SOMMAIRE
CPS N° 65 30 NOVEMBRE 1996
CHIRAC - ÉGLISE CATHOLIQUE, MÊME COMBAT
Karol Wojtyla est l’étranger le mieux accueilli en France. Il est aussi pape de son métier, ceci explique cela. Du 19 au 22 septembre dernier, Chirac et son gouvernement l’ont vénéré, financé, médiatisé. Pour comprendre cette sainte alliance, il faut revenir sur ce qu’est l’Eglise d’une part, sur la sénilité de la classe bourgeoise oppresseuse d’autre part.
PILIER DU VIEUX MONDE
L’Eglise est une institution deux fois millénaire, spécialisée dans l’inculcation aux classes exploitées du respect de l’ordre existant et des valeurs de la classe dominante. Elle constitue un appareil international puissant, partie intégrante de la classe des propriétaires féodaux au Moyen-Age, soutien indéfectible de la noblesse et de la monarchie, forme politique liée à ce mode de production. Becs et ongles, elle défend ses privilèges contre la classe montante, la bourgeoisie. Elle devient finalement son alliée et bénit régulièrement ses canons depuis que les capitalistes dominent la planète.
UN COMMERCE JUTEUX
Gérant ses richesses bien matérielles et terrestres, l’Église catholique possède un État, des terres, des banques, des immeubles, des entreprises, des actions, toutes sortes d’associations qui savent que " charité bien ordonnée commence par soi-même. "
" D’après le catéchisme chrétien, l’Eglise est une société de croyants liés par la même foi, par les mêmes rites etc... Pour un marxiste, l’Eglise est une société d’individus liés par les mêmes sources de profits obtenus aux frais des croyants, aux dépens de leur superstition, de leur ignorance. " (Boukharine et Préobrajenski, L’ABC du communisme 1919) Illustrations avec le journal Ouest-France, plus gros tirage des quotidiens français : " Plus de 12 000 pavés de granit à 120F pièce ont été commandés par des fidèles. Gravés au nom de la personne pour 30F (supplémentaires...), ils seront foulés par le pape à Sainte-Anne-d’Auray qui bénira ainsi de ses pieds les initiales. " (20/09/96) A propos d’un prochain show papal pour août 97, " Pour boucler un budget qu’il tient à équilibrer, Mgr Dubost mise sur le partenariat, les dons, les souscriptions et la vente de produits dérivés : tee-shirts, affiches, autocollants... En attendant il doit " trouver de l’argent et vite, car nous aurons des factures à payer avant d’avoir reçu le premier sou de nos clients. " (31/10/96) LE RÔLE POLITIQUE DE L’ÉGLISEDans l’offensive ultra réactionnaire qui vise à perpétuer le mode de production capitaliste à l’agonie, l’Église apostolique et romaine joue sa partition en virtuose. La visite en France de son pape s’y inscrit.
Du " péché originel " au " mal qui est dans le cœur de chacun ", il faut tenter de masquer les causes des calamités qui s’abattent sur l’humanité. Taire que la possession privée des moyens de produire, de distribuer, que la course au profit ainsi entraînée, sont strictement contradictoires avec l’assouvissement des besoins matériels et culturels des milliards d’individus qui n’ont, pour vivre, que leur force de travail. La division de la société en deux classes fondamentales, l’une exploiteuse et l’autre exploitée, doit être camouflée.
