SOMMAIRE
CPS N° 65                                                                                         30 NOVEMBRE 1996
 

L'ENNEMI À COMBATTRE : VAINCRE ET CHASSER
LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ

En mai dernier, L’Expansion annonçait : "Le budget 1997 est central, c’est l’acte de politique économique le plus important de la législature". Ce budget est un budget de guerre contre les masses laborieuses et la jeunesse. Il concentre et ordonne toute la politique anti-ouvrière du gouvernement Chirac-Juppé, comme en témoigne en particulier la fiscalisation de la Sécurité sociale liée à la réforme de l'impôt, la suppression de nombre de postes de fonctionnaires. Il met en cause les fondements mêmes des acquis ouvriers arrachés par la vague révolutionnaire de l’après-guerre.

Pendant la fin de l’été 1996, neuf mois après le puissant mouvement de novembre-décembre 1995, une nouvelle vague était à l’ordre du jour. L’annonce d’une diminution de postes dans la Fonction publique, la déclaration de Juppé sur "la mauvaise graisse" pouvait cristalliser dès le mois de juin la volonté des fonctionnaires, de la classe ouvrière d’engager le combat contre le gouvernement Chirac-Juppé pour le vaincre et le chasser. Le combat contre le projet de budget présenté début octobre (projet concentrant les attaques anti-ouvrières) pouvait également centraliser l’action des masses laborieuses et de la jeunesse.

Force est de constater que cette deuxième vague attendue et redoutée par la bourgeoisie n’a pas eu lieu. Le gouvernement Chirac-Juppé est toujours en place ; il applique sa politique et continue à frapper. Comment en est-on arrivé là ?

LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ APPLIQUE SA POLITIQUE

LES ENJEUX DU BUDGET 1997

Le budget 1997 devrait respecter les critères de convergence de Maastricht : le déficit serait inférieur à 3% du PIB. En francs courants le montant des dépenses serait quasiment identique à celui de 1996 (il augmentait de l’ordre de 4% dans les budgets précédents). L’Expansion en relève néanmoins les astuces :

le respect des critères de 3% "tient en grande partie à un versement exceptionnel de France-Télécom de 37 milliards de francs dans les caisses de l’État (...), ce versement ressemble à une "fuite en avant comptable". Car si l’État encaisse effectivement la soulte correspondant à la prise en charge des retraites futures des agents de la compagnie téléphonique nationale, il ne dit rien sur le provisionnement de ces dépenses". Au delà de l’escroquerie comptable, ce fait s’inscrit dans le cadre de l’attaque globale contre la classe ouvrière que constituent l’ensemble des mesures du budget. L’utilisation de l’argent versé pour les retraites des agents de France Télécom pour combler le déficit budgétaire en dit long sur le contenu des pseudo-engagements du gouvernement à maintenir les garanties statutaires des agents de l’entreprise privatisée.

La réforme de l’impôt sur le revenu se combine à la fiscalisation de la Sécurité sociale. La diminution des impôts sur le revenu des personnes (RPP) annoncée avec grand fracas (allégement net de 25 milliards de francs) touche essentiellement les hauts revenus et met en cause de nombreuses réductions d’impôts. En fait la progressivité de l’impôt sur le revenu sera réduite. Par contre le taux de l’impôt sur les entreprises diminuera : réduction de 3.3 à 19% de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices incorporés au capital des P.M.E. ; diminution de la taxe professionnelle.

Une série de lois et ordonnances mettent en œuvre la destruction de la Sécurité sociale, la soumettent au Parlement La loi de financement de la Sécurité sociale votée au même moment que le budget élargit de 1 point la CSG et engage la fiscalisation totale de la Sécurité sociale. À cela s’ajoutent les exonérations massives de cotisations sociales accordées au patronat. Une masse de plus de 40 milliards de francs de salaire différé sera transformée en plus-value au bénéfice du patronat. Par ailleurs une nouvelle augmentation des impôts indirects est déjà programmée. G.Robien a annoncé que pour faire face au déficit de la Sécurité sociale, il ne pouvait pas assurer qu’on éviterait de nouvelles taxes dans l’avenir.

Le budget 97 finance par ailleurs l’extension du travail précaire : contrats initiative emploi, contrats emplois solidarité, emplois de ville, nouveaux contrats dans le cadre de la prochaine "loi de la cohésion sociale", dispositif de retraits d’activité, soutien à la formation en alternance... Au total, ce sont 42.8 milliards de francs qui sont consacrés à "l’allégement du travail". Mais le financement par l'État des charges patronales est d’ores et déjà insupportable. C’est la raison pour laquelle, en s’appuyant sur ce premier acquis, le patronat et le gouvernement annoncent qu’il faut aller vers la destruction totale de la Sécurité sociale. Philippe Manière explique dans Le Point "qu’il faut dès maintenant réfléchir à l’étape suivante". Dans Le Quotidien de Paris (24/09/96) B.C.Savy ancien député RPR indique cyniquement l’objectif :

"Par l’État Providence, on a déresponsabilisé le citoyen. D’une aide on a fait un droit : "le droit à la santé" qui est tout autant une fiction que le "droit à la beauté". Dans tous les pays, il y a un devoir de solidarité envers la part défavorisée de la population. (...) Mais que les autres s’assurent ! Qu’ils se prennent en charge comme ils le font face à leur budget automobile ou de vacances." ! Le vote par le Parlement d'une loi créant les fonds de pension ouvre la voie à la liquidation des retraites par répartition. La suppression de 6000 postes de fonctionnaires au budget 97 est la première étape d’un plan de réduction drastique dans toutes les administrations. Ces suppressions s’articulent avec la réforme de l’État. Le 16 septembre, à Poitiers, devant le CNPF, J.Chirac exprimait ainsi le sens de cette "réforme" : "le meilleur service que l’État puisse rendre aux entreprises est de se réformer lui-même". Cette réforme est en effet le cadre et le moyen d’une offensive sans précédent contre les règles statutaires en matière de garantie d’emploi, de traitement, de qualification, de déroulement de carrière, de mutation. Des administrations seraient "refondues", "regroupées", transformées en EPIC, voire supprimées. Pour les agents, c’est la mise en place de la polyvalence, de la mobilité géographique et professionnelle, l’annualisation du temps de travail et un accroissement des charges de travail. Il faut ajouter à cela la poursuite du blocage des salaires.

