SOMMAIRE
CPS N° 66                                                                                         15 FÉVRIER 1997


TROISIÈME CONVENTION :
LE PARTI SOCIALISTE S’ADAPTE AUX BESOINS ACTUELS DE LA BOURGEOISIE

Les 14 et 15 décembre 1996 s’est tenue, à Noisy-le-Grand, la troisième et dernière convention nationale du Parti socialiste, convention convoquée pour adopter les propositions économiques et sociales du P.S. Un texte y a été débattu, qui avait recueilli près de 75% des suffrages exprimés (44% des inscrits). Ces trois conventions qui se sont tenues durant l’année 1996 s’inscrivent dans le cadre de la "rénovation" du Parti Socialiste conduite sous la houlette de Lionel Jospin. Celui-ci a ainsi conclu les travaux de la dernière Convention:

"Avec la convention sur le projet économique et social,

la troisième en un peu plus d’un an, s’achève la remise en ordre de marche des socialistes. Le temps des reconquêtes s’annonce. Nous n’avons pas encore un programme électoral, au sens formel du terme, car la synthèse se fera en 1997. Après la mondialisation (ses contraintes, ses prétextes, son exigence de régulation) après la démocratie (sa crise, à tout le moins son trouble, ses principes, son besoin de rénovation) nous avons abordé l’économie avec la volonté de redonner un élan sur la base de ce que j’ai appelé un réalisme de gauche".

"RÉALISME DE GAUCHE", ACTE III

Le point de départ de l’analyse du P.S. telle qu’elle est présentée par Henri Emmanuelli, "animateur de la commission d’élaboration" du texte soumis à la 3ème convention, ce n’est pas la situation qui est faite à la classe ouvrière, à la jeunesse, dans une situation de crise du capitalisme français, c’est la situation de "notre pays". Ce "nous" qui agrège en un tout unique l’exploité et l’exploiteur, le jeune chômeur et le flic, le prolétaire et le rentier, est significatif d’une politique d’union nationale, d’une politique de défense de l’impérialisme français : "les Français... la France... notre production... notre pays", tel est le leitmotiv.

Le tableau qui est esquissé de la situation économique reflète l’inquiétude des dirigeants du P.S. tout autant que celle des dirigeants de la bourgeoisie française :

"La France va mal d’abord sur le plan économique. Non seulement nous traversons une crise profonde de croissance mais (...) elle se traîne dans une déflation rampante : une croissance quasiment nulle, une évolution des prix qui, expurgée de la hausse des prélèvements, indique une baisse tendancielle des prix industriels (...) ; une évolution stagnante de notre production (...) Quant à l’excédent du commerce extérieur, dont on nous rabat les oreilles, je constate qu’il ne nous empêche pas de perdre régulièrement des parts de marché à l’extérieur". Les travailleurs n’ont pas de patrie... mais Henri Emmanuelli en a une, dont il défend la place dans le concert des impérialismes grands et petits ! Ce n’est que dans ce cadre qu’il condescend à se préoccuper de la "baisse des salaires" et de ce qu’il appelle "la situation sociale" dont "la dégradation sans précédent" est due " au cumul de ces deux causes : la logique libérale en elle-même plus la crise économique ".

La crise économique ? Ni Henri Emmanuelli ni un seul des intervenants de cette troisième convention pas plus que le rapport qui en est issu ne précise de quelle "crise économique" il s’agit : celle du système capitaliste, mode de production qui survit en multipliant les coups contre la classe ouvrière.

Au royaume du "réalisme de gauche", non seulement il y a belle lurette qu’on a fait le choix de défendre bec et ongles le capitalisme contre la révolution prolétarienne mais, à l’occasion de la première convention, on a clairement affirmé que le socialisme n’était pas une perspective, fut-ce pour les dimanches et jours de fête : le seul avenir offert à la classe ouvrière, c’est "un nouvel âge du capitalisme", une période nouvelle de "transformation du capitalisme". Tel est aujourd’hui le credo du PS

Le cadre étant ainsi fixé, il n’y a plus guère qu’à discuter de ce qui est appelé "la logique libérale", c’est à dire du bien fondé ou non de la politique particulière suivie jusqu’à aujourd’hui par les différents gouvernements bourgeois. Le P.S. pense que désormais "il faut changer de politique économique" en mettant fin à une politique dite de "l’offre", politique considérée comme inadaptée à la situation actuelle. L’objet de la discussion n’est donc pas : quelle politique pour en finir avec "l’économie" (c’est à dire le capitalisme) mais à l’inverse :quelle politique susceptible de sortir le capitalisme de sa crise ? (lui "redonner un élan" déclare Jospin), si tant est que cela soit possible... C’est ce que Lionel Jospin appelle "un réalisme de gauche".

"CHANGER DE POLITIQUE"

Le rapport adopté par la troisième convention propose à la bourgeoisie française une politique économique et monétaire susceptible de mieux répondre que l’actuelle politique à la situation de crise que connaît cette bourgeoisie. Ainsi le préambule affirme que les "tendances déflationnistes" se trouvent, en France, "renforcées par la politique menée par MM. Balladur et Juppé depuis quatre ans".

