Extrait de l'éditorial de CPS n° 86 (21 avril 2001):

(...)

L’ARGENTINE AU BORD DE LA FAILLITE

En Argentine, la crise ne cesse de s’approfondir: le PIB (Produit Intérieur Brut) a régressé en 1995 puis en 1999 et 2000. Le chômage a doublé en dix ans ainsi que la dette de l’État. La charge de la dette étrangle de plus en plus la population laborieuse.

En 1991, Cavallo, ministre du président péroniste Menem, avait décidé de lier le peso argentin au dollar. Cela permit aux capitaux étranger d’acquérir les entreprises que le gouvernement argentin privatisait en masse: l’essentiel des entreprises et des banques est aujourd’hui sous leur contrôle .

Pour le prolétariat, ce fut l’effondrement de son pouvoir d’achat et la destruction du système de santé et d’instruction: pour un coût de la vie aussi élevé qu’en Europe, un instituteur perçoit 400 dollars en moyenne...

Les conséquences de la décision du gouvernement brésilien de mettre fin en janvier 1999 à la parité réal-dollar (le réal est dévalué de 40%) furent catastrophiques pour le commerce argentin, en particulier pour l’industrie (une voiture sur deux fabriquée en Argentine était exportée au Brésil). L’offensive contre les masses se poursuivit.

En octobre 1999 Fernando de la Rua, dirigeant du vieux parti bourgeois UCR, candidat d’une alliance avec le Fresapo (scission du péronisme) était élu à la présidence contre Menem (péroniste). Il engagea l’offensive contre le droit du travail. En avril mai 2000 avec l’aide de la CGT péroniste (syndicat officiel) une loi mettant en cause les conventions collectives de 1975 est adoptée: les négociations se dérouleront au niveau des entreprises ce qui facilite les licenciements.

Le développement de la crise financière amène certains secteurs de la bourgeoisie (dont Raoul Alfonsi, autre dirigeant de l’UCR au pouvoir) à faire pression pour abandonner le peso fort.

Mais en accord avec le FMI, De la Rua continue à défendre la parité peso-dollar d’autant que la totalité de la dette extérieure est libellée en dollar. Début 2001 le FMI annonce un prêt dont l’ampleur donne la mesure de l’enjeu: 39,7 milliards de dollars. Ce prêt s’accompagne de l’exigence de nouvelles attaques contre les masses. Le "plan Murphy" présenté le 16 mars doit réaliser 4,8 milliards de dollars d’économie sur moins de deux ans: réduction des allocations familiales de 10 à 15%, réduction de 40% du budget de l’Éducation, suppression de bourses, de pensions, suspension de subventions, départ imposé de 40 000 fonctionnaires…

La grève éclate aussitôt dans les universités occupées par les étudiants, les manifestations se multiplient, un appel à la grève générale est lancé le 21 mars par la CTA et la CGT dissidente. L’Alliance gouvernementale explose, trois ministres (dont celui de l’Éducation) démissionnent suivis de tous les secrétaires d’État et haut-fonction-naires membres du Fresapo.

Sans attendre le 21 mars, De la Rua appelle à la constitution d’un gouvernement d’union nationale, fait entrer au gouvernement Domingo Cavallo (l’auteur de la parité dollar-peso). Cavallo annonce l’abandon du plan Murphy, en propose un autre qui, sous une autre forme, vise à faire payer le remboursement de la dette par les travailleurs. Il demande au congrès des pouvoirs spéciaux pour légiférer un an durant, sans débat dans le domaine économique et social. Il peut ainsi réduire les impôts sur les entreprises, les péages intérieurs, augmenter les droits de douanes des biens de consommation pour protéger les industries locales. Mais il ne pourra, sans discussion au congrès, modifier la parité peso-dollar, le code du travail, les lois sur la sécurité sociale. Le gouvernement escompte que le FMI redoutant les conséquences internationales d’une crise financière majeure en Argentine (chute du peso, défaut de paiement) accepte de renégocier la dette et les conditions jusqu’alors imposées. La menace d’un krach monétaire en Argentine croit de jour en jour.