LA LOI ROBIEN : NOUVELLE AVANCÉE DANS LA DIMINUTION DE
LA VALEUR DE LA FORCE DU TRAVAIL

Cette loi met en œuvre la destruction de la Sécurité sociale : une entreprise qui réduit de 10% le temps de travail bénéficie d’un allégement de 30 à 50% des cotisations sociales ; elle transforme les emplois qualifiés garantis par des conventions collectives en emplois précaires ; elle accroît la flexibilité du temps de travail ; elle développe le dialogue social c’est à dire l’association des organisations syndicales à la politique anti-ouvrière du gouvernement du capital. Pour la financer, le projet de budget 1997 a prévu une enveloppe de 800 millions de francs ; un peu plus de 500 000 salariés pourraient être concernés en 1997. Selon un sondage American Express-La Tribune, près d’un patron de P.M.E. sur cinq se dit prêt à utiliser la loi Robien afin d’accroître les effectifs de son entreprise, Le Nouvel Économiste (31/10/96) commente :

"Côté syndical, la CFDT et la CFTC sont de fervents partisans, la C.G.T. et FO ne ruent pas pour autant dans les brancards. Résultat : pas moins de quarante accords Robien (6500 salariés concernés) ont été signés à ce jour et une centaine d’autres (13 000 salariés) sont sur le point de l’être." Différents experts se sont livrés à de savants calculs. Le coût moyen de la mesure serait inférieur au coût d’un chômeur. Cette loi qui élargit et pérennise le dispositif introduit par la loi dite quinquennale de 1993 n’est pas une fin en soi. Elle est conçue comme un nouveau dispositif offensif œuvrant à la destruction du Code du travail. Nicole Notat aurait selon Le Nouvel Observateur (31/10/96) expliqué à Lionel Jospin qu’il s’agit d’une nouvelle étape pour avancer vers la flexibilité totale : "En réclamant la signature rapide de mille accords dans le cadre de la loi Robien, elle espère ainsi "faire péter la cagnotte". Selon elle, la preuve sera faite que ce dispositif coûte trop cher, et on sera obligé de s’engager dans une réelle réduction du temps de travail avec une loi plus complète et plus sérieuse". Ce que La Croix ne démentira pas : "la loi Robien a été conçue comme une aide à la négociation sur le temps de travail"

RENFORCEMENT DE L’ÉTAT POLICIER

Le gouvernement Chirac-Juppé poursuit le renforcement du dispositif policier contre les travailleurs immigrés, contre l’ensemble du prolétariat et de la jeunesse : loi Pasqua (janvier 95) ; projet de loi anti-terroriste (adoptée par le conseil des ministres en juin 96) ; renforcement des pouvoirs des préfets (réquisition des blindés pour disperser des attroupements) ; nouveaux équipement attribués à la police des quartiers "sensibles" ; équipement de l’armée française pour les combats de rue ; main mise du RPR sur l’appareil judiciaire dans le cadre d’un vaste mouvement de nominations renouvelant tous les postes clés (été 96) ; projet de loi Debré renforçant le dispositif des lois Pasqua contre les travailleurs immigrés...Il multiplie les interpellations de personnes (plusieurs centaines) pour "association de malfaiteurs" pour avoir hébergé des basques ou des travailleurs sans papiers. Il multiplie les procédures visant à limiter le droit d’expression et à museler la presse (poursuite du Monde pour "offense à Hassan II" ; perquisition des locaux du Canard enchaîné ; condamnation de deux chanteurs de NTM à trois mois de prison ferme pour outrage à la police...)

La loi Toubon adoptée en conseil des ministres le 16 octobre vise à créer un véritable délit d’opinion. Bien que son examen par l’Assemblée Nationale ait été reporté au printemps, on ne peut pour autant considérer qu’elle soit totalement enterrée. Par ailleurs, pour limiter la multiplication des "affaires" le gouvernement élabore une modification du code de procédure pénale interdisant à la presse la publication de toute pièce appartenant à un dossier en cours d’instruction .Enfin, dans le cadre du renforcement des lois Pasqua, le projet de loi sur le travail clandestin vise à renforcer la traque des travailleurs immigrés par la police alors que l’action des inspecteurs du travail (constat des délits commis par les employeurs) est de plus en plus entravée. Contre la classe ouvrière et la jeunesse, le gouvernement Chirac-Juppé combat pour imposer l’ordre moral et l’ordre policier, de même qu’il mène la guerre contre tous les acquis ouvriers.

Alors qu’à la fin de l’été une nouvelle vague était à l’ordre du jour, c’est le projet de budget du gouvernement Chirac-Juppé qui va être voté au Parlement d’ici le 20 décembre. "Septembre rouge " titrait Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique d’août "il flotte dans l’air en France, comme un parfum de révolte. Dans les villes les banlieues et les campagnes, les population grondent. Le feu couve. L’explosion menace". Aujourd’hui, le gouvernement Chirac-Juppé applique sa politique. De quels soutiens dispose-t-il ?

