’on peut lui confier les destinées du pays, à en rajouter en multipliant les déclarations destinées à la City."

Lors de la campagne électorale, T. Blair n’a pas cessé de proclamer qu’il ne s’agissait pas, en cas de victoire du Labour Party de revenir au Welfare State, que le budget adopté par les conservateurs serait respecté, que les privatisations seraient maintenues et même que de nouvelles privatisations étaient envisageables dans la mesure où elles correspondraient aux "‘intérêts du pays". Il a affirmé que la politique de fermeté vis à vis des syndicats serait poursuivie. Sur la question de l’Union européenne et de la monnaie unique, il a affiché ses intentions en s’adaptant au plus près aux exigences du capital. Le Monde du 26/04/97 pouvait titrer: "La City se félicite du libéralisme de T. Blair" et il précisait: "T.Blair peut également s’appuyer sur plusieurs grands patrons qui lui ont apporté leur soutien: Gerry Robinson (Granada), Bob Ayliny ( British airways) ou Georges Simpson (GEC)".

Le Nouvel économiste du 24/04/1997 citait Blair: "Nous avons besoin d’entrepreneurs qui réussissent et dégagent de solides profits pour une société prospère et juste" et commentait: "on croirait entendre Alain Madelin". A la veille des élections, le Financial Times prenait position des les termes suivants:

"Le Financial Times n’a pas d’affiliation partisane, et ses lecteurs décident seuls comment ils entendent voter. Ses opinions sont forgées par une foi en l’économie de marché, le libre échange et la création d’une Europe ouverte; Cela a fait de ce journal le soutien naturel du parti conservateur pendant des années. Mais il y a des exceptions. 1997 en incarne une."
LE PROLÉTARIAT COMBATTRA

Malgré les traits dégénérés et pourris du "New Labour", des millions de travailleurs et de jeunes ont voté pour ses candidats. Après 17 ans de gouvernement conservateur, ils ont à nouveau porté au pouvoir le Labour Party. Car, quel que soit l’acharnement de la bourgeoisie et des commentateurs à son service à le rebaptiser "New Labour", le Labour Party reste le Labour Party. En l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, il reste le parti du prolétariat, parti ouvrier traître certes, mais le seul parti qu’il puisse utiliser dans son combat contre le capital pour poser la question du pouvoir. Le résultat des élections le démontre. Ce résultat matérialise aussi le fait que, bien qu’ayant subi de rudes coups depuis 1979, qualitativement plus que les autres prolétariats des principaux pays capitalistes d’Europe, le prolétariat britannique n’a pas été définitivement écrasé et garde la capacité d’engager le combat contre sa bourgeoisie.

Malgré les coups portés contre la classe ouvrière, malgré l’abaissement important du coût de la force de travail, la situation de l’impérialisme britannique reste fragile. Tandis qu’en tant que puissance industrielle, il reste diminué (excepté en 1991, au plus fort de la récession, sa balance commerciale reste déficitaire depuis 1986), il fait partie des puissances capitalistes les plus gangrenées par l’accumulation du capital fictif. Assis sur une base nationale étroite, son économie est plus que d’autres dépendante des fluctuations de la conjoncture économique mondiale. En témoigne le fait que la récession des années 1990-1992 a pris une forme beaucoup plus aiguë en Grande-Bretagne que dans le reste des pays européens. La City, mais aussi aujourd’hui 9 millions de petits rentiers, restent sous la menace constante de l’éclatement de la bulle spéculative, de l’effondrement du système monétaire et bancaire. La balance des payements reste presque totalement tributaire du rapport de ses investissements à l’étranger, des capitaux exportés. Pour le capital financier, les résultats de l’effort de réduction des déficits publics restent insuffisants. Alors que le solde des finances publiques avait été rétabli à +1% du PIB et +0.9% du PIB respectivement en 1988 et 1989, il est à nouveau négatif depuis 1990, passant à - 7.8% du PIB en 1993 puis revenant à - 4.8% du PIB en 1996.

