SOMMAIRE
CPS N° 66                                                                                         15 FÉVRIER 1997


CONTRE LE NOUVEAU PARTENARIAT SOCIAL
EN DÉFENSE DES CONTRATS COLLECTIFS QUI UNIFIENT LA CLASSE OUVRIÈRE

Une campagne de propagande à laquelle se prêtent nombre de spécialiste, d’experts, d’intellectuels bourgeois vise à accréditer l’idée que nous vivrions "un changement de civilisation", une "nouvelle révolution technologique", liée à la " mondialisation "de l’économie. Ce changement serait à la mesure de la révolution industrielle de la fin du XVIIIème siècle et du XIXème siècle. Il serait prometteur d’une nouvelle époque qui se caractériserait par la "réduction du temps de travail" et le "dépassement du salariat". Ces discours relayés par les dirigeant des organisations ouvrières ne visent qu’à tenter de masquer la crise du mode de production capitaliste qui voue des millions de prolétaires et de jeunes au chômage, à la déchéance et à la misère et à justifier la mise en cause des acquis fondamentaux du prolétariat.

C’est souvent en se référant frauduleusement à K.Marx que ces "théoriciens" justifient leurs propos. Cet article vise donc à restituer ce qu’est le travail dans le cadre du mode de production capitaliste et à réfuter l’idée que la "nouvelle révolution technologique" modifierait la place du travail, son contenu et sa valeur sociale. La deuxième partie de l’article qui sera publiée dans le prochain numéro de CPS précisera comment derrière les "nouvelles" notions de "compétences", "contrats d’activité", "maîtrise des temps sociaux" etc..., se cachent en fait les objectifs de la bourgeoisie : réduire de façon drastique la valeur de la force de travail afin de permettre au mode de production capitaliste de se survivre. Pour ce faire il faut détruire les acquis fondamentaux du prolétariat qui limitent la concurrence entre les salariés, réformer donc détruire le Code du travail, avancer vers la destruction des organisations ouvrières en les soumettant aux intérêts du patronat. Le moyen pour y parvenir, c’est le développement de la cogestion.

Depuis des années, nombre d’ouvrages d’experts bourgeois (récemment les rapports du Commissariat général au Plan dirigé par Boissonnat, Le travail dans vingt ans l’ouvrage La fin du Travail de Jeremy Rifkin préfacé par Michel Rocard...) ont esquissé les objectifs et la méthode pour les atteindre..

A la télévision, le 12 décembre 1996, Jacques Chirac affirmait :

"Il faut faire des adaptations parce que nous ne sommes plus il y a vingt ans . " Le 31 décembre, il ajoutait : "  Au gouvernement de libérer les énergies qui ne demandent qu’à l’être. En simplifiant bien davantage encore , les réglementations, les formalités, la paperasserie. " En 1936 puis en 1945 comme conséquence de puissants mouvements révolutionnaires, pendant les "trente glorieuses" (parce que le prolétariat a combattu sans désemparer mais aussi parce que sur la base de l’économie d’armement, du crédit d’un endettement colossal s’est développé une période d’accumulation du capital), la classe ouvrière et la jeunesse ont arraché nombre d’acquis. Ces acquis limitant l’extorsion de la plus value, sont concentrés dans les conventions collectives, les statuts nationaux et le Code du travail. Jacques Chirac, au nom de la bourgeoisie française, exprime la nécessité de les détruire ; c’est ce qu’il nomme : "les réglementations, les formalités, la paperasserie".

L’obstacle sur cette voie est la puissance sociale du prolétariat. Pour le contourner, parallèlement à la mise en œuvre du "dialogue social" auquel les appareils du mouvement ouvrier participent, la bourgeoisie mène une vaste campagne de justifications idéologiques dont le thème principal est : "les choses ont changé... Le travail ne peut donc plus avoir la même place... Il faut donc s’adapter."

En écho les dirigeants des organisations syndicales reprennent le même discours. Ainsi à la CGT ,R. Obadia, S. Salmon affirment :

" Nous vivons un changement de civilisation, mais nous avons du mal à le définir et à le penser . Ce qui n’est d’ailleurs pas anormal. Les ingrédients en sont connus : nouvelle révolution technologique, mondialisation, transformation du travail. Dans de telles conditions , le mode de régulation sociale qui avait prévalu depuis la libération et qui avait marqué les " trente glorieuses " est frappé d’obsolescence. "

(Le Monde 8-9 septembre 1996)

Il est nécessaire de faire pièce à ces arguments.
 