D’autres pays sont menacés. (...)

CONTRADICTIONS DU CAPITALISME ET LUTTE DES CLASSES

Le rapport adopté à la XIIème conférence du Comité de novembre 2000 indiquait:

"Si les échéances d'une inéluctable crise de dislocation du marché mondial ont pu être reportées, c'est sur la base de la mise en cause des conditions d'existence des masses (misère, chômage massif), de l'accentuation des traits parasitaires de l'impérialisme (déficit budgétaire, économie d'armement, inflation de crédit et endettement considérable, formidable essor de la spéculation…). Ce parasitisme nourrit et renforce le capital financier qui à son tour accroît le parasitisme. La contradiction fondamentale du capitalisme (contradiction entre la socialisation de plus en plus grande de la production, son internationalisation et la propriété privée, les limites du cadre national) est de plus en plus explosive. Cette contradiction est le moteur fondamental de la lutte des classes, qui propulse le mouvement du prolétariat, qui rend nécessaire et possible la révolution prolétarienne (expropriation du capital) cela ne rend que plus indispensable la poursuite du combat pour le Parti Ouvrier Révolutionnaire (l’Internationale Ouvrière Révolutionnaire)."
En Turquie comme en Argentine, comme dans des dizaines d’autres pays, l’impérialisme américain (et aussi les autres impérialismes) fait payer aux masses le prix de la crise qui le menace, essayant de reporter les échéances. Cela alimente la crise sociale et politique dans ces pays, crise exacerbée par les rivalités inter-impérialistes (la Turquie est un enjeu entre les impérialismes américain et allemand ; en Argentine, au Brésil se heurtent les intérêts espagnols et français et les intérêts américains). Les chocs sociaux et politiques, les krach monétaires et boursiers à répétition nourrissent la crise financière aux États-Unis même. À tout moment un nouveau krach en Asie ou en Amérique latine peut être le facteur déclenchant d’un krach boursier ou monétaire aux États-Unis.

L’internationalisation, le gigantesque développement du crédit, le rôle sans cesse plus important du système bancaire, la coopération conflictuelle des banques centrales depuis que s’est ouverte en 1974/75 la crise économique chronique a permis de reporter dans le temps la dislocation du marché mondial et de la division internationale du travail.

Ce que redoute l’impérialisme américain, c’est la menace d’un krach boursier et monétaire, d’un effondrement du système bancaire qui conduirait à la dislocation du marché mondial. Les mises en garde d’Alan Greenspan, le 4 avril, au congrès américain, l’exhortant à ne pas "s’orienter vers des mesures protectionnistes" attestent que dans les hautes sphères de la bourgeoisie cette crainte est très réelle.

Les gouvernements bourgeois doivent accentuer la mise en cause des conditions d’existence des masses, afin de tenter de reporter l’échéance d’un effondrement au demeurant inéluctable.

En Turquie, dès le 4 avril, menacés de faillite, des milliers de commerçants, de petits patrons multiplient les manifestations ; le 11 avril, 70 000 d’entre eux attaquent le Palais de justice et les locaux des partis au pouvoir. De son côté la confédération syndicale des travailleurs du secteur public (KESK) appelle à manifester le 14 avril. Aussitôt, le gouvernement décrète l’interdiction pour un mois de toute manifestation à Ankara. Du fait de cette interdiction de manifester, c’est dans les principales autres villes que le 14 avril, défilèrent des dizaines de milliers de travailleurs demandant en particulier la démission du gouvernement. Au même moment, celui-ci présentait un plan brutal d’économie prévoyant en particulier de réduire de 9% les dépenses publiques et de diminuer les effectifs des fonctionnaires. Mais les très nombreuses forces militaires et policières ne sont pas concernées par ce plan alors que se poursuit l’oppression du peuple Kurde et que chaque jour, meurent en prison quelques-uns des nombreux prisonniers politiques réduits à mener une grève de la faim.

En Argentine, différentes grèves, "grèves générales" et manifestations furent organisées contre la politique du gouvernement péroniste, en particulier à partir de 1996. La volonté de résistance de la classe ouvrière s’exprime dans un mouvement vers la constitution d’une centrale syndicale ouvrière, contre la CGT péroniste liée à l’appareil d’État. Cela s’est concrétisé par la constitution de la CTA, syndicat se réclamant de la CUT brésilienne. La CTA a appelé à la grève générale en 1997.

Au printemps 2000, s’opposant à la CGT péroniste, la CTA a impulsé un appel à la grève générale contre la loi mettant en cause les conventions collectives.

Mais en l’absence non seulement de Parti ouvrier révolutionnaire, mais encore de tout parti ouvrier, la classe ouvrière est privée de toute organisation politique de classe. Aussi, aux élections d’octobre 1999, face à Menen candidat péroniste, il n’y eut que deux autres candidats, des candidats de la bourgeoisie: Domingo Cavallo (Action pour la République, parti traditionnel de la bourgeoisie d’Argentine) qui obtint 10%, et Fernando de La Rua (UCR, Union civique radicale).

Le combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire implique d’ouvrir en permanence une perspective politique immédiate aux mobilisations engagées par les masses pour la défense de leurs conditions d’existence. En Argentine, le combat contre l’impé-rialisme ne peut être conduit que par le prolétariat organisé en parti politique combattant sur des mots d’ordre qui permettent aux masses de se rassembler: échelle mobile des salaires, annulation de la dette. Cela implique de combattre pour la construction d’un parti ouvrier postulant immédiatement au pouvoir, un parti combattant sur ces revendications et permettant au prolétariat de se dégager du péronisme, de la soumission à la bourgeoisie nationale. (19 avril 2001).


Éditorial de C.P.S. n° 87 - 16 septembre 2001 (Extraits):

MENACE DE CESSATION DE PAIEMENT ET LUTTES DES CLASSES EN ARGENTINE

En Argentine, depuis plusieurs semaines, les enseignants sont en grève, exigeant le paiement de leurs salaires. A Buenos Aires, où 50 000 enseignants, travailleurs de la santé et artistes ont manifesté le 23 août, le gouverneur a déclaré la grève illégale.

L'Argentine croule sous le poids d'une dette extérieure de 130 milliards de dollars. Ce qui menace en Argentine, c'est la cessation de paiement pure et simple. Au printemps, le gouvernement a obtenu le rééchelonnement de 30,4 milliards de dollars de dette ; ce n'est que reporter les échéances au prix de taux d'intérêts prohibitifs. Le 21 août, alors que dans sa campagne électorale, il avait affirmé son intention de rompre avec la politique de Clinton de soutenir les pays en cessation de paiement, Bush donnait son aval au FMI afin d'accorder une "aide" de 8 milliards de dollars à l'Argentine. Dans le même temps, il téléphonait en personne au Président argentin afin de rappeler "l'importance pour l'Argentine de mettre en œuvre la loi sur le déficit budgétaire zéro".

Le gouvernement de Fernando de la Rua a durant l'été fait voter au parlement une loi de réduction à zéro du déficit de l'État fin 2001, afin d'éviter une dévaluation du peso. La première concrétisation de cette coupe de 1,4 milliards de dollars est la diminution de 13% du traitement des fonctionnaires et des pensions des retraités. Cette décision est un point d'appui pour les patrons qui commencent à réduire les salaires. Un jour après l'appel de Bush, le président argentin annonçait son intention, après les législatives du 14 octobre prochain, de soumettre à référendum une nouvelle réforme visant à réduire les dépenses de l'État (il se prononce d'ores et déjà pour une restructuration du système des retraites). Par FMI interposé, une très forte pression s'exerce sur l'Argentine afin que soit maintenue la parité peso / dollar. La quasi totalité de la dette externe (70%) et de la dette interne est libellée en dollars. Selon La Tribune du 13 juillet, une dévaluation "créerait une situation intenable", "un chaos financier", le remboursement de la dette serait rendu impossible, avec des conséquences dangereuses sur le système financier international. Cela pourrait déboucher sur un éclatement du Mercosur, le marché commun de l'Amérique du sud qui regroupe le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay.

Pour parvenir à ces objectifs, il faut imposer de nouvelles "réformes", s'attaquer de façon plus violente encore aux conditions d'existence des masses. Tout en maintenant la parité, le gouvernement a décidé des taxes nouvelles sur les importations de produits de consommation et une aide fiscale aux exportations (les États-Unis ont immédiatement riposté en décidant des quotas et une taxe sur les aciers argentins). Il a aussi mis en place de nouvelles monnaies régionales (non garanties par l'Etat fédéral). Ainsi, dans la province de Buenos Aires, une partie du traitement des fonctionnaire serait versé en "patacones". On peut estimer la valeur de cette "monnaie" en sachant qu'elle ne pourra servir à payer les factures d'électricité ou de téléphone et qu'elle n'est pas acceptée par tous les commerces.

Cette situation est à l'origine de la mobilisation des masses. Grèves, manifestations, blocage des routes par les "piqueteros" se multiplient. Dans un pays qui ignorait l'analphabétisme et la malnutrition, Le Monde rapporte les propos d'enseignants: "aujourd'hui, les enfants apprennent mal car ils ont faim". Nombre d'enseignants n'ont pas touché leur salaire depuis juin. La dirigeante de la confédération nationale des travailleurs de l'éducation (CTERA) indique: "La priorité du gouvernement n'est pas de payer les salaires des enseignants mais de payer la dette extérieure". La CTERA a exigé que le gouvernement paie les salaires "en temps voulu et en pesos" et a appelé à une grève illimitée. Beaucoup d'enseignants participent aux centaines de coupures de routes qui se sont succédées ces dernières semaines. Une conférence nationale de 2 000 délégués "piqueteros" vient de se tenir. Mais les propos d'une enseignante rapportés par le même quotidien montrent à la fois la détermination des travailleurs et les problèmes politiques auxquels elle se heurte:

"Nous ne pouvons plus confier notre avenir aux hommes politiques. C'est à nous de nous battre, car c'est une situation limite. Dans les écoles, mais aussi dans les hôpitaux, où il n'y a pas de matériel ni de médicaments."

En effet, il faut une perspective politique pour ordonner et centraliser ces mobilisations contre le gouvernement bourgeois du président de la Rua. Dans le dernier numéro, de Combattre Pour le Socialisme, nous indiquions:

"Mais en l'absence non seulement de Parti ouvrier révolutionnaire, mais aussi de tout parti ouvrier, la classe ouvrière est privée de toute expression politique. Aussi, aux élections d'octobre 1999, face à Menen candidat péroniste, il n'y eut que deux autres candidats, des candidats de la bourgeoisie: Domingo Cavallo (Action pour la République parti traditionnel de la bourgeoisie d'Argentine) qui obtint 10% et Fernanda de La Rua (UCR Union civique radicale). Le combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire implique d'ouvrir en permanence une perspective politique immédiate aux mobilisations engagées par les masses pour la défense de leurs conditions d'existence. En Argentine, le combat contre l'impérialisme ne peut être conduit que par le prolétariat organisé en parti politique combattant sur des mois d'ordre qui permettent aux masses de se rassembler: échelle mobile des salaires, annulation de la dette. Cela implique de combattre pour la construction d'un parti ouvrier postulant immédiatement au pouvoir, un parti combattant sur ces revendications et permettant au prolétariat de se dégager du péronisme, de la soumission à la bourgeoisie nationale."

C'est sur l'absence de perspective politique pour la masse des salariés et de la jeunesse que compte le gouvernement: il espère qu'encore une fois, en octobre, la classe ouvrière soit privée de toute expression politique propre, profiter ainsi du désarroi politique pour faire plébisciter ses mesures anti-ouvrières. Plus que jamais, le combat pour l'organisation ouvrant une perspective politique aux mobilisations actuelles est une nécessité immédiate.