De même la première partie, titrée "agir pour la croissance et pour l’emploi", indique que si "la France connaît depuis quatre ans un véritable déficit de croissance" la responsabilité "en incombe en premier lieu au gouvernement d’Edouard Balladur et à celui d’Alain Juppé, qui ont infligé au pays un véritable choc fiscal, en accroissant de 200 milliards de francs les prélèvements pesant sur les ménages, et conduit une politique d’austérité salariale et sociale. Faute d’une croissance suffisante du pouvoir d’achat et en raison de la situation de précarité qui pèse sur 7 à 8 millions de Français, la consommation stagne et la reprise de la construction de logements et des investissements industriels n’est pas au rendez vous. Résultat : l’activité se traîne, le chômage augmente fortement, les déficits publics, faute de recettes, restent supérieurs à 4% du PIB".

À cette politique, le P.S. propose une alternative, qui constitue l’essentiel du premier chapitre : "impulser la croissance : pour mener une politique de croissance en France, il faut augmenter le pouvoir d’achat et relancer l’investissement pu blic".

Certaines des propositions faites dans ce cadre sont d’une notable imprécision : "une hausse sensible du pouvoir d’achat" en particulier par une "augmentation des salaires"... mais aucun chiffre n’est ici donné et le rattrapage du pouvoir d’achat perdu n’est pas à l’ordre du jour. Est également avancé un "allégement de la T.V.A.", non chiffré. Mais cette proposition en soi favorable aux travailleurs (la TVA est un impôt particulièrement injuste) sera annulée par une autre proposition : une réforme de la fiscalité combinant "la mise en place d’un prélèvement à la source" (auquel nul travailleur ne peut échapper) avec un rééquilibrage entre impôt indirect et impôt direct, au profit de ce dernier.

Pire : la seule proposition précise visant à cette hausse du pouvoir d’achat revient en réalité à poursuivre et à renforcer le plan Juppé de destruction de la Sécurité Sociale : une "baisse de deux points du taux de cotisation autorisée par une CSG élargie", c’est à dire un pas de plus dans la liquidation du salaire différé et dans l’extension de la fiscalisation. Il n’est donc pas étonnant que, dans la phase de préparation de cette Convention du P.S., Jospin ait interdit que soit présenté et voté à titre d’amendement la proposition suivante : "abrogation du plan Juppé (...) la CSG sera abrogé"; (même si, par ailleurs, le reste de cet amendement le rendait fort compatible avec l’ensemble du texte).

Il n’en reste pas moins que, dans leur ensemble, ces propositions se présentent comme une remise en cause de la politique dite "de rigueur" suivie depuis 15 ans. Encore faut-il préciser : la politique dite "de rigueur" et celle dite de "relance" ne sont que des politiques économiques conjoncturelles, s’inscrivant l’une et l’autre dans le cadre du capitalisme, en défense du capitalisme, et visant à répondre à des situations différentes. Le "changement profond de politique" proposé par le P.S. n’a rien de bien original ; tout lycéen peut en retrouver la définition dans le premier ouvrage scolaire venu :

"Les politiques dites de relance, d’inspiration keynésienne, privilégient les objectifs de stimulation de la croissance et de lutte contre le chômage. Les moyens utilisés consistent à développer les revenus des ménages par une politique des salaires souples et une extension des revenus de transferts; par ailleurs, la demande publique tend à s’accroître, le déficit budgétaire étant considéré comme favorable parce qu’il stimule la demande. La politique monétaire assure une progression des crédits et de la masse monétaire, les taux d’intérêt sont bas."(Nathan. Dictionnaire d’Économie). Ce sont là, mot à mot, les principaux titres et sous-titres du document adopté par le Parti Socialiste : "Impulser la croissance", "relancer l’investissement et l’action publique", "créer de l’emploi", "solvabiliser la demande", "redistribuer"...

Autre chose est la mise en œuvre de cette politique... Néanmoins, cette politique conjoncturelle ainsi affichée est sensiblement différente de celle que Jospin prônait il y a peu encore, de celle qui a été mise en œuvre depuis une quinzaine d’année.

"RÉALISME DE GAUCHE" ET QUADRATURE DU CERCLE

C’est la modification de la situation qui justifie, aux yeux de Jospin, cette politique économique. Dans son discours fait devant la Convention du P.S., il explique :

"en 1981, l’inflation dominait, le déficit extérieur mordait nos capacités. En 1996, l’inflation est maîtrisée, il existe un excédent commercial, mais le chômage est encore plus fort qu’en 1981 et la croissance est faible. Pour une situation différente, nos priorités sont différentes". Certes...,mais Jospin fait l’impasse sur une question essentielle, qui est celle du déficit budgétaire et du poids de la dette. Or tout "réaliste de gauche" sait parfaitement qu’à l’inverse de la politique dite de relance - qui laisse filer les déficits - , la politique dite "de rigueur" vise non seulement à lutter contre l’inflation et les déficits extérieurs mais vise en particulier à "l’assainissement financier". C’est au nom de la lutte contre la dette et les déficits budgétaires qu’ont été multipliées depuis quinze ans les attaques contre la classe ouvrière. La dette aurait-elle donc diminué ?