 
1ÉRE PARTIE : UNE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?
Dans la Contribution à la critique de l’économie politique (E .S. page 3), Karl Marx explique : " Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir ".

Dans son ouvrage Les habits neufs de l’emploi (ouvrage préfacé par J.Delors), Bernard Bruhnes affirme que nous vivons une nouvelle révolution industrielle :après la machine à vapeur, le microprocesseur . Mais l’utilisation de l’informatique permet-elle au système capitaliste d’échapper à ses contradictions fondamentales, ouvre-t-elle un nouveau stade du capitalisme ?

"Ces nouvelles technologies" dont parle B.Bruhnes qui "ne cessent de transformer l’activité de production" ouvrent-elles une nouvelle époque de développement de nouvelles forces productives dans le cadre du système capitaliste ? Pour y répondre, il faut commencer par revenir sur ce qu’est la révolution industrielle.

LE MACHINISME

Marx explique que le point de départ de la révolution industrielle ne fut pas la machine à vapeur (force motrice) mais la machine outil :

" La machine à vapeur elle même telle qu’elle exista, pendant la période manufacturière, à partir de son invention vers la fin du XVIIème siècle jusqu’au commencement de 1780, n’amena aucune évolution dans l’industrie. Ce fût au contraire la création des machines outil qui rendit nécessaire la machine à vapeur révolutionnée "

(Le Capital livre I tome 2 E.S. page 61)

La machine outil est constituée de trois parties : le moteur qui donne l’impulsion au mécanisme, la transmission (courroies, poulies, engrenages...) qui transmet le mouvement du moteur à l’outil qui attaque l’objet qui en modifie la forme. Dans la machine outil, l’instrument (l’outil) est manié par un mécanisme mu par une énergie, humaine (ou animale), naturelle (eau, vent) ou artificielle (vapeur). " Dès que l’outil est remplacé par une machine mue par l’homme, il devient bientôt nécessaire de remplacer l’homme dans le rôle du moteur par d’autres forces naturelles". Le moteur et la machine outil forment alors un ensemble indépendant complètement émancipé des bras de la force humaine : le machinisme .

La manufacture en parcellisant les opérations a accru considérablement l’efficacité du travail ouvrier.

" Le moyen de travail acquiert dans le machinisme un existence matérielle qui exige le remplacement de la force de l’homme par des forces naturelles et celui de la routine par la science. Dans la manufacture la division du procès de travail est purement objective;  c’est une combinaison d’ouvriers parcellaires. Dans le système des machines, la grande industrie crée un organisme de production complètement objectif ou impersonnel que l’ouvrier trouve là dans l’atelier comme la condition toute prête de son travail.

(Le Capital livre 1 tome 2 page 71)

Sur les bases matérielles de la fabrique, la grande industrie opère un bouleversement de la production dans une sphère industrielle qui entraîne un bouleversement analogue dans les autres (industries, agriculture, moyen de communication et de transports). La révolution industrielle est produit du développement du mode de production capitaliste.

UN RAPPORT SOCIAL

L’essor du machinisme (l’alliance de la machine outil et de la machine à vapeur) va de pair avec la concentration des moyens de production (machine-outil, machine motrice et travailleurs sont concentrés en un même lieu) et la mise en place de nouveaux rapports sociaux qui se caractérisent par la " séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production ".Le capital est la propriété exclusive d’une minorité de capitalistes. La classe ouvrière vend sa force de travail aux possesseurs de moyens de productions.

" La propriété privée capitaliste est fondée sur l’exploitation du travail d’autrui, le salariat "

(Capital livre 1 tome 3 chapitre 31)

Dans le mode de production capitaliste, la force de travail humaine reste la principale force productive ; les rapports sociaux de production bourgeois font justement de la quantité de travail utilisé le facteur décisif de la production. Marx explique que dans le mode de production capitaliste : "Le but déterminant de la production, c’est la plus-value. Donc n’est censé productif que le travailleur qui rend une plus-value au capitaliste, ou dont le travail féconde le capital... Désormais, la notion de travail ail productif ne renferme plus seulement un rapport activité et effet utile entre producteur et produit mais encore et surtout un rapport social qui fait du travail l’instrument immédiat de la mise en valeur du capital"

(Le Capital Livre I Chap.XVI Tome 2 p.184)

Les forces productives ne sont pas une chose mais un rapport social de production entre deux classes antagonistes. Les forces productives sont destinées à mettre en valeur le capital, à extraire des ouvriers le maximum de plus-value.

