Supplément à C.P.S. n°88 - 3 janvier 2002 :



VIVE LA MOBILISATION DES MASSES D'ARGENTINE !

POUR UNE RÉPONSE OUVRIÈRE À LA QUESTION DU POUVOIR !


En moins de quinze jours, la mobilisation du prolétariat et de la jeunesse d’Argentine a chassé deux présidents et leurs gouvernements: Fernando de la Rua (UCR) puis Adolfo Rodriguez Saa mis en place le 23 décembre.

Depuis des mois, se multipliaient les grèves contre les plans anti-ouvriers du gouvernement, les manifestations de chômeurs, le blocage des routes, des voies ferrées (mouvement des " piqueteros ": coupeurs de routes). Ces mouvements ont été durement réprimés: grève déclarée illégale par le gouverneur de Buenos-Aires en août dernier, poursuites, emprisonnement et assassinat de militants du mouvement " piquetero "… Les 18,19, 20 et 21 décembre, les masses populaires, la jeunesse rejoints par les " classes moyennes " ont déferlé dans nombre de villes, à Buenos-Aires, sur la place de Mai et devant le Parlement. Cette mobilisation à caractère révolutionnaire a subi la répression sanglante du gouvernement de la Rua (31 morts officiellement). Le 18, le président décrétait l’état d’urgence pour trente jours, autorisant ainsi l’armée à organiser la répression des masses.

La poursuite de manifestations massives, l’appel des syndicats à la grève générale contre l’état d’urgence, contraignaient le 21 décembre le président de la Rua à s’enfuir du palais présidentiel en hélicoptère. Cette démission suivait de peu celle de son ministre de l’économie Domingo Cavallo – ex ministre péroniste de Carlos Menem – et père des réformes drastiques mises en place à partir de 1990 dont la loi fixant la parité entre le peso et le dollar.  Son successeur, le péroniste Adolfo Rodriguez Saa n’a pu tenir plus de sept jours ; il est remplacé le 1er janvier par le péroniste Eduardo Duhalde.

UNE CATASTROPHE ÉCONOMIQUE ANNONCÉE.

Dans un pays qui ignorait la malnutrition, le pillage des magasins exprime le profond dénuement dans lequel est plongée la masse de la population : 35% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, 30% de taux de chômage réel, 40% d’économie souterraine.

L’Argentine est aujourd’hui la pointe avancée de la crise économique et financière qui menace l’ensemble de l’économie mondiale. Dès avant les " attentats " du 11 septembre, l’économie américaine est touchée par la crise tandis que le Japon reste englué dans la récession. A l’origine de cette crise :  une suraccumulation de capital, une chute du taux de profit des capitalistes. Pour l’impérialisme américain et les autres impérialismes il faut faire payer aux masses la crise du système capitaliste (des centaines de milliers de licenciements) et reporter le coût de cette crise sur les pays dominés.

La série de crises, qui avait touché en 1997-1999 nombre de pays, avait été provisoirement surmontée par les dévaluations massives des monnaies (roupie, rouble, réal…) les fermetures massives d’entreprises, les coups sévères portés aux prolétariats de ces pays. De plus, jusqu’au printemps 2001, l’économie américaine avait connu une phase de croissance: le recours à l’endettement massif (des entreprises et des ménages), l’écrémage de la plus-value produite par les travailleurs des pays dominés accablés par le remboursement de la dette, permettaient de masquer les faiblesses profondes de l’économie américaine.

La presse accuse la bourgeoisie argentine et ses partis politiques " d’incapacité ". Elle tente ainsi de faire oublier que depuis des années l’Argentine était présentée comme l’élève modèle du FMI, c’est à dire du capital financier. Alors que le real brésilien, en 1999 décrochait du dollar, le FMI imposait que le peso argentin reste jusqu’à aujourd’hui lié au dollar, et ce, avec le plein soutien de la majorité du personnel politique argentin et des principales fractions de l’oligarchie financière.

Le résultat fut spectaculaire : accroissement des déficits - ceux du budget notamment- et de l’endettement, effondrement des exportations et de la production industrielle, explosion du chômage, développement de la misère, salaire des fonctionnaires non payés, pensions des retraités confisquées par le gouvernement … Chacun savait que la banqueroute était inévitable, mais ces années furent mises à profit pour placer les capitaux à l’abri -120 milliards de capitaux argentins placés à l’étranger et une dette extérieure de 131 milliards- de garantir les prêts en dollars, permettre aux groupes financiers impérialistes d’accroître leur emprise sur le pays. La vente de la totalité des entreprises argentines aux firmes des États impérialistes, l’organisation des détournements de fonds, la " corruption ", le caractère mafieux de l’appareil politico-militaire expriment les liens étroits entre la bourgeoisie argentine et l’impérialisme. Dictatures militaires, gouvernement péronistes ou de l’UCR : pour les masses et l’ensemble de la population laborieuse, ce sont toujours les mêmes " ladrones ", les mêmes voleurs qui sont au pouvoir.

La politique de " dollarisation " (partielle) avait pour but de faire payer aux masses la crise du capitalisme, et aujourd’hui, les conséquences de la dévaluation à laquelle la bourgeoisie est contrainte doivent être supportées par les masses. Ainsi, pour certains économistes cités par le Financial Times du 2 janvier, les salaires réels devraient diminuer de 30% pour que l’Argentine redevienne compétitive.

LA MOBILISATION DES MASSES, DE LA JEUNESSE POSE LA QUESTION DU POUVOIR.

Le 28 décembre les manifestants se sont attaqués au Congrès en scandant les mots d’ordres suivants : " Rendez-nous notre argent ! "  " Qu’ils partent ces corrompus !"  " Nous voulons le peuple au pouvoir ! "

Le prolétariat argentin a une longue tradition de combat contre sa propre bourgeoisie. D’immenses mobilisations eurent lieu en particulier durant les années quarante. Toutes furent impuissantées par la politique conjointe des anarchistes, des sociaux-démocrates et des staliniens ouvrant ainsi la voie à Peron. Durant ces années, grâce aux possibilités d’exportations de produits agricoles offertes notamment par la seconde guerre mondiale et aussi grâce à l’appui des dirigeants de la CGT, la bourgeoisie argentine a pu s’inféoder son propre prolétariat. Juan Peron, colonel issu d’un gouvernement militaire instauré en 1943 fut l’instrument de cette opération de type bonapartiste : en échange des concessions (salaires, protection sociale…) que permettaient une situation économique exceptionnelle, Peron obtint le plein soutien de la CGT ; son parti -le parti justicialiste- développa son influence sur les masses ; puis, la CGT fut détruite comme organisation ouvrière, elle devint une organisation corporatiste courroie de transmission de l’appareil d’État péroniste.

Dès la fin des années soixante, ce système politique était moribond. Mais l’influence du péronisme même déclinante perdura longtemps, le prolétariat argentin étant privé de toute organisation de classe. Telle est l’origine du désarmement politique des masses face aux coups d’états militaires successifs, à la terreur policière -plusieurs dizaines de milliers de " disparus " lors de la deuxième dictature- Ces dictatures militaires de même que les gouvernements " civils " -péronistes ou UCR- instaurés ultérieurement ont, avec la bénédiction des impérialismes mis en cause l’ensemble de ce qui avait été concédé au prolétariat- effondrement du pouvoir d’achat, du système de santé, du système scolaire-

Depuis la chute de la dictature militaire et plus encore depuis quatre ou cinq ans, une nouvelle génération de travailleurs a engagé le combat. De puissantes mobilisations ( d’ouvriers, d’étudiants, d’enseignants…) se sont développées. En même temps, une importante organisation syndicale s’est constituée en dehors du cadre de la CGT péroniste, la CTA. La CGT officielle s’est scindée en deux fractions. A également commencé à être discuté -sans que cela débouche aujourd’hui- la constitution d’un parti des travailleurs, en référence à celui qui existe au Brésil.

Aux élections législatives d’octobre dernier, la défaite des partis aux pouvoirs fut cinglante. Mais, comme l’UCR, la majorité des chefs péronistes défendaient l’indexation du peso au dollar et le plan du " déficit zéro ", plan drastique contre les masses. Le taux de " blancs et de nuls " fut exceptionnel : 40% alors que le vote est obligatoire. Ce résultat montre le rejet par les masses aussi bien des radicaux que des péronistes. Mais en l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire et même de tout parti ouvrier, la classe ouvrière n’a pas de perspective politique.

QUELLE RÉPONSE OUVRIÈRE À LA QUESTION DU POUVOIR ?

C’est avec l’exigence d’en finir avec les " ladrones ", les voleurs, qu’ont eu lieu des mise à sac de banques et que se sont développées des mobilisations massives.

Mais la corruption, le pillage du pays par les " ladrones ") sont inhérents à la domination du capital. La défense des conditions d’existence des masses exige d’en finir avec tout gouvernement au service du capitalisme. Elle implique de combattre sur des mots d’ordres clairs : l’annulation pure et simple de la totalité de la dette (annulation et non pas report de l’échéance), l’ouverture des livres de comptes, la mise au grand jour -par les travailleurs des banques en particulier- des richesses volées depuis des décennies par l’oligarchie argentine et les groupes financiers étrangers, la confiscation de l’ensemble des richesses pillées et accumulées par les " ladrones " argentins et impérialistes. En clair, l’expropriation des latifundiaires, l’expropriation des banques (pour la plupart sous le contrôle des groupes financiers impérialistes) qui concentrent le commandement réel de l’économie, la ré-appropriation sans indemnité ni rachat de toutes les entreprises privatisées. (L’expropriation des banques ne signifierait pas l’expropriation des petits dépôts bancaires : ceux des retraités ou des artisans par exemple).

Contre les diminutions de salaires, contre le nouveau plan qui doit faire payer aux masses la dévaluation du peso, il faut combattre le rattrapage du pouvoir d’achat perdu et sa garantie par l’échelle mobile des salaires, le doit au travail et aux études pour la jeunesse. Mais, l’économie, l’industrie et les transports ne servira les intérêts vitaux des travailleurs, cette étatisation ne sera favorable aux masses que si le pouvoir de l'État passe des mains des exploiteurs, des " ladrones " aux mains des travailleurs, que sous la direction d’un véritable gouvernement ouvrier. Tels sont les premiers éléments du programme d’un parti ouvrier, tel est l’axe sur lequel un tel parti peut se construire.

Sur une telle orientation, peut être poursuivi le chemin ouvert par la récente conférence nationale des délégués des " piqueteros " : celui de la constitution dans toutes les entreprises, dans les universités, dans toutes les localités et les quartiers de comités d’ouvriers, de jeunes désignant leurs délégués pour une conférence nationale des délégués des travailleurs et de la jeunesse. Une telle conférence nationale de délégués mandatés et révocables peut décider des mesures qui s’imposent et organiser leur mise en œuvre.

Elle serait également le moyen de dresser un rempart politique face à la menace toujours présente d’une armée et d’une police totalement dévouée à l’oligarchie financière, en impulsant la constitution de milices ouvrières et étudiantes assurant la protection des travailleurs, de la jeunesse et de leurs organisations.

C’est en combattant pour un tel programme, pour un véritable gouvernement ouvrier, que peut se construire un authentique parti ouvrier ouvrant une perspective politique à la mobilisation des masses. Le Comité pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire, pour la construction de l’Internationale Ouvrière Révolutionnaire combat pour ces objectifs.