IL ÉTAIT POSSIBLE DE CHASSER LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ

DE NOVEMBRE-DÉCEMBRE 95 À JUIN 96

En novembre et décembre 1995, un puissant mouvement des travailleurs et de la jeunesse s’est dressé contre le gouvernement Chirac-Juppé en défense des acquis ouvriers, de la Sécurité sociale, de la valeur de la force de travail. Les appareils syndicaux de la C.G.T., de FO, de la FSU, de l’ex-FEN, le P.S., le P.C.F. et leurs flancs-gardes (Lutte Ouvrière, LCR, Parti des Travailleurs, CNT...) on fait tout leur possible pour protéger le gouvernement Chirac-Juppé. Ils ont combattu contre l’appel à la grève générale au nom de la "généralisation de la grève" ; à la démocratie ouvrière (Comités de grève élus en Assemblées générales se centralisant jusqu’au Comité central national de grève) ils ont substitué la démocratie "en miettes" (Assemblées générales décidant chacunes dans leur coin) ; ils se sont opposés à la réalisation de la manifestation centrale à Paris, contre le plan Juppé, contre le gouvernement Chirac-Juppé. Le P.C.F. a conseillé Juppé en prônant la concertation, le P.S. s’est aussi comporté en opposition responsable. Tous ont refusé de dire que pour imposer le retrait du plan Juppé, il fallait combattre contre le gouvernement Chirac-Juppé pour le vaincre et le chasser. Ce faisant, ils l’ont protégé. Alors qu’il pouvait être balayé, le gouvernement a pu manœuvrer et il a tenu. Appuyé sur la concertation, le gouvernement s’est ensuite engagé dans la mise en œuvre de son programme : destruction de la Sécurité sociale, réforme de l’État, des services publics, de l’enseignement, flexibilité du temps de travail, renforcement de l’appareil policier...

Dès le printemps dans le cadre de la préparation du budget 97, l’offensive du gouvernement Chirac-Juppé pouvait cristalliser la volonté de combat de l’ensemble des fonctionnaires. Aux côtés de J.C. Trichet qui, en avril, propose de "réduire les dépenses improductives de l’ensemble du secteur public", J.Chirac annonce à Amiens "Nous devons être draconiens dans la diminution des dépenses publiques. Il va falloir de gré ou de force avoir un changement de mentalité (je dirai presque une révolution culturelle)". À son tour A.Juppé annonçait : "Je préfère une Fonction publique moins nombreuse, mais plus efficace à une Fonction publique qui fait de la mauvaise graisse". L’inquiétude de la bourgeoisie se manifeste devant la volonté des fonctionnaires d’engager immédiatement le combat contre les suppression de postes. Elle s’exprime ouvertement dans les colonnes de la presse telles celles du Figaro (17/5/96) :

"Le spectre des événements de novembre-décembre hante à nouveau les allées du pouvoir et le ministre de la Fonction publique a dû jouer mercredi les pompiers pour éteindre le début d’incendie. Devant l’Assemblée Nationale Dominique Perben a voulu rassurer moralement (...) En effet, le gouvernement aborde un virage dangereux dans un secteur où le poids des syndicats, ils l’ont montré à la fin de l’année dernière, reste fort (...)les ingrédients d’un cocktail explosif sont à nouveau réunis, sans que l’on puisse savoir si une fois la mèche allumée, la poudre prendra feu"
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COMBATTRE CONTRE LE GOUVERNEMENT OU L’AIDER À ÉTEINDRE "LE DÉBUT D’INCENDIE" ?

Cette volonté de combat s’est exprimée à plusieurs reprises dans la Fonction publique. C’est ce qu’atteste entre autre la signature de l’adresse initiée par les militants du Comité pour la Construction du Parti ouvrier révolutionnaire et reprise à leur compte par des enseignants et des agents des impôts qui se concluait ainsi :

"Il appartient aux dirigeants des organisations syndicales de déclarer dès à présent : "si le gouvernement tente de mettre en application ses projets de diminution de postes dans la Fonction publique nous appellerons dans l’unité à la Grève générale de tous les personnels". Si le gouvernement tentait de mettre en œuvre ses projets, alors les enseignants, les personnels seraient prêts à engager le combat efficace." Mais se portant immédiatement au secours du gouvernement Chirac-Juppé, les appareils syndicaux déployaient leur dispositif de "pompier" pour interdire que s’engage un combat d’ensemble contre le gouvernement Chirac-Juppé ; ils élaboraient un dispositif politique pour disloquer les capacités de combat des fonctionnaires et de l'ensemble de la classe ouvrière. C’est ainsi que Louis Viannet rencontrait J.Chirac le 2 mai : "sur toutes ces questions (réduction des dépenses publiques utiles ; mesures décidées pour la réforme de l’État et des services publics...) le désaccord porte moins sur le constat de la situation que sur les réponses à construire". Acceptant la nécessité des réformes ("le constat") la direction de la C.G.T. regrettait que l’orientation du gouvernement réduise "la marge de manœuvre nécessaire à toute réelle négociation".

Il n’est donc pas question de combattre pour aucune suppression de poste, aucun licenciement, aucun redéploiement, aucun départ à la retraite qui ne soit compensé par au moins une embauche équivalente. Se situant dans le cadre de la "réforme nécessaire" de l’État, les Fédérations de fonctionnaires discutent avec Perben d’un protocole d’accord en vue de la résorption de l’emploi précaire dans les trois Fonctions publiques qui se traduira par le licenciement de milliers d’auxiliaires et une nouvelle mise en cause des garanties statutaires des fonctionnaires. Parallèlement les syndicats s’engagent dans de multiples actions disloquées dans la Fonction publique, à France-Télécom, à la SNCF, à l’EDF-GDF... pour "la défense des services publics".

À la fin de l’été, la C.G.T. publie la "carte des luttes" des mois précédents, des entreprises, des "coins de France" et pose la question : "Cette combativité aurait-elle des raisons de faiblir ?". Dès la rentrée, l’orientation donnée à ces luttes multiples, à la multitude des actions de concassage est clairement réaffirmée par Viannet lors de sa conférence de presse du 5 septembre :

"peser sur les orientations du pouvoir et modifier le comportement du patronat". Et d’évoquer "certaines revendications et propositions de Nicole Notat qui témoigneraient des possibilités réelles de développement de l’action unie." "Peser sur le pouvoir": c’est là l’orientation de la CFDT qui aujourd’hui à la tête de la CNAM met en œuvre avec zèle la destruction de la Sécurité sociale contre laquelle la classe ouvrière s’est mobilisée en novembre-décembre 1995. Durant tout le mois de septembre l’ensemble des appareils ont multiplié les actions disloquées : dans l’enseignement, le secteur bancaire, à la SNCF, dans le textile, à la défense... FO appelait à manifester "pour l’emploi" le 21 septembre. La journée du 17 octobre dans la Fonction publique s’inscrivait dans ce dispositif. Ainsi, contre l’aspiration à engager le combat contre les suppressions de postes dans la Fonction publique et le licenciement des auxiliaires, contre l’aspiration à réaliser la grève générale des fonctionnaires à l’appel des Fédérations de fonctionnaires, les appareils syndicaux ont réalisé le concassage des potentialités de combat des agents tout en poursuivant le "dialogue social".