Malgré ce que serinent les idéologues, l’invention et l’utilisation des machines, n’a jamais eu, et n’a pas pour but d’alléger le travail des hommes.

" Comme tout autre développement de la force productive du travail, l’emploi capitaliste des machines ne tend qu’à diminuer le prix des marchandises, à raccourcir la partie de la journée où l’ouvrier travaille pour lui-même, afin d’allonger l’autre où il ne travaille que pour le capitaliste. C’est une méthode particulière pour fabriquer de la plus value relative. "

(Le Capital livre I tome 2 - E.S. page 58)

Et le développement du machinisme eut de ce fait de formidables conséquences pour le prolétariat. Dans la phase ascendante du capitalisme, paradoxalement, bien qu’expulsant le travail vivant (les prolétaires) du processus de production, l’impulsion donnée aux forces productives fut telle qu’il multiplia et concentra le prolétariat. Dans le même temps, pour contrecarrer le coût élevé des nouvelles techniques (l’accélération de leurs performances entraînant celle de leur obsolescence) il y eu une augmentation de la durée de la journée de travail. Enfin la valeur de la force de travail fut réduite :la diminution du besoin de force musculaire et de l’habileté professionnelle poussa au remplacement des hommes par les femmes et les enfants.

UNE CONTRADICTION FONDAMENTALE DU DÉVELOPPEMENT DU MACHINISME

L’accroissement fantastique du capital constant ( C ) introduit une modification du rapport entre C et V (le capital variable), de la composition organique du capital ( C+V ) la grandeur de C augmentant, celle de V diminuant.

" L’emploi des machines dans le but d’accroître la plus-value recèle donc une contradiction puisque des deux facteurs de la plus value produite par un capital de grandeur donné, il n’augmente l’un, le taux de la plus value, qu’en diminuant l’autre, le nombre des ouvriers. "

(Le Capital livre I tome 2 page 90 E.S.)

Or seul le surtravail non payé à l’ouvrier est source de plus-value. Cette contradiction est à l’origine d’une des lois du capital : la baisse tendancielle du taux de profit. Elle entraîne le capitaliste à allonger la journée de travail ou à intensifier l’exploitation de la journée de travail par la politique de la productivité ; voire à diminuer les salaires.

LE MICROPROCESSEUR : UNE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?

L’utilisation du terme "révolution industrielle" à propos de la généralisation de l’informatique est volontairement abusif. Pour nombre de " spécialiste " il s’agirait d’une troisième révolution industrielle après celle de la vapeur puis celle de l’électricité et du moteur à explosion. Outre que ces observateurs font des forces motrices l’origine de la révolution industrielle, l’utilisation de ce terme pour désigner des progrès techniques vise à masquer les contradictions du mode de production capitaliste.

D’abord mue par l’énergie humaine (ou animale) puis artificielle (vapeur, électricité...) la machine est conduite par l’homme ou effectue des mouvements simples si elle est autonome. Grâce à l’informatique, la conduite des machines outils devient autonome (" intelligente ") dans les limites bien sûr fixées par les technologies de l’information elles-mêmes. L’automatisation n’est que la poursuite et l’achèvement de la mécanisation. Avec l’automatisation, il n’y a pas instauration d’un nouveau mode de production, c’est à dire de nouvelles relations sociales entre les hommes. L’automatisation ne fait que perfectionner, pousser jusqu’au bout ce qu’avait introduit le machinisme.

L’utilisation des composants électroniques miniaturisés, l’augmentation de leurs capacités, la baisse de leur prix permet une accélération du rythme de la production, une augmentation de la précision des fabrications, des facilités considérables d’adaptation à différents objets de travail (et des travailleurs) etc.

Ces changements sont importants. Ils sont d’ordre quantitatifs. L’aube du machinisme avait remplacé l’habileté manuelle, aujourd’hui c’est l’habileté intellectuelle qui est expulsée : c’est de plus en plus le travail hautement qualifié, complexe qui est accaparé par le capital par le biais de la machine. C’est un des facteurs qui pousse la bourgeoisie à détruire l’enseignement public, les diplômes, les qualifications.