Comme l’impérialisme français, l’impérialisme britannique est confronté en Europe à la puissance de l’impérialisme allemand alors que par ailleurs son économie est de plus en plus dépendante de celles des pays de l’Union Européenne. En 1995, l’UE représentait 58% des exportations du Royaume-Uni contre 54% dix ans plus tôt; le montant des investissements britanniques en Europe continentale a atteint 70 milliards de livres fin 1995 contre 61 milliards aux USA.

La définition de la politique à adopter vis-à-vis de l’UE est un facteur de crise considérable de la bourgeoisie qui s’exprime de manière aiguë au sein du parti conservateur. En 1990, c’est à reculons, soutenue par les "eurosceptiques", que Margaret Thatcher avait accepté le rattachement de la livre au SME, sous la pression des cercles dirigeants du capital financier. C’est en partie les divergences sur la question de l’Europe qui devait conduire à la démission brutale de M.Thatcher en novembre 1990 et à son remplacement par J.Major.

Ces derniers mois, les discussions au sein du parti conservateur sur cette question, la montée en première ligne des eurosceptiques contre la monnaie unique ont abouti à ce que le capital financier perde confiance en la capacité de J.Major de négocier aux mieux les intérêts de l’impérialisme anglais. Ceci explique en grande partie la position exprimée par le Financial Times.

Dès son investiture en tant que premier ministre, dans le respect total des institutions de la monarchie, Tony Blair a donné de nouveaux gages attestant de son attachement à la défense de l’ordre bourgeois. Parmi les membres de son gouvernement, il a désigné secrétaire d’état pour l’Europe le PDG de B.P., sir David Simon. A la demande de la City, il a procédé immédiatement à un relèvement des taux d’intérêts et a donné son feu vert pour aller vers l’indépendance totale de la banque d’Angleterre. Lors de la rencontre des chefs d’État et de gouvernement de l’UE du 23 mai 1997, J.Chirac devait déclarer: "J’ai été frappé par le fait que le seul chef d’État et de gouvernement qui se soit exprimé aujourd’hui autour de la table en faveur de la flexibilité - le mot n’a été prononcé que par un seul chef de gouvernement -, c’est Tony Blair, dans un silence total, et sans aucune réaction de quiconque" (Le Monde des 25 et 26 mai).

Tony Blair et le Labour Party s’apprêtent à tenter de prendre en charge la poursuite de la politique de leurs prédécesseurs conservateurs contre la classe ouvrière. Une économiste conseil de la banque d’Angleterre répondait ainsi à la question: quelles sont les faiblesses de la révolution thatcherienne?:

"Certains problèmes n’ont pas été résolus, en particulier celui de l’État providence. Beaucoup de personnes sont toujours assistées et la plupart devraient cesser de toucher des allocations. La politique sociale est trop laxiste. Nous n’avons pas de marché semi-libre pour l’éducation ou la santé. L’État tient toujours les cordons de la bourse, alors que l’argent devrait être dépensé par les individus. Il faut parvenir à une liberté totale du marché et réduire fortement le rôle de l’État." (Le Mondedu 15/04/97) Voilà un condensé de ce que sont les besoins du capital auxquels T.Blair entend se plier. De ce point de vue, l’affrontement du nouveau gouvernement avec le prolétariat semble inévitable. Pour l’impérialisme britannique, la situation pourrait devenir politiquement dangereuse. Le Labour Party n’est pas le parti conservateur. Comme le souligne Le Monde du 3/05/97: "Mais la victoire acquise, il y a peu de chances pour que la gauche maintienne longtemps un profil si discret".

Dans la période à venir, le prolétariat britannique aurait besoin que lui soit ouverte la perspective du combat politique pour exiger du Labour Party qu’il rompe avec la bourgeoisie, qu’il constitue un gouvernement d’où seraient chassés tous les représentants du capital tel le PDG de BP, un gouvernement duquel il faudrait exiger la satisfaction des revendications et en premier lieu le rétablissement des droits acquis liquidés par les conservateurs. Pour mener ce combat, en Angleterre comme ailleurs, il n’y a pas de nécessité plus urgente que de construire le parti ouvrier révolutionnaire.

Le 26 mai 1997.


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DÉBUT                                                                                                         SOMMAIRE - C.P.S N°68 - 13 JUIN 1997