En 1981, la dette de l’Etat était d’environs 500 milliards de francs. Un septennat plus tard, elle avait triplé, atteignant 1500 millards de francs. A en croire les dernières "Notes bleues de Bercy", cette dette aurait de nouveau doublé entre 1989 et 1996, pour atteindre 3200 millards de francs. Mais l’INSEE (Tableaux de l’économie française 1996-1997) dresse un tableau encore plus sombre que le ministère des Finances : 3200 millards de francs dès l’année.1995, et pour 1996 un total de 3500 milliards. " La dette publique a été multipliée par 7,7 en 15 ans" passant de 15% à 45% du PIB. Pour les années 1993, 94 et 95, le déficit budgétaire a systématiquement dépassé 300 milliards de francs (plus du double de la moyenne des huit années antérieures). L’effet boule-de-neige est donné par la précision suivante : "L’accroissement de la charge des intérêts de la dette publique explique à lui seul 55% de la croissance des dépenses en 1996".

L’incapacité de la bourgeoisie à stabiliser puis à diminuer cette dette monstrueuse est l’expression même de la faillite du système capitaliste, qui n’a pu surmonter nombre de crises, faillites et krachs - en particulier depuis 1987 - que par l’intervention financière de l’État, en France comme ailleurs (voir par exemple le "sauvetage" du Crédit Lyonnais). Mais les possibilités d’interventions de l’Etat bourgeois ne sont pas infinies, le crédit même de ces États est vacillant. Dans ces conditions, mettre en avant une politique dite de relance alors que jamais les déficits budgétaires n’ont été si élevés est un pari audacieux... Mais imperturbablement les "réalistes de gauche" entendent résoudre la quadrature du cercle : d’un côté, il s’agit de "relancer l’investissement public" tout en sachant que, de l’autre côté "la situation catastrophique des finances publiques (...) ne laisse guère de marge de manœuvre (...) jusqu’au retour à la croissance". Problème : la relance de l’investissement public est justement proposée par le P.S. pour provoquer cette croissance. On tourne en rond.

D’où un tour de passe-passe : la dépense publique ne serait pas augmentée mais "réorientée vers les dépenses qui favorisent l’emploi et la croissance" au détriment des dépenses publiques qui exerceraient "des effets déflationnistes" (sic).

LÉNINE, MARX ET LES CHARLATANS

Face à un tel numéro de haute voltige, il n’est pas étonnant que dans son discours de clôture, Lionel Jospin ait appelé à l’aide les "intellectuels" pour préciser ses propositions :

"nous sommes donc en droit de demander aux économistes et aux théoriciens des relations sociales, aux intellectuels en général, et tout particulièrement à ceux qui se réclament de la Gauche, de prendre leur part de ce travail de clarification". Nul ne doute qu’un économiste distingué ne finira par expliquer comment on peut à la fois "relancer l’investissement public", qui "redeviendra une priorité", et "stabiliser" la dépense publique... étant entendu que "la nécessaire réduction des déficits ne peut se concevoir sérieusement que dans une perspective dynamique". Plus fondamentalement, il convient de rappeler qu’en leur temps déjà Marx puis Lénine eurent à polémiquer contre tous ceux qui expliquaient les crises par la disproportion entre la production et la consommation. Il y a exactement un siècle, Lénine expliquait contre Sismondi et ses héritiers : "L’analyse scientifique de l’accumulation dans la société capitaliste et de la réalisation du produit a ébranlé les fondements de cette théorie, tout en montrant que c’est justement dans les périodes qui précèdent les crises que les ouvriers consomment davantage, et que la sous-consommation (qui expliquerait prétendument les crises) a existé dans les régimes économiques les plus divers, alors que les crises sont le trait distinctif d’un seul régime, le régime capitaliste". Et Lénine d’opposer à cette théorie celle de Marx, laquelle "explique les crises par une autre contradiction, celle qui existe entre le caractère social de la production (socialisée par le capitalisme) et le mode privé, individuel, d’appropriation" (Œuvres, tome 2 p.165-166). Lénine précise en outre : "Les deux théories dont nous parlons donnent des crises deux explications tout à fait différentes. La première [celle de Sismondi] les fait découler de la contradiction entre la production et la consommation de la classe ouvrière; la seconde en fait une conséquence de la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de l’appropriation. Par conséquent, la première voit l’origine de ce phénomène en dehors de la production (...); la seconde [celle de Marx] la voit dans les conditions mêmes de la production. En bref, la première explique les crises par la sous-consommation; la seconde par l’anarchie de la production. Ainsi, tout en expliquant les crises par une contradiction dans la structure même de l’économie, ces deux théories divergent complètement sur la nature de cette contradiction. La seconde théorie nie-t-elle l’existence d’une contradiction entre la production et la consommation, l’existence d’une sous-consommation ? Non, assurément. Elle la situe seulement à sa place en la considérant comme un fait d’importance secondaire, ne concernant qu’une section de la production capitaliste. Elle enseigne que ce fait ne saurait expliquer les crises qui sont dues à une autre contradiction, plus profonde, la contradiction fondamentale du système économique actuel, qui oppose le caractère social de la production au caractère privé de l’appropriation". Les lignes sont extraites d’un document intitulé : "Pour caractériser le romantisme économique". C’était en 1897. Quand on voit un siècle plus tard, après deux guerres impérialistes mondiales et d’innombrables autres conflits, après le krach de 1929 et d’innombrables autres crises, Lionel Jospin et les "réalistes de gauche" s’évertuer à défendre une semblable analyse pour masquer leur soutien au capitalisme, on ne peut que conclure : le "romantisme économique" est une caractéristique devenue trop aimable et les "réalistes de gauche" ne sont que des charlatans.