Contrairement aux affirmations des appareils et des partis ouvriers, qui voient dans l’intégration du travail intellectuel dans le processus productif l’instauration d’un " changement de civilisation ", d’une modification des processus productifs, il ne faut y voir que l’expression la plus achevée de la tendance du capital à remplacer le travail vivant par du travail mort. Après avoir réduit l’ouvrier à un rôle de surveillant, l’informatisation des entreprises dans le cadre du mode de production capitaliste expulse massivement du processus productif le travail vivant, créateur de valeur.

LA FIN DU TAYLORISME ?

La nouvelle révolution industrielle vantée aurait-elle sonné le glas du taylorisme.

Le rapport de la Commission Boissonat (page 75) note :

il y a  " une transformation de grande ampleur du modèle d’organisation industrielle probablement comparable à celle qui s’est opérée il y a un siècle, avec la rationalisation taylorienne. " Qu’est-ce que le taylorisme ? Dans son ouvrage L’organisation de l’entreprise, Frédéric Taylor définissait l’organisation scientifique du travail comme une activité productive intensifiée, autrement dit comme l’organisation scientifique de l’exploitation de la force de travail.

Les normes de production furent fondées sur le chronométrage de l’ouvrier le plus fort ou le plus habile ; le travail fut parcellarisé (travail à la chaîne) ; un corps de spécialistes organisant le travail (bureau des méthodes) fut créé dépossédant ainsi les travailleurs des connaissances globales, un autre corps était chargé de l’accomplissement des tâches et d’assurer le maintien de l’ordre patronal (contremaître).... La mise en pratique entraîna des licenciements massifs, une augmentation formidable du taux d’exploitation. (Précisons ici que ce qui fut appelé " fordisme " était l’application de ces méthodes à une production de masse.)

Le taylorisme n’a pas disparu, ainsi que le note le même rapport, trois page plus loin :

" Le travail à la chaîne n’a pas disparu. Il s’étend même au delà de 45 ans, âge où jusque là il était peu répandu. " Nombre de prolétaires sont encore chronométrés, payés au rendement ; dans les usines du groupe RVI par exemple, le processus de production est entièrement normalisé : toutes les opérations à effectuer sont consignées sur chaque poste de travail, chaque ouvrier monteur doit signer une fiche de contrôle à chaque opération importante, des groupes d’amélioration de la productivité sont mis en place, le mot d’ordre du patron est " respect des process ". L’augmentation scientifique de l’exploitation de la force de travail a été maintenue, renforcée, améliorée.

Contrainte par le taylorisme, la classe ouvrière a néanmoins combattu. De la parcellarisation des tâches, au travail au rendement elle a pratiqué la résistance passive (coulage devant les chronos), elle a revendiqué des critères objectifs, des essais professionnels, elle a défendu les qualifications.

L’AUTOMATISATION FLEXIBLE

La machinerie automatique fonctionnait selon le principe d’une régularité invariable : des mécanismes permettaient l’arrêt automatique après tout dysfonctionnement. Le système électronique est capable de prévoir, d’anticiper, de corriger les dysfonctionnements. Il introduit la flexibilité. Il peut s’adapter à des demandes variées, à des changements de programmes. C’est ce que J. Lojkine, intellectuel lié au PCF, nomme "l’automatisation flexible".

Il est devenu nécessaire à la bourgeoisie de préciser le mode d’organisation du processus de production. Selon le rapport Boissonnat ( page 76) l’entreprise doit être aujourd’hui : " réactive ", (pouvoir s’adapter aux variations de la demande, fonctionner en flux tendus), " flexible ", (utilisation souple des ressources matérielles, humaines, souplesse d’organisation) " intégrante "(synergie entre tous les stades de production, remise en cause des frontières de l’entreprise, association des travailleurs à la définition de la stratégie de l’entreprise), " communicante " (fin de la hiérarchie taylorisante, implication de tous, polyvalence). C’est ce que recouvre le terme de "toyotisme"