A la classe ouvrière organisée, dont l’existence et le combat constituent une menace pour les capitalistes et leurs sacristains, le roi du Vatican préfère des individus, surtout écrasés, les " exclus ", les " blessés de la vie ". Dans le même panier, en l’occurrence la basilique de Tours le 23 septembre ont été accueillis, prostituées, malades, ou immigrés traqués par l’application des lois Pasqua, chômeurs que la crise capitaliste prive de travail. Le Monde du 24/09, ému aux larmes, croit contempler la Cour des Miracles et ne cache pas son admiration pour ce mateur de misères :
" Des cancéreux, des myopathes, des non-voyants, des sidéens, des SDF, des homosexuels, des prisonniers, des Tziganes sont là. On n’entend ni revendications ni plaintes. "" Le Christ a osé proclamer que ceux qui pleurent sont heureux et seront consolés... qu’ils sont appelés au bonheur sans fin. " (Discours à Tours)
Prolétaires de tous les pays, K. Wojtyla vous le promet, ça ira mieux quand vous serez morts. Cependant, au cas où le bonheur d’être pauvres ici et riches au paradis ne vous suffirait pas, il a quelques solutions à vous faire avaler : consommez moins, acceptez de voir réduire votre salaire et vos conquêtes. " Devant la multiplication des atteintes à la dignité et à l’intégrité des personnes, devant l’augmentation du nombre des exclus, il faut trouver de nouveaux modes de vie personnels et collectifs qui permettent de surmonter les crises.(...) Ceux qui ont la chance d’avoir des revenus suffisants sont-ils prêts à partager davantage avec ceux qui ne parviennent pas à vivre décemment ? Un style de vie plus sobre permettrait à beaucoup d’éviter le gaspillage et d’être plus attentifs aux besoins de leur prochain. " Il s’agit d’enfoncer dans les têtes que seule est possible la " réforme " de la société bourgeoise, qui, au prix de quelques sacrifices par eux consentis, garantira à tous les opprimés... leur place d’opprimés. " Les principes sociaux du christianisme ont justifié l’esclavage antique, magnifié le servage médiéval et s’entendent également, au besoin, à défendre l’oppression du prolétariat, même s’ils le font avec des petits airs navrés. (...) Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille. (...) Ce sont des principes de cafards et le prolétariat est révolutionnaire. " (Marx, 1847) La défense du vieux monde s’incarne aussi dans l’acharnement que déploie l’Église pour imposer l’ordre moral. Wojtyla a encore une fois condamné l’avortement, la contraception, rangé parmi les " blessés de la vie " les homosexuels, les divorcés. Il a choisi la Vendée pour réciter ces discours réactionnaires aux " héritiers des martyrs vendéens qui ont eu le courage de rester fidèles à l'Église alors que sa liberté et son indépendance étaient menacées " (Le Monde du 21/09).Le chef des Chouans a explicité comment faire fructifier l’héritage, en saluant " le travail accompli par les aumôneries de l’enseignement public et l’importance de l’école catholique dans l’ouest. " (Ouest-France du 20/09). Il a donné rendez-vous pour les " Journées Mondiales de la Jeunesse " à Paris en août 1997, dont l’objectif de haute spiritualité est d’" humaniser et christianiser la mondialisation ". L’organisation en est confiée à M. Dubost, évêque aux Armées. Les militaires sont invités car le Vatican souligne dans un communiqué du 24/09 reproduit par Ouest-France, " la participation de l’armée aujourd’hui au service de la paix et de l’entente entre les peuples. " C’est le sabre et le goupillon pour encadrer la jeunesse à laquelle la putréfaction impérialiste ne peut offrir d’avenir.
Histoire de " mondialiser " chrétiennement les masses cubaines étranglées par l’embargo américain, le ministre des affaires étrangères du pape vient d’achever une mission à La Havane, où il a " plaidé pour la réintégration de Cuba dans le concert des nations légitimes ", c’est-à-dire dans le giron de l’impérialisme. Cet homme si bon a revendiqué, non le droit pour les opprimés de s’organiser pour obtenir la levée du blocus, contre la bureaucratie castriste au bord de l’effondrement, pour un gouvernement ouvrier qui satisfasse leurs revendications, mais au contraire exigé :
" que la Caritas (Secours Catholique) ait les mains libres pour son travail humanitaire ; que l’Eglise ait accès aux médias et même qu’elle ait les siens ; que des prêtres et des religieuses étrangers puissent de nouveau exercer leur ministère dans l’île ; enfin que l’Eglise puisse entrer dans les écoles et les hôpitaux, aujourd’hui monopoles de 'État; "(Ouest-France du 29/10)
L’Église, force réactionnaire au sens strict, défend la restauration du capitalisme à Cuba, comme ailleurs. Elle épaule la bourgeoisie mondiale qui, depuis le début du siècle, a jeté aux oubliettes son anticléricalisme, dès lors qu’elle a assis son pouvoir et que depuis 1848, elle fait face au prolétariat. L'IMPÉRIALISME, RÉACTION SUR TOUTE LA LIGNE
Aux XVIIIème et XIXème siècles, la France est le pays où l’affrontement entre la bourgeoisie et l’Eglise a été le plus violent, aboutissant à une loi de séparation (1905) qui témoignait de la victoire définitive du capitalisme sur le mode de production féodal et ses tenants, monarchistes et prêtraille. La bourgeoisie avait muselé les calotins, mais s’était bien gardée de leur casser toutes les dents, par exemple en maintenant la loi Falloux (1850) qui laissait la part belle aux " écoles " chrétiennes. Elle les ménageait parce que la libre concurrence du capitalisme ascendant laissait la place aux monopoles, la fin des barrières douanières se changeait en protectionnisme, les tensions s’intensifiaient pour le maintien ou la conquête d’empires coloniaux : l’impérialisme, fauteur de guerres, montrait que l’époque des " Lumières " était close. La bourgeoisie française, comme les autres, embouchait la trompette patriotique et retrouvait le chemin de la sacristie : l’Eglise devait la seconder pour mettre au pas cadencé la classe ouvrière, l’enchaîner à la défense des intérêts de son propre impérialisme. En 1914, les congrégations " enseignantes " et " missionnaires " dont l’activité est dite " nécessaire aux colonies " sont rétablies.
