Une campagne de propagande à laquelle se prêtent nombre de spécialiste, d’experts, d’intellectuels bourgeois vise à accréditer l’idée que nous vivrions "un changement de civilisation", une "nouvelle révolution technologique", liée à la " mondialisation "de l’économie. Ce changement serait à la mesure de la révolution industrielle de la fin du XVIIIème siècle et du XIXème siècle. Il serait prometteur d’une nouvelle époque qui se caractériserait par la "réduction du temps de travail" et le "dépassement du salariat". Ces discours relayés par les dirigeant des organisations ouvrières ne visent qu’à tenter de masquer la crise du mode de production capitaliste qui voue des millions de prolétaires et de jeunes au chômage, à la déchéance et à la misère et à justifier la mise en cause des acquis fondamentaux du prolétariat.
C’est souvent en se référant frauduleusement à K.Marx que ces "théoriciens" justifient leurs propos. Cet article vise donc à restituer ce qu’est le travail dans le cadre du mode de production capitaliste et à réfuter l’idée que la "nouvelle révolution technologique" modifierait la place du travail, son contenu et sa valeur sociale. La deuxième partie de l’article qui sera publiée dans le prochain numéro de CPS précisera comment derrière les "nouvelles" notions de "compétences", "contrats d’activité", "maîtrise des temps sociaux" etc..., se cachent en fait les objectifs de la bourgeoisie : réduire de façon drastique la valeur de la force de travail afin de permettre au mode de production capitaliste de se survivre. Pour ce faire il faut détruire les acquis fondamentaux du prolétariat qui limitent la concurrence entre les salariés, réformer donc détruire le Code du travail, avancer vers la destruction des organisations ouvrières en les soumettant aux intérêts du patronat. Le moyen pour y parvenir, c’est le développement de la cogestion.
Depuis des années, nombre d’ouvrages d’experts bourgeois (récemment les rapports du Commissariat général au Plan dirigé par Boissonnat, Le travail dans vingt ans l’ouvrage La fin du Travail de Jeremy Rifkin préfacé par Michel Rocard...) ont esquissé les objectifs et la méthode pour les atteindre..
A la télévision, le 12 décembre 1996, Jacques Chirac affirmait :
L’obstacle sur cette voie est la puissance sociale du prolétariat. Pour le contourner, parallèlement à la mise en œuvre du "dialogue social" auquel les appareils du mouvement ouvrier participent, la bourgeoisie mène une vaste campagne de justifications idéologiques dont le thème principal est : "les choses ont changé... Le travail ne peut donc plus avoir la même place... Il faut donc s’adapter."
En écho les dirigeants des organisations syndicales reprennent le même discours. Ainsi à la CGT ,R. Obadia, S. Salmon affirment :
(Le Monde 8-9 septembre 1996)
Dans son ouvrage Les habits neufs de l’emploi (ouvrage préfacé par J.Delors), Bernard Bruhnes affirme que nous vivons une nouvelle révolution industrielle :après la machine à vapeur, le microprocesseur . Mais l’utilisation de l’informatique permet-elle au système capitaliste d’échapper à ses contradictions fondamentales, ouvre-t-elle un nouveau stade du capitalisme ?
"Ces nouvelles technologies" dont parle B.Bruhnes qui "ne cessent de transformer l’activité de production" ouvrent-elles une nouvelle époque de développement de nouvelles forces productives dans le cadre du système capitaliste ? Pour y répondre, il faut commencer par revenir sur ce qu’est la révolution industrielle.
LE MACHINISME
Marx explique que le point de départ de la révolution industrielle ne fut pas la machine à vapeur (force motrice) mais la machine outil :
(Le Capital livre I tome 2 E.S. page 61)
La manufacture en parcellisant les opérations a accru considérablement l’efficacité du travail ouvrier.
(Le Capital livre 1 tome 2 page 71)
UN RAPPORT SOCIAL
L’essor du machinisme (l’alliance de la machine outil et de la machine à vapeur) va de pair avec la concentration des moyens de production (machine-outil, machine motrice et travailleurs sont concentrés en un même lieu) et la mise en place de nouveaux rapports sociaux qui se caractérisent par la " séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production ".Le capital est la propriété exclusive d’une minorité de capitalistes. La classe ouvrière vend sa force de travail aux possesseurs de moyens de productions.
(Capital livre 1 tome 3 chapitre 31)
(Le Capital Livre I Chap.XVI Tome 2 p.184)
Malgré ce que serinent les idéologues, l’invention et l’utilisation des machines, n’a jamais eu, et n’a pas pour but d’alléger le travail des hommes.