Ainsi "l’automatisation flexible" loin de rendre le salarié plus libre de son activité, loin de lui permettre de maîtrise le processus de production le soumet encore plus au capital, aux rapports de production bourgeois, la "mobilisation du personnel" que revendique le patronat n’est rien d’autre qu’une soumission accrue à l’exploitation. Le rapport d’Antoine Riboud (PDG de BSN) Modernisation, mode d’emploi est de ce point de vue sans ambiguïté aucune :

"A l’ère de l’automatisation, de la robotisation et de la société d’information, la compétitivité des entreprises se joue sur l’intelligence des salariés, leur initiative, leur sens de la responsabilité et de l’anticipation (...) La capacité nominale d’une machine et le chronométrage des tâches ne signifie plus rien quant à l’efficacité de la productive... La nouvelle productivité dite "globale" est toute entière dans la qualité du nouveau rapport homme-machine, capital-travail. S’il y a refus, s’il y a fracture, s’il y a ignorance, s’il y a angoisse(...) la sanction sera la perte de compétitivité"

(Cité par Actuel Marx La crise du travailp.48)

Dans le cadre des rapports de production capitalistes, ce sont les conditions de travail qui s’imposent au salarié (et non l’inverse). Le salarié est un rouage du travail collectif. Dans les Fondements de la critique de l’économie politique K.Marx explique : "L’accumulation du savoir, de l’habileté ainsi que de toutes les forces productives générales du cerveau social sont alors absorbées dans le capital qui l’oppose au travail : elles apparaissent désormais comme une propriété du capital ou plus exactement du capital fixe dans la mesure où il entre dans les procès de travail comme un moyen de production effectif." A travers la machine électronique, la domination du capital exerce donc sur le salarié une pression d’une puissance inouïe : ce qu’affirme Riboud c’est que le salarié doit être totalement disponible, son "intelligence" même est "propriété du capital"

TRAVAIL ET MODE DE PRODUCTION

Le premier chapitre du rapport de la Commission Boissonnat commence ainsi :

"La menace que le chômage fait aujourd’hui peser sur la société française, conduit à s’interroger sur la place que tient le travail dans la vie des individus et dans l’histoire des sociétés. Cette question renvoie à deux autres : qu’est-ce que le travail ? Quelle est sa valeur ?" L’exacerbation de la crise mortelle du mode de production capitaliste liée à l’expulsion massive du travail vivant (seul producteur de richesse) du processus de production amène les idéologues bourgeois à multiplier les " thèses " qui visent à redéfinir le travail. Elles ont toutes un point commun : elles abordent le travail en général, en dehors du mode de production c’est à dire des relations sociales entre les hommes

C’est bien entendu un oubli volontaire : tout mode de production, toute industrie est fondée sur un certain type de relations sociales entre les hommes. Ce mode de relation est lui-même partie intégrante des forces productives. La division du travail sur laquelle est fondée la grande industrie (y compris sous sa forme automatisée) exprime un rapport social de production entre deux classes antagonistes : la classe ouvrière vend " librement " sa force de travail à la bourgeoisie qui en extrait le maximum de plus value.

Sous d’autres modes de production (antique, féodal) l’exploitation de la force de travail existait, le salariat a cette particularité de la masquer. La " forme-salaire " fait apparaître la rétribution de la force de travail (sa valeur étant le temps de travail socialement nécessaire pour la produire et la reproduire) comme la rétribution du travail. Apparence bienvenue pour la bourgeoisie : elle masque la division de la journée de travail en deux parties distinctes, celle où le prolétaire travaille pour reproduire sa force de travail (travail nécessaire) et celle où il travaille gratis pour le capital (surtravail). Alors que le temps de travail pendant lequel l’esclave ne fait que remplacer la valeur de sa force de travail apparaît comme non rétribué, et que le travail du serf est nettement séparé, dans l’espace et dans le temps, en sa partie servile et sa partie nécessaire.

Il s’ensuit que le capitaliste cherche à augmenter la durée du surtravail au détriment du travail nécessaire au moyen notamment de l’augmentation de la productivité, de l’allongement de la journée de travail, de la baisse du salaire.

Il augmente la plus-value absolue, (absolue parce qu’augmentation absolue de la valeur créée), essentiellement par la prolongation de la journée de travail, et il accroît la plus value relative (abréviation du temps de travail nécessaire) essentiellement par l’augmentation de la productivité dans les secteurs de fabrication des marchandises concourant à la reproduction de la force de travail ouvrière. La première étant le point de départ de la seconde.