UNE BOURGEOISIE AUX ABOIS

Les propositions économiques faites par le P.S., avec toutes leurs contradictions, reflètent le débat qui traverse la bourgeoisie française. L’accroissement vertigineux du poids de la dette combiné avec une tendance à la déflation, la faiblesse des investissements, l’offensive politique de l’impérialisme américain, la concurrence sévère exercée par les bourgeoisies qui ont recourt au dumping par la baisse de leur monnaie (Italie, Grande-Bretagne, etc...), la place très largement dominante de l’impérialisme allemand en Europe, les contraintes de plus en plus pesantes exercées par ce dernier au travers des accords de Maastricht et du projet de monnaie unique, tout cela conduit une fraction importante de la bourgeoisie française, nombre de ses dirigeants, à ruer dans les brancards : la politique actuelle est jugée intenable, il faut "tourner" ... ou se préparer à tourner : "la France étouffe!" fut le cri de Valéry Giscard d’Estaing qui, le 21 novembre, proposait une modification des parités avec un objectif fixé à 7 francs pour un Euro et 5,50 francs pour 1 dollar. au-delà des parités proposées, c’était la rupture d’un tabou, celui de l’arrimage du Franc au Deutschemark, et la proposition d’une dévaluation qui ne voulait pas dire son nom, mais qui était souhaitée :

"en nous dépréciant face au dollar, nous allons aussi nous déprécier face aux monnaies européennes, comme la Livre, la Lire et la Peseta, dont les dévaluations nous ont fait tant de mal".Et Giscard de préciser : "l’idéal serait que les allemands cherchent eux-aussi à modifier la parité entre leur monnaie et le dollar car ils ont le même problème que nous. Mais cela ne semble pas être leur idée. Nous devons donc agir seuls". C’est la même préoccupation qui amena Henri Emmanuelli à présenter un amendement au texte de la convention, sur une orientation analogue : "la France n’a besoin ni d’un "franc fort" ni d’un "franc faible". Elle a besoin d’un franc à sa juste valeur pour retrouver la croissance (...) renouer avec le réalisme monétaire, c’est retrouver une dynamique économique et sociale sans lesquelles les réformes de structures nécessaires et l’amélioration de nos finances publiques seront beaucoup plus difficiles à réaliser Encore faut-il que les taux d’intérêt ne s’envolent pas ipso facto...

Finalement, Henri Emmanuelli devait retirer son amendement, tout en protestant contre "la méthode retenue" qui interdisait tout amendement jugé non conforme au texte de la direction et de Jospin. De même Giscard mettait, en décembre, une sourdine à ses propositions, à la suite de la soumission de Chirac à Dublin. Quant à la remontée du dollar en janvier, elle exprime la profonde instabilité monétaire et l’âpreté des rivalités entre impérialismes. Mais sur le fond, rien n’est réglé. Toutes les bourgeoisies, la bourgeoisie française en particulier, et avec elle la direction du Parti Socialiste, vivent dans la crainte d’un gigantesque krach boursier, monétaire et financier international. Tous ont les yeux rivés sur le court terme, sur le futur immédiat. Aucun n’ose échafauder de politique à moyen et long terme. Le Parti Socialiste ne participant pas au gouvernement peut conserver un réel flou à ses propositions, avancer une chose puis son contraire. Mais incontestablement, il se prépare lui aussi à "tourner" si la situation du capitalisme français l’exige. Le rapport adopté à la troisième convention du P.S. en fixe le cadre : aider le capitalisme à surmonter sa crise, repousser les échéances en continuant à faire porter à la classe ouvrière le poids de cette crise.

MAASTRICHT I OU MAASTRICHT II

Les positions qui, durant l’automne, ont été avancées par un Giscard, par quelques autres dirigeants de la bourgeoisie ou par un Emmanuelli, n’étaient pas seulement des propositions "techniques" visant à aménager les parités monétaires ou à amorcer une autre politique conjoncturelle. Elles vont bien au-delà : rompre l’arrimage du Franc au Mark c’est, quelles que soient les précautions oratoires, rompre le dispositif préparatoire à la monnaie unique, c’est décider de renvoyer l’Euro aux calendes grecques. Une question taraude la bourgeoisie française : peut-elle renoncer à son indépendance ? Or les différents accords de Maastricht, complétés par la conférence de Dublin, reviennent pour la Bourgeoisie française à accepter la quasi-totalité des exigences allemandes. La proposition de Giscard traduit le refus d’un vieil impérialisme de se soumettre à son principal rival européen, aussi puissant soit ce dernier : Giscard n’est pas le seul des dirigeants de la bourgeoisie française à exprimer ce refus. Et cela rencontre désormais un écho réel au sein du Parti Socialiste.