DIALOGUE AVEC LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ

Au mois d’août les appareils syndicaux, le P.S., le P.C.F. (flanqué de la LCR et de LO) se portaient au secours du gouvernement Chirac-Juppé mis en difficulté dans la mise en œuvre de sa politique de traque des travailleurs immigrés. À la suite de la lettre des médiateurs envoyée à Chirac le 16 août, les dirigeants des organisations ouvrières s’adressaient à Chirac, sur proposition de Robert Hue, "Au delà de toute considération politique (...) nous nous adressons solennellement à vous pour vous demander d’intervenir auprès du gouvernement afin que celui-ci reprenne immédiatement les négociations". "Au delà de toute considération politique" ne peut que signifier : le gouvernement Chirac-Juppé doit rester en place, gouverner et diriger. Et négocier dans ces conditions, ne peut se faire que dans le cadre de l’application des lois Pasqua. Le gouvernement a ainsi pu appliquer sa politique : il a procédé à l’expulsion de nombreux "sans-papiers".

À l’occasion d’élections partielles à Toulon, au nom de la lutte anti-Le Pen, le P.S. (et le P.C.F.) s’engageaient dans la mise en place d’un Front républicain. Le Pen est l’aiguillon du gouvernement Chirac-Juppé. C’est ce gouvernement qui mène aujourd’hui la guerre contre les travailleurs immigrés, l’ensemble de la classe ouvrière et de la jeunesse (utilisation de l’armée pour expulser les sans-papiers par charters). À Toulon le 15 septembre, le candidat P.S. appelait à voter au 2ème tour pour le RPR Ph.Vitel. La direction du P.S., par la bouche de F.Hollande en faisait une orientation politique générale : appel à voter à droite (c’est à dire RPR ou UDF) "chaque fois qu’il y a une opposition entre droite et extrême droite au 2ème tour, pour faire barrage à l’extrême droite".

Alors que le Conseil des ministres adoptait le projet de budget le 18 septembre et s'apprêtait à le présenter au Parlement début octobre, des appels étaient adressés aux dirigeants du P.S., du P.C.F., des centrales syndicales par des Assemblées générales de travailleurs sur l’orientation suivante :

"Votre responsabilité est de réaliser le Front Unique contre le budget du gouvernement Chirac-Juppé.

Appelez ensemble à une manifestation nationale à Paris, à l’Assemblée nationale le jour de la présentation du budget sous le mot d’ordre :

À bas le gouvernement Chirac-Juppé !"

En septembre, la classe ouvrière et la jeunesse manifestaient leur volonté d’engager un combat d’ensemble contre le budget 97 contre le gouvernement Chirac-Juppé, pour le chasser, une nouvelle vague était à l'ordre du jour. Parce qu’ils défendent le système capitaliste, les appareils syndicaux aux côtés du P.S. et du P.C.F. ont développé tout un dispositif politique combinant les actions de bouzille et le soutien ouvert au RPR, à l’UDF (au nom d’un Front républicain anti Le Pen) pour interdire tout surgissement d’un nouveau mouvement spontané.

Au lendemain de la grève du 17 octobre, parce qu’en dépit du calendrier des actions disloquées de septembre-octobre, la classe ouvrière aux côtés des fonctionnaires manifestait encore sa volonté de combat, le Comité Confédéral de la C.G.T. décidait de poursuivre par "une semaine de mobilisation intense du 12 au 16 novembre". La Commission Exécutive de FO appelait ses syndicats à "réunir les salariés sur leur lieu de travail" le 15 novembre (un an après l’annonce du plan Juppé). Pour boucher toute issue politique, interdire tout combat contre le gouvernement Chirac-Juppé, contre la majorité RPR-UDF à l’Assemblée, les directions de la C.G.T., de FO, de la FSU... ont encore perfectionné l’art de la division et du découragement. Le 16 novembre, Louis Viannet et la C.G.T. appelaient à manifester à Aurillac sous le mot d’ordre : "Restons Auvergnat, à Paris on n’ira pas" ! De même que le parcours de la manifestation parisienne (place Clichy - quartier de l’Opéra) à l’appel de la C.G.T., FO, FSU, CNT, ces initiatives ont une claire signification politique : le gouvernement RPR-UDF Chirac-Juppé doit rester en place jusqu’en 1998 !

Cynique, J.C. Cambadélis, organisateur du forum social du P.S. à la bourse du Travail de Saint-Denis commente devant les syndicats réunis : "Il y a un phénomène de volcan, la colère gronde mais n’a pas trouvé les moyens de s’exprimer". L’expérience de novembre-décembre 1995 a montré qu’aucun combat en défense des acquis ne peut être mené sans qu’il s’oriente contre le gouvernement Chirac-Juppé, pour le vaincre et le chasser. Comment submerger le barrage des appareils syndicaux et des partis ouvriers bourgeois ? Telles sont les questions auxquelles la classe ouvrière et la jeunesse sont aujourd’hui confrontées. Si le gouvernement se sent "un brin rassuré" (J.Barrot dénote "plus de découragement que de colère"), les difficultés auxquelles il se heurte ne sont pas pour autant résolues.
 