CONTRAT COLLECTIF ET "INDIVIDUALISATION" DES RELATIONS DE TRAVAIL

Contrairement à ce qu’affirme le rapport Boissonnat, les droits collectifs des salariés ne sont pas nés de l’intervention de l’État providence, ils ne sont pas issus de " l’organisation productive taylorienne", ils sont le produit du combat du prolétariat. La nature des relations de travail n’est pas une simple question "économique" ou un "problème social". Il s’agit d’une question éminemment politique qui procède du rapport de forces politiques entre les classes, des relations d’ensemble entre celles-ci.

Aujourd’hui la bourgeoisie engage l’offensive pour casser les conventions collectives, les statuts nationaux et l’ensemble du Code du travail qui sont les produits de la lutte des classes, qui reconnaissent l’existence de la classe ouvrière comme classe et son droit à négocier sa force de travail en fonction de la totalité des positions qu’elle a conquises sur son ennemi de classe. Le patronat veut leur substituer des contrats individuels, des "contrats d’activité" tels les contrats de "louage de service" de la loi Le Chapelier qui stipulait :

"C’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier. C’est ensuite à l’ouvrier à maintenir la convention qu’il a faite avec celui qui l’occupe". C’est sur ce type de conventions libres que s’ordonne toute l’offensive actuelle. Au nom d’une soi-disant "mutation du travail", le patronat développe l’intensification du travail par le biais d’une concurrence accrue entre les salariés

Le management participatif par objectif, le travail en groupe, la polyvalence, liés à l’évaluation individuelle des performances aboutissent au salaire individualisé selon la quantité de travail.

"Dans le salaire au temps, le travail se mesure d’après sa durée immédiate, dans le salaire aux pièces, d’après le quantum de produits où il se fixe quand il dure un certain temps. écrit Marx (Le Capital livre I tome 2 E.S. page 223). Ce n’est pas l’essentiel : (...) La qualité et l’intensité du travail étant assurées ainsi par la forme même du salaire, une grande partie du travail de surveillance devient superflue." Que le salaire soit payé aux pièces ou au temps, il correspond à la valeur de la force du travail (et non pas à la valeur du travail réalisé). Mais le salaire aux pièces présente l’avantage de pousser le salarié à intensifier son travail. Karl Marx poursuit (page 225) : "Le salaire aux pièces une fois donné, l’intérêt personnel pousse l’ouvrier naturellement à tendre sa force de travail le plus possible, ce qui permet au capitaliste d’élever plus facilement le degré normal de l’intensité du travail. L’ouvrier est également poussé à prolonger sa journée de travail". Aujourd’hui, l’évaluation individuelle des performances est une nouvelle forme de salaire aux pièces ; l’auto-contrôle, les cercles de qualité, les conseils d’ateliers permettent une intensification extrême du travail et l’informatisation fournit un précieux garde chiourme patronal. " (...) en donnant une plus grande latitude à l’individualité, le salaire aux pièces tend à développer, d’une part l’esprit de liberté, d’indépendance et d’autonomie des travailleurs et, d’autre part, la concurrence qu’ils se font entre eux. Il s’ensuit une élévation des salaires individuels au dessus du niveau général qui est accompagné d’une dépression de ce niveau même. " (K.Marx, opus cité) Il est nécessaire de souligner cette dernière phrase. Un ouvrage de l’O.C.D.E. La flexibilité du temps de travail note qu’un des facteurs qui incite les travailleurs japonais à ne pas utiliser leurs droits à congés payés est la pression opérée par l’évaluation individuelle des performances(droits : 15,7 jours en moyenne, jours pris : 8,6 en moyenne, en 1991). Au même crédit il faut mettre la baisse en France des jours d’arrêt pour congé maladie ou accidents du travail.

Le gouvernement Chirac-Juppé a une politique d’ensemble : il combat pour établir de "nouvelles relations au travail et à l’emploi". Ce plan d’ensemble élaboré sur la base de nombreuses études répond aux exigences du patronat et inclut les moyens de sa mise en œuvre.

En défense des intérêts de l’impérialisme décadent, il est contraint de tenter de détruire toutes les conquêtes sociales du prolétariat dont font partie ses organisations. Nous reviendrons sur le contenu de ces plans dans un prochain article.



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