Lors de la convention, Henri Emmanuelli évoque "le soi-disant succès de Dublin - je ne vois pas où est le succès sauf à imaginer qu’il mesure 0,5 ou 0,7 % - où la conception monétariste rigide de l’Allemagne l’emporte une nouvelle fois". Quant à Lionel Jospin, s’il se démarque d’Emmanuelli - dont l’amendement avait un caractère trop brutal - ainsi que de Giscard d’Estaing, sa position sur le fond n’est pas très différente. Il explique :

"Avons-nous bougé sur l’Europe et la monnaie unique? Moi, très peu, qui n’avais pas voté Maastricht d’enthousiasme et qui n’ai jamais été partisan du Franc fort. Je ne crois pas à l’intérêt d’une approche par la dévaluation ou, version transitoire, par le décrochage. Politiquement, parce que je n’ai pas constaté que les dévaluations du Franc intervenues depuis quinze ans, sous la gauche comme sous la droite, aient eu un effet subséquent sur la croissance et sur l’emploi. Diplomatiquement, parce que cela nous mettrait en position de faiblesse vis-à-vis du gouvernement allemand, et sans avoir plus d’armes de négociations avant même de l’avoir commencée.

Je préfère de beaucoup, au suivisme passif de Jacques Chirac et aux improvisations de contre-emploi de Valéry Giscard d’Estaing, les méthodes et les objectifs sur lesquels nous sommes maintenant tous d’accord, ceux des "quatre conditions" : une monnaie de toute l’Europe, un pacte de croissance et de solidarité, un gouvernement économique, un Euro surévalué par rapport au dollar".

En quelques mots la messe est dite : certes, Lionel n’est pas pour la dévaluation ni le décrochage... mais Jospin quant à lui n’est pas un aficionado du Franc fort et exige, tout comme Giscard, un Euro "non surévalué par rapport au dollar".`

Changement de position ? Jospin prétend sans rire qu’il n’a que "très peu" bougé sur l’Europe. Mais, par définition, la non réalisation des dites conditions signifierait la non réalisation de l’Euro. Jospin fait mine d’oublier ce qu’il expliquait quelques mois auparavant à l’occasion de la première convention :

"Pour ce qui concerne la réalisation de la monnaie unique en 1998-1999, notre position n’est pas de fixer à l’avance des conditions". Certes, pour Jospin, rien n’est tranché : il ouvre une possibilité de remise en cause de la monnaie unique sans définir aujourd’hui s’il faudra aller à la rupture. Mais cela seul est déjà une inflexion importante dans la politique du PS

DES CONDITIONS IRRÉALISABLES

Le document adopté par la convention explicite ces conditions. Ce sont mot à mot les "revendications" de la bourgeoisie française à l’égard de l’Allemagne :

- refus de se retrouver "otage" de l’Allemagne, de ne pas avoir l’appui de pays tel que l’Espagne dont la fragilité financière et monétaire suscite la ire permanente de l’Allemagne: "nous ne voulons pas un noyau dur monétaire organisé autour du Mark". Aussi est-il demandé "l’adhésion immédiate de l’Italie et de l’Espagne" ainsi que celle de la Grande-Bretagne après la mise en place du prochain gouvernement ; cela revient à dire que les critères de Maastricht sont nuls et non avenus. C’est le même déni des critères de convergence et des sanctions "automatiques" qui sous-tend les trois autres exigences :

- "un véritable gouvernement européen" compétent en matière économique.

- le refus d’un "pacte de stabilité qui priverait les gouvernements de leurs marges d’action budgétaire... nous considérons que la décision de passer - ou non - à la monnaie unique doit reposer sur une appréciation politique et non seulement comptable des critères de convergence",

- "la politique du taux de change relève du pouvoir politique".

Si on les prend au sérieux, pas une seule de ces conditions n’est acceptable par l’Allemagne. Néanmoins, elles sont formulées en des termes qui laissent place à des interprétations fort variées. Jospin, dans son intervention, ne ferme aucune porte : "nous sommes engagés par le Traité de Maastricht que notre peuple a ratifié par un référendum demandé par le président François Mitterrand. Nous ne sommes pas tenus par des critères ajoutés à ce Traité. Nous n’avons pas signé de Maastricht II (...) les conditions que nous avons définies sont compatibles avec la dette et l’esprit du Traité".

Au sein du P.S. il y a certes plus que des nuances sur cette question, divergences auxquelles Emmanuelli fait allusion en précisant ce que lui entend par conditions : "je dis bien des conditions et non des objectifs souhaitables comme certains, craignant une posture de conditionnalité, l’auraient voulu"..Fabius, quant à lui, n’aime guère le mot "condition". Mais ce qui en l’affaire est déterminant, ce sont les réticences croissantes de la bourgeoisie française à passer sous les fourches caudines de l’Allemagne : ce sont ces positions qui s’expriment là. En outre, à voir la manière dont les dirigeants allemands empilent exigence sur exigence quant aux critères de convergence et à leur garantie ultérieure, on peut se demander si eux mêmes en fin de compte n’envisagent pas l’échec de la monnaie unique. Certes, le dispositif est conçu de telle manière qu’il est un outil pour asseoir la domination financière et politique de l’Allemagne, mais il a aussi ses contraintes. En particulier, un Euro avec l’Italie et l’Espagne ne vivrait pas longtemps s’il devait voir le jour... En Allemagne même, nombre de voix se font entendre qui remettent en cause ce projet, considérant que l’intérêt de l’Allemagne est d’abord de pouvoir déployer sa puissance librement, tant à l’Est qu’a l’Ouest ou au Sud de l’Europe. Tout cela, Jospin le sait, lui qui, à l’occasion, déjeune à l’ambassade d’Allemagne. Aussi le P.S. se prépare-t-il, si nécessaire, à une remise en cause de la monnaie unique, après en avoir soutenu le projet des années durant.