Depuis, le tandem Bourgeoisie décadente-Eglise est resté soudé. En témoignent ces dernières années, par exemple, la présence d’un évêque en 86 dans la commission Marceau Long chargée de " réformer " le code de la nationalité, en 88 avec Christian Blanc pour maintenir la botte coloniale française en Nouvelle Calédonie, l’enterrement de Mitterrand à Notre Dame de Paris ou le voyage de Chirac au Vatican en janvier 96.
LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ, RÉACTIONNAIRE DONC CALOTIN
À cette occasion, Chirac, avec son épouse voilée, pardon mantillée, a rassuré le pape sur la " fidélité de la fille aînée de l’Eglise " et en récompense, a été " intronisé chanoine d’honneur, à la basilique de Saint-Jean-de-Latran " (L’Evénement du Jeudi du 19/09). Quand les compères se sont retrouvés, le 19 septembre, le " chanoine " a prononcé un discours ouvertement clérical :
" Très Saint-Père,...la France a la joie d’accueillir sur son sol l’héritier de Pierre, rassembleur du peuple chrétien et pasteur d’une Eglise sans frontières. (...) Vous demeurez l’inlassable pèlerin de l’absolu qui travaille pour la paix. (...) Cet après-midi vous serez à Saint-Laurent sur Sèvre, en Vendée, terre de foi et de vocation qui donna tant de saints à l’Eglise, de missionnaires, de fondateurs d’ordre et de congrégations. Puis ce sera Sainte-Anne-d’Auray, phare spirituel de la Bretagne où s’assembleront en foule les forces vives de l’Eglise. (...) Ainsi la foi chrétienne devait-elle marquer de son empreinte nos comportements, nos structures, nos institutions éducatives, hospitalières et sociales. (...) " (Le Monde 20/09) Le personnel politique de la bourgeoisie s’est affiché aux messes jouées par le clergé au grand complet, entre autres : Pasqua, Léotard, Giscard d’Estaing, de Charette ministre des Affaires étrangères, Debré, ministre de l’Intérieur et des cultes, Emmanuelli secrétaire d’Etat à l’Action humanitaire, Bourges président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Sans doute une façon de dire à qui appartiennent les grands médias, qui ont offert 15 heures de télévision à la propagande cléricale, tous les journalistes appelant Wojtyla " Très Saint-Père " et " Sa Sainteté " suivant l’exemple chiraquien. Une offensive énorme de bourrage de crâne, un déferlement d’âneries auxquels les quotidiens Le Monde et Ouest-France, souvent mis à contribution dans cet article, parce que liés à l’Eglise dès leur naissance, concouraient sans honte. " En tout cas, il pleuvait presque partout en France, sauf à Sainte-Anne-d’Auray. " Merci, Sainte Anne ", a dit le pape en levant un sourcil malicieux. " (F.R. Hutin, rédacteur en chef, Ouest-France du 28/09). Le gouvernement RPR-UDF, ses relais dans les conseils régionaux ou les mairies, ont évidemment financé sur fonds publics les déplacements du chef de l’Eglise catholique, pour plusieurs centaines de millions de francs : mise à disposition d’un service d’ordre, de deux bases aériennes, d’un Transall, d’un Airbus, de plusieurs hélicoptères, etc... Or, la crise économique, la terreur d’un effondrement de tout le système, fait que l’heure est à l’austérité et n’incite pas la bourgeoisie française à faire des cadeaux. Le financement du voyage du pape n’en est pas un, c’est une sorte d’investissement. Les principes sociaux du christianisme inspirent la " solidarité " de la CSG contre le salaire différé finançant la Sécurité sociale ; le " partage du travail et des revenus " contre la réduction immédiate du temps de travail sans diminution de salaire ; le soutien à " l’aménagement des rythmes scolaires " contre l’enseignement public, primaire et secondaire ; les campagnes de " charité " contre le financement par l’Etat de la recherche médicale. On le voit, la bourgeoisie ne fait que rémunérer un prestataire de services. LES PARTIS OUVRIERS DÉGÉNÉRÉS A L’UNISSON
Sur la question du combat anticlérical, comme sur toutes les autres qui touchent à l’émancipation du prolétariat, le PS, le PCF, les appareils dirigeant les syndicats montrent " qu’ils ne veulent pas se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie " (Trotsky, 1938).
Ils n’ont aucunement appelé à manifester contre la venue de Wojtyla, contre l’offensive cléricale et ce gouvernement qui la propulse. Ils se sont cantonnés à la critique du financement sur fonds publics de ce voyage, mendiant par là, à la bourgeoisie décadente, un geste de séparation entre l’Eglise et l’Etat, qu’il n’est ni dans son intérêt, ni dans son intention, d’accomplir et ce, depuis un siècle. Pire, les dirigeants du PS, du PCF ont affirmé leur respect de l’Eglise catholique et de son chef.
" Le premier secrétaire du PS a reproché au gouvernement d’avoir transformé un " acte spirituel que nous devons respecter en un acte officiel dont certains nous disaient que c’était le baptême de la France. Quant au pape, en tant que personne, en tant que responsable d’une grande religion, je lui souhaite la bienvenue et une bonne santé ", a conclu M. Jospin ". (Le Monde du 21/09)" Sous la plume de Yann Vince, secrétaire fédéral, le PCF souligne que " si le PCF trouve légitime l’accueil du pape par les plus hautes instances de notre pays - il s’agit d’un chef d’église qui a rang de chef d’Etat - il considère que le financement public des frais d’organisation de cette visite est contraire aux principes constitutionnels de notre République ". (Ouest-France du 21/09)
Toutes les officines dans lesquelles les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier collaborent avec la bourgeoisie sont sur la même longueur d’onde. " La Fédération des amicales laïques rappelle que, si elle ne s’oppose pas à la venue du chef de l’Eglise catholique en France, elle n’accepte pas que les collectivités publiques subventionnent cette manifestation religieuse. (...)Gilles Manceron déclare : " Nous, à la Ligue des droits de l’homme, nous n’avons rien à redire à la venue du pape en tant que chef spirituel ". (Ouest-France du 21/09) Le CNAL (FEN-UNSA, FCPE, SE-FEN, Ligue de l’enseignement) lance dans sa déclaration du 12 septembre " un appel solennel aux responsables de l’Etat pour qu’ils restent neutres à l’égard des religions ". Les loges maçonniques ou la Libre pensée ne disent pas autre chose.En fait de " neutralité ", le PS, le PCF soutiennent autant les associations Vatican 2 que traditionalistes (financement de la cathédrale d’Evry, permis de construire une église pour les intégristes de feu Lefebvre à Noisy le Grand), les catholiques que les protestantes rebaptisées " organisations humanitaires ". Ils y confortent le rôle politique que joue l’Eglise. Cet été, des immigrés sans papier, otages des lois Pasqua, ont pu apprécier l’efficacité de l’Eglise pour les livrer individuellement à l’étude par le gouvernement Chirac-Juppé de leur cas particulier... c’est-à-dire à la mort pour l’un d’eux, à l’expulsion pour la majorité des autres, avec la collaboration totale du PS, du PCF, flanqués de LO et de la LCR.
IL FAUT CONSTRUIRE LE PARTI OUVRIER RÉVOLUTIONNAIRE
" Seule la révolution socialiste peut sauver la société contemporaine. Pour la réaliser, le prolétariat (...) a avant tout besoin d’une pleine indépendance à l’égard des fictions de la religion, de la " démocratie " et de la morale transcendantale, c’est-à-dire des chaînes morales forgées par l’ennemi pour le domestiquer et l’asservir. Ce qui est moral, c’est la préparation du renversement total et définitif de la barbarie impérialiste, et seulement cela. " (Trotsky, œuvres tome 23) Pleine indépendance inclut critique radicale de la religion, que Karl Marx développa, par exemple dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel et que les militants qui combattent pour le socialisme reprennent à leur compte : " Le fondement de la critique irreligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. (...) La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole; " (Sur la religion)
Seul le prolétariat balaiera le fatras des religions en renversant le capital, en construisant le socialisme. Pour cela, il est nécessaire que soit édifié un nouveau parti, en rien lié à la bourgeoisie et l’église, le Parti ouvrier révolutionnaire.
DÉBUT SOMMAIRE - C.P.S N°65 - 30 NOVEMBRE 1996