(Le Capital livre I tome 2 - E.S. page 58)
UNE CONTRADICTION FONDAMENTALE DU DÉVELOPPEMENT DU MACHINISME
L’accroissement fantastique du capital constant ( C ) introduit une modification du rapport entre C et V (le capital variable), de la composition organique du capital ( C+V ) la grandeur de C augmentant, celle de V diminuant.
(Le Capital livre I tome 2 page 90 E.S.)
LE MICROPROCESSEUR : UNE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?
L’utilisation du terme "révolution industrielle" à propos de la généralisation de l’informatique est volontairement abusif. Pour nombre de " spécialiste " il s’agirait d’une troisième révolution industrielle après celle de la vapeur puis celle de l’électricité et du moteur à explosion. Outre que ces observateurs font des forces motrices l’origine de la révolution industrielle, l’utilisation de ce terme pour désigner des progrès techniques vise à masquer les contradictions du mode de production capitaliste.
D’abord mue par l’énergie humaine (ou animale) puis artificielle (vapeur, électricité...) la machine est conduite par l’homme ou effectue des mouvements simples si elle est autonome. Grâce à l’informatique, la conduite des machines outils devient autonome (" intelligente ") dans les limites bien sûr fixées par les technologies de l’information elles-mêmes. L’automatisation n’est que la poursuite et l’achèvement de la mécanisation. Avec l’automatisation, il n’y a pas instauration d’un nouveau mode de production, c’est à dire de nouvelles relations sociales entre les hommes. L’automatisation ne fait que perfectionner, pousser jusqu’au bout ce qu’avait introduit le machinisme.
L’utilisation des composants électroniques miniaturisés, l’augmentation de leurs capacités, la baisse de leur prix permet une accélération du rythme de la production, une augmentation de la précision des fabrications, des facilités considérables d’adaptation à différents objets de travail (et des travailleurs) etc.
Ces changements sont importants. Ils sont d’ordre quantitatifs. L’aube du machinisme avait remplacé l’habileté manuelle, aujourd’hui c’est l’habileté intellectuelle qui est expulsée : c’est de plus en plus le travail hautement qualifié, complexe qui est accaparé par le capital par le biais de la machine. C’est un des facteurs qui pousse la bourgeoisie à détruire l’enseignement public, les diplômes, les qualifications.
Contrairement aux affirmations des appareils et des partis ouvriers, qui voient dans l’intégration du travail intellectuel dans le processus productif l’instauration d’un " changement de civilisation ", d’une modification des processus productifs, il ne faut y voir que l’expression la plus achevée de la tendance du capital à remplacer le travail vivant par du travail mort. Après avoir réduit l’ouvrier à un rôle de surveillant, l’informatisation des entreprises dans le cadre du mode de production capitaliste expulse massivement du processus productif le travail vivant, créateur de valeur.
LA FIN DU TAYLORISME ?
La nouvelle révolution industrielle vantée aurait-elle sonné le glas du taylorisme.
Le rapport de la Commission Boissonat (page 75) note :
Les normes de production furent fondées sur le chronométrage de l’ouvrier le plus fort ou le plus habile ; le travail fut parcellarisé (travail à la chaîne) ; un corps de spécialistes organisant le travail (bureau des méthodes) fut créé dépossédant ainsi les travailleurs des connaissances globales, un autre corps était chargé de l’accomplissement des tâches et d’assurer le maintien de l’ordre patronal (contremaître).... La mise en pratique entraîna des licenciements massifs, une augmentation formidable du taux d’exploitation. (Précisons ici que ce qui fut appelé " fordisme " était l’application de ces méthodes à une production de masse.)
Le taylorisme n’a pas disparu, ainsi que le note le même rapport, trois page plus loin :
Contrainte par le taylorisme, la classe ouvrière a néanmoins combattu. De la parcellarisation des tâches, au travail au rendement elle a pratiqué la résistance passive (coulage devant les chronos), elle a revendiqué des critères objectifs, des essais professionnels, elle a défendu les qualifications.
L’AUTOMATISATION FLEXIBLE
La machinerie automatique fonctionnait selon le principe d’une régularité invariable : des mécanismes permettaient l’arrêt automatique après tout dysfonctionnement. Le système électronique est capable de prévoir, d’anticiper, de corriger les dysfonctionnements. Il introduit la flexibilité. Il peut s’adapter à des demandes variées, à des changements de programmes. C’est ce que J. Lojkine, intellectuel lié au PCF, nomme "l’automatisation flexible".