En même temps, le P.S. - tout comme la bourgeoisie française - réaffirme son attachement à l’Union Européenne telle qu’elle est constituée. Sa dislocation serait, pour cette bourgeoisie, aussi catastrophique que l’assujettissement à l’Allemagne. C’est une insoluble contradiction. Mais le P.S. envisage une situation de crise pour cette Europe, perspective que Martine Aubry exprimait dans son langage particulier quelques semaines après : "Si l’Europe n’est pas capable de représenter un mode de développement qui prenne en compte ce qu’elle a toujours été (...) dans dix ans l’Europe n’existe plus" (Le Monde du 7 janvier).

Ce sont ces perspectives de crise qui conduisent le P.S., au-delà d’un possible changement de politique économique conjoncturelle, au-delà d’un possible abandon de l’Euro, à préparer des mesures se traduisant par une nouvelle baisse de valeur de force de travail.

UNE POLITIQUE ANTI OUVRIÈRE, SANS HÉSITATIONS

En ce qui concerne les mesures envisagées par le P.S. pour la classe ouvrière, il n’y par contre nulle hésitation : il s’agit (au-delà des précautions notoires et de quelques mesures de détail) de prendre en compte les intérêts de la bourgeoisie. On l’a vu pour les salaires : la hausse envisagée (indéterminée quant au niveau) n’est pas une mesure de défense du Travail contre le Capital, mais une mesure s’inscrivant dans une politique dite "de relance" jugée favorable au Capital. En outre, sous couvert d’une hausse des salaires, il s’agit de poursuivre et d’amplifier le plan Juppé en liquidant le salaire différé, et ce en se référant à l’introduction de la CSG par Michel Rocard :

"le gouvernement de Michel Rocard a amorcé cette dissociation avec la mise en place de la CSG. Cette réforme doit être menée à son terme. Les cotisations salariées seront remplacées par une CSG élargie". De même la cotisation patronale - qui constitue une fraction différée du salaire ouvrier - sera-t-elle liquidée au nom d’une cotisation assise "sur l’ensemble de la richesse produite et non plus sur le travail". Là encore, il s’agit de voler au secours des entreprises dont les profits sont menacés par la concurrence internationale : "son objet est bien de modifier la répartition de la charge actuelle qui pèse exagérément sur les entreprises utilisant le plus de main d’œuvre, à faible ou à forte qualification". Dans ces conditions, annoncer que seront supprimées les "exonérations de cotisations sociales" accordées aux entreprises ne vise en rien à rétablir la part de salaire (différé) aujourd’hui confisqué par ce biais puisque la mesure proposée ira bien au-delà. Dans le même sens, le texte adopté se garde bien de remettre en cause l’allongement de la durée des cotisations pour la retraite et d’envisager le retour aux 37 années et demie; car l’objectif de toutes ces mesures est de diminuer la valeur de la force de travail ( ce qui n’implique pas nécessairement la baisse des salaires, ni même celle du pouvoir d’achat).

Concernant la durée du temps de travail, le texte semble innover par rapport aux positions antérieures avancées par Jospin en 1995 : "une loi-cadre pour les 35 heures sans baisse de salaire". Quel travailleur serait contre ce projet (sous réserve qu’il s’agisse non du salaire nominal mais du pouvoir d’achat...) ? Mais en réalité ce projet s’inscrit dans la perspective d’une flexibilisation du temps de travail, vers l’annualisation : la loi-cadre "réduira les durées maximales autorisées et limitera le volume annuel d’heures supplémentaires". On demeure donc dans le cadre de la Loi Quinquennale sur l’emploi et de l’annualisation partielle via les heures supplémentaires. D’ailleurs "des négociations s’engageront sur cette base dans les branches et les entreprises". Au-delà, l’Etat financera les entreprises "instaurant par accord un horaire de 32 heures avec créations d’emplois": il n’est plus question ici de maintien des salaires ni d’entraves à une flexibilité accrue. L’accord qui vient d’être signé à EDF préfigure ce que prône le P.S. et ce sont de tels accords qui devraient permettre la réalisation d’un "programme national pour les jeunes", la création de "350 000 contrats de premier emploi supplémentaires". C’est, sous une forme particulière, la poltique très chrétienne du "partage", la baisse de salaire des uns devant "compenser" l’embauche des autres. Pour l’employeur, c’est tout profit, l’intensification de l’exploitation étant facilitée par ce dispositif.

Par ailleurs, l’objectif de dislocation de l’enseignement public est constitutif de ce projet "cette loi définira, dans un même mouvement, un vaste programme de formation en alternance incitant les entreprises à accueillir un nombre croissant de jeunes". Jospin mesure tout autant que les dirigeants de la bourgeoisie le danger que représentent ces millions de lycéens et étudiants non soumis à l’exploitation. Nombre de patrons s’inquiètent d’une jeunesse jugée trop peu docile, pouvant se montrer rétive à la discipline des entreprises... la formation en alternance - comme les stages en entreprise - vise à y remédier.

FAIRE JOUER TOUT SON RÔLE À L’ÉTAT BOURGEOIS

D’une manière générale, les propositions économiques du P.S. visent à ce que l’Etat bourgeois, y compris sur le plan économique et financier, joue le rôle de défense du capitalisme français. Une intervention faite par Edith Cresson au sujet de la situation économique américaine, qu’elle juge positive en matière d’emploi, est éclairante :

"Comment ont-ils faits? Les États-Unis sont libéraux en parole, ils vénèrent le Financial Times mais le consomment avec modération. Ils soutiennent la croissance par des politiques de relance budgétaire ou les dépréciations du dollar" (Edith Cresson oublie au passage les coups portés à la classe ouvrière américaine...) "Ils investissent massivement dans la recherche. Ils collectent 160 milliards de dollars sur le marché du capital-risque pour financer les entreprises innovantes : Apple ou Microsoft se sont développés ainsi (...) nous devons donner aux entreprises innovantes la possibilité d’accès au crédit qu’elles n’ont pas". Jospin approuvera chaudement cette intervention, dont on retrouve largement trace dans le texte adopté : "l’éducation, la formation professionnelle et la recherche sont un investissement productif pour l’avenir (...) l’effort en faveur de la recherche sera considérablement amplifié à travers le renforcement de la recherche publique et du crédit-recherche (à l’exemple de ce qui se fait aux États-Unis, l’effort public pourra être porté à 75%) ... il faut aider au renforcement et au renouvellement du tissu des entreprises (...) l’intervention publique doit permettre aux petites entreprises de trouver des fonds propres (...) moyen de composer la timidité (sic) du capitalisme français". Davantage d’État bourgeois pour pallier la crise du capitalisme est ainsi l’un des axes de cette politique. Mais cela ne saurait suffire : pour faire passer l’ensemble des mesures envisagées, le P.S. sait qu’il aura besoin de l’appui des appareils syndicaux.

PARTICIPATION ET COGESTION

Davantage de participation, vers la cogestion : cette orientation parcourt en pointillé, l’ensemble du texte. Ainsi pour les salaires :

"les pouvoirs publics instaureront une conférence nationale des salaires. Celle-ci indiquera les évolutions souhaitables pour que l’augmentation globale du pouvoir d’achat soutienne une relance non inflationniste (...) Elle doit servir de référence aux négociations dans les branches et les entreprises qui doivent rester décentralisées". Les dirigeants des syndicats sont donc invités à participer à la mise en place d’une police des salaires, à prendre en charge l’application de la politique conjoncturelle définie par le gouvernement. De même pour les retraites :"une négociation sera ouverte avec les organisations représentatives"; la mise en œuvre d’une plus grande flexibilité dans le cadre d’une loi sur les 35 heures se fera aussi par négociations de branche et d’entreprises. Et Jospin de s’exclamer : "quel vaste chantier pour le mouvement syndical"!

De fait, ce texte s’inscrit dans la continuité de celui issu de la deuxième convention, consacrée aux "acteurs de la Démocratie", et qui avait largement développé cette dimension "participative". Pour que les dirigeants des syndicats puissent s’engager plus avant dans la participation, vers la cogestion, le texte de la deuxième conférence avait proposé en particulier de "renforcer" les appareils syndicaux, de les arrimer plus encore à l’appareil d’État : "la démocratie a besoin de corps intermédiaires forts. Le renforcement du syndicalisme est indispensable" (il s’agit ici de l’appareil, non du syndicat lui-même qui est affaibli par la politique permanente de collaboration de classes conduite par l’appareil). D’où la proposition : "conforter le financement des organisations syndicales" par divers biais : financement par les entreprises... dotations budgétaires... c’est à dire davantage de corruption. Autre idée :

"dans les conventions collectives ne faire bénéficier de certains avenants que les adhérents des organisations syndicales représentatives (comme dans certains pays d’Europe) ". C’est l’une des propositions les plus réactionnaires que l’on puisse faire, emblématique de toute une méthode définie en les termes suivants par Pierre Moscovici, dirigeant du P.S. : "Sur la réduction du temps de travail, sur l’emploi des jeunes, sur la discussion salariale, la méthode est la même : impulsion de l’Etat, instauration du dialogue social au niveau centralisé, puis au niveau des branches et des entreprises, mise en place d’une incitation financière. Il s’agit bien de créer une nouvelle méthode, pour une autre dynamique sociale" (la Lettre de Confrontations n°23, publication dirigée par Philippe Herzog).
UNE PSEUDO-OPPOSITION

Divers courants et cliques "animent" et contrôlent les débats internes au P.S. L’un de ces courants, qui se baptise "La Gauche Socialiste" est généralement qualifié par la presse d’"aile gauche" ou d’"aile radicale".

A l’occasion de cette troisième convention du P.S., ce courant a présenté cinq amendements qui, à première et très rapide lecture, peuvent sembler plus "radicaux" que le texte général. L’un de ces amendements est titré : "abrogation du plan Juppé" et commence par déclarer : "Le plan Juppé de réforme de la Sécurité Sociale sera abrogé. Il sera mis un terme à la fiscalisation des recettes de la Sécurité Sociale", avant de conclure : "la CSG sera abrogée".

Fort bien. Et sans doute nombre d’adhérents du P.S. ont-ils lu cette proposition avec intérêt... mais au cœur de l’amendement est mis en avant "la maîtrise médicalisée des dépenses de santé" ce qui, nécessairement, dans le cadre du capitalisme, signifie le rationnement des soins. Ainsi donc ce n’est que sur la base des économies réalisées que, pour les "radicaux-réalistes" de la Gauche Socialiste, la CSG "devenue inutile""(sic) serait abrogée. À sa manière, la Gauche Socialiste soutient le plan Juppé qu’elle affirme condamner.

Le soutien au plan Juppé s’était, sous une autre forme, déjà exprimé à l’occasion de la deuxième convention; celle-ci avait adopté le principe du contrôle financier exercé par le parlement sur la Sécurité Sociale. Dans Le Figaro du 11 juin, Elisabeth Guigou expliquait :

"nous avons proposé en effet un paritarisme rénové où le Parlement vote les recettes et les dépenses de la Sécurité Sociale et où les partenaires sociaux gèrent celle-ci dans le cadre de contrats clairement définis avec l’État". Et, sur cette base, elle se félicitait que "la Gauche Socialiste" ait "accepté, en votant ce texte sur les acteurs de la démocratie, une conception de la gestion de la Sécurité Sociale qu’elle récusait jusqu’ici". Tout se tient : nos "radicaux-réalistes" votent, avec le texte de la deuxième convention, leur soutien au plan Juppé. Pour la troisième convention, ils demandent l’abrogation de ce plan tout en défendant la maîtrise des dépenses de santé... Des ruses analogues sont mises en œuvre pour le troisième amendement intitulé "35 heures hebdomadaires tout de suite et pour de bon", mais qui laisse la porte ouverte à une partielle annualisation du temps de travail, à la flexibilité.

Néanmoins, ces formulations sont encore excessives pour Jospin qui ne tient pas à ce que puisse se cristalliser sur de tels amendements l’aspiration d’un certain nombre d’adhérents à remettre en cause le plan Juppé et autres mesures réactionnaires. Il décide donc ... d’interdire des amendements qu’il juge "contradictoires" à son propre texte : s’ils sont maintenus, ce sera comme contribution contradictoire. Dans ces conditions, lors du vote des adhérents préalable à la convention, le texte du conseil national avait obtenu un peu plus de 41 000 voix pour 93 000 adhérents et 55 400 votants. Le texte de la Gauche Socialiste recueillait 8 900 voix. À l’issue de la convention, qu’allait faire la Gauche Socialiste ? Voter contre le texte de Jospin ?

C’est avec componction et au milieu des ricanements que Jean-Luc Mélenchon, sénateur de son état, annonçait à la tribune que ce n’était pas "la Gauche Socialiste qui donnerait, par un vote contre, le prétexte à qui que ce soit de dire qu’on ne peut pas faire confiance au Parti Socialiste pour transformer la Société. C’est ce que j’appelle le sens des responsabilités. C’est pourquoi nous allons nous abstenir, et pour rien d’autre, chers camarades qui ricanez ! (...)".

C’est ainsi que cette soi-disant opposition radicale joue au sein du P.S. le rôle de rabatteur pour le compte de Jospin, captant les voix d’adhérents inquiets ou réticents pour mieux les impuissanter.

UN "RÉALISTE DE GAUCHE" RESPECTUEUX

A l’issu de cette convention, Jospin s’est félicité de "la remise en ordre de marche des Socialistes". Mais il n’est pas pressé : le programme électoral ? On verra fin 1997. Les élections législatives ? Ce sera pour l’année suivante... Et, en attendant, que le gouvernement Juppé gouverne ! C’est à dire : qu’il frappe sereinement et à coups redoublés la classe ouvrière et la jeunesse ! Et si, malgré tout, la classe ouvrière élisait une majorité de députés du P.S. et du P.C.F. à l’Assemblée Nationale ? : cela va sans dire : on respectera Chirac... Et Jospin insiste : "Nous ne rédigeons pas un programme pour six mois, ni même pour deux ans, nous rédigeons un programme pour agir dans le respect des calendriers institutionnels, dans la durée fixée pour une législature". C’est cela, un "réaliste de gauche".

Quant à son compère Jean Luc Mélanchon le radical-réaliste, il se déclare tout aussi respectueux de l’ordre bourgeois et des institutions de la Vème République en faisant part de son souhait de "passer dans de bonnes conditions la cohabitation, qui sera de combat, non pas parce que je le souhaite par exaltation (sic) mais parce que le président de la République l’a déjà annoncé l’autre soir à la télévision".

Rappelons néanmoins que le texte de la deuxième convention (approuvé par Mélenchon) prenait soin de réaffirmer son soutien aux institutions de la Vème République, sous prétexte que "les Français sont attachés à deux réalités institutionnelles : l’élection du président de la République au suffrage universel direct, la stabilité gouvernementale".

Au-delà des propositions à valeur conjoncturelle (quelle politique économique ? quelle politique européenne ? etc...), les trois textes adoptés par les conventions successives du Parti Socialiste ont une valeur programmatique générale. À l’heure où l’ensemble de la classe ouvrière (et pas seulement la classe ouvrière française) est désemparée par l’absence de perspective politique, par les conséquences de la réintroduction générale du capitalisme dans les pays de l’ex-URSS et de l’Est de l’Europe, les documents du Parti Socialiste contribuent à désarmer un peu plus la classe ouvrière, bouchant toute issue politique, affirmant qu’il n’y a pas d’autre avenir possible que le capitalisme et son État. De telles positions doivent être analysées de manière précise pour pouvoir être combattues.

CPS aura l’occasion d’y revenir.


DÉBUT                                                                                                         SOMMAIRE - C.P.S N°66 - 15 FÉVRIER 1997