L'IMPÉRIALISME FRANCAIS AUX ABOIS

L'éditorial du dernier n° de CPS évoquait les craquements économiques qui se font entendre dans "l'immense pyramide du capital argent" et plus précisément du capital fictif. Il présentait la nouvelle crise monétaire et la crise boursière de New-York de cet été comme un signal d'alarme. Si l'ouverture de la crise a été reportée, les records historiques du Dow Jones inquiètent ceux qui redoutent l'imminence d'un krach boursier. A tel point que Le Nouvel Économiste du 18 octobre publie un scénario catastrophe titré "Si la bourse de New-York tombe, l'Europe s'effondre". L'indice Dow Jones de la bourse de New-York a franchi le jeudi 14 novembre la barre des 6300 points pour la première fois de son histoire. Si certains spécialistes mettent en avant des indicateurs montrant des perspectives économiques rassurantes d'autres craignent l'éclatement de la bulle spéculative qui se manifeste par l'envolée du Dow Jones. Selon Le Monde le président du fonds Advance Investment Management aurait expliqué :

"il faudrait désormais d'excellentes surprises pour que le marché puisse aller beaucoup plus haut. Mais en cas de mauvaises nouvelles, il ne faudra compter que sur l'aide de Dieu". Dans une telle situation, les positions de l'impérialisme français sont d'autant plus menacées. C'est par ailleurs, sur une hypothèse de croissance de 2.3% que le budget 1997 a été établi. Les résultats actuels ont pourtant tendance à infirmer ces prévisions ; à peine formulées les prévisions elles mêmes sont mises en doute. Ainsi la rubrique Conjoncture du même numéro du Nouvel Économiste explique : "La croissance européenne pourrait réserver une bonne surprise l'an prochain. Elle pourrait atteindre 2.5% contre 1.3% en 1996. Selon nos dernières prévisions, la croissance du PIB serait de 2.9% en Allemagne, de 2.7% eu Royaume-Uni et en Espagne, de 2.2% en France et de 2% en Italie. Ces chiffres peuvent paraître optimistes au regard des programmes de rigueur budgétaire qui ont été annoncés partout et dont l'ampleur équivaut en moyenne à plus de 1% du PIB. Mais nous pensons que les économies réelles atteindront au mieux la moitié des chiffres prévus." En ce qui concerne la France, l'activité des 6 premiers mois de l'année porte à seulement 0.6% l'acquis de croissance pour 1996. Le Monde du 11 octobre annonce un recul du pouvoir d'achat des ménages sous le coup de l'augmentation des impôts. Libération du 5 septembre annonce que :

"l'investissement des entreprises est en chute libre avec un recul de 1.5% pour la période avril-juin et de 0.4% pour l'ensemble du premier semestre (...) un incident de parcours que n'avait pas vu l'INSEE".

Si L'Expansion du 7 novembre annonce qu'un redressement de l'économie française s'est déclenché à l'automne, c'est pour aussitôt ajouter que cela n'est vrai qu'en moyenne (la détérioration persiste pour les P.M.E. qui exportent peu). Et de conclure : "Mais jusqu'où ira le redressement ?"

LES FAIBLESSES DU CAPITALISME FRANCAIS

Cette faiblesse des entreprises françaises préoccupe le patronat français. Un article du Monde du 15 octobre la présente ainsi :

"Les entreprises françaises sont un tiers plus petites que les groupes allemands" souligne Didier Pineau Valentienne, P.D.G. de Schneider. Comparés à leurs concurrents, les groupes français font figure de nains dans tous les secteurs. Considéré comme la réussite française dans l’agro-alimentaire, Danone affiche une capitalisation boursière de 54 milliards de francs quand celle de Coca-Cola atteint 123 milliards de dollars (633 milliards de francs), P.S.A- Peugeot-Citroën et Renault sont tous les deux évalués par le marché financier à 29 milliards de francs, face au constructeur américain General Motors pesant 38 milliards de dollars. Le groupe d'assurance UAP est estimé à 33 milliards de francs face à l’Allemand Alianz, fort de ses 61 milliards de deutschemark (200 milliards de francs).

Les sociétés françaises ont le sentiment d'être des proies potentielles. (...) Les banques comme les assurances soucieuses de retrouver une rentabilité financière ne peuvent plus voler au secours des groupes. Les industriels engagés dans une concurrence féroce, se refusent à distraire des capitaux de leur activité principale. Les fonds de pension qui seraient susceptibles de reprendre le flambeau n'ont toujours pas été autorisés.

Le renforcement de la réglementation apparaît dès lors comme un palliatif pour faire face aux manques cruels du capitalisme français".

C'est pourquoi, deux grands chefs patronaux (Afep et Entreprise et Cité) ont demandé une révision de la législation sur les OPA pour tenter de limiter les achats de groupes français par le capital étranger . Au delà des combinaisons politico-commerciales du gouvernement Chirac-Juppé, cette faiblesse s'exprime encore dans l'achat de l'entreprise Thomson-Multimédias par le groupe Sud-coréen Daewoo.

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DE PROFONDES DIVERGENCES POLITIQUES

Les critiques féroces de Léotard ou de Pasqua sur le gouvernement Juppé témoignent des difficultés de la bourgeoisie française, de son gouvernement à l'heure où les sondages révèlent l'extraordinaire discrédit de ce gouvernement y compris dans sa propre clientèle électorale. Mais ce ne sont pas les sondages qui provoquent les tensions, ce sont les difficulté de la bourgeoisie française à maintenir sa politique qui s'expriment à travers les critiques de Léotard, Pasqua....

De quoi s'agit-il ? Afin de maintenir sa place en Europe, face à l'impérialisme allemand (en particulier depuis la réunification de l'Allemagne) la bourgeoisie française se bat. Elle a besoin d’un franc fort pour obtenir les crédits qui lui sont nécessaires à la couverture d’immenses déficits et pour faciliter les exportations de capitaux. Mais une telle politique se heurte sur de nombreux marchés au dumping pratiqué par d'autres puissances impérialistes dont les exportations ont profité de la chute des monnaies : Royaume-Uni, Espagne... On se souvient des sanglots de Chirac angoissé parce que les producteurs de veaux de Lozère ne pouvaient plus exporter leurs ruminants en Italie du fait de la baisse de la Lire. Il est connu qu'en Italie, Peugeot et Renault sont obligés de vendre à perte. En réalité, l'impérialisme français au sein de l'Europe est pris en étau entre la puissance de l'Allemagne et les autres impérialismes.

À l'échelle internationale, le franc fort est soumis aux errements relatifs du dollar, du yen et du deutschemark (errements qui témoignent du combat que se livrent les impérialismes principaux à travers leurs monnaies). Dans cette situation, la politique du franc fort devient de plus en plus difficile à tenir et pourrait s'effondrer à tout moment. C'est pourquoi, certains dirigeants de la bourgeoisie réaffirment leur souhait de lâcher la bride, c'est à dire d'accepter une dévalorisation du franc et une relance de l'inflation (soit une mise en cause de tout l'édifice de Maastricht). Valéry Giscard d’Estaing en réclamant ouvertement le décrochage du franc par rapport au deutschemark et, de facto, sa dévaluation de 8% vient de mettre les points sur les i. Ces hésitations sont d'autant plus accentuées que les élections législatives de 1998 qui se préparent s'annoncent comme une future débâcle électorale pour le RPR et l'UDF. Ces hésitations, ces désaccords qui s'expriment dans les rangs de la bourgeoisie se réfractent au sein du P.S. Le programme économique qui va être adopté en décembre est entièrement conçu pour assurer la défense du capitalisme français : réaffirmation de l'attachement à l'Europe... Mais au sein du P.S., d'autres éléments se disposent sur une orientation alternative : on peut considérer qu’Emmanuelli, dans le P.S., fait écho à Séguin.

RIVALITÉS FRANCO-AMÉRICAINES

Par ailleurs, Chirac s'accroche pour défendre pied à pied les positions de l'impérialisme français dans le monde, en particulier face à l'impérialisme américain. Le voyage qu'il a effectué au Proche-Orient avait pour but de tenter de reprendre pied dans la région. Ce ne sont bien entendu pas les droits du peuple palestinien que Chirac est allé défendre mais les intérêts économiques et financiers de la bourgeoisie française mis à mal par la mainmise de l'impérialisme américain. De même en Afrique, la lutte se poursuit entre l'impérialisme américain et l'impérialisme français pour le contrôle de l'"Afrique utile".

L'impérialisme américain par F.M.I. et Banque Mondiale interposés ont eu raison du franc -CFA et le rôle de la France est devenu secondaire dans les orientations économiques africaines. L'impérialisme français avait au Rwanda soutenu le gouvernement en place Hutu qui massacra les Tutsis. Avec l'aide des États-Unis, les Tutsis ont pris le pouvoir et nombre de Hutus se sont réfugiés au Zaïre. Cet État en pleine décomposition recèle ainsi que la région des Grands lacs d'importantes richesses minières. Une fois encore sous couvert "d'opérations humanitaires" l'impérialisme français s'affronte à l'impérialisme américain. Selon Le Figaro du 7/11/96 :

"Au ministère de la Défense comme au quai d'Orsay on est persuadé qu'il y a un plan rwando-ougandais de déstabilisation au Zaïre qui a l'aval de Washington (...). À défaut de pouvoir trouver un successeur pro-américain au président Mobutu, les Américains et leurs alliés africains parieraient sur une implosion du Zaïre. Le Kiwu et ses richesses minérales serait alors rattachés à l'ensemble Tutsi." C'est pour tenter de résister aux empiétements de l'impérialisme américain que Chirac a combattu pour que la France s'engage dans une opération "à but exclusivement humanitaire".

Cependant, à propos de ces initiatives (au Moyen-Orient comme en Afrique) des voix s'élèvent  : certaines fractions de la bourgeoisie considèrent que cette stratégie d'affrontement à l'impérialisme américain est vouée à l'échec et redoutent les retours de bâton ("l'expérience" de l'intervention en Yougoslavie, la débâcle dans laquelle s'est terminée, en 1993, l'opération Turquoise au Rwanda sont en effet lourdes d'enseignements !). C'est ainsi que Léotard n'a pas caché ses critiques à propos du voyage de Chirac au Moyen-Orient ; selon Libération, au RPR même, certains seraient catastrophés de la brutalité du ton utilisé vis à vis d'Israël.

Ces divergences à l'intérieur de la bourgeoisie française sont réelles. Reléguée à une place de troisième ordre, l'impérialisme français subit durement la crise économique du système capitaliste. La fin de l'Union européenne serait une catastrophe pour les bourgeoisies européennes (y compris pour la bourgeoisie française) et en même temps les contradictions et les antagonismes entre les membres de l'Union se tendent d'autant plus que la conjoncture est menaçante. Comment faire face ? Les réponses à cette question lancinante divisent la bourgeoisie française. La nécessité de poursuivre et d'accentuer les attaques contre le pouvoir d'achat et l'ensemble des acquis sociaux des masses laborieuses prend d'autant plus d'importance. Sur cet objectif tous ceux qui sont attachés à la défense du capitalisme se retrouvent.

DÉFENDRE LE CAPITALISME EN CRISE OU LE COMBATTRE ?

En France comme dans la plupart des pays d'Europe occidentale, les gouvernements et le capital ont programmé des plans d'austérité frappant le prolétariat et la jeunesse. Faire baisser la valeur de la force de travail tel est l'axe central des gouvernements Kohl, Chirac-Juppé, Prodi, Asnar, Dehaene... Selon certains experts l'ensemble des acquis du prolétariat qu'ils qualifient de "mesures sociales" (protection sociale, indemnités de chômage, retraites, assurances maladies notamment) reviendrait à 41% du PIB européen (contre 30% aux États-Unis et au Japon).

En Espagne des centaines de milliers de travailleurs ont manifesté le 15 octobre à l'appel de l'UGT et des Commissions ouvrières ; en Belgique, la FGTB a appelé à une journée de grève contre le budget le 28 octobre ; le 15 juin, c'est contre le gouvernement CDU-CSU de Kohl que la classe ouvrière et la jeunesse se sont rassemblées à Bonn. Partout, la mobilisation des masses pose le problème du combat contre les gouvernements bourgeois, pour les chasser : c'est ce qu'exprimait le mot d'ordre "Kohl dehors" qui a surgi lors de la manifestation du 15 juin en Allemagne.

De l'ensemble, se dégage la volonté et les capacités de combat de ces prolétariats .Mais pour gouverner, ces bourgeoisies ont besoin de la coopération politique ( à la direction des gouvernements, dans les gouvernements ou hors des gouvernements) des Partis socialistes et des P.C. (ou ex-P.C.). Elles ont aussi besoin de la "participation" des appareils syndicaux à la "bonne marche" et à la "défense des entreprises" comme à l'application des plans d'austérité. Ainsi, en Allemagne, le SPD conforte le gouvernement Kohl en dialoguant avec la coalition CDU-CSU-FDP sur une "répartition différente" des sacrifices. En juin, le DGB, l'ÖVT ont refusé d'appeler à la grève générale contre le plan et le gouvernement de Kohl ; à la rentrée, ils se sont engagés dans une multitude d'actions disloquées. Ce qui fonde leur orientation, c'est la défense du capitalisme et de l'ordre bourgeois.

"LA PAIX SOCIALE EST EN JEU"

C'est en ces termes que Dieter Shulte, le président du DGB justifie la pseudo-alternative qu'il oppose à ce qu'il nomme "l'esprit néolibéral". La direction du DGB a combattu pour que le Congrès de l'organisation inscrive dans son programme la phrase suivante :

"L'économie de marché, à condition qu'elle soit socialement et écologiquement régulée, représente un progrès historique important par rapport au capitalisme débridé".

Le Monde du 16/11/96 commentait ainsi :

" C'est la première fois que les syndicats abandonnent toute référence rhétorique à la lutte des classes et reconnaissent les vertus de l'économie de marché (...) La démarche des syndicats allemands rappelle celle du SPD en 1959 ; cette année là, le Parti Social Démocrate, réuni à Bad Godesberg, avait abandonné toute référence au marxisme. À Dresde, les dirigeants syndicaux réfléchissent à une nouvelle définition de leurs objectifs (...) le DGB adopte un nouveau réalisme sur la réduction du temps de travail : celle-ci qui continue à être analysée comme le meilleur moyen de lutter contre le chômage, ne s'accompagne plus d'une revendication de compensation salariale".

Cette reconnaissance des "vertus de l'économie de marché" est l'affirmation que la direction du DGB entend ouvertement défendre le capitalisme en crise. Après avoir disloqué le combat engagé par la classe ouvrière contre le plan d'austérité, les atteintes portées aux retraites et aux indemnités maladies, elle se dispose, au nom de la "paix sociale" à accepter les "revendications fondamentales" du capitalisme allemand : la mise en cause radicale des conventions collectives.

LA "PAIX SOCIALE" EN FRANCE

De même, en France, le P.S. et le PCF ont pour objectif de soutenir jusqu'au bout le gouvernement Chirac-Juppé. La direction du P.S. vient d'imposer qu'à nouveau, à Dreux, M.Ravanne, son candidat (tête de liste d'une coalition PS-PCF-PRS-Mouvement des Citoyens-Centristes), se retire pour laisser la place au RPR M.Hamel. Libération (19/11/96) rapporte :

"parmi les colistiers beaucoup prônent le maintien de la liste", mais "par la voix de François Hollande, la direction du Parti socialiste lui avait fermement demandé dans la matinée de se retirer pour faire barrage à l’extrême-droite. Incitations identiques des autres partis de gauche : "Il n'y a pas d'autre solution que le retrait" (Pierre Blotin, membre du bureau national du PCF)". La mise en place d'un Front républicain (au nom de la lutte contre "l'extrême-droite") exprime le soutien direct du P.S. et du PCF au RPR, à l'UDF et au gouvernement Chirac-Juppé. Cette orientation permet à ce gouvernement d'appliquer sa politique et même de se survivre. Au delà, elle prépare la venue d'un gouvernement de cohabitation à l'issue des législatives de 1998.

Deux articles de ce numéro de CPS présentent en particulier le contenu des programmes qu'élaborent en ce sens le P.S. et le PCF. L'un comme l'autre, sont des programmes de gestion du capitalisme en crise, de défense des intérêts de l'impérialisme français, de défense de la Vème République. Deux axes fondamentaux les ordonnent : la diminution de la valeur de la force de travail, exigence primordiale de la bourgeoisie et la cogestion, le "dialogue social" qui sont les moyens de sa mise en œuvre. C'est ainsi, par exemple, que la proposition de loi-cadre du P.S. réduisant le temps de travail à 35 heures, sans diminution de salaire développe en même temps la flexibilité du travail : les modalités pratiques d'application seraient négociées secteur par secteur donc soumises aux besoins du patronat en matière de flexibilité, d' "aménagement" du temps de travail ; cette durée de 35 heures n'est qu'une moyenne : de ce fait elle intègre la semaine de 4 jours, voire les 3x8, les 4x8, le travail du samedi, le travail de nuit...

Pour sa part, le P.C.F. vient de déposer à l'Assemblée Nationale un projet de loi réduisant le temps de travail à 35 heures par semaine impliquant la négociation "d'avenants ou d'accords d'entreprises portant sur une nouvelle organisation et un aménagement du temps de travail" incluant " la souplesse des horaires, la mobilité interne et externe choisie" (sic). Ce projet organise de plus la cogestion : les aides publiques à l'emploi seraient attribuées aux P.M.E. par "les commissions départementales comprenant des élus, des représentants syndicaux des salariés et des employeurs". Un partenariat "entre les entreprises, l'Éducation nationale, les organisations syndicales" organiserait la formation des salariés. Dans la même voie, lors du "forum social" qu'ils ont tenu le 17 novembre avec les organisations syndicales, les dirigeants du P.S. (Jospin, Rocard, Emmanuelli, Fabius) ont préconisé une "politique de contrat". Les dirigeants des appareils syndicaux leur ont fait écho. Le Monde du 19/11/96 rapporte :

"Le secrétaire national de la CFDT J.F.Troglic a mis en avant des convergences, comme "un affichage politique fort" sur l'emploi des jeunes (...) J.F.Perraud secrétaire de la C.G.T. a averti qu'aucun programme de transformation sociale ne pourra se faire par un simple changement de majorité (...) JP Roux (FEN) a présenté les syndicats comme "co-acteurs du changement social". Michel Deschamps (FSU) a redit qu'il ne pouvait y avoir "d'alternative véritable sans mouvement social". "Changement social", "mouvement social", "dialogue social", autant d'expressions qui se situent dans le cadre de l'application, sinon de la définition de la politique "sociale" des gouvernements du capital. Aujourd'hui, cela signifie : surtout ne pas combattre, vaincre et chasser le gouvernement Chirac-Juppé. Ce dimanche, à la Bourse du Travail de Saint-Denis, il y avait unanimité entre les appareils syndicaux, le P.S. et le PCF sur cette orientation.

COMBATTRE, VAINCRE ET CHASSER LE GOUVERNEMENT CHIRAC-JUPPÉ

À cette étape, les appareils syndicaux sont parvenus à établir des contre-feux pour barrer la voie à un puissant mouvement du prolétariat qui aurait affronté et vaincu ce gouvernement. Mais en dépit du soutien ouvert des dirigeants des organisations ouvrières à qui il doit sa survie, ce gouvernement est massivement rejeté par la classe ouvrière et la jeunesse. Le RPR et l'UDF redoutent toujours d'être balayés par les moyens et les méthodes de classe du prolétariat. Le P.S., le PCF ne le redoutent pas moins. Comme les appareils syndicaux, ils contribuent à boucher toute perspective politique. Ils renvoient aux élections législatives de mars 1998 la possibilité d'infliger une défaite électorale au RPR et à l'UDF pour instaurer un gouvernement de cohabitation. Ils tentent de casser les potentialités de combat de la classe ouvrière et de la jeunesse. Ainsi Libération rapporte les propos tenus au candidat P.S. M.Ravanne par une jeune électrice de Dreux : "ça sert à quoi de voter pour vous, si c'est pour vous allier ensuite à la droite de Chirac et Juppé ?".

Le mouvement de novembre-décembre 1995 a prouvé que le gouvernement Chirac-Juppé pouvait être chassé. Ce qui est nécessaire, pour y parvenir, c'est que la classe ouvrière et la jeunesse imposent aux dirigeants des organisations ouvrières, partis et syndicats qu'ils rompent avec ce gouvernement, engagent le combat pour le vaincre et le chasser, qu'ils réalisent le Front unique des organisations ouvrières contre ce gouvernement !

RUPTURE AVEC LA BOURGEOISIE.
POUR UN GOUVERNEMENT PS-PCF SANS MINISTRE BOURGEOIS

La classe ouvrière et la jeunesse n'ont guère d'illusion sur le P.S. et le PCF ; mais à défaut d'un Parti ouvrier révolutionnaire elles se tournent vers ces organisations traîtres et dégénérées, s'efforcent de les utiliser et voteront une nouvelle fois P.S. et complémentairement PCF. Dans ce processus contradictoire le prolétariat et la jeunesse submergeront les partis et les appareils traîtres. C'est parce qu'ils défendent le capitalisme que le P.S. et le PCF, les appareils syndicaux trahissent les revendications ouvrières et soutiennent le gouvernement Chirac-Juppé. À l'inverse, la défense du prolétariat et de la jeunesse exige de mettre en avant la défense de la valeur de la force de travail, le droit au travail, la défense des conquêtes économiques et sociales (Sécurité sociale, enseignement public, statut national de la Fonction publique, cadre national des conventions collectives et garanties incluses dans le Code du travail...)

Pas plus que la stabilisation monétaire, l'inflation ne peut être une réponse aux besoins du prolétariat : il faut exiger le rattrapage du pouvoir d'achat perdu depuis 1982 et sa garantie par l'échelle mobile des salaires. Le capitalisme pourrissant expulse du processus de production une fraction croissante de la classe ouvrière, la réduisant de plus en plus à la misère. Le droit au travail implique que l'on exige l'échelle mobile du temps de travail : cela signifie la diminution massive du temps de travail à la hauteur de ce qui est nécessaire pour que la masse des chômeurs ait un emploi. L'échelle mobile inclut le maintien du salaire réel dans toutes ses composantes, le refus de toute flexibilité, aménagement, annualisation du temps de travail, le combat pour un contrat de travail identique pour tous, en C.D.I., le refus de la polyvalence, en bref, le maintien des acquis ouvriers. Mais ces revendications mettent en cause le système capitaliste car il est incapable de les satisfaire. C'est pourquoi, les revendications suivantes doivent aussi être adressées aux centrales syndicales, au P.S. et au PCF :

- À bas le Front républicain : rompez avec le gouvernement Chirac-Juppé. Réalisez le Front unique des organisations ouvrières pour le vaincre et le chasser.

- Sur cette base, combattez pour le gouvernement du Front unique des organisations ouvrières : un gouvernement du P.S. et du PCF ne comprenant pas de ministre bourgeois, et réalisez-le.

Pour mener à bien ce combat, il faut à la classe ouvrière un Parti ouvrier révolutionnaire. Un tel parti ne peut surgir spontanément ; il ne peut se constituer que dans le processus de la lutte des classes, ce processus verra le prolétariat et la jeunesse submerger les appareils syndicaux et les partis ouvriers traditionnels. Mais il ne peut déboucher que si un Parti Ouvrier Révolutionnaire fixe l'objectif de la prise du pouvoir, de la constitution d'un véritable gouvernement ouvrier, d'un État ouvrier, des États-Unis socialistes d'Europe. En effet, aucun gouvernement ne pourra satisfaire durablement les revendications ouvrières s'il ne s'attaque au régime capitaliste et à l'État bourgeois en s'appuyant sur le prolétariat et la jeunesse organisés comme classe.

Il faut s'engager dans la voie qui mène au socialisme.

le 20 novembre 96



DÉBUT                                                                                                           SOMMAIRE - C.P.S N°65 - 30 NOVEMBRE 1996