Convoqué pour la fin de l’année, du 18 au 22 décembre 1996, le 29ème congrès du PCF a été l’objet d’une préparation inhabituelle par sa durée comme par ses modalités ; celles-ci sont à mettre en relation avec l’enjeu de ce congrès et avec la période politique dans laquelle il s’inscrit.
UN PARTI À LA DÉRIVE
De même que le congrès précédent, ce 29ème congrès est fondamentalement cadré par la dislocation de l’URSS et l’éclatement de la bureaucratie du Kremlin. L’URSS est morte. Quant à la bureaucratie du Kremlin, au sens rigoureux du terme, elle n’existe plus : en Russie, en Ukraine, dans les autres États de l’ex-URSS, les différentes fractions qui ont résulté de l’éclatement de cette bureaucratie ont constitué des partis restaurationnistes, et sont les chrysalides d’une nouvelle bourgeoisie.
Or l’appareil Stalinien international - dont le PCF était une des pièces majeures avec le PC italien - était constitué en défense de la bureaucratie du Kremlin ; on se souvient du célèbre "Staline a raison" affiché par le PCF en 1939, au moment du pacte germano-soviétique. Si, par la suite, certains de ces partis manifestèrent quelques "critiques" à l’égard de la politique du Kremlin (par exemple, en 1968, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie) , la caractéristique du PCF et des autres PC était leur constante subordination au Kremlin.
Pour tous les PC, la chute du mur de Berlin en 1989, l’effondrement des différents régimes bureaucratiques à l’Est de l’Europe, puis la dislocation de l’URSS et l’éclatement de la bureaucratie du Kremlin a marqué un tournant historique. Pour ces partis, c’est d’un tremblement de terre qu’il s’est agit.
Chacun a tenté d’abord de se raccrocher à l’une des fractions qui apparaissaient dans le cadre de la dislocation de la bureaucratie du Kremlin. Le PCF, par exemple, s’est raccroché à la fraction dite "conservatrice". Mais tout a évolué très vite et sur le fond toutes les fractions sont sur une orientation restaurationniste.
En Italie, la "svolta", le grand virage, a été entrepris par le PCI lors de son 29ème congrès, en mars 1990, quelques mois après la chute du mur de Berlin. Toutes les références antérieures qui subsistaient ont été passées par dessus bord, sigle inclus.
En 1991, ce parti a éclaté : le courant majoritaire a constitué le PDS (lequel a demandé son adhésion à la IIŹme Internationale) tandis que le courant minoritaire constituait Rifundazione Communista. Aujourd’hui ces deux partis ont un rôle complémentaire indispensable à l’existence du gouvernement bourgeois dirigé par Prodi : l’un participe à ce gouvernement tandis que l’autre soutient de l’extérieur.
Le PCF représente, en apparence, une autre manière de s’adapter à la dislocation de la bureaucratie du Kremlin. Formellement, l’étiquette "communiste" est conservée, au moins jusqu’à ce jour. De même, l’unité apparente de l’organisation a été préservée, mais les courants qui s’y expriment ouvertement représentent les mêmes orientations divergentes que celles qui, en Italie, se retrouvent au sein du PDS et de Rifundazione.
Sur le fond, le développement politique est analogue à celui du PDS italien : il s’agit de prendre en charge, clairement, la défense du capitalisme en cessant de s’encombrer de toute référence, même lointaine, au socialisme, en combattant jusqu’à l’idée même de socialisme. C’est également un parti en crise, à la dérive, qui a officiellement perdu plus de la moitié de ses adhérents en une douzaine d’années, qui cherche une place mais qui n’en trouve pas : en France, à la différence de l’Italie, la place du parti social-démocrate est occupée par le Parti Socialiste. C’est dans ce cadre que le 29ème congrès du PCF est convoqué pour la fin décembre 1996. Il doit permettre des avancées décisives dans le rejet des références théoriques anciennes et l’adoption d’un programme défendant ouvertement l’ordre bourgeois.
UNE PARODIE DE DÉMOCRATIE
Pour préparer ce 29ème congrès prévu à la fin de l’année 1996, un premier Comité national s’est tenu les 20 et 21 mai 1996 (Comité national étant la nouvelle appellation de ce qui était le Comité central) . D’emblée, une double innovation marque cette préparation :
Pour faire passer cette méthode nouvelle de préparation d’un congrès, le Comité national décide de "consulter" les adhérents sur la procédure envisagée, afin que ceux-ci apportent leur caution. Après avoir ainsi "consulté" pour la forme les adhérents sur cette méthode, le "Comité national" des 19, 20 et 21 juin adopte les textes des cinq questions. La présentation qui est faite de ces textes dans L’Humanité est remarquable : chaque question est en fait une batterie de questions (26 interrogations pour la première "question" entrelardées d’affirmations.
En outre, le texte de chaque question est lui même précédé d’une "présentation" chargée d’éclairer le lecteur, ainsi que d’un résumé des débats sur cette question. Ensuite, chacune de ces questions est suivie d’un texte intitulé : "le sens de la réflexion du Comité national" ; ce dernier texte, remplissant plus d’une page du quotidien, explique comment comprendre les questions et comment y répondre ; et tout cela, au nom du débat démocratique......
L’ordre lui-même des questions ne doit rien au hasard ; ainsi la première question ("A quoi sert le Parti communiste ?") est considérée par ses auteurs "comme la question centrale (...) à laquelle toutes les autres questions sont subordonnées" . La présentation affirme "l’identification du communisme à l’humanisme et à la démocratie" . La réponse étant ainsi donnée, on peut livrer le texte de la question : "A quoi sert le Parti communiste ? Comment doit-il concevoir son rôle afin d’être pleinement utile à notre peuple ? Quelles sont les raisons qui le conduisent à identifier communisme, humanisme et démocratie ? (...) ce choix est-il bon pour combattre et dépasser le capitalisme ? (...)" .
Après quoi est publié "le sens de la réflexion du Comité national" : "Le Comité national attire l’attention sur les implications de ce choix de l’humanisme et de la démocratie (...) le choix de la démocratie n’est pas le choix de la facilité, c’est celui de l’exigence ,de l’appel à l’effort des citoyens, des peuples, de nous-mêmes" c’est à dire : de nouveaux sacrifices imposés à la classe ouvrière et à la jeunesse pour que survive le capitalisme.
Cette méthode est anti-démocratique à plus d’un titre : L’absence de rapport brise toute cohérence à la discussion, cette absence de cohérence étant renforcée par la fragmentation des questions. Elle permet d’introduire dans le débat les propositions les plus réactionnaires au détour d’une des innombrables interrogations ou dans l’un des commentaires adjacents. Et c’est ensuite au nom d’un débat ainsi organisé que sera adopté, 4 mois plus tard, un rapport pour le congrès censé refléter un avis majoritaire. Ainsi, d’octobre à décembre, les adhérents vont amender et voter non pas un rapport présenté par la direction sortante mais un rapport qui est censé représenter un avis déjà majoritaire dans l’organisation, sans bien sûr qu’il y ait eu le moindre vote. C’est un sommet dans la manipulation.
Cette méthode soulève quelques protestations, en particulier de la part du courant "conservateur". Ainsi Auchade s’inquiète de "risque de parcellisation des débats" comme il s’interroge sur l’enquête SOFRES publiée par L’Humanité"s’agit-il d’une consultation ou d’une manipulation ? " .Mais tous les courants vont s’inscrire dans le dispositif ainsi adopté, qui est en réalité parfaitement cohérent dans son projet.
" ÉVITER ÉTATISME ET COLLECTIVISME "
La cohérence de l’ensemble de ces documents est rétablie si l’on part de la troisième "réflexion" : au nom du "rejet du stalinisme, du totalitarisme" , il s’agit de poursuivre le combat du stalinisme en tirant à boulets rouges contre l’État ouvrier et le parti bolchevik :
Marx avait mené en son temps une critique acérée contre les doctrinaires qui prétendaient normaliser et moraliser la société par décret d’Etat. Il s’était attaché à comprendre le mouvement réel dans ses contradictions. Il y a découvert la possibilité historique du dépassement des sociétés de classe, d’un communisme dans lequel "le libre développement de chacun conditionne le libre développement de tous ". Ses théorisations vivantes les plus avancées ont été ensuite largement laissées en friche, dénaturées ou prises à contresens. Le "marxisme-léninisme" a façonné, pour des générations, une vision de la Révolution schématisée en un catalogue de " lois " qui se prétendaient science de l’histoire. L’énoncé de principes définitifs, d’étapes, d’une visée de la Révolution d’ un "grand soir" d’abolition y a remplacé l’élucidation de questions qui allaient se révéler décisives en ce seuil de bouleversements historiques où se joue le devenir humain. La mutation communiste a déjà son histoire. L’abandon de la notion de dictature du prolétariat en 1976 lance le projet de socialisme à la française démocratique et autogestionnaire. La voie est ouverte pour se dégager du système des conceptions codifiées par la IIIème Internationale : marxisme-léninisme, parti-guide, centralisme démocratique" .
La révision théorique est donc systématique ; le PCF ne doit pas "privilégier les intérêts d’une classe particulière" ; de "nécessaires transformations" sont "à faire prévaloir pour dépasser les contradictions de classe et progresser" ; et, contre ceux qui "évoquent la nécessité d’aborder la question : propriété collective des grands moyens de production et d’échange, le Comité national propose de réfléchir dans une approche nouvelle des relations entre pouvoirs, gestion et formes de propriété afin d’éviter étatisme et collectivisme "
L’objectif est donc tracé : le PCF doit devenir un parti qui combat ouvertement contre l’expropriation du capital, contre l’État ouvrier, l’économie planifiée et la propriété étatique, un parti qui combat publiquement contre le socialisme.
" DÉPASSER LE CAPITALISME "
"Dépasser le capitalisme" , telle est aujourd’hui la formule fétiche des dirigeants du PCF, formule ambiguë à souhait mais qui ne résiste guère à l’analyse. Certes, disent-ils, il y a "crise" et l’on va "vers une société plus dure, plus injuste" , mais la raison n’en est pas la crise du capitalisme pourrissant, car "pourtant existent des possibilités" . La raison en est le "choix de classe des milieux dirigeants de l’économie et de l'État" . Le capitalisme a donc encore un avenir, avec d’autres choix possibles... Si les textes du PCF sont plus "enveloppés" , parfois volontairement moins clairs que ceux du PS, ils n’en sont pas moins sur la même ligne. Ainsi de la "mondialisation" qui recèle, comme pour le PS, des aspects positifs, sous réserves d’autres choix politiques... et cela sans exproprier le Capital :
Nous pensons que d’autres choix politiques peuvent défaire ce que des choix politiques ont fait. La question n’est pas de nier les réalités de l’internationalisation des économies. Elle est d’opposer aux ravages destructeurs de la "mondialisation" actuelle une autre mondialisation : une "mondialisation-coopération" au service du co-développement des peuples. (...)
C’est bien le choix de société qu’il s’agit ; Et le choix que proposent les communistes est celui du dépassement du capitalisme, celui du dépassement "tout-argent" pour "tout-humain"".
Ce projet ultra réactionnaire est repris dans le texte adopté en juin par le comité national du PCF, sous la forme d’une "autre conception du salaire" , laquelle intégrerait le temps "libre" , celui de formation, d’activités sportives... D’autres propositions vont fuser pour "dépasser le capitalisme" , dont une "réforme du système d’enseignement (...) liée aux mesures à prendre pour permettre un nouveau type de plein-emploi, de pleine activité, avec alternance emploi-formation" .
Concernant la Sécurité sociale, il ne s’agit pas d’abroger la loi et les ordonnances mais de s’insérer pleinement dans le plan Juppé. "Dépasser le capitalisme" , c’est aussi avancer...vers sa cogestion : "davantage de responsabilités, de participation des salariés aux décisions concernant leur travail, l’utilisation de l’argent".
17-18 OCTOBRE : UN RAPPORT DE SYNTHÈSE
On comprend ainsi la raison du dispositif retenu pour préparer le congrès : y compris le compte-rendu assez précis des débats permet d’introduire comme élément de préparation au congrès les propositions les plus ouvertement réactionnaires, qui n’engagent d’abord que leur auteur. Ensuite, la discussion préparatoire de juin à octobre va permettre à la direction de "tester" ces propositions, de voir jusqu’où elle peut aller ; selon le cas, elle atténuera (provisoirement) , camouflera davantage ou développera très vite si cela est possible.
Le texte qui est adopté lors du C.N. des 17 et 18 octobre est donc sensiblement différent de l’ensemble des textes présentés en juin à la discussion : nettement plus court, il est construit sur un schéma plus traditionnel : après la description de la situation objective (1ère partie) il présente l’orientation politique du PCF (2ème partie) avec la question des échéances électorales de 1998 puis, dans une dernière partie, le fonctionnement du parti lui-même. C’est un rapport synthétique qui élague nombre d’aspects initialement soulevés, tempère quelques formules trop brutales dans leur nouveauté, et développe largement deux axes politiques : la cogestion et la remise en cause du droit au travail et au salaire. Un large préambule donne le cadre général de ce rapport.
PRÉAMBULE À LA COGESTION
La cogestion est une orientation fondamentale du PCF qui constitue le principal leitmotiv du document soumis au congrès ; le préambule à ce document est lui même organisé pour aboutir à cette orientation. Il commence par rappeler l’ampleur du virage programmatique en cours engagé au 28ème congrès :
Dans cette présentation de l’orientation ancienne, on était déjà aux antipodes du marxisme : il n’y est nullement question de destruction de l’État bourgeois ni d’instauration de l’État ouvrier mais de "conquête" du "pouvoir" d’État, ce qui signifie : respecter l’Etat bourgeois, instrument fondamental de défense du capitalisme (État qui ne peut avoir d’autre fonction que la défense de l’ordre bourgeois, qui est "dictature de la bourgeoisie" même sous la "forme" la plus démocratique). Aussi ce pouvoir est-il exercé avec des "alliés" dont le document oublie de préciser qu’il s’agit non seulement d’alliés "ouvriers" tels que la social-démocratie mais d’alliés bourgeois comme le MRP ou le parti Radical : on se souvient des combinaisons gouvernementales de 1946 (PCF-SFIO-MRP) ou de 1981 (PS-PCF-Parti Radical dit "de gauche").
Bien évidemment de telles combinaisons gouvernementales sont des obstacles sur la voie qui mène au socialisme mais le fait que l‘orientation ancienne du PCF faisait référence, pour la forme, au "socialisme" et au "communisme" signifiait que le PCF ne pouvait jouer son rôle dans la classe ouvrière qu’en se référant - même frauduleusement - au socialisme, au communisme, à la Révolution d’Octobre ; cette dernière était encore vivante dans la conscience ouvrière parce que l’URSS existait encore : État ouvrier dégénéré, accaparé par la monstrueuse bureaucratie stalinienne, mais État où le capitalisme avait été exproprié et où les rapports de propriété issus de la Révolution d’Octobre survivaient.
Avec la dislocation de l’URSS et la restauration du capitalisme, tout change pour le PCF, qui en conclut que "ce modèle de pensée (...) a échoué". Le PCF qui n’a cessé tout au long de son histoire de soutenir la bureaucratie stalinienne, explique aujourd’hui que c’est l’État ouvrier, l’expropriation de la bourgeoisie qui sont les fautifs :
- la construction d’un État ouvrier en place de l’État bourgeois, appareil d’Etat indispensable à la défense des conquêtes ouvrières ; (ainsi la construction de l’armée rouge sous la direction de Trotsky permit de sauver la Révolution d’Octobre attaquée de toutes parts par les armées française, anglaise, américaine et japonaise unies pour venir au secours des Gardes blancs) .
- la confiscation par l’État ouvrier des banques, des grands moyens de production et de transport, leur étatisation, la mise en place d’une économie planifiée et du monopole du commerce extérieur, qui sont des conquêtes fondamentales pour la classe ouvrière.
- la prise du pouvoir par la bureaucratie. Cette bureaucratie fut l’expression de l’arriération de l’économie russe, de l’isolement et de l’encerclement de la Russie soviétique organisés par les États impérialistes ; la destruction des moyens de production, et du prolétariat russe lui même, résultant de la guerre civile imposée par les Gardes blancs aidés des États impérialistes, généra la bureaucratie.
Le terme "d’étatisme" - source de tous les maux - permet au PCF de réaliser plusieurs tours de passe-passe : il permet de mettre sur le même plan des États de nature différentes (État ouvrier et État bourgeois) ; il fait porter à l’État ouvrier lui-même la responsabilité de son échec alors même que cet "échec" est dû à l’action conjointe de l’impérialisme et de la bureaucratie stalinienne (avec l’appui du PCF) ; il permet une politique de protection du capitalisme sous couvert de le "dépasser".
DÉPASSER LE CAPITALISME PAR LA COGESTION
Ayant affirmé comme point de départ le prétendu échec du "modèle" issu d’Octobre 1917, de "l’étatisme" , s’étant "dégagé non seulement du modèle soviétique, mais d’une conception de la révolution symbolisée par un grand soir" , la direction du PCF avance sa perspective : "le dépassement du capitalisme implique le dépassement de tout ce qui le constitue, et notamment de toutes les formes de domination sur la société et l’individu" . Pour les auteurs de ce document, ce qui constitue le capitalisme ce n’est pas la propriété privée des moyens de production, l’exploitation du salariat, l’extorsion de plus-value par la bourgeoisie : ces notions sont absentes du texte. L’essentiel, ce sont "les formes de domination" . L’exigence fondamentale n’est donc pas de mettre fin à la propriété privée des moyens de production et à l’esclavage salarial : "Les rapports d’association, de coopération (...) sont devenues des exigences majeures" .
Ces notions ne doivent pas être comprises comme ayant une signification de classe telle que : association des travailleurs, coopération ouvrière... Cela, "qui constituait aussi la classe ouvrière comme seule classe révolutionnaire" est à l’imparfait. Aujourd’hui, ce sont des exigences majeures "pour l’humanité, des nécessités pour le travail et la société" . En clair : l’association Capital-Travail, la cogestion à tous les niveaux. Et le préambule d’enfoncer le clou : "Association, partage, mise en commun, coopération, intervention, concertation : ces exigences prennent, en effet une vitalité inédite (...)". Ce sont là les valeurs du christianisme social qui exige de la classe ouvrière de nouveaux sacrifices (le "partage") pour que le système capitaliste perdure. Pour la direction du PCF, "ce choix de l’humanisme et de la démocratie" signifie combattre les aspirations de la classe ouvrière. Les adhérents du PCF sont donc avertis des difficultés : "le choix de la démocratie n’est pas le choix de la facilité, c’est celui de l’exigence, de l’appel à l’effort, à l’initiative, à la créativité des citoyens, des peuples, de nous-mêmes".
D’AUTRES " CHOIX " SONT POSSIBLES.......
Après avoir fait le tableau de la situation à laquelle se trouvent confrontés un nombre croissant de travailleurs : remise en cause des acquis et du pouvoir d’achat, chômage, immense misère sur la plus grande part de la planète... la première partie du rapport en donne les causes : non pas le système capitaliste lui-même mais "une logique, des choix qui pervertissent et bloquent les possibilités" . D’autres choix seraient donc possibles tout en respectant le système lui même. Ainsi la mondialisation, au lieu d’être guidée par de mauvais choix ("qui mettent les salariés et les peuples en concurrence") peut elle être améliorée par "d’autres choix pour des relations mondiales de codéveloppement et non de guerre économique".
Le rapport n’explique pas comment on peut convaincre le capitalisme de cesser d’être capitaliste, il suffit de répéter dix fois la même chose. L’Europe ? C’est "une illustration de la façon dont les choix des forces capitalistes créent de "nouvelles contraintes internationales". C’est un "processus ultracapitaliste". Le chômage ? "Ce sont des choix, ceux de la rentabilité financière, qui tuent l’emploi dans notre pays" . etc., etc... Mais comment en finir avec ces "choix" dictés par la nature même d’un système en crise, historiquement dépassé, si ce n’est en mettant fin à l’anarchie capitaliste par l’expropriation générale des moyens de production, donc par la destruction de son bouclier - l’État bourgeois - et la construction de l’État ouvrier ? Mais le PCF rejette totalement cette perspective. Il s’agit d’assurer la survie du système en associant les travailleurs à ces "choix" imposés par le système lui même, en associant donc les travailleurs à leur propre exploitation :
" LE PROJET DU PARTI COMMUNISTE "
Tel est le titre de la partie centrale du rapport. Cinq "orientations majeures" sont avancées. En fait trois d’entre elles consistent pour l’essentiel à faire des propositions pour aller le plus loin possible dans la politique de participation-concertation vers la cogestion. Des droits nouveaux sont exigés pour les salariés, en particulier pour contrôler les mouvements financiers :
Sans ces droits nouveaux, l’engagement de donner la priorité non plus à la rentabilité financière des capitaux mais au progrès social et humain se réduirait à une déclaration d’intention sans effet, car aucun moyen n’existerait pour intervenir dans les lieux où se prennent les décisions concernant l’orientation de l’argent. À l’époque où des milliards transitent en temps réel à travers le monde entier, ce sont ces pouvoirs nouveaux qui permettront de mettre fin à l’opacité et au "droit divin" du capital sur les mouvements financiers. Dès maintenant, dans l’action quotidienne - notamment pour l’emploi - des pas en avant peuvent être franchis dans la conquête de ces droits qu’une politique nouvelle devra établir et garantir. Il s’agit, aux yeux du Parti communiste, de l’une des mesures essentielles, constitutives d’une politique de gauche." (orientation n°1).
" UNE APPROCHE NOUVELLE DE L’APPROPRIATION SOCIALE... "
À l’inverse, pour le PCF, ces pseudo-droits exigés s’inscrivent comme moyen de prolonger la vie du capitalisme, par le combat contre "l’étatisme" et "le collectivisme" . Et si quelques nationalisations sont envisagées (avec indemnité), c’est comme appui aux entreprises privées, au capitalisme français. Telle est le sens de "l’orientation" n°3 :
Le même axe est longuement développé dans la cinquième proposition ("un nouvel âge de la démocratie") ;
Cette politique de cogestion n’est pas un but en soi mais un moyen : briser la résistance de la classe ouvrière aux offensives de la bourgeoisie, au développement de la flexibilité, de la polyvalence, de l’annualisation du temps de travail (globalisé sur une année voire sur une vie entière) , du chômage...
En clair : la cogestion doit permettre une baisse massive de la valeur de la force de travail, une reconstitution significative du taux de profit. Tel est l’objectif (autre chose est d’y parvenir) . L’orientation de cogestion s’articule donc avec la seconde grande orientation du rapport remettant en cause la notion même de travail et de salaire.
" UNE SÉCURITE EMPLOI-FORMATION "
Pour avancer cette exigence, le rapport s’appuie sur une réalité - la précarité du travail, le chômage - mais il cache l’essentiel : le chômage d’une fraction importante de la classe ouvrière, la formation d’une armée industrielle de réserve, est une conséquence du mode de production capitaliste ; qui plus est, le chômage est nécessaire au fonctionnement du capitalisme. La bourgeoisIe ne cherche pas à réduire le chômage mais tout au plus à diminuer son coût social, économique et politique, compte tenu des acquis du prolétariat. Elle cherche surtout à ce que cette armée de chômeurs en réserve soit totalement soumise au capital. C’est l’organisation de cette armée industrielle de réserve que propose le PCF, les travailleurs étant invités à librement s’y engager :
C’est une remise en cause générale de la notion même du travail, de l’exigence du droit au travail qui est ici avancée. Cela va de pair avec "la nécessité d’une autre conception du salaire". Mais comme la proposition vise à liquider purement et simplement quelques uns des acquis fondamentaux de la classe ouvrière, les plus anciennes revendications sur lesquelles elle s’est constituées comme classe - la journée de 8 heures, le droit au travail, un salaire défini par le temps de travail, les conventions collectives - ce texte "audacieux" utilise des formules alambiquées. L’objectif est néanmoins clair : aider le Capital . C’est ce qu’indique la fausse question posée à propos de la mobilité "concertée avec les salariés" :
" QU’ALLONS-NOUS FAIRE EN 1998 ? "
Telle est la question posée, qui sous-entend d’abord qu’est exclue l’éventualité de chasser Chirac-Juppé, la majorité RPR-UDF sans attendre cette échéance. Pour le PCF, il s’agit d’aider la majorité RPR-UDF à gouverner . Ainsi a été présenté, le 16 octobre, un projet de loi par les députés du PCF qui, sous couvert de fixer la durée légale du travail à 35 heures, introduit (article 3) :
Pour cette échéance la majorité RPR-UDF redoute une débâcle électorale. Elle s’attend à ce que les travailleurs votent en masse pour le PS et, de manière complémentaire, pour le PCF. Celui-ci se prépare à toutes les éventualités : il envisage ouvertement la formation d’une nouvelle mouture - respectueuse de Chirac - d'union de la gauche mais il se laisse le choix, si possible et si nécessaire, de mener une campagne de division afin de permettre la réélection d’une majorité de députés RPR-UDF (ou de limiter le plus possible une majorité vraisemblable de députés PS-PC). Il avait ainsi procédé, de l’automne 1977 à 1981, et permis trois années de prolongation à la majorité de députés bourgeois. Le prétexte qui sera éventuellement utilisé pour cette campagne de division est déjà donné : ce sera le thème de la monnaie unique ; mais en attendant, la direction du PCF n’entend pas se lier les mains par un texte voté : le congrès de décembre ne décidera rien. Le texte est construit de manière à laisser toutes les possibilités ouvertes . Il est ainsi présenté :
Tout au long de la préparation de ce congrès se sont publiquement exprimées des divergences, des courants opposés. Chaque partie du rapport au congrès est précédée d’une brève présentation des positions alternatives. Deux ailes principales se dégagent : d’un côté une "vieille garde" attachée au maintien des références formelles antérieures, de l'autre (avec Herzog en particulier) une aile soucieuse d'aller le plus vite et le plus loin possible dans l'abandon de toute référence à la classe ouvrière et à ses revendications. Fondamentalement, ces deux ailes se situent en défense de l'ordre bourgeois, mais divergent sur les moyens les plus efficaces. La "vieille garde" redoute particulièrement de perdre tout contrôle sur la classe ouvrière. Un an à peine après le mouvement de novembre-décembre, la majorité de l'appareil est également attentive à ce risque d'une nouvelle vague : "de nombreux jeunes remettent en cause l'ordre établi" .Il faut les canaliser, dévoyer leur combat comme celui de la classe ouvrière. Pour cela un parti comme le PCF est nécessaire. Cette exigence limite les possibilités d'aller jusqu'au bout dans la remise en cause de la "forme Parti" . Si certains proposent "une maison commune de tous les communistes" ; si d'autres, tel Philippe Herzog, vont encore plus loin : "je ne m'inscris pas dans un projet communiste (...) je souhaite travailler à la rencontre des communistes et de la société. Je préfère travailler dans un réseau que dans une maison" , la direction du PCF, à l'étape actuelle, ne peut les suivre sur ce terrain (elle entreprend néanmoins de réduire le rôle des cellules) ; le PCF doit pouvoir continuer à jouer son rôle contre-révolutionnaire. Il s'agit d'être "un parti utile au peuple", c'est à dire à la bourgeoisie. Autant que possible, l'unité de ce parti doit donc être préservée et le dispositif actuel joue un rôle : la "vieille garde" permet de conserver dans le giron du PCF les adhérents qui rejettent l'évolution en cours tandis que Philippe Herzog et ses comparses ne cessent d'aiguillonner la direction. De fait, l'évolution est rapide.
Le 29ème congrès va donc procéder à d'importantes modification de ses textes de référence. Ce ne sont pas les premières, et le 28ème congrès - qui se tenait après la chute du mur de Berlin - avait déjà procédé à de notables révisions. Il y en aura d'autres, et un Philippe Herzog joue le rôle important de mouche du coche.
DÉSARMER LA CLASSE OUVRIÈRE
Il faut mesurer l'ampleur du chemin parcouru ; En 1970 par exemple (19ème congrès du PCF) , le PCF était tout autant contre révolutionnaire, et son discours officiel était déjà très adapté à l'ordre bourgeois. C'est, par exemple, la ligne "la démocratie avancée" , mais d'une "démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme" : deux notions contradictoires, mais dont le deuxième terme traduisait la nécessité de continuer à se référer au socialisme ; car, pour la classe ouvrière, Octobre 17 avait encore une signification forte. Aussi les textes de ce 19ème congrès sont-ils émaillés de formules telles que : "le socialisme est une nécessité historique" ou bien, "la Révolution d'Octobre (...) (a) prouvé qu'il était possible pour la classe ouvrière d'abolir le capitalisme" (tout en associant aussitôt chacune de ces formulations à sa propre négation).
Aujourd'hui, ces contorsions sont inutiles. Le PC comme le PS combattent ouvertement de telles références, ne cessant de répéter que le socialisme est impossible, que le seul avenir est le capitalisme. Cela pèse nécessairement sur la classe ouvrière et la jeunesse. Dans cette offensive pour le désarmement théorique de la classe ouvrière, un tel texte de congrès joue son rôle : d'une part il concentre et officialise une élaboration idéologique développée d'abord en marge du PCF (ainsi des travaux de Boccara, eux-mêmes articulés avec les travaux de divers idéologues de la bourgeoisie) ; d'autre part un tel texte est ensuite "popularisé" , sous une forme simplifiée, par tout l'appareil de propagande du PCF, relayé par celui de la CGT.
Enfin, il débouche sur des applications concrètes immédiates, telles que la proposition de loi évoquée ou l'activité quotidienne de tout l'appareil de la CGT chargé d'appliquer cette orientation.
Ainsi le combat idéologique du PCF contre les acquis théoriques de la classe ouvrière s'articule-t-il immédiatement avec celui mené sur le terrain économique et sur le terrain politique.
UNE DISPARITION INÉLUCTABLE
Bien évidemment, les possibilités d'action du PCF ne sont pas infinies : violemment secoué par une crise qu'il ne peut surmonter, c'est aujourd'hui un parti dont la disparition est, à court terme, inéluctable (ce qui ne signifie pas qu'il va disparaître du jour au lendemain). La bureaucratie du Kremlin s'étant disloquée, l'appareil stalinien international étant en ruines, le PC n'est plus à proprement parler un parti stalinien, c'est un parti ex-stalinien, tout autant contre- révolutionnaire, et voué à disparaître du fait même de cet éclatement, de cette ruine d'un appareil dont il était une pièce constitutive.
Il est à la dérive, mais tant qu'il existe, il a la possibilité de jouer un rôle contre-révolutionnaire important, même si son emprise sur la classe ouvrière s'est déjà largement amoindrie. Ses position politiques doivent être donc plus que jamais combattues.
(Le texte ci-dessus fait suite à l'article publié dans le précédent C.P.S sous le titre: Défendre le matérialisme dialectique)