Il est devenu nécessaire à la bourgeoisie de préciser le mode d’organisation du processus de production. Selon le rapport Boissonnat ( page 76) l’entreprise doit être aujourd’hui : " réactive ", (pouvoir s’adapter aux variations de la demande, fonctionner en flux tendus), " flexible ", (utilisation souple des ressources matérielles, humaines, souplesse d’organisation) " intégrante "(synergie entre tous les stades de production, remise en cause des frontières de l’entreprise, association des travailleurs à la définition de la stratégie de l’entreprise), " communicante " (fin de la hiérarchie taylorisante, implication de tous, polyvalence). C’est ce que recouvre le terme de "toyotisme"
Ainsi "l’automatisation flexible" loin de rendre le salarié plus libre de son activité, loin de lui permettre de maîtrise le processus de production le soumet encore plus au capital, aux rapports de production bourgeois, la "mobilisation du personnel" que revendique le patronat n’est rien d’autre qu’une soumission accrue à l’exploitation. Le rapport d’Antoine Riboud (PDG de BSN) Modernisation, mode d’emploi est de ce point de vue sans ambiguïté aucune :
(Cité par Actuel Marx La crise du travailp.48)
TRAVAIL ET MODE DE PRODUCTION
Le premier chapitre du rapport de la Commission Boissonnat commence ainsi :
C’est bien entendu un oubli volontaire : tout mode de production, toute industrie est fondée sur un certain type de relations sociales entre les hommes. Ce mode de relation est lui-même partie intégrante des forces productives. La division du travail sur laquelle est fondée la grande industrie (y compris sous sa forme automatisée) exprime un rapport social de production entre deux classes antagonistes : la classe ouvrière vend " librement " sa force de travail à la bourgeoisie qui en extrait le maximum de plus value.
Sous d’autres modes de production (antique, féodal) l’exploitation de la force de travail existait, le salariat a cette particularité de la masquer. La " forme-salaire " fait apparaître la rétribution de la force de travail (sa valeur étant le temps de travail socialement nécessaire pour la produire et la reproduire) comme la rétribution du travail. Apparence bienvenue pour la bourgeoisie : elle masque la division de la journée de travail en deux parties distinctes, celle où le prolétaire travaille pour reproduire sa force de travail (travail nécessaire) et celle où il travaille gratis pour le capital (surtravail). Alors que le temps de travail pendant lequel l’esclave ne fait que remplacer la valeur de sa force de travail apparaît comme non rétribué, et que le travail du serf est nettement séparé, dans l’espace et dans le temps, en sa partie servile et sa partie nécessaire.
Il s’ensuit que le capitaliste cherche à augmenter la durée du surtravail au détriment du travail nécessaire au moyen notamment de l’augmentation de la productivité, de l’allongement de la journée de travail, de la baisse du salaire.
Il augmente la plus-value absolue, (absolue parce qu’augmentation absolue de la valeur créée), essentiellement par la prolongation de la journée de travail, et il accroît la plus value relative (abréviation du temps de travail nécessaire) essentiellement par l’augmentation de la productivité dans les secteurs de fabrication des marchandises concourant à la reproduction de la force de travail ouvrière. La première étant le point de départ de la seconde.
CONTRAT COLLECTIF ET "INDIVIDUALISATION" DES RELATIONS DE TRAVAIL
Contrairement à ce qu’affirme le rapport Boissonnat, les droits collectifs des salariés ne sont pas nés de l’intervention de l’État providence, ils ne sont pas issus de " l’organisation productive taylorienne", ils sont le produit du combat du prolétariat. La nature des relations de travail n’est pas une simple question "économique" ou un "problème social". Il s’agit d’une question éminemment politique qui procède du rapport de forces politiques entre les classes, des relations d’ensemble entre celles-ci.
Aujourd’hui la bourgeoisie engage l’offensive pour casser les conventions collectives, les statuts nationaux et l’ensemble du Code du travail qui sont les produits de la lutte des classes, qui reconnaissent l’existence de la classe ouvrière comme classe et son droit à négocier sa force de travail en fonction de la totalité des positions qu’elle a conquises sur son ennemi de classe. Le patronat veut leur substituer des contrats individuels, des "contrats d’activité" tels les contrats de "louage de service" de la loi Le Chapelier qui stipulait :
Le management participatif par objectif, le travail en groupe, la polyvalence, liés à l’évaluation individuelle des performances aboutissent au salaire individualisé selon la quantité de travail.
Le gouvernement Chirac-Juppé a une politique d’ensemble : il combat pour établir de "nouvelles relations au travail et à l’emploi". Ce plan d’ensemble élaboré sur la base de nombreuses études répond aux exigences du patronat et inclut les moyens de sa mise en œuvre.
En défense des intérêts de l’impérialisme décadent, il est contraint de tenter de détruire toutes les conquêtes sociales du prolétariat dont font partie ses organisations. Nous reviendrons sur le contenu de ces plans dans un prochain article.