Supplément à "Combattre pour le socialisme" n° 89, 27 Avril 2002 :



Ce n’est pas en appelant à voter Chirac qu’on peut combattre le Front National, bien au contraire.

AUCUNE VOIX OUVRIÈRE AUX CANDIDATS BOURGEOIS :

NI POUR CHIRAC, NI POUR LE PEN !

UNITÉ DES TRAVAILLEURS, DE LA JEUNESSE ET DE LEURS ORGANISATIONS :

Aucune alliance, de quelque nature que ce soit, entre les organisations ouvrières et celles de la bourgeoisie !



Depuis le 21 avril au soir, une intense campagne politique est menée par la quasi-totalité des représentants de la bourgeoisie comme par la quasi-totalité des dirigeants du PS, du PCF et de la plupart des syndicats ouvriers : il faudrait voter Chirac au second tour des élections présidentielles pour " faire barrage au danger fasciste ".

Cette campagne est relayée par toute la presse : quiconque refuse d’appeler à voter Chirac est accusé de faire le jeu de Le Pen. Et à en croire les gros titres du Monde, Chirac aurait miraculeusement changé de nature: il serait aujourd’hui " un nouveau Chirac ", défenseur d’un combat " moral "!

Face à cette déferlante d’appels à voter Chirac, où l’on trouve côte à côte les chefs de toutes les Eglises et les dirigeants de la franc-maçonnerie, Robert Hue et Madelin, la " gauche " socialiste et les défenseurs de la " troisième voie " -de Fabius à Strauss-Kahn-, le patronat et la CFDT, sans parler des Verts aux côtés de " chasse pêche et tradition ", il est nécessaire de rappeler quelques faits, et d’abord celui-ci : en nombre de voix, le FN progresse peu (200 000 voix) ; Le Pen et Megret recueillent à eux deux 500 000 voix de moins que Le Pen et de Villiers en 1995. En outre, le vote FN recule massivement chez les jeunes et les très jeunes (moins 30%), recul compensé par l’électorat très âgé ; il stagne chez les ouvriers, et recule chez les employés (moins 30%). Par contre, il y a une forte hausse du vote des commerçants et petits patrons pour Le Pen (de 13 à 30%), vote issu de l’électorat RPR : la crise du RPR nourrit le FN. Chirac seul perd 817 000 voix ; avec Bayrou et Madelin, ils recueillent 3,4 millions de voix de moins que les deux candidats du RPR (avec l’UDF) en 1995.

LES VÉRITABLES CAUSES DE CETTE SITUATION

Pourtant, l’événement majeur de ce premier tour, c’est l’élimination du candidat du PS: pour la première fois depuis 1969, il ne reste que deux candidats de la même classe sociale : Chirac, aujourd’hui candidat du patronat et des banques et Le Pen, candidat xénophobe, ultra nationaliste, défenseur des couches les plus réactionnaires de la même bourgeoisie. Cela interdit à la classe ouvrière et à la jeunesse toute expression de classe au second tour.

Comment en est-on arrivé là ?

On accuse les abstentionnistes -près de 11 millions et demi, sans parler des non inscrits- Mais qui est responsable du fait que leur nombre soit passé de 21% en 1995 à 28% cette année ? On accuse les trois candidats dits " trotskystes ". Mais, pour toute organisation, c’est un droit imprescriptible de défendre son programme ; on ne peut critiquer que le contenu de leur politique. Or, si celle -ci n’a rien de révolutionnaire, les près de trois millions d’électeurs qui ont voté LO ou LCR (voire PT) ont ainsi affirmé qu’ils n’acceptaient pas la politique du PS et du PCF qui, durant cinq années de participation au gouvernement, ont tourné le dos à leurs revendications.

Car l’essentiel est là : si le PS s’est, électoralement effondré (moins 35% de ses voix de 1995, moins 55,5% par rapport à 1988), si le PCF est un champ de ruines (mois 63,5% de ses voix de 1995) s’il n’y a plus, au deuxième tour de candidat de parti ouvrier -ce qui est en soi une défaite sévère pour les travailleurs et les jeunes- c’est uniquement à cause de la politique du PS et du PCF.

En mai-juin 1997, alors que les travailleurs, pour en finir avec la politique du gouvernement Chirac-Juppé, venaient d’élire une majorité de députés PS et PCF à l’Assemblée Nationale, le PS et le PCF ont constitué un gouvernement avec des forces bourgeoises -tel le parti radical- Ce gouvernement a protégé Chirac, au lieu d’exiger sa démission immédiate et permis le maintien de la Vème République. Cinq ans durant, il a fait une politique au service du patronat. Il suffit de rappeler la loi Aubry d’ARTT qui a flexibilisé et annualisé le temps de travail ; il suffit de rappeler la politique conduite par Allègre au compte du gouvernement PS-PCF Radicaux-Citoyens-Verts, les réformes destructrices contre laquelle les enseignants se sont dressés par centaines de milliers et qui a été poursuivie par Jacques Lang. C’est l’ensemble de cette politique qui permet aujourd’hui de reconduire Chirac au pouvoir.

Et le même Allègre déclare aujourd’hui : " Toute attaque contre Chirac renforce Le Pen ", et explique que Le Pen a bénéficié du fait que l’Assemblée nationale était envahie par une " armée de fonctionnaires moyens " (c’est à dire membres du PS et souvent enseignants) au lieu de représenter la France qui " crée la richesse ", " les chefs d’entreprises, les commerçants ". Ouvertement, Allègre combat pour aller jusqu’au bout de la liquidation du PS.

LE PROGRAMME DE CHIRAC

Au soir du premier tour, Chirac a appelé au maintien de la " cohésion sociale " ; cet " appel au rassemblement ", au dessus des partis -ainsi que le voulait de Gaulle- est un appel au vote plébiscitaire nécessaire à sa politique et à la défense de la Vème République, d’autant plus nécessaire que le RPR a très largement reculé par rapport à 1995.

Ainsi, plus Chirac aura de voix, plus brutale sera sa politique. Dès son élection, il désignera son gouvernement, sans attendre les législatives de juin : dans la Vème République (régime à caractère bonapartiste), tout doit procéder du président. Le premier objectif de Chirac est de restabiliser la Vème République en crise pour mettre en œuvre la politique exigée par le Medef : privatisation de la Sécurité sociale, liquidation des statuts de la grande masse des fonctionnaires, dislocation de l’enseignement public… Dès le mois de mai, sera nommé " un ministre de la  Sécurité " et réuni " un conseil de sécurité intérieure " ; dès l’été, seront votées des lois renforçant justice et forces de l’ordre. Les retraites seront attaquées.

Certains laissent croire que les travailleurs pourraient " effacer " ce vote contre nature, se " rattraper " aux législatives. Mais tout sera fait alors pour qu’il y ait le moins possible de députés PS (et PCF). Dès le premier tour, le PS et le PCF laisseront la place à des candidats bourgeois, UDF incluse, ou escamoteront leur sigle au profit d’un regroupement (type " gauche-unie ") largement ouvert aux forces bourgeoises et petites bourgeoises. Et au second tour, nombre de candidats PS éligibles se retireront au profit de chiraquiens, ainsi que l’explique Allègre : " il faudra éviter de triangulaires ou la gauche et la droite feraient élire des candidats du FN ". Chirac aura ainsi la majorité nécessaire à sa politique. A défaut, celle-ci sera mise en œuvre par une large alliance de forces bourgeoises avec le PS -et le soutien éventuel du PCF- Voilà ce que prépare le vote pour Chirac.

LE " FRONT REPUBLICAIN " SE RETOURNERA CONTRE LES TRAVAILLEURS ET LES JEUNES.

En dramatisant une prétendue " menace fasciste ", les dirigeants du PS, du PCF se préparent à renforcer les liens avec la bourgeoisie et ses partis : l’UDF et le nouveau parti chiraquien. Or, s’il est incontestable que le Front National est une organisation ultra-réactionnaire, qui se nourrit de la lutte contre les travailleurs immigrés, il est faux de laisser croire qu’on serait à la veille d’un " 1933 en Allemagne ", ne serait-ce que parce que Hitler fut financé et propulsé par le capital financier allemand. Or, les dirigeants du capitalisme français apportent aujourd’hui leur plein soutien à Chirac. Le Pen n’est pour eux qu’un " aiguillon " pour stimuler les attaques prévues contre les acquis ouvriers.

Par contre, ce dont a besoin la bourgeoisie française, c’est que les dirigeants du PS et du PCF, apportent leur plein soutien à Chirac. Et c’est ce soutien à Chirac au deuxième tour, après cinq ans de cohabitation et de politique anti-ouvrière, qui contribue à brouiller l’opposition fondamentale entre salariés et bourgeoisie, qui désoriente les travailleurs et qui radicalise la petite bourgeoisie. Le soutien à Chirac prépare un nouveau renforcement du Front National. C’est cette politique qui, en Autriche, a conduit au pouvoir un parti bourgeois " d’extrême droite ".

LE RÔLE DÉCISIF DES DIRIGEANTS SYNDICAUX.

Cinq ans durant, ils ont aidé le gouvernement. Ainsi, ils ont refusé d’exiger le retrait du projet de loi Aubry d’ARTT, puis le décret Sapin d’application à la Fonction publique ; ils ont négocié leur mise en œuvre. Ils ont refusé de combattre en direction de la majorité PS-PCF à l’Assemblée pour qu’elle rompe avec le gouvernement et sa politique. A la veille des élections, les dirigeants syndicaux ont rejeté tout appel à voter en faveur des candidats des organisations ouvrières. Mais dès lors qu’il n’y a plus de candidats ouvriers au second tour, les dirigeants de la CGT et de la FSU (sans parler de la très patronale CFDT) appellent à voter pour Chirac, candidat du Medef. A l’inverse, il est nécessaire d’exiger qu’ils se prononcent contre tout vote en faveur de Chirac, comme de Le Pen, qu’ils se prononcent pour l’unité des organisations ouvrières -partis et syndicats- face à la bourgeoisie et ses candidats, classe contre classe.

Pour que soit organisé un tel combat, une véritable organisation ouvrière, révolutionnaire est nécessaire. Ni LO, ni la LCR (et pas davantage le PT) en dépit de l’étiquette trotskyste offerte par les journalistes ne peuvent constituer un tel parti : il suffit de constater que ces trois organisations, par exemple, ont refusé de mobiliser pour contraindre la majorité PS et PCF à rejeter la loi d’ARTT; il suffit de constater que dès avant le premier tour ils ont mené campagne pour l’abstention au deuxième tour (pour lequel les sondages annonçaient Jospin contre Chirac). A l’inverse, une organisation trotskyste, tout en caractérisant nettement la politique du PS et du PCF se devait d’impulser le combat en direction de la majorité PS et PCF, et se prononcer pour un vote de classe au second tour des présidentielles, contre le candidat de la bourgeoisie, au lieu de populariser l’abstention. Elle se doit aujourd’hui de combattre clairement sur les mots d’ordre :

Ainsi, la classe ouvrière et la jeunesse peuvent commencer à se réorganiser pour leurs propres objectifs.

UN AUTHENTIQUE PARTI OUVRIER, RÉVOLUTIONNAIRE, EST NÉCESSAIRE

Au sein des vielles organisations ouvrières, où s’expriment des résistances, crises et bouleversements sont à l’ordre du jour. La classe ouvrière devra nécessairement briser le piège politique dans lequel elle a été enfermée, pour reprendre l’initiative, se réorganiser, se doter d’un véritable Parti Ouvrier Révolutionnaire. Ce processus sera certainement complexe. Les militants du Comité entendent contribuer à la construction d’une telle organisation.

27